La Lega italienne, laboratoire politique de la droite d’après ?

L’annonce est tombée : Matteo Salvini, l’enfant terrible de la politique italienne, cousin transalpin de Marine Le Pen et Luigi Di Maio, patron du Mouvement 5 étoiles, viennent de terminer les négociations en vue de la formation d’un gouvernement de coalition en Italie. Qui est donc ce populiste à la barbe négligée et aux accents féroces qui agite tous les gouvernement européens ? Jadis axée sur la dénonciation des Italiens méridionaux, la stratégie de la Lega s’articule désormais autour de l’incarnation d’une droite identitaire et xénophobe, et d’une large union des droites et extrêmes-droites italiennes. Cette stratégie lui a permis de faire passer son parti d’un maigre score de 4% en 2013 à une position de leader d’un bloc alliant droites et extrême-droites. Au sein de ce bloc qui a réuni 37% des voix aux dernières élections, la Lega représente 18%. Fascinée depuis longtemps par l’Italie, l’extrême-droite française pourrait être tentée de s’en inspirer pour imposer à la France un funeste bloc réactionnaire, capable de prendre la tête de l’Etat comme c’est déjà le cas en Autriche et dans toute l’Europe de l’Est. 


C’est fait ! Le gouvernement italien est formé. Giuseppe Conte, un professeur de droit très lisse, en prendra la tête. Ce n’est pas officiel mais la presse italienne annonce que Luigi Di Maio et le Mouvement 5 étoiles prendraient le contrôle d’un grand ministère du travail pour mettre en place leur “revenu citoyenneté” d’un montant de 780 euros, Quant à Matteo Salvini, il devrait prendre la tête du ministère de l’Intérieur pour mener sa politique de répression à l’égard des migrants.

Outre la lutte contre l’immigration et le revenu de citoyenneté, cet accord prévoit  de renégocier le pacte budgétaire européen. Matteo Salvini et Luigi Di Maio prévoient également la mise en place de deux taux de flat tax à 15 et 20%. Ils promettent également de nationaliser les régies d’approvisionnement en eau, de développer l’agriculture biologique, de relancer les investissements dans les infrastructures publiques, de corriger la Loi Fornero, réforme très défavorable aux retraités et de fonder une nouvelle banque publique d’investissements. Les prochains mois nous diront probablement s’ils confirment cette orientation eurosceptique. En attendant, il s’agît pour nous de comprendre le tour de force opéré par Matteo Salvini car il pourrait malheureusement inspirer les droites et extrême-droites françaises.

L’Italie est notre passé, elle pourrait bientôt être notre avenir

«En politique, les Italiens furent nos maîtres» aime à rappeler Eric Zemmour. «De Machiavel à Mazarin, nos rois ont appliqué à la lettre leurs préceptes pour la plus grande gloire du Royaume de France. Au XXème siècle, l’Italie fut le laboratoire politique de toute l’Europe : ils ont inventé le fascisme dans les années 1920, la révolte des juges dans les années 1980, et le populisme anti-parti dans les années 1990» poursuit le polémiste réactionnaire dans une récente chronique sur RTL. On pourrait y ajouter le parti communiste italien qui a porté autant la régénération de la pensée marxiste sous la plume de Gramsci que l’euro-communisme par la voie d’Enrico Berlinguer. Le Berlusconisme est lui un signe avant-coureur, s’il en est, du Sarkozysme. Quant au Mouvement Cinq Etoiles, il est la version la plus pure du populisme, nouvelle vague qui abreuve la politique européenne.

Si la Lega obsède tant le prophète d’un nouveau bloc réactionnaire français, c’est qu’elle porte en elle les germes de cette « droite d’après » que Patrick Buisson appelle de ses vœux. Maniant la méthode populiste pour sortir de son carcan régionaliste, la Lega est parvenue à rallier à sa cause des masses d’électeurs italiens, y compris dans les régions historiquement sociale-démocrates ou démocrates-chrétiennes modérées comme le Friuli-Venezia-Giulia, où elle vient de mettre au tapis tous ses adversaires, à l’occasion d’une élection régionale. Pour passer d’un score de 4% en 2013 à un score qui avoisine les 18% en 2018, la Lega a ainsi opéré un tournant stratégique, et troqué le régionalisme anti-méridional contre un populisme réactionnaire à forte connotation xénophobe tout en ciblant l’Union Européenne. Surtout, la Lega est parvenue à réaliser « l’union des droites » si chère à Eric Zemmour, Patrick Buisson et autres Robert Ménard, ce qui la place ainsi en position de gouverner l’Italie. Elle a même réalisé le fameux « sorpasso », en coiffant au poteau la droite traditionnelle menée par l’éternel Silvio Berlusconi. Le Cavaliere est resté planté en dessous de la barre des 15%. Fascinée depuis longtemps par l’Italie, l’extrême-droite française pourrait être tentée de suivre la voie de son alter-ego transalpine pour constituer un bloc réactionnaire. Celui-ci unifierait 40% du corps électoral français et serait à même de former une coalition pour gouverner le pays, comme c’est le cas en Autriche.

Aux origines de la Lega, le mythe de l’indépendance de la Padanie

Créé en 1989 par Umberto Bossi, la Ligue du Nord est d’abord un rassemblement de ligues régionalistes, vénètes et lombardes. Son imaginaire se construit alors autour d’une utopique indépendance de la Padanie, région fantasmée, jamais clairement définie, bien qu’on la délimite en général par la plaine du Pô. Elle stigmatise alors « Roma Ladrona » (Rome la voleuse), et traite les Italiens méridionaux de « terroni » (cul-terreux). Selon les fondateurs de la Ligue, les riches régions vénètes et lombardes, plus européennes que méridionales, plus proches de Zurich que de Rome, sont malades de se traîner le boulet du Mezzogiorno italien.

« Sens comment ça pue ! Même les chiens s’enfuient, les Napolitains arrivent » chantait encore Matteo Salvini lors d’une fête de son parti en 2009.

Après l’opération Mains propres en 1992, une série d’enquêtes judiciaires qui a mis au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques surnommé Tangentopoli, les Italiens balayent la quasi-totalité de leur classe politique. La Ligue du Nord capitalise alors sur le rejet de la caste politique et sur une stigmatisation des Italiens du Sud dont la traduction politique réside dans un autonomisme fiscal à tendance poujadiste. Le Midi italien est ainsi caricaturé en amas de feignants qui profitent des transferts sociaux venus des impôts vénètes et lombards, des transferts au demeurant captés par le règne de la Mafia et de la corruption. On retrouve d’ailleurs des restes de ce mépris à l’égard des Italiens méridionaux dans des paroles chantées par Matteo Salvini lors d’une soirée de ce qui était encore la Lega Nord en 2009 : « Sens comment ça pue ! Même les chiens s’enfuient, les Napolitains arrivent. » Son électorat comprend alors une forte composante populaire. 

Matteo Salvini opère la transformation de la Ligue du Nord en Lega italienne

Quand il arrive à la tête de la Lega en 2013, Matteo Salvini se trouve face à un champ de ruines. Loin de la barre des 10% qu’elle dépassait régulièrement dans les années 1990, la Lega est tombée à 4% lors des élections législatives de 2013. Umberto Bossi et son trésorier ont du se retirer de la direction du parti, dans un contexte d’accusations de détournements de fonds. Le jeune Salvini opère alors un changement radical de stratégie. Il le résume en une phrase : « Si nous marchions avec orgueil le long du Pô il y a quinze ans, aujourd’hui nous devons combattre l’extermination économique de l’Italie. Cette urgence est une question nationale ». Matteo Salvini entend ainsi mettre à distance, sans l’effacer totalement, le folklore régionaliste de son parti pour incarner la révolte du peuple italien.

« Bruxelles nous massacre avec l’euro et ses règles absurdes. L’immigration est désormais une invasion planifiée et le fisc nous tue tous, des commerçants aux artisans, des employés aux retraités, et cela à Brescia comme à Lecce », résume Matteo Salvini.

L’ennemi a changé : on ne stigmatise pas tant le terroni feignant et assisté que « l’invasion migratoire » qui frapperait l’Italie. Quant à la voleuse, elle s’est déplacée de Rome à Bruxelles. En octobre 2015, Matteo Salvini réunit ainsi 100 000 manifestants à Milan contre « l’invasion des clandestins. » Il demandait entre autres l’abrogation des accords de Schengen. La Lega a ainsi prévu d’expulser 600 000 clandestins en une mandature. Comme Marine Le Pen, Matteo Salvini s’appuie sur le rejet de l’Union européenne pour incarner la révolte du peuple italien contre Bruxelles : « Bruxelles nous massacre avec l’euro et ses règles absurdes. L’immigration est désormais une invasion planifiée et le fisc nous tue tous, des commerçants aux artisans, des employés aux retraités, et cela à Brescia comme à Lecce » explique-t-il dans des propos cités par Libération.  Il multiplie alors les actions coup de poing pour incarner ce Poujade à l’italienne : violent à l’égard de l’immigration, méfiant à l’égard de Bruxelles. On se souvient de ses visites impromptues dans des camps de nomades ou la récolte de signatures pour des référendums d’initiative populaire sur la sortie de l’Italie de l’euro, monnaie considérée comme « un crime contre l’humanité ».

Matteo Salvini emploie les mots qui tonnent et les formules qui claquent pour incarner le nouveau bloc nationaliste en naissance en Italie : « J’ai tout entendu : je suis un criminel, un raciste, un fasciste. Je fais peur à une petite fille de 7 ans (dont la mère adoptive a raconté qu’elle avait peur d’être renvoyée en Afrique). Elle ne doit pas avoir peur. Ce sont les trafiquants de drogue nigérians qui doivent avoir très peur de Salvini », a-t-il lancé en fin de campagne, rapporte Libération. Renouant avec les origines populaires de la Lega, il arrive à parler à l’électorat social-démocrate de l’Emilie-Romagne (habituel bastion communiste qui a accordé 20% de ses suffrages à la Lega lors des dernières élections régionales). Il a tiré une capacité à s’adresser aux secteurs populaires de ses jeunes années où il défendait un centre social en passe d’être expulsé à Milan et au cours desquelles il dirigeait les communistes padaniens. Pour séduire les électeurs Italiens, Matteo Salvini tente de personnifier la figure du père de famille : entreprenant, homme du commun pétri de défauts, de bon sens et de bonne volonté. Son poujadisme fiscal et ses régulières saillies contre la bureaucratie lui permettent également de rafler les voix des petits patrons, artisans et commerçants, et dépouille ainsi Berlusconi d’une partie de son électorat. 

Matteo Salvini se distingue également par des expéditions un peu plus baroques avec des visites à Moscou et Pyongyang. Pour Salvini, la Russie est « un rempart contre la mondialisation, l’islamisme et le pouvoir des Etats-Unis ». Il justifie ainsi sa visite à Moscou :  « Je n’y vais pas pour chercher de l’argent mais pour aider les entreprises italiennes exportatrices qui souffrent d’un embargo inepte. » Cette activité de « défense des intérêts » de l’Italie, le mène jusqu’en Corée du Nord avec des producteurs de pommes de Lombardie. A chaque fois, il est revenu enchanté de ses séjours en vantant « la tranquillité » et « la sécurité » de Moscou et de Pyongyang.

Dès 2014, Matteo Salvini a d’ailleurs créé « Noi con Salvini », une organisation dédiée à la conquête des cœurs méridionaux.

Cette nationalisation de la Ligue du Nord passe également par une attention particulière portée aux électeurs du Sud de l’Italie. Le Nord de la « Lega Nord » a été abandonné. Seule relique du passé : la figure d’Alberto da Giussano, un héros médiéval légendaire. On attribue à ce dernier d’avoir victorieusement défendu le Carroccio de la Ligue lombarde contre l’armée impériale germanique de Frédéric Barberousse. Sa silhouette s’affiche encore sur le logo de la Lega. Pour le reste, la Ligue communique surtout sur des slogans comme « Salvini Premier Ministre » et « Les Italiens d’abord ». Dès 2014, ce dernier a d’ailleurs créé « Noi con Salvini », une organisation dédiée à la conquête des cœurs méridionaux. Lors de ses meetings en Calabre, dans le Sud de l’Italie, il martèle ses thèmes  : l’immigration africaine, ces gens venus de ces pays « qui nous envoient leurs produits agricoles et leurs migrants », et l’insécurité. Il avance également des thèmes inhabituels pour un leader leghiste, notamment le développement des infrastructures de santé au Sud, ou la continuité territoriale que l’Etat doit assurer pour les îles (Sicile et Sardaigne), mais aussi pour les zones enclavées de la péninsule.

Il est désormais loin le temps où Salvini rejetait le drapeau Italien, ne ratait jamais une occasion de s’afficher avec un t-shirt « Padania is not Italy », ou soutenait la France à l’euro 2000 et l’Allemagne à la coupe du monde 2006. A l’époque, il tenait encore une émission sur radio Padania intitulée « Ne jamais dire l’Italie » .

Le Grand retour de la question méridionale

« Maintenant que l’Italie est faite, il faut faire les Italiens »  s’exclamait l’ancien président du conseil piémontais Massimiliano d’Azeglio après l’unification définitive de l’Italie. A en juger par les résultats des dernières législatives italiennes, la fracture Nord-Sud n’est toujours pas résorbée en Italie. Le pays est morcelé entre un Mouvement 5 étoiles aux scores mirifiques dans le Mezzogiorno italien et une Lega qui domine le Nord industriel. Quand le Mouvement 5 étoiles réalise 52% des voix à Naples et 48% des voix en Sicile, la Lega reste, elle,  cantonnée à 3 et 5 % dans ces deux zones. Bien que Matteo Salvini ait conquis près d’un million de voix au Sud, l’opération de « padanisation » du Mezzogiorno est loin d’être un succès. Malgré ses prétentions, la Ligue reste une Ligue du Nord. Elle domine notamment dans le Frioul Vénétie-julienne, en Lombardie ou encore en Ligurie. Cependant, il est vrai que la Lega a fortement progressé dans le centre du pays.

Carte du vote par parti arrivé en tête au niveau régional.

La question méridionale préoccupait déjà fortement Gramsci dans les années 1920-1930. On retrouve de nombreuses réflexions sur ce sujet dans Quelques thèmes de la question méridionale et dans les Cahiers de Prison. Dans Alcuni temi della questione meridionale, le Sarde écrit ceci : « On sait quelle idéologie les propagandistes de la bourgeoisie ont répandue par capillarité dans les masses du Nord : le Midi est le boulet de plomb qui empêche l’Italie de faire de plus rapides progrès dans son développement matériel, les méridionaux sont biologiquement des êtres inférieurs, des semi-barbares, voire des barbares complets, c’est leur nature ; si le Midi est arriéré, la faute n’en incombe ni au système capitaliste, ni à n’importe quelle autre cause historique, mais à la Nature qui a créé les méridionaux paresseux, incapables, criminels, barbares, tempérant parfois cette marâtre condition par l’explosion purement individuelle de grands génies, pareils à de solitaires palmiers qui se dressent dans un stérile et aride désert. »

L’intellectuel communiste regrette alors que contrairement à la France, l’Italie n’ait pas connu d’élite jacobine capable d’abandonner une partie de ses intérêts matériels immédiats pour unifier l’Italie dans une construction nationale-populaire. Pour Gramsci, le jacobinisme français a réussi à incorporer les demandes du Paris populaire constitué d’artisans et celles des masses paysannes françaises pour les rallier et constituer un bloc historique capable de balayer la société d’ancien régime et l’aristocratie qui la dirigeait. La bourgeoisie jacobine est ainsi parvenue à remplacer l’aristocratie et le clergé comme classes dirigeantes et dominantes

. Au contraire, le Risorgimento italien est une révolution passive, une sorte de révolution sans révolution. La bourgeoisie septentrionale a pris le pouvoir sans agréger les masses paysannes du Sud et les ouvriers du Nord à un quelconque processus d’intégration nationale. Le transformisme, opération de rapprochement programmatique entre la gauche et la droite italienne, opère alors un lent processus moléculaire d’agrégation d’un ensemble de clans pour permettre à la bourgeoisie industrielle du nord de l’Italie de garder la main sur le pays. Gramsci revient sur les alliances produites par la bourgeoisie septentrionale pour se maintenir au pouvoir : une alliance capital-travail avec les ouvriers du Nord sous l’égide de Giolitti au début du XXème siècle puis une alliance avec les catholiques du centre de l’Italie. Quoiqu’il en soit, aucune élite ne fait scission pour balayer la société d’ancien régime comme en France. Gramsci appelle donc le prolétariat à constituer cette sorte d’avant-garde, capable d’incorporer les demandes des masses paysannes pour rompre le bloc méridional et prendre le pouvoir dans le pays.

« Quant au taux de chômage, il est de près de 20 % en moyenne dans les régions méridionales, contre 8 % environ dans les régions septentrionales »

Chez Gramsci, le bloc méridional est cet amas qui lie les paysans souvent révoltés mais jamais organisés et ces propriétaires terriens qui contrôlent les latifundia, tout en restant assez détachés de leurs terres pour ne pas se préoccuper de l’amélioration de la productivité de ces terres. On trouve là le nœud de la question méridionale. Pour Gramsci, le prolétariat du Nord industriel de l’Italie doit être la classe montante qui va briser l’unité du bloc méridional pour parvenir à rompre l’illusion d’une sorte de nation méridionale et attacher les masses paysannes du Sud à un bloc historique constitué avec le prolétariat du Nord de l’Italie afin de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Le prolétariat doit alors être cette classe muée par un esprit de scission qui, comme le jacobinisme français, parviendra à intégrer l’ensemble de la société italienne dans un processus national-populaire pour balayer les miasmes de la société d’Ancien régime.

Si les structures de la société italienne sont tout à fait différentes aujourd’hui, la question méridionale reste posée. Les disparités entre Nord et Sud ne se sont résorbées que partiellement lors des trente glorieuses pour s’accroître de nouveau à partir des années 1970. Le PIB par habitant dans le Nord de la péninsule équivaut à celui de l’Allemagne, alors que celui enregistré dans le Mezzogiorno est identique à celui du Portugal. Quant au taux de chômage, il est de près de 20 % en moyenne dans les régions méridionales, contre 8 % environ dans les régions septentrionales. Dans son rapport annuel, la Svimez (association pour le développement industriel du Mezzogiorno) révèle qu’entre 2000 et 2014, le PIB du sud de la péninsule n’a augmenté que de 13 %. Sur la même période, il a cru de 24 % en Grèce et de 37 % en moyenne dans la zone euro.

La Lega italienne, préfiguration d’une union des droites françaises ?

Si la Lega doit nous intéresser sur le plan analytique, c’est qu’elle pourrait préfigurer une lame de fond dans l’évolution des droites et extrême-droites européennes. Un nouveau bloc réactionnaire, capable de gouverner de nombreux pays, pourrait se constituer en marchant sur les deux jambes de la Lega : l’union des droites, et une “politique de civilisation” pour employer le terme cher à Patrick Buisson, homme central dans la reconfiguration à venir au sein des droites et extrême-droites françaises.

Matteo Salvini, en compagnie de Marine Le Pen, Gerolf Annemans (Vlams Belang belge), Geert Wilders (PVV néerlandais) et Harald Vilimsky (FPÖ autrichien). ©Euractiv.com

Au lendemain de l’opération Mains propres en 1992, la quasi-totalité de la classe politique italienne est balayée. Le vieux balancement entre la démocratie chrétienne et le parti communiste italienne s’effondre. Émerge alors une bizarrerie politique, le berlusconisme, qui si l’on veut bien s’en souvenir, préfigure l’émergence du sarkozysme en France. C’est dans ce champ de ruines que va se construire l’unité de la destra italienne. Quelques unes des ses figures politiques préparent alors le terrain pour faire émerger un nouveau bloc des droites, enfin réunifié et cimenté par l’anti-communisme. Forza Italia parvient ainsi à engager le dialogue avec les restes du MSI incarné par Gianfranco Fini et Alessandra Mussolini, et la Ligue au Nord. Au Nord, se constitue l’alliance électorale Lega-Forza Italia avec la formation du Polo delle Liberta, et au Sud, le MSI et Forza Italia s’allient au sein du Polo del Buon Governo.

« La droite ne se structure plus par son adhésion au néolibéralisme ni par un étatisme philippotien mais bien par un retour aux valeurs traditionnelles, à un césarisme autoritaire et à un identitarisme poujadiste et xénophobe. Elle offre la possibilité de constituer un bloc réactionnaire capable de prendre en main l’Etat. »

Cette coalition se fracture dix-huit mois plus tard, mais une rupture est opérée. Une grande coalition allant du néo-fascisme italien au libéralisme berlusconien, en passant par le régionalisme xénophobe de la Lega n’est plus quelque chose de totalement incongru.

La force de Salvini est d’incarner le pôle le plus dynamique de cette destra et de cimenter son logiciel idéologique. Le populisme anti-juges à forte tendance anti-communiste et libéral du berlusconisme est désormais dépassé par une critique réactionnaire de l’ordre néolibéral. Elle a notamment été théorisée par l’ancien ministre de l’économie Giulio Tremonti dans La paura e la speranza. Face au tout marché et aux désordres que provoque la globalisation, il propose d’en revenir à certaines valeurs cardinales : la famille, l’identité, l’autorité, l’ordre, la responsabilité et le fédéralisme. Ces valeurs font écho à la « politique de civilisation » défendue par Patrick Buisson en France ou au combat pour « l’identité nationale » d’Eric Zemmour. La Lega devient ce parti xénophobe, fer de lance de la lutte contre l’Islam et pour la défense des identités multiples (locales, régionales, nationales, et européennes) de l’Italie. Elle tente d’incarner la révolte du peuple italien contre l’Union européenne, la corruption, le déclin économique et la bureaucratie. Elle marche sur les deux jambes de l’extrême-droite : un identitarisme ethnique et anti-musulman, et un poujadisme anti-Etat et anti-impôts qui permet de rallier un électorat populaire et conservateur sans effrayer la petite bourgeoisie en crainte de déclassement, tare que subit encore le Front National. 

A ce titre, elle inspire fortement les partisans de l’Union des droites en France. La droite ne se structure plus par son adhésion au néolibéralisme ni par un étatisme philippotien mais bien par un retour aux valeurs traditionnelles, à un césarisme autoritaire et à un identitarisme poujadiste et xénophobe. Elle offre la possibilité de constituer un bloc réactionnaire qui s’estime capable de répondre aux désordres de la mondialisations. Une issue qui doit inquiéter tout le mouvement progressiste français tant la constitution d’un tel bloc rendrait la droite et l’extrême-droite françaises capables de s’emparer du pouvoir, et d’imposer une séquence politique réactionnaire à la France et à l’Europe. 

Crédits photos :

Matteo Salvini en 2017 au Parlement Européen. ©European Parliament

Sources : 

http://www.slate.fr/story/159385/matteo-salvini-avenir-droites-europeennes

http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/11/28/matteo-salvini-le-cousin-italien-de-marine-le-pen_4531059_823448.html

http://www.lemonde.fr/decryptages/article/2018/02/23/les-deux-italie-de-matteo-salvini_5261709_1668393.html

https://www.lesinrocks.com/2018/03/11/actualite/qui-est-matteo-salvini-lhomme-qui-fait-renaitre-lextreme-droite-italienne-111055859/

http://www.liberation.fr/planete/2015/01/28/matteo-salvini-le-le-pen-du-po-a-la-conquete-de-l-italie_1190709

Marco Travaglio : “Le Mouvement Cinq Étoiles a eu raison de changer son langage en vue de son arrivée au pouvoir”

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Marco Travaglio en 2007 ©Andreas Carter

Marco Travaglio est un journaliste et un écrivain italien, célèbre pour ses enquêtes et ses essais sur la vie politique et sociale italienne. Il est par ailleurs directeur du média Il Fatto Quotidiano et intervient régulièrement dans le débat politique italien.


LVSL – Vous êtes fondateur et directeur du média Il Fatto Quotidiano, et vous êtes considéré comme plutôt favorable au Mouvement Cinq Étoiles…

C’est une erreur, nous avons simplement traité le M5S comme tous les autres mouvements politiques, sans préjugés, tandis que tous les autres journaux les ont traités comme des sauvages, comme des barbares. Le seul fait de ne pas les traiter comme des barbares persuade certains que nous leur sommes favorables. Mais nous, nous jugeons tout le monde de la même manière, sur la base de ce qui est dit, de ce qui est proposé, de ce qui est fait. En ce qui concerne le M5S, il y a des idées que nous partageons, ils se sont en effet occupés de batailles que nous menions déjà en tant que journal, alors que le mouvement n’existait pas encore. Dans ce cas, nous sommes favorables, quand ils soutiennent les choses que nous défendons nous aussi. Quand ils soutiennent des choses que nous ne partageons pas, par exemple quand ils parlaient du referendum pour sortir de l’Euro, nous leur étions opposés. Ils ont maintenant changé d’avis heureusement.

LVSL – Comment interprétez-vous les résultats du 4 mars ? Quelles sont les raisons du succès de la Lega et du M5S ?

Comme une volonté des électeurs du centre-gauche et du centre-droit d’obtenir un changement radical par rapport aux événements des dernières années. La Lega et les Cinque Stelle sont les deux seuls partis qui n’ont pas pris part aux quatre derniers gouvernements, qui ont été des gouvernements de larges ententes entre le centre-droit et le centre-gauche, gouvernements bâtis sur des accords entre le PD et le centre-droit mené par Berlusconi. Les électeurs ont refusé aussi bien le PD, représenté par Renzi durant ces quatre dernières années, que le centre-droit de Berlusconi.

Ceux qui voulaient un gouvernement de droite ont élu Salvini, ceux qui voulaient un gouvernement qui mette en œuvre des politiques plus sociales se sont détournés du PD comme de ceux qui ont quitté le PD pour fonder une formation plus à gauche (Liberi e Uguali), et leur ont préféré le M5S. Les Cinque Stelle proposent un revenu de citoyenneté, c’est-à-dire une politique qui donne la priorité à ceux qui n’ont rien, qui subissent le poids des inégalités, toujours plus fortes en Italie. Cette réforme cible les personnes qui se sentent en marge du marché du travail, du monde de l’économie et de la politique, et aspirent donc au renouveau. Pendant les dernières élections, une demande de changement radical a émergé.

LVSL – En France, on se pose beaucoup la question de savoir si le mouvement enfanté par Grillo est de gauche ou de droite. Comment le définiriez-vous ?

C’est un mouvement post-idéologique, qui ne se base plus sur les clivages traditionnels, mais sur des propositions concrètes, globalement issues de la tradition du centre-gauche italien. Ce n’est pas un hasard si la majeure partie de l’électorat Cinque Stelle est composée de l’ex-électorat du centre-gauche [ndlr, le terme « centre-gauche » est utilisé en Italie pour ce qu’on appellerait en France « gauche » tout court]. Grillo, avant de fonder le M5S, avait, de manière provocatrice, présenté sa candidature pour diriger le PD, candidature qui lui a été refusée.

C’est à ce monde-là qu’ils s’adressent, et c’est de là qu’ils proviennent : un monde plus écologique, avec plus de politiques sociales, plus d’investissements publics, surtout dans le Sud où il n’y a pas de travail. Le revenu de citoyenneté correspond en réalité au salaire minimum prévu dans tous les pays européens, sauf en Italie et en Grèce. Un monde avec plus de justice sociale, une lutte plus sévère contre la mafia, contre la corruption et contre l’évasion fiscale, qui sont les maux qui empêchent l’Italie de trouver les ressources pour les plus démunis.

LVSL – Vous avez pointé à plusieurs reprises le défi de crédibilisation et de production de cadres politiques auquel le M5S fait face. Vous considérez notamment que l’absence de cadres obligera le mouvement à s’appuyer sur la technocratie fidèle à l’establishment. Dans le même temps, on peut considérer que le mouvement se normalise politiquement, au moins dans sa communication. Le M5S est-il condamné à mettre en œuvre la même politique que ses prédécesseurs ?

Non, je ne pense pas. Je pense que le M5S a eu raison de changer son langage, en vue de son arrivée au pouvoir. Il est évident qu’un mouvement né d’une protestation véhémente contre le vieux système, une fois que le vieux système a été pulvérisé, doit ensuite passer à la phase de construction. Plutôt que de tout démolir, il doit donc en venir aux propositions. Leurs propositions sont très différentes de ce qu’on a connu jusqu’à maintenant en Italie. Changer de langage ne signifie pas se dénaturer, cela signifie simplement commencer à parler de ce que l’on souhaite mettre en place, plutôt que de ce que l’on veut détruire. Les électeurs ont rejeté Renzi et Berlusconi. D’un seul tir ils ont éliminé les deux personnes qui ont gouverné le plus longtemps pendant ces vingt-cinq dernières années. Ils n’attendent donc plus des Cinque Stelle des insultes contre l’ancien régime, mais des propositions pour le surmonter.

“L’économie doit être relancée en diminuant les inégalités entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, sinon l’économie italienne sera toujours la dernière en Europe.”

Si les réponses sont progressives, c’est du fait des lois budgétaires et des traités. Certains d’entre eux sont bons et d’autres sont mauvais, mais tant qu’ils sont en vigueur, ils doivent être respectés pour que nous puissions rester dans l’Union européenne. Dans ce cadre, la répartition des richesses peut se faire au travers de nouveaux systèmes. Dans le passé, on a toujours décidé de faire payer la crise aux plus démunis, aux retraités, aux travailleurs et aux chômeurs, et de privilégier les potentats économiques qui ont gouverné par l’intermédiaire des partis, de la Confindustria [ndlr, l’équivalent italien du MEDEF], et des grandes banques. Aujourd’hui les Cinque Stelle proposent de commencer par ceux qui étaient exclus jusque-là, en abolissant les privilèges de ceux qui ont plus pour donner à ceux qui ont moins, en relançant ainsi la demande.

L’Italie se distingue par une économie qui a de terribles problèmes de demande, non pas d’offre : personne n’a de quoi vivre, et donc de quoi acheter et consommer. L’économie doit être relancée en diminuant les inégalités entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, sinon l’économie italienne sera toujours la dernière en Europe. Même quand il y a de la croissance en Europe, elle demeure très faible en Italie.

LVSL – Le M5S ne va pas pouvoir gouverner sans s’allier au Parti Démocrate ou à la Lega. Peut-il, dans ces conditions, appliquer son programme ?

Il faudra qu’il s’accorde avec les forces politiques qui lui sont plus homogènes, c’est-à-dire à mon avis l’ancien centre-gauche, pourvu que ce dernier se libère de la présence encombrante de Renzi. Ainsi le centre-gauche serait obligé de promouvoir des politiques traditionnellement associées à la gauche mais qui ont été abandonnées ces dernières années, ce qui l’a éloigné des électeurs. Pour cette raison il faut que Di Maio, en tant que leader du parti qui a obtenu le plus de voix, prenne l’initiative et qu’il fasse une proposition à ceux qu’il considère les plus proches de son parti, afin d’obliger le Parti Démocrate à lui dire Oui ou Non. Après, si le PD dit non et préfère s’allier une nouvelle fois avec la droite, ce qu’il a toujours fait ces années et ce que les électeurs ont systématiquement puni, ou alors s’il veut mettre l’Italie au bord du gouffre en rendant impossible la création d’un gouvernement et en renvoyant les Italiens aux urnes, les électeurs risquent de se faire entendre encore plus fort. Il est évident que dans une telle situation, le scrutin serait polarisé entre ceux qui votent pour la Lega et ceux qui votent pour le M5S. Si l’on retourne bientôt aux urnes, sans que les gagnants actuels n’aient relevé le défi, ils recueilleront encore plus de suffrages que ceux qu’ils ont déjà eus. Il se peut même que le vainqueur n’ait même plus besoin de demander une alliance avec d’autres partis parce qu’il aura prévu entre-temps une loi électorale qui puisse offrir une prime majoritaire valide.

Pour le moment, nous avons une loi électorale qui a été élaborée dans le but de rendre l’Italie ingouvernable, une loi qui en principe est presque exclusivement proportionnelle. Un système majoritaire à la française, par exemple, aurait donné des résultats très différents : si vous retenez que Macron, qui a obtenu 20% et quelques au premier tour, est maintenant le patron absolu de l’Assemblée Nationale et qu’il y fait la pluie et le beau temps, alors qu’ici on a un parti qui a recueilli 33% des voix et qui ne peut néanmoins s’approcher de la création d’un gouvernement, cela signifie qu’on a peut-être besoin d’une loi électorale qui, sans transformer les minorités en majorité, fasse en sorte que ceux s’approchant de la majorité aient droit à une petite prime.

LVSL – On sait que l’Italie est régulièrement traversée par des affaires de corruption et votre travail a contribué à éclairer de nombreux cas. L’opération Mani Pulite qui a précipité la chute de la première République ne semble pas avoir réglé la question. Quelles sont les causes de cette corruption endémique ?

La voracité de la vieille classe politique est de toute évidence insatiable. Après les enquêtes judiciaires de l’opération « Mani pulite » [ndlr, « Mains propres »], tous les gouvernements qui se sont succédé ont, au lieu d’intervenir sur ses causes – à savoir le caractère dispendieux de la vie politique et l’impunité systématique que la vieille classe politique avait établie pour les crimes commis par les cols blancs – a continué à créer les conditions pour encore plus d’impunité de la part des cols blancs. A travers une série incroyable de lois, non seulement de la part de Berlusconi mais aussi de la part du centre-gauche, ces gouvernements ont tout fait, non pas pour rendre la corruption plus difficile et son repérage plus facile, mais pour rendre la corruption plus facile et son repérage plus difficile. En substance, ils ont combattu les médecins et les thermomètres, au lieu de combattre la maladie. Ils ont en fait supprimé les remèdes. Ainsi, la corruption a décuplé au cours des 25 dernières années, notamment à cause du lien pervers qui s’est noué entre la politique et les milieux d’affaires. En Italie, il est rare de trouver un entrepreneur qui se soit fait tout seul et qui vole de ses propres ailes, par son propre talent. La plupart des sociétés entrepreneuriales et financières du pays sont assistées par les gouvernement. Elles sont liées à l’univers politique, dont elles obtiennent des faveurs et auquel elles paient des pots-de-vin. Il n’y a pas un entrepreneuriat sain à grande échelle. L’entrepreneuriat sain c’est celui des PME, qui a pourtant été frappé par la crise. Les grandes entreprises et les grandes banques seraient toutes en faillite si elles n’avaient pas reçu l’aide de l’Etat, c’est-à-dire l’aide du monde politique qui est évidemment payé sous forme de pots-de-vin, de financements occultes, de caisses noires, avec des inventions toujours nouvelles pour rendre la corruption invisible. C’est par exemple le cas des fondations : des hommes politiques ou des groupes au sein des partis donnent naissance à des fondations, pour la plupart de type culturel, qui sont financées par les entreprises puis sont soutenues au Parlement, comme les lobbys. Tout cela n’est pas puni par la loi, ce sont des pots-de-vin légaux.

LVSL – Luigi di Maio a annoncé que nous étions passés à une troisième République, la « République des citoyens ». De votre côté, vous considérez que le M5S incarne une dynamique de reconquête de la souveraineté du peuple italien. Dans le même temps, les critiques à l’égard de l’Union européenne se sont fortement atténuées de la part des grillini. Que peut-on anticiper d’un éventuel gouvernement cinq étoiles sur cette question ?

L’Italie sera certainement moins disposée à subir sans combattre les directives venant de l’UE ou des organisations non élues, telles que la troïka européenne. Elle va donc chercher à obtenir la réforme de quelques traités, mais je ne crois pas qu’elle va utiliser la menace de sa sortie de l’Europe. Comme l’ont déjà fait les gouvernements de centre-gauche, on va demander plus de flexibilité face au rapport entre le déficit public et le PIB, pour tenter de relancer l’économie qui, ces dernières années, malgré la flexibilité qui a été octroyée par l’UE, a été successivement utilisée pour donner de grandes primes financières, des grands cadeaux aux entreprises et aux banques ou pour acheter des votes avec des manœuvres démagogiques, comme la réduction fiscale de 80 euros accordée par Renzi aux travailleurs qui ont déjà un salaire. On va chercher à profiter de cette flexibilité, si  on l’obtient, pour garantir un revenu de base à ceux qui sont à la recherche d’un travail, pour faire en sorte qu’ils réussissent à vivre dignement, voire qu’ils puissent consommer un peu. Cela serait fondamental pour donner un peu de souffle à la demande interne et donc à la consommation, car ce déficit de demande représente la vraie cause de la stagnation, vu qu’en Italie la moitié de la population vit dans la pauvreté, précisément parce qu’elle subvient aux besoins de l’autre moitié des Italiens, qui vivent au-dessus de leurs moyens et qui ne paient pas les impôts en profitant de l’économie souterraine.

Un pays ne peut pas avoir une moitié de sa population qui subvient aux besoins de l’autre moitié plus riche et qui ne respecte pas les lois. C’est une situation injuste à laquelle quelqu’un devra faire face tôt ou tard. J’espère que l’Europe nous imposera de lutter sérieusement contre l’évasion fiscale, et que l’Europe ne soit pas seulement cette institution financière aveugle et sourde face aux vrais problèmes qui empêchent l’Italie de se développer, c’est-à-dire l’évasion fiscale de masse et la corruption de masse. L’Europe doit prendre en compte ces paramètres et les imposer à l’Italie, au-delà des paramètres quantitatifs. Vous savez, quand on a 150 milliards d’euros d’évasion fiscale par an, et 60 milliards perdus dans la corruption, cela veut dire qu’on a un énorme trésor caché où l’on peut puiser pour investir en Italie ; aucun autre pays ne présente de tels niveaux de corruption et d’évasion fiscale. Aussi, de la part de ceux qui gouvernent l’Italie, il faut que l’on cesse de culpabiliser toujours l’Europe et que l’on commence à voir ce qu’on peut faire, en Italie, dans le cadre de la configuration actuelle de l’Union Européenne pour récupérer les ressources à redistribuer à ceux qui en ont moins. Et si l’Europe faisait pression sur l’Italie pour  qu’elle rentre dans les clous d’une corruption et d’une évasion fiscale non plus pathologiques, mais physiologiques, c’est-à-dire résiduelles et exceptionnelles, alors qu’à présent elles sont la règle, elle nous ferait une grande faveur et elle rendrait un grand service à l’Italie.

 

Entretien réalisé par Marie Lucas et Lenny Benbara. Traduction effectuée par Giulia Delprete et Francesco Scandaglini après retranscription de Federico Moretti.

 

Crédits photo : Andreas Carter