COVID-19 : les USA flambent, Wall Street exulte

New York Stock Exchange on Wall Street, photo © Politicoboy

En sacrifiant la santé des Américains sur l’autel de Wall Street, Donald Trump a pris le risque d’aggraver une catastrophe sanitaire qui se mue en crise économique et politique. Mais malgré l’explosion des inégalités sociales et la persistance de discriminations massives, le parti démocrate se préoccupe davantage du sauvetage des lobbies et des grandes entreprises que de la protection des ménages et des travailleurs. Ces multiples faillites politiques présagent d’un embrasement historique, dont les manifestations de ces derniers jours semblent un signe avant-coureur.


Fin avril, des kilomètres de bouchons se forment aux abords des centre de distribution d’aide alimentaire. Un mois plus tard, des dizaines d’émeutes frappent de nombreux centre urbains. Ces événements pourraient apparaître déconnectés, le premier étant la conséquence brutale de l’arrêt de l’économie pour contenir la propagation du coronavirus, tandis que le second résulte du décès de Georges Flyod des mains de la police de Minneapolis. L’un témoigne de l’ampleur des inégalités sociales, l’autre de la permanence des discriminations raciales. Mais ces deux phénomènes sociaux sont étroitement liés, comme l’impunité dont semble jouir les forces de l’ordre capables de tuer en se sachant filmées, et celle avec laquelle Wall Street profite du COVID-19 pour organiser le pillage des classes moyennes et populaires. La situation semble explosive, et l’avenir… dystopique.

Donald Trump avait défini sa doctrine en deux mots : America First. L’épidémie lui donne raison. Les États-Unis arrivent premiers en nombre de cas (un million huit cent mille), de décès (plus de cent mille), et de chômeurs (quarante et un millions). Ces chiffres alarmants masquent une réalité plus préoccupante. La mortalité serait largement sous-estimée, selon les autorités sanitaires dépendant de la Maison-Blanche. Idem pour les pertes d’emploi. Parce qu’elle a été construite de manière extrêmement bureaucratique afin de décourager les gens d’y avoir recours, l’assurance chômage sous-estime la situation. Le secrétaire au trésor Steven Mnuchin a reconnu que le taux était probablement supérieur de 5 points aux 15 % annoncés pour avril, et devrait rapidement atteindre les 25 %. [1]

Aux chômeurs s’ajoutent les nombreuses personnes payées via les commissions et pourboires, qui ont conservé leurs emplois mais vu leurs revenus chuter. Sans parler des vingt-sept millions d’Américains qui ont perdu leur couverture santé. Un problème en pleine pandémie, en particulier lorsque les hôpitaux et cliniques privées licencient des dizaines de milliers de soignants et docteurs pour répondre à la contraction de la demande de soins provoquée par le report des procédures médicales non-urgentes.[2] 

Ce drame social explique les longues files d’attente pour l’aide alimentaire. D’autant plus que la fermeture des écoles publiques, qui assurent normalement la gratuité des repas aux élèves issus des classes défavorisées, a placé un enfant sur cinq en situation de malnutrition. [3]

De même, le risque de crise immobilière devient alarmant. Selon certaines estimations, près d’un tiers des locataires ne sera pas en mesure d’acquitter son loyer, et plus d’un million de mensualités d’emprunts seront suspendues, au point de justifier un plan de sauvetage des courtiers en prêts immobiliers chiffré en milliards de dollars et de mettre en place un moratoire sur les évictions.[4]

Cette fracture sociale s’ajoute aux inégalités sanitaires. Le coronavirus tue majoritairement les plus pauvres, c’est-à-dire les Afro-Américains et les latinos.[5] Loin de s’en émouvoir, Donald Trump assume désormais le sacrifice de dizaines de milliers de personnes au nom du New York Stock Exchange. 

« Greed is good » : Trump et les Républicains sacrifient la population sur l’autel de la finance

Comme certains dirigeants européens, Donald Trump a d’abord minimisé l’épidémie et incité la population à « continuer à vivre normalement » avant de se montrer incapable de fournir un nombre suffisant de masques, tests et respirateurs. Mais cet échec patent, qui a permis au virus de se propager dans la population de manière fulgurante, ne s’explique pