2022 : le péril Maréchal

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©Gage Skidmore

Privée de débat à l’université d’été du Medef suite à la polémique soulevée par son invitation, Marion Maréchal a choisi de livrer une tribune à Atlantico qui s’apparente à un manifeste politique clairement libéral. De son retrait de la vie politique à son progressif retour, tout laisse penser que l’ex-députée du Vaucluse prépare une union des droites en vue de la prochaine échéance présidentielle. Sa victoire est possible.


Il était une fois Le Pen

« Libéralisme découle du mot liberté. De fait, s’il est bien une question fondamentale pour moi en économie, c’est celle de la liberté. »[1]

Il y a un an, Maréchal tuait Le Pen. Un choix de communication judicieux pour rompre une bonne fois pour toute avec l’héritage lourd à porter du diable de la République. Si la petite-fille a tiré un trait sur son second patronyme, elle semble pourtant renouer avec le corpus idéologique du père fondateur.

En totale rupture avec les idées sociales de sa tante, Marion Maréchal retourne aux racines national-libérales du Front national. Dans sa tribune publiée à Atlantico le 29 août, la cheffe d’entreprise aborde tout ce qu’elle n’a pas pu dire de par son absence à l’université d’été du syndicat patronal. Celle que l’on qualifiait de figure de proue de l’aile libérale du Rassemblement national assume son positionnement idéologique et, par un habile jeu d’équilibriste, renvoie dos à dos « socialisme étatique » et « néolibéralisme » en prônant une « troisième voie ».

À l’orée de son grand raout libéral-conservateur qu’elle veut calquer sur celui du Parti républicain américain (GOP), Marion Maréchal expose un manifeste politique : elle est libérale (sans être « néo »), pro-business et patriote. Un logiciel idéologique identique à celui prôné dans son école, l’ISSEP.

L’ISSEP, au service des idées libérales-conservatrices

Fondée l’an dernier, l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques avait un double objectif : donner une légitimité à Marion Maréchal tout en formant une jeune garde libérale-conservatrice. Ainsi, la petite-fille et nièce de n’est plus l’héritière d’une dynastie politique emblématique de la Ve République, elle est une entrepreneuse. Pour ce faire, Marion Maréchal a réuni tout un aréopage d’intellectuels très droitiers couvrant l’ensemble du spectre idéologique de la droite française, allant du royalisme (Yves-Marie Adeline, ex-président de la peu connue Alliance Royale) au libéral-conservatisme. On retrouve ainsi parmi les enseignants Jean-Yves Le Gallou : ex-frontiste, il fut l’un des cofondateurs du Club de l’Horloge, un cercle de réflexion national-libéral qui a pour autre cofondateur connu un certain Henry de Lesquen, connu pour ses saillies racistes, plusieurs fois condamnés pour incitation à la haine raciale et qui, dans son libre journal sur Radio Courtoisie, recevait des associations telles que Liberté Chérie, le Cercle Bastiat ou encore le Parti libéral démocrate.[2] Le Gallou donnera également naissance, en 1985, à la Fondation pour la recherche sur les administrations publiques, un think tank ultralibéral plus connu sous l’acronyme iFRAP et aujourd’hui dirigé par Agnès Verdier-Molinié.

L’iFRAP est visiblement en odeur de sainteté chez Marion Maréchal puisque parmi ses enseignants on y retrouve également Édouard Husson, membre du conseil d’administration, du collège des personnes qualifiées et du conseil scientifique du think tank.[3] Ajoutons que cette officine fut longtemps dirigée par Bernard Zimmern à qui l’on doit également Contribuables Associés, une autre association qui ne cache ni son inclination libérale, ni son conservatisme : Alain Dumait, qui figure parmi les cofondateurs de l’association, a appelé à voter Jean-Marie Le Pen en 2002 et 2007. Une époque où le programme du candidat Le Pen visait à « recentrer l’État sur ses missions régaliennes », « désétatiser la France », « échapper à la spoliation étatique » ou encore instaurer le « chèque scolaire ». Appelé aussi voucher, il est une idée chère à l’économiste libéral et chef de file de l’école de Chicago Milton Friedman.[4] Si cette proposition fut âprement défendue par Jean-Marie Le Pen, elle est également soutenue par une association libérale-conservatrice nommée SOS Éducation et fondée par Vincent Laarman, neveu de François Laarman, également impliqué dans la création de Contribuables Associés aux côtés de Zimmern… Une affaire de famille au cœur d’une nébuleuse qui inclut Sauvegarde retraites ou encore l’Institut pour la justice.

Ce petit monde libéral-conservateur gravite autour de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS). Longtemps courroie de transmission du patronat[5], on doit à cette association d’autres émanations telles que l’IREF (Institut de recherches économiques et fiscales) ou encore L’école de la liberté, enregistrés à la même adresse que leur vénérable ascendante. Jacques Garello, son président d’honneur, n’a jamais caché son opposition à l’IVG[6] ou son inclination révisionniste en ce qui concerne la colonisation[7] : un discours que l’on retrouve aujourd’hui à l’IREF[8], mâtiné de références au controversé Jacques Marseille.[9]

Face à une droite libérale historique laminée et grevée par ses querelles et dissensions, Marion Maréchal s’est visiblement entourée de manière à pouvoir tous les réunir sous une même bannière et cette bannière ne sera pas celle du Rassemblement national.

L’union des droites

Depuis le ralliement de Thierry Mariani et de Jean-Paul Garraud, le cordon sanitaire entre Les Républicains et le Rassemblement national continue de se rompre au fil des défections. Après la présidence calamiteuse de Laurent Wauquiez et la défaite cuisante des européennes, la droite connaît la même déshérence que le Parti socialiste. L’aile droite du parti ne cache plus son attirance pour le Rassemblement national : on retrouve ainsi chez Racines d’avenir une jeune garde plurielle (LR/RN/DLF/PCD) qui prône l’union des droites pour l’emporter en 2022 et qui, dans son corpus de valeurs, se dit « contre l’État nounou ». Un motto on ne peut plus libéral.

Quand on lui parle d’union des droites, Marion Maréchal ne cache pas ses intentions. Encore officiellement « en retrait », l’ex-députée déclarait chez LCI en juin que « le RN est nécessaire […] mais pas suffisant. » et qu’elle « cherche à réfléchir comment, demain, aller au-delà du RN. »[10] L’union passerait-elle par un grand mouvement capable de fédérer toutes les chapelles de la droite ?

Dans le même temps, on observe une Marine Le Pen en retrait : n’en déplaise à celles et ceux qui ne cessent de parler de « guerre familiale », celle qui hier donnait le tempo de la vie politique française se fait beaucoup plus discrète qu’auparavant et se contente de récupérer les déçus des Républicains tout en entreprenant un rajeunissement du parti. Pour les européennes, elle a fait confiance à un jeune loup inconnu du grand public : Jordan Bardella. À 23 ans, il a réussi à damer le pion à La République en marche. Désormais député européen et vice-président du Rassemblement national, il suit une trajectoire similaire à celle de Marion Maréchal, qui fut la plus jeune députée de l’histoire de la République française : être jeune n’est plus un défaut quand on aspire à être aux responsabilités.

Ce plafond de verre avait déjà été brisé par l’actuel locataire de l’Élysée, élu à 39 ans et que d’aucuns jugeaient « trop jeune » pour briguer la présidence de la République. Emmanuel Macron avait utilisé cette critique comme une arme en jouant la carte de la jeunesse et du renouveau. Au micro de France info en avril 2018, l’ancienne ministre Rachida Dati s’était risquée à un pronostic au sujet de Marion Maréchal : « Elle va faire son Macron de droite. Si Marion Maréchal Le Pen revient, elle va faire l’union des droites en disant ”je suis nouvelle, j’incarne le renouveau.” Elle va faire un strike. »[11] Un pronostic qui pourrait se révéler exact.

