Les départements d’Outre-mer sont aussi des perdants de la mondialisation

En 1946, après d’âpres débats, la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion deviennent des départements français. Portée par de grandes figures locales et nationales, dont le député de la Martinique Aimé Césaire, cette évolution administrative était alors vue comme une nouvelle étape dans la sortie de ces territoires du statut de colonies. Cette égalité juridique vis-à-vis de la métropole fit naître l’espoir du développement économique de l’Outre-Mer et d’une plus grande prospérité de ses habitants. Le rattrapage économique n’a cependant pas duré. Depuis les années 1980, la conjonction du tournant néolibéral, de plusieurs réformes décentralisatrices et des dogmes de l’UE ont au contraire aggravé la mise à l’écart de ces territoires.

Le 14 mars 1946, après d’âpres débats, l’Assemblée nationale vote, à l’unanimité, le passage de quatre vieilles colonies – la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion – au rang de départements français. Mayotte devra attendre 2011 pour connaître la même évolution. Portée par les députés Aimé Césaire (Martinique), Léopold Bissol (Martinique), Eugénie Eboué-Tell (Guadeloupe), Gaston Monnerville (Guyane) et Raymond Vergès (Réunion), cette réforme était au cœur des agendas politiques locaux depuis l’abolition définitive de l’esclavage en France en 1848.

L’assimilation juridique des Outre-mer fut alors largement saluée comme une décision progressiste majeure, mettant fin au pacte colonial rétrograde en vigueur depuis la fin du système esclavagiste. Arrachée de longue haleine, cette égalité juridique fit naître un espoir, celui du développement de ces anciennes colonies et de l’amélioration des conditions matérielles de leurs habitants. La situation sociale de ces territoires était en effet critique, l’écrasante majorité de la population vivant dans le dénuement le plus complet. Le poète Aimé Césaire la qualifiera des mots suivants : « C’est là un fait sur lequel il convient d’insister : dans ces territoires où la nature s’est montrée magnifiquement généreuse règne la misère la plus injustifiable. » Ainsi, la départementalisation était vue comme le moyen de surseoir au chaos social qui régnait, mais aussi d’accéder pleinement à la citoyenneté française, pour ne plus être « l’autre citoyen» (1).

« Plus ambitieusement encore, nous vous demandons, par une mesure particulière, d’affirmer solennellement un principe général. […] Il doit s’établir une fraternité agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse, dont il est permis d’attendre les plus hautes révélations. »

Discours d’Aimé Césaire devant l’Assemblée constituante le 12 mars 1946

Après la départementalisation, l’essor économique

Avec la départementalisation s’engage un processus de rattrapage des standards de vie, calqués sur ceux de la France hexagonale. Hôpitaux, routes, écoles, ponts, services publics… Les investissements sont massifs. Progressivement, les habitants des nouveaux départements connaissent une incontestable amélioration de leurs conditions matérielles de vie. En outre, bien que très tardive par rapport au vote de la loi de 1946, l’alignement des minima sociaux intervenu à partir de 2000 a fortement participé à la normalisation du niveau de vie, via les transferts publics. Aujourd’hui encore l’économie des DROM (Départements et Régions d’Outre-mer) est en majorité composée d’activités tertiaires et non marchandes. Par la suite, les grands plans de développement tentent, avec des résultats contrastés, d’insuffler de nouvelles dynamiques économiques sur ces territoires. 

Dans la continuité de l’économie des plantations, aux Antilles et à la Réunion, cela s’est caractérisé par le développement des grandes monocultures de canne à sucre et de bananes, renforcé plus tard par l’UE avec les différents programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI). Ces derniers consistent, en bon instruments de l’UE et eu égard à la petitesse des marchés antillais et réunionnais, en une subvention à l’exportation. En effet, sur les 200 000 tonnes de sucre produites à la Réunion en 2015, 95% ont été exportées vers l’Europe. Aux Antilles françaises, c’est la production de bananes qui est ciblée. Cette production est également majoritairement tournée vers l’export. Mais si les Antilles exportent aujourd’hui environ 5.000 tonnes de banane chaque année, les habitants payent ce succès au prix fort. Des années durant, les ouvriers agricoles ont été exposés à un dangereux pesticide, le chlordécone. Les pouvoirs publics de l’époque, qui connaissaient les effets sanitaires de ce produit, n’ont longtemps pris aucune mesure de protection. En cause, la signature de dérogations successives, jusqu’en 1993, alors que la dangerosité du pesticide avait conduit les Etats-Unis à l’interdire dès 1976. Par conséquent, l’utilisation de cet intrant chimique vaut aux Antilles françaises le triste record du plus fort taux d’incidences du cancer de la prostate dans le monde. Pire, le secteur agricole étant toujours dépendant des intrants chimiques, on voit apparaître des effets cocktails, avec le glyphosate par exemple, dont les effets demeurent encore mal connus.  

Plus tard, dans l’objectif de diversifier l’économie des trois îles, l’accent sera mis sur le tourisme. Le cas de la Guadeloupe est, à ce titre, très éclairant. Elle était en 2018 la première destination touristique des Outre-mer, avec 650 000 visiteurs. En 1960, le parc hôtelier de l’île se limitait à 500 chambres. Trente ans plus tard, grâce à une politique ciblée, ce nombre était multiplié par 10. Aujourd’hui encore, la Région Guadeloupe investit beaucoup dans le secteur touristique, 10% de son FEDER, soit 45 millions d’euros (2), afin d’assurer la montée en gamme de l’offre de l’île.

Concernant la Guyane, seul DROM non insulaire, la stratégie aura été tout autre. Le poids de son image « d’enfer vert », dû à l’expédition de Kourou en 1763 puis au bagne, ne permettait pas sa « mise en tourisme ». Par conséquent, le développement de la Guyane s’est orienté vers ses atouts premiers que sont les exploitations forestières et minières, avec l’or et la bauxite (matière première nécessaire à la fabrication d’aluminium). À la suite des indépendances sur le continent africain, la forêt guyanaise aura servi de zone de refuge pour quelques industriels de pâte à papier. À grands coups de subventions, les pouvoirs publics les ont incités à s’installer dans le département pour dynamiser une économie atone. Finalement, la production de pâte à papier et l’exploitation de la bauxite ne sont jamais devenues pérennes. Néanmoins, sur la base de ces tentatives, d’autres activités ont pu se poursuivre, comme l’extraction de l’or, ou démarrer, comme la production de grumes de bois pour la construction.

La première réussite de développement en Guyane est venue avec l’installation, en 1964, à la suite des accords d’Evian, de la base spatiale de Kourou. Pour la Guyane, bien que la phase d’expropriation ait été vécue comme un traumatisme pour une partie de la population, l’implantation du port spatial à Kourou a été une véritable aubaine. Bien qu’insuffisamment utilisée et trop peu mise au service de la population locale, cette installation de pointe aura toutefois permis une avancée manifeste dans le développement du département avec des effets d’entraînement dans toutes les sphères économiques. L’activité spatiale a représenté jusqu’à 28 % du PIB guyanais selon l’INSEE, en 1990.  Bien qu’à un tournant de son existence, du fait d’une concurrence exacerbée de la Chine et des Etats-Unis, cette activité reste encore prépondérante en Guyane. En effet, 10 à 15% de la richesse actuelle du département émanent toujours du Centre Spatial Guyanais et un tiers des salariés du privé sont issus de ses rangs.

Un rattrapage inachevé et des inégalités renforcées

Les DROM auront connu durant la période allant de la départementalisation aux années 1980-1990, une amélioration manifeste de leurs conditions de vie. Néanmoins, ce changement de statut n’a pas produit un processus linéaire de rattrapage. En effet de nombreuses crises sociales sont intervenues depuis. Certains observateurs mettent en cause la lenteur du processus de rattrapage et les premières désillusions liées à la départementalisation. Pour d’autres, notamment les indépendantistes, la départementalisation était une erreur. Selon eux, seule l’accession à une indépendance pleine et entière de ces trois DROM (Guyane, Martinique, Guadeloupe) permettrait de corriger ce problème. La Réunion, quant à elle, reste à part dans ces mouvements qui n’ont jamais véritablement eu de prise sur cette île de l’Océan Indien. 

On peut imputer cette montée des indépendantistes aux grands mouvements des indépendances africaines ayant suivi la seconde Guerre Mondiale. Ces mouvements auront, en outre, été les catalyseurs de certaines forces politiques des Antilles-Guyane. Ces dernières sont renforcées par le retour de personnes formées après des études, notamment à Paris, en côtoyant le communisme et les cercles de réflexions d’étudiants africains. Néanmoins, cette période houleuse du point de vue des revendications et des manifestations ne s’est pas traduite dans les urnes, ou très marginalement. 

Malgré les grandes politiques de développement, plus ou moins bien pensées et nonobstant un rattrapage certain, la situation sociale ultramarine reste très préoccupante. À ce titre, les chiffres officiels sont éloquents : le chômage y est souvent deux fois plus élevé que dans l’Hexagone, la pauvreté endémique, avec parfois plus de 50% de la population en dessous du seuil de pauvreté, tandis qu’une personne sur trois dans les Outre-mer est bénéficiaire du RSA. Le chômage touche particulièrement les jeunes qui, dès lors, n’ont aucune perspective et se perdent dans des comportements à risque et trafics en tout genre. On pense notamment au fléau des « mules » en Guyane, des individus ingérant des drogues sous forme d’ovules de plastique pour leur faire passer les frontières.

Du point de vue économique, le libre-échange, organisé par l’Union européenne, n’a pas épargné ces économies fragiles et très peu industrialisées. L’accès facilité aux produits à bas coût, venus du monde entier, encouragé par une consommation de masse et soutenu par les salaires du secteur public, aura causé beaucoup de tort aux activités économiques locales. Comment développer des filières industrielles lorsque les importations seront toujours moins chères ?