Maréchal, nous voilà !

Marion Maréchal a un boulevard devant elle : personne à droite ne semble en mesure de lui faire de l’ombre et sa tante n’aspire visiblement pas à rejouer le débat du second tour avec Emmanuel Macron. Si Donald Trump est réélu l’an prochain, elle pourra dénoncer à l’envi l’establishment qui prédisait le désastre et instrumentaliser les bons chiffres de l’économie américaine. Si Emmanuel Macron déçoit son électorat le plus droitier, elle aura les arguments pour les rallier à sa cause : elle capitalisera sur son programme libéral et pourra compter sur la PMA pour déclencher l’ire des catholiques, pour l’instant majoritairement acquis à la cause d’Emmanuel Macron.[12]

Parmi les Républicains, les séditions se font de plus en plus nombreuses et bruyantes : les mutins qui avaient ripaillé en juin avec la jeune ambitieuse se structurent et se préparent à créer un courant conservateur au sein même de leur parti.[13] Si, officiellement, il n’est pas question d’alliance, force est de constater que le mot d’ordre « plutôt Marion que Macron » laisse augurer une volonté d’union qui se ferait au-delà des partis.

Dans le monde médiatique, l’entreprise de lepénisation des esprits est en marche. De  l’heure des Pros de CNews aux Grandes Gueules de RMC, la doxa libérale réactionnaire est omniprésente. Ainsi, dans sa revue trimestrielle début 2018, Contribuables Associés exprimait son satisfecit à l’égard d’Éric Brunet – animateur de Radio Brunet et Carrément Brunet sur RMC), lequel déclamait : « Vous êtes l’association qui a tapis rouge en permanence ici. J’adore Contribuables Associés. C’est une association qui défend les contribuables de France et qui n’a pas assez voix au chapitre dans ce pays, je le dit [sic] à chaque fois. »[14]Précisons par ailleurs que le journaliste avait une chronique intitulée « Les Français sont sympas » dans laquelle il traquait les « gaspillages de l’argent public ». Une chronique élaborée en collaboration avec l’association.

Du côté de la presse, c’est le journal l’Opinion qui se fait le premier porte-voix des idées libérales. Parmi les habitués des colonnes de ce canard, on y trouve Olivier Babeau. Ce professeur à l’Université de Bordeaux et libéral assumé est également co-fondateur de l’Institut sapiens avec un certain docteur Laurent Alexandre, lequel ne cache pas non plus son goût pour libéralisme, ni son rejet de l’immigration de masse[15]. Celui qui est aussi le père du site doctissimo.com ne paraît pas ressentir d’animadversion à l’égard de Marion Maréchal puisqu’il a déjà donné une conférence à l’ISSEP et est monté à la tribune à l’occasion de l’université d’été des parlementaires du Rassemblement national à Fréjus[16] Difficile donc de ne pas croire qu’une candidate Maréchal aurait le soutien plus ou moins affiché de ces nombreux relais d’opinion.

En parallèle au journal dirigé par Nicolas Beytout, le Figaro fait lui aussi figure de promoteur du courant libéral/libertarien : le journal fait ainsi la part belle à l’IREF (Jean-Philippe Delsol, Nicolas Lecaussin…), à l’iFRAP ou encore à Contribuables Associés, en témoigne le Figaro Magazine du 7 septembre 2019 qui porte en Une l’« enquête » de Contribuables Associés sur le gaspillage de l’argent public : une enquête qui jouxte une interview de Marion Maréchal.

Federbusch candidat à Paris : le premier adoubement

L’acte fondateur de cet aggiornamento libéral est probablement l’investiture officielle par le parti de Marine Le Pen du libéral Serge Federbusch. L’énarque, fondateur du Parti des Libertés, devient ainsi le premier véritable symbole de la mue libérale du Rassemblement national voulue par Marion Maréchal. L’homme, bien qu’inconnu du grand public, n’est pas un anonyme au sein de la mouvance libérale française : souvent reçu par Contribuables Associés (que ce soit dans leurs tribunes ou sur les ondes de Radio Courtoisie), le libéral semble fort bien intégré au sein de la nébuleuse, en témoigne le satisfecit affiché par l’économiste ultralibéral (et ex-frontiste) Philippe Herlin, qui déclare sur sa page Facebook : « Serge Federbusch lance avec succès “Aimer Paris” pour disputer la mairie en 2020, Charles Beigbeder préside le comité de soutien (ParisTribune) Une initiative à suivre ». Les fréquentations communes des deux hommes semblent aller de Patrick de Casanove (président du Cercle Bastiat) au blogueur H16 en passant par Eudes Baufreton (Contribuables Associés) : force est de constater qu’il s’agit d’un petit monde où tout le monde se connaît… Un monde qui commence à converger au grand jour mais la gauche reste passive et ne semble pas prendre conscience du danger.

Que fait la gauche ?

Sous le regard bienveillant du patronat et des officines libérales, Marion Maréchal bâtit petit à petit les fondations d’un projet d’unification des droites qui pourrait siphonner jusque dans l’électorat de La République en marche. De l’autre côté du spectre politique, les querelles intestines persistent en dépit du dialogue entamé lors du Festival des idées ou à l’occasion du projet de référendum ADP. Déchirée de toute part, la gauche est aujourd’hui incapable de fédérer pour faire face à la menace qui s’annonce. Il reste deux ans pour faire maison commune et construire une alternative face à celle qui pourrait devenir la première femme à exercer la fonction suprême de l’État.


[1] Marion MARÉCHAL : “Ce que j’aurais dit au Medef si on m’avait laissé y aller”, Atlantico.fr, 29 août 2019.
[2] « Le libéralisme est-il condamné ? », radio-courtoisie.over-blog.com, 16 février 2009
[3] Fondation iFRAP : « Qui sommes-nous ? »
[4] Milton FRIEDMAN, « Capitalisme et liberté », chapitre 6, p. 151
[5] Kevin BROOKES, « Le rôle des clubs et des réseaux d’intellectuels libéraux dans la diffusion du néo-libéralisme en France. Le cas de l’ALEPS et du groupe des Nouveaux Économistes ». Précisons que Kevin BROOKES est aujourd’hui à « l’école de la liberté ».
[6] Jacques GARELLO, « L’enfant sans père », libres.org, 3 juillet 2017
[7] Jacques GARELLO, « Cet homme est dangereux », libres.org, 21 février 2017
[8] Extrait du débat entre Ferghane AZIHARI (chargé d’études à l’IREF) et Monique PINÇON-CHARLOT sur le plateau de Fréderic Taddeï chez RT France, twitter.com, 16 juillet 2019
[9] Sur le sujet, cf. « Le négationnisme colonial, de l’Université à la littérature de gare » de Francis ARZALIER.
[10] « Marion Maréchal appelle à “dépasser” le RN pour une “grande coalition” des droites », lejdd.fr, 2 juin 2019
[11] « Rachida Dati : “Si un jour Marion Maréchal Le Pen revient, elle va faire une union des droites” », youtube.com, 23 avril 2018
[12] « Européennes 2019, les catholiques pratiquants ont largement rallié Macron », la-croix.fr, 27 mai 2019
[13] « Les Républicains : des élus Maréchal-compatibles veulent se structurer », leparisien.fr, 30 août 2019
[14] Tous contribuables !, décembre 2017 – février 2018, p.9
[15] Laurent Alexandre : « La France sera demain café au lait et musulmane. C’est le choix que nous avons fait en acceptant l’immigration de masse », fdesouche.com, 31 mars 2019
[16] Tweet de Marion Maréchal, 25 mars 2019 et site du Rassemblement national