En matière de santé et d’éducation, la situation n’est pas plus réjouissante. En dépit des politiques de rattrapage d’une départementalisation, d’abord sociale avant d’être économique, le taux d’illettrisme est 2 à 3 fois supérieur à celui de la France métropolitaine selon la FEDOM, un think tank patronal des Outre-Mer. Les hôpitaux, quant à eux, exsangues financièrement et en manque de personnel, ne parviennent pas à offrir un service satisfaisant. Toutefois, la crise sanitaire a montré le caractère généralisé, sur toute la France, des défaillances hospitalières.

De manière générale, l’accès à de nombreux droits n’est pas réellement effectif dans les DROM comme l’a très justement signalé le Défenseur des droits dans les domaines de l’accès à l’eau potable et l’électricité, mais aussi dans le traitement des eaux usées et des déchets. Il n’est qu’à observer le cas de la vétusté du réseau d’eau potable en Guadeloupe où 60% de cette eau se perd dans des fuites, occasionnant, ainsi, des coupures répétées sur l’île. Ou encore le réseau d’assainissement de Cayenne, en Guyane, fait de raccordements artisanaux et de rejets.

Un rapport sénatorial de 1999 titrait « Guadeloupe, Guyane, Martinique, la Réunion : la départementalisation à la recherche d’un second souffle », actant, de facto, la fin d’un modèle qui peine à se renouveler. Et pour cause : le tournant néolibéral, l’européanisation et la décentralisation des politiques publiques ont mis fin à la planification étatique, garante de l’égalité territoriale. Cette dernière s’est muée en cohésion territoriale, qui est la manifestation du renoncement des différents gouvernements à faire de l’égalité une valeur cardinale (3). Ainsi la concrétisation des investissements publics peine à se voir. Ces derniers sont soit captés par des rentiers, soit trop faibles à cause des budgets limités des collectivités territoriales, soit rendus inefficients par la perte des compétences d’aménageurs des services déconcentrés de l’État.  

DROM et gilets jaunes, mêmes combats ?

Tout comme la crise sanitaire agit comme un puissant révélateur de toutes les difficultés que connaissent nos sociétés, elle a mis au jour les inégalités socio-économiques et sanitaires qui existent dans les Outre-mer. Le changement de paradigme de l’État évoqué plus haut s’est traduit pour les DROM, comme pour la France des gilets jaunes, par un ralentissement du processus de rattrapage engagé depuis la départementalisation. Aujourd’hui, les politiques de développement des DROM se résument, d’une part, à des allègements de « charges » sociales et fiscales censés améliorer la compétitivité des entreprises et, d’autre part, à une fuite en avant autonomiste. En réalité, ces baisses d’impôts ne servent que les rentiers, notamment les groupes d’imports-distribution jouissant de marchés oligopolistiques. L’impact de ces derniers sur les économies ultramarines est délétère, ils concourent en outre à l’émergence d’une croissance sans développement (4). In fine, c’est la vision d’un État stratège sur les Outre-mer qui a complètement disparu. Il s’est perdu dans une gestion budgétaire et identitaire des DROM. 

Bien sûr, il ne faudrait pas se complaire dans des simplifications qui tendraient à créer une dichotomie entre Outre-mer miséreux et hexagone riche et prospère. En effet, comparer les données socio-économiques, sanitaires et d’éducation des DROM à la situation globale de la France hexagonale crée l’illusion d’un hexagone où tous les territoires se valent, riches face à des DROM pauvres. Or le tableau est un peu plus complexe aujourd’hui que du temps de Césaire. Les inégalités territoriales n’ont cessé de croître ces dernières années et, certains maux ultramarins, comme l’enclavement, les déserts médicaux, le manque d’emploi et la pauvreté se retrouvent dans d’autres départements hexagonaux, comme l’ont montré avec fracas les gilets jaunes.

Par ailleurs, certains mouvements sociaux ayant eu lieu dans les DROM s’apparentent, par bien des aspects, à des gilets jaunes avant l’heure. À la fin de la décennie 2000, la Guyane (2008), les Antilles et la Réunion (2009) puis Mayotte (2011) se sont embrasés tour à tour. Le point de départ de tous ces mouvements fut l’épineuse question de la cherté de la vie, notamment pour le carburant et les produits de première nécessité. En effet, l’une des caractéristiques de ces territoires est la dépendance aux produits « importés » et à la voiture, par manque d’infrastructures et de transports en commun.  

À l’instar des gilets jaunes, ces mouvements débutés sur des revendications matérielles ont évolué vers une demande plus forte de dignité. Si la comparaison a ses limites, on retrouve néanmoins ce même appel « ambivalent à l’État» (5). Les espaces ruraux oubliés, le périurbain confiné hors des métropoles gentrifiées, les territoires désindustrialisés ainsi que les Outre-mer délaissés sont autant de perdants d’une mondialisation inégalitaire et écocidaire. Ainsi la montée de l’abstention et du vote RN dans tous ces territoires est une constante ces dernières années. 

« La crise de la démocratie que nous traversons est en effet largement alimentée par ces facteurs sociaux et territoriaux structurants qui mettent en jeu le droit de chaque citoyen à accéder à tous types de services, activités, emplois, sociabilités, [sanitaires] ce qui contribue à entretenir un sentiment de défiance à l’égard des institutions républicaines sur le plan politique »

Pauline Gali, Revue Germinal, n°1 « Le retour des nations », 2020, p 182

Face à ces différentes crises, le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, a lancé les états généraux de l’Outre-mer. Ces derniers mèneront aux référendums de 2010 sur les évolutions statutaires aux Antilles et en Guyane. 6 ans plus tard, Annick Girardin, ministre des Outre-mer d’Emmanuel Macron, lancera les assises des Outre-mer donnant à la rédaction d’un livre bleu Outre-mer. Quelques années auparavant, sous François Hollande, une loi pour l’égalité réelle des Outre -mer était votée. Après plus de 10 ans d’une actualité sociale brûlante dans les Outre-mer, la réponse des différents gouvernements n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. En outre, ces espaces, à majorité insulaires, subissent d’ores et déjà le changement climatique de plein fouet.

Le tournant néolibéral de l’économie mondiale n’aura donc pas épargné la marche des DROM vers l’égalité socio-économique avec l’hexagone. Pour le rapport sénatorial cité plus haut, comme tous ceux qui ont suivi, l’horizon des DROM se situe dans une autonomie accrue, par la décentralisation, voire un droit à la différenciation. Cette dernière est censée réaffirmer les « spécificités » des Outre-mer face à un droit national forcément vecteur de domination, réelle ou fantasmée. Excepté à la Réunion, le consensus politique est en effet nettement favorable à ces évolutions. Un retour sur l’action de l’État planificateur des 30 Glorieuses, malgré ses conséquences contrastées, offre pourtant d’autres perspectives que celle d’une singularisation croissante de ces territoires face à la France hexagonale.

(1) Silyane Larcher, L’autre citoyen. L’idéal républicain et les Antilles après l’esclavage, Paris, Armand Colin, 2014. 384 p

(2) Tous les chiffres cités proviennent de Boukan, Le courrier ultramarin, n°4, 2020.

(3) Pauline Gali, Revue Germinal, n°1 « Le retour des nations », 2020, p.182.

(4) Levratto N. (dir.), Comprendre les économies d’outre-mer, Paris, L’Harmattan, 2006.

(5) Pauline Gali, Revue Germinal, n°1 « Le retour des nations », 2020, p.182.

La Martinique au temps du Covid-19

Vue de Grand’Rivière et du canal de la Dominique, extrémité nord de l’île, Martinique. © Vincent Mathiot

La crise du Covid-19 n’a pas épargné la Martinique, qui compte plus de 5 575 cas positifs. La situation sanitaire est néanmoins moins grave par rapport à la métropole, sans être pour autant propice à l’optimisme. En effet, l’île est en proie à une situation environnementale toujours plus inquiétante. De plus, la crise sanitaire met en péril le secteur touristique dont l’île dépend en grande partie. À travers différents entretiens, cet article présente la situation complexe de l’île, entre espoirs, inquiétudes et incertitudes pour l’avenir.

Une situation sanitaire inédite

La pandémie de Covid-19 n’a pas laissé la Martinique indemne. Pour ce qui est du nombre de cas et d’hospitalisations, la Martinique semble moins touchée par les vagues de Covid-19 que la France métropolitaine, mais reste néanmoins vulnérable. Ainsi, la situation dans les hôpitaux se révèle complexe. Lors de l’examen des crédits du ministère de l’Outre-Mer, la sénatrice socialiste Catherine Conconne a ainsi déclaré qu’on « meure à la Martinique faute de soin, faute de médecins (1) ». Si, en Martinique, la crise du Covid-19 a été gérée avec « débrouillardise », elle aurait néanmoins pu être totalement ingérable si l’épidémie avait eu la même virulence qu’en métropole. Toutefois, ce bilan peut être relativisé en comparaison avec la situation dans les autres îles antillaises. À Sainte-Lucie ou à la Barbade, la situation est particulièrement catastrophique, tant le système de santé est inapte à gérer la crise.

La crise du Covid-19 met en exergue les inégalités de soin selon les couches sociales, ainsi que le besoin urgent d’infrastructures de soin sur l’île. Sur ces questions, l’État français n’a pas toujours tenu parole, comme en témoigne le délabrement de l’hôpital Trinité. L’UGTM (Union générale des travailleurs martiniquais) lutte depuis maintenant plus de 20 ans pour sa reconstruction, en vain.

Paul Jourdan, pharmacien hospitalier au CHU de Fort-de-France nous apporte son témoignage au regard des deux vagues épidémiques et de leurs lots d’épreuves. Comme partout ailleurs, ce virus était encore presque inconnu en mars et prenait le monde entier de court. C’est avec tâtonnement et craintes que le premier mois de confinement a débuté. « On ne savait pas du tout quels médicaments et dispositifs médicaux allaient être utilisés pour traiter cette nouvelle maladie. Nos délais d’approches pour nous ravitailler depuis la métropole étaient particulièrement long : en moyenne 10 jours pour nos commandes aériennes et 6 semaines pour nos commandes maritimes. La pharmacie du CHU de Martinique était en alerte maximale » rapporte l’hospitalier. De nombreux décès sont à déplorer mais il n’en demeure pas moins que cette première phase de l’épidémie fut moins impressionnante en Martinique que dans d’autres départements métropolitains.

Certaines difficultés propres à ces territoires insulaires se sont vite fait ressentir. L’île s’est subitement retrouvée isolée, notamment pour ce qui concernait le fret aérien, indispensable pour la bonne organisation du service hospitalier. Plusieurs vols quotidiens reliaient la Martinique à la métropole avant la pandémie, contre un seul vol hebdomadaire au cœur de la première vague. L’île était alors presque isolée du continent européen. Cette situation s’inscrivait dans un contexte de quasi-fermeture du trafic aérien mondial. Elle ne s’est en revanche pas répétée lors de la deuxième vague. Des médicaments nécessaires pour l’organisation des soins en réanimation (notamment les hypnotiques et le curares) ont vite commencé à manquer. Ces derniers sont plutôt employés pour des traitements de courte durée. Les patients présentant la forme grave du COVID-19 étaient pris en charge par les services de réanimation. La longueur d’un séjour dans ces soins hospitaliers différait des traitements connus, ce qui a entraîné une hausse imprévue de consommation de médicaments et d’oxygène. Et, par voie de conséquence, une saturation des lits de réanimation.

La crise du Covid-19 met en exergue les inégalités de soin selon les couches sociales, ainsi que le besoin urgent d’infrastructures de soin sur l’île.

C’est avec d’autres îles des Antilles (dont la Guadeloupe) et la Guyane que la Martinique a pu faire face à cette pandémie et aux pics épidémiques. Paul Jourdan a ainsi souligné le fait que les capacités hospitalières du CHU de Fort-de-France n’ont fort heureusement jamais été saturées : « On a ainsi pu aider nos voisins Guyanais et Guadeloupéens dans la prise en charge de leurs patients COVID ». Cette entraide interterritoriale était en grande partie réalisable grâce à l’aide de l’Armée. Celle-ci effectuait les liaisons et les transferts, de médicaments, mais aussi de patients, entre la Martinique et la Guyane. Les liaisons entre la Martinique et la Guadeloupe ont été assurées par l’hélicoptère du SAMU, pour ce qui concernait les impératifs propres à l’épidémie (transfert de patients COVID et de traitements).

Sainte-Lucie a ainsi vendu des médicaments aux îles de l’Union européenne. Cette aide était bienvenue, mais très politisée. Entre les îles rattachées au Commonwealth et les îles françaises, l’Union européenne et le Royaume-Uni cherchent à prouver l’un à l’autre qu’ils sont aussi indépendants qu’indispensables. C’est l’un des défis et des difficultés rencontré par le PAHO (Pan American Health Organization) et son projet commun, le Caribean Subregional Program Coordination, sur les questions sanitaires dans les pays caribéens.

À cette pénurie de médicaments s’est ajoutée une autre de masques et de solutions hydroalcooliques, tous deux indispensables pour le respect des gestes barrières. Pour faire face à ces difficultés, c’est une fois de plus la solidarité qui a primé. Les distilleries de l’île ont, dans un premier temps, fourni des quantités d’alcool nécessaires pour la fabrication de ces solutions. Elles ont ensuite fabriqué elles-mêmes leur gel distribué aux services de santé. Hormis cette aide venue d’une partie de l’industrie martiniquaise, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont apporté leur aide. Les petits commerces, les restaurateurs, tout le monde a apporté son aide, en offrant par exemple des panier-repas pour les soignants. L’Armée a également apporté son aide pour la distribution de matériel et de ressources essentielles.

La seconde vague est arrivée avec plus de recul que la première, et ce malgré une forte épidémie de dengue subie avant le deuxième confinement (pouvant entrainer une forte tension hospitalière). Le CHU a déprogrammé beaucoup de traitements pour faire face à la reprise épidémique. Des opérations chirurgicales et des consultations externes non urgentes ont été repoussées. Ces dispositifs ont été instaurés pour libérer de la place afin d’accueillir les patients COVID annoncés sur la deuxième vague. Or, « cette deuxième vague n’était pas aussi importante que dans nos estimations », explique le pharmacien. Toutefois, il ajoute : « On s’est vraiment mis sur le pas de guerre. Il y a eu une deuxième vague mais dès que l’on a confiné [l’évolution de l’épidémie de COVID et de dengue] a décru ». Cette dynamique de l’épidémie justifie la décision préfectorale d’un confinement plus léger que celui mis en place en métropole.

C’est avec une certaine appréhension qu’était perçue la période de Noël. Celle-ci rimait avec l’arrivée de nombreux touristes et Antillais retrouvant leurs familles. « On craignait que les gens se contaminent en se réunissant entre eux pour Noël. On sait que le virus vient de la métropole ». Malgré ses appréhensions, Paul Jourdan ne cache pas son optimisme pour l’année 2021. Selon lui, la situation ira en s’améliorant si la population se vaccine. C’est néanmoins avec mesure que le professionnel de santé voit notre avenir. « Je pense qu’on va s’en sortir, le virus mute, il va falloir que l’on apprenne à vivre avec, comme on fait déjà. Je pense qu’en 2021 le virus sera encore là. On va avoir encore des personnes infectées. » Paul Jourdan considère ainsi, que, pour faire face à ce virus, et aux nouvelles épidémies, notre système hospitalier doit avoir plus de moyens. Il doit sortir de l’optimisation budgétaire qui a montré ses limites.

C’est sur ce dernier point que le pharmacien du CHU de Martinique a insisté. Le Covid-19 a été bien géré dans son ensemble, mais les problèmes qui existaient auparavant sont désormais encore plus visibles. La Martinique a besoin de médecins, de médicaments et d’infrastructures plus modernes, indépendamment des différents virus. À l’heure où la campagne de vaccination est en cours partout en France, elle demeure encore timide sur l’île. Elle est menée de manière confuse entre les hôpitaux et la médecine libérale, et se conjugue avec une importante réticence à se faire vacciner parmi la population . La situation est donc complexe, mais pas désespérée. 

Face au Covid-19, faire preuve de « débrouillardise »

L’Habitation Saint-Etienne (HSE) est une parfaite illustration de la situation actuelle du secteur du tourisme. C’est une rhumerie martiniquaise, située au Gros-Morne dans le centre-est de l’île. Cette exploitation comprend 35 employés, et de nombreux partenaires commerciaux et culturels. L’HSE s’est en partie développée depuis plusieurs années grâce au « spiritourisme », tourisme de bouche tourné du côté des spiritueux. Cette rhumerie est reconnue pour la qualité de ses rhums blancs agricoles, mais aussi ses rhums vieux primés à de nombreuses reprises. C’est aussi un lieu culturel qui attirait avant la pandémie de nombreux touristes, pour son Jardin Remarquable ou son espace artistique orienté autour de l’œuvre d’Edouard Glissant.

En tant que directeur commercial de l’HSE, Cyril Lawson nous a fait part d’un « choc brutal » lorsqu’il nous a décrit l’intensité avec laquelle l’épidémie a bouleversé le quotidien et les projets de l’HSE. L’entreprise a connu de nombreuses difficultés, notamment sur le plan touristique. Une partie de l’activité de la rhumerie repose sur un tourisme précis. Ces derniers se déplacent jusqu’à l’habitation pour la découvrir, la visiter, apprendre d’elle. Ce « spiritourisme » s’est soudainement arrêté avec le premier confinement. L’activité touristique est passée d’une dynamique correcte à une activité purement et simplement inexistante en trois jours. La haute saison touristique aux Antilles a vu perdre deux mois importants (mars et avril). Ces répercussions directes, entraînées par la mise en place du premier confinement, en ont entraînées d’autres. Ainsi, les diverses collaborations avec les partenaires culturels de la rhumerie (notamment les visites guidées), les projets artistiques, tout le foisonnement créatif qui fait la richesse de ce lieu s’est vu annulé du jour au lendemain. La plupart de ces projets sont encore à l’arrêt aujourd’hui. De ce fait, les visites et dégustations guidées n’ont pas repris depuis le mois de mars, malgré la légère amélioration de cet été. Confinement ou non, l’HSE, à l’instar de l’île, reste tributaire d’un trafic aérien encore largement diminué.

En outre, les exportations représentent également une activité essentielle de l’entreprise, et ces dernières ont connu une forte baisse. D’un point de vue local, le tourisme entraînait une forte demande à travers l’ensemble de l’île, dont le secteur de l’hôtellerie et de la restauration qui a été longtemps à l’arrêt. De plus, certaines ventes précises (des rhums vieux et autres produits rares) n’ont pu avoir lieu suite à la fermeture de la boutique de la rhumerie où celles-ci se faisaient. De manière générale, l’HSE a tout de même perdu 25 à 40 % de son activité depuis le mois de mars. 

Ces arrêts brutaux ont inévitablement eu des répercussions sur certains métiers et les pratiques propres à la rhumerie. Cyril Lawson a tout d’abord mentionné la réorganisation du travail, l’installation des mesures barrières afin de protéger l’ensemble du personnel et les collaborateurs de l’entreprise. Néanmoins, cette adaptation des tâches de travail nécessaire à la poursuite de l’activité a généré des inconvénients, notamment des problèmes de connexion entre la rhumerie et certains sous-traitants. Autre conséquence, tous les employés de l’entreprise ont subi une réduction de leur temps de travail, en bénéficiant du statut de chômage partiel.

Un bâtiment du site de l’Habitation Saint-Etienne, Le Gros Morne, Martinique.
©Vincent Mathiot

Pour Cyril Lawson, la crise a cependant été bien gérée dans son ensemble, engendrant des réactions différentes entre le premier et le deuxième confinement. Lors de notre entretien, l’analogie avec un cyclone a souvent été faite. Celle-ci permet d’expliquer la capacité de connaissance et les réactions face aux risques propres aux personnes vivant dans ces zones souvent soumises aux catastrophes naturelles. Cette pandémie a de nombreux points communs avec ces phénomènes météorologiques. 

Les habitants de l’île ont dû ainsi faire preuve de « débrouillardise obligatoire ». Beaucoup d’actions solidaires et un esprit d’entraide se mettent généralement en place immédiatement à l’issue des catastrophes naturelles, avant que les aides de la métropole n’arrivent. Ces réactions sont aussi dues à une bonne communication entre les autorités, les responsables politiques et les individus. Dans le cadre de l’HSE, l’entreprise a par exemple eu un rôle pédagogique à l’égard de la population, souligne Cyril Lawson. Celui-ci a aussi évoqué les difficultés liées aux crises environnementales que connaît la Martinique (pollution, sécheresse à répétition, dérèglements climatiques de plus en plus marqués). Selon Cyril Lawson, celles-ci ne viennent pas s’ajouter à la crise entraînée par le COVID-19, dans le cas de la production et des rendements de l’entreprise. L’île a récemment connu (en novembre 2019) d’importantes intempéries. Cependant, ces problèmes météorologiques ont toujours existé et sont propres aux climats tropicaux. 

La crise liée à la pandémie s’ajoute aux problèmes climatiques multiples que traverse l’île.

En revanche, depuis plusieurs années, l’exploitation perd entre 2% et 3% de son rendement. Aucune étude n’a été faite sur cette perte de rendement, mais celle-ci pourrait avoir des causes multifactorielles liées au changement climatique. La crise liée à la pandémie s’ajoute donc aux problèmes climatiques multiples que traverse l’île. Régulièrement, la Martinique comme l’ensemble des Antilles, est confrontée à une accumulation d’algues brunes sur ses côtes. Ces dernières se révèlent particulièrement nocives pour notre organisme. De plus, les épisodes météorologiques intenses sont de plus en plus fréquents. Une meilleure anticipation des risques se fait attendre, afin que les effets du changement climatique n’accroissent pas la précarité de l’île (2).

Au regard de ces informations, Cyril Lawson a aussi évoqué le futur avec optimisme. Il considère ainsi que les deux confinements, avec toutes les difficultés qu’ils ont engendrées, ont su apporter du positif, comme un regain d’intérêt des habitants de la Martinique pour leur île et sa culture locale. Ce confinement a ainsi instauré de la proximité et de l’entraide entre les habitants. L’année à venir ainsi que 2022 seront sûrement meilleures que 2020, avec l’espoir pour l’HSE de retrouver la dynamique et l’intérêt qu’on lui manifestait avant mars 2020. Les bras ne sont pas baissés pour l’HSE qui « n’est pas prête de manquer de courage ». Dans tous les cas, même s’il est en pause actuellement, le secteur touristique est prêt à redémarrer. Les choses s’organisent en fonction des imprévus, avec débrouillardise.

De nouvelles alternatives

Outre le secteur tertiaire et la question des soins en Martinique, la crise actuelle touche aussi le secteur agricole, qui voit depuis plusieurs années les difficultés s’accumuler. Pour la deuxième année consécutive, la Martinique a été confrontée à une sécheresse extrême par sa durée. L’agriculture martiniquaise n’est pas préparée à résister à des sécheresses de plusieurs mois comme en 2020. C’est l’un des dossiers majeurs pour les agriculteurs. Là encore, on fait preuve de débrouillardise et on cherche des alternatives face à une situation qui était, il y a un an encore, inenvisageable. 

Au temps du Covid-19, la vie s’organise différemment. À l’instar de l’HSE, le Jardin de Bonneville, situé sur les hauts de la Trinité, avait connu un bon début de saison touristique à l’hiver 2020. La famille Eugénia, propriétaire du jardin, a transformé depuis la fin des années 90 une friche en un jardin botanique de plusieurs hectares. Le jardin de Bonneville a ainsi officiellement ouvert ses portes en 2007. Aujourd’hui, la famille Eugénia voit le COVID-19 comme un « couperet brutal juste après les élections municipales ». Au regard des décisions sanitaires évoluant régulièrement, le jardin n’a pas pu poursuivre son activité touristique comme il l’entendait. Ses portes restent aujourd’hui fermées. Cette fermeture montre à quel point l’organisation en fonction des saisons touristiques n’est plus valable de nos jours, le trafic aérien (responsable de la majeure partie du tourisme de l’île) étant intrinsèquement lié aux mesures sanitaires.

Le Jardin de Bonneville, La Trinité, Martinique.
©Vincent Mathiot

C’est avec philosophie que les Eugénia prennent cette situation. Avec plus de 20 années de travail, la nature avait besoin de se régénérer. C’est aussi un moment où ce couple retraité a pu profiter d’une parenthèse de repos.  « Je touche ma retraite, ça nous permet de glisser. Nous avons calculé le budget, on ne se casse pas la tête », témoigne Patrick Eugénia. « On vit avec ce que l’on a. On ne va pas au-delà de ce que l’on a pas. Cette crise permet à certaines personnes de remettre en question les choses inutiles que l’on utilisait. De revenir à l’utilité des choses essentielles. »

La réouverture du site n’est donc pas imminente. Un retour à la normale est envisageable dans deux ou trois ans. Une visite de trois personnes n’est pas assez rentable. Mais le couple n’est pas défaitiste. « On reprendra un jour ou l’autre et on s’adaptera », confie Sylviane Eugénia.

La population de l’île voit avec reconnaissance la gestion de cette crise aux visages multiples. Les indemnités promises par l’État ont été reçues, tout comme certains équipements sanitaires de protection (livraison régulière des masques à domicile). La situation est certes difficile pour tous, mais elle n’est pas pour autant insurmontable. Sainte-Lucie, île du Commonwealth, est dans une situation autrement plus inquiétante. Un bon dialogue entre les individus et les acteurs politiques dont le préfet de la Martinique, Stanislas Cazelles explique cette situation. « Dans les îles on est relativement épargné, on ne subit pas la pression que vous subissez », admet le couple, sans cacher son inquiétude pour les mois à venir, avec notamment un afflux important de touristes européens et d’Antillais vivant en métropole revenus pour les fêtes de fin d’année, et la saison du carême (la saison sèche de décembre à avril) particulièrement prisée par les touristes occidentaux. La situation sanitaire peut à nouveau devenir inquiétante.

Des risques écologiques toujours plus présents

Néanmoins, cette crise sanitaire n’est pas la seule source d’inquiétudes pour les Antillais. Les dernières années ont vu se généraliser des phénomènes climatiques toujours plus violents et intenses (3). Proche de la côte Atlantique, la Trinité a subi, ces derniers mois, de fortes intempéries provoquant dans les villes voisines du Robert, Sainte-Marie et du Lorrain des inondations et des glissements de terrain. À ces problèmes, s’ajoutent pour ces villes côtières des déversements conséquents d’algues brunes plusieurs fois par an. Même si de forts cyclones n’ont pas ravagé l’île cette année, les Martiniquais remarquent des phénomènes de microclimats toujours plus intenses. Ces derniers alternent entre fortes sécheresses et épisodes de pluie violente. À cela s’ajoute aussi un risque volcanique plus important, depuis un mois dans le secteur de la montagne Pelée. Cette pandémie fait donc ressortir d’autres problèmes auxquels les Martiniquais sont quotidiennement confrontés (4).

Bien que la situation actuelle soit difficile, suscitant une grande inquiétude parmi les habitants, la Martinique tient le coup : le Covid-19 a été beaucoup moins virulent que ce que ne laissaient présager les estimations gouvernementales. Une véritable solidarité et une redécouverte de l’île par ses habitants ont été le résultat des confinements. Comme le montrent les différents entretiens, les habitants se débrouillent, font preuve d’ingéniosité face à une situation inédite, tout en faisant face à cette crise mondiale. Cet esprit d’entraide, bien que positif, témoigne d’un autre problème que connaissent encore les DROM et collectivités d’Outre-mer : les aides matérielles, financières, humaines attendues de la métropole subissent d’importants décalages entre les territoires.

La solidarité est donc souvent le premier réflexe avant que des aides plus concrètes traversent les océans. Cela peut parfois prendre du temps. Les deux vagues épidémiques en témoignent. Malgré un esprit général de débrouillardise, le bilan demeure assez inquiétant dans son ensemble, notamment sur le plan économique. Le retour à un avant est exclu pour bien longtemps. Pour l’île, l’année 2021 sera capitale. Le Covid-19 ne fait que s’ajouter à de nombreux autres problèmes et enjeux en Martinique, qui subit toujours plus fortement les effets du dérèglement climatique. C’est à ce jour la principale source d’inquiétude de l’Île aux fleurs. 

Entretiens réalisés par Vincent Mathiot avec Cyril Lawson, directeur commercial de la rhumerie Habitation Saint-Etienne (HSE) ; Patrick, Sylviane et Adélaïde Eugénia, propriétaires du Jardin et table d’hôtes de Bonneville (La Trinité 972) ; Paul Jourdan, pharmacien hospitalier au CHU de Fort de France.

Sources

(1) Allocution au Sénat du 3 décembre 2020 de la sénatrice Catherine Conconne (Parti progressiste martiniquais)

(2) Pour les projections actuelles sur le climat dans les îles caribéennes françaises, voir Louis Dupont, « Le changement climatique et ses implications économiques sur le secteur touristique en Guadeloupe et à la Martinique (Petites Antilles) », Études caribéennes [En ligne], 26 | Décembre 2013.

(3) Sur la question climatique : Sylvain Roche, Laurent Bellemare, et Sylvie Ferrari. « Rayonner par la technique : des îles d’Outre-mer au cœur de la transition énergétique française ? », Norois, vol. 249, no. 4, 2018, pp. 61-73.

(4) Sur les risques en général de la Martinique : Préfecture de la Martinique Dossier départemental des Risques Majeurs en Martinique ( 972 ), 2014.

Pour aller plus loin : Rebecca Rogly, « Le Covid-19, une bombe à retardement pour les Outre-mer», mis en ligne le 14 avril 2020, Le Vent Se Lève. https://lvsl.fr/le-covid-19-une-bombe-a-retardement-pour-les-outre-mer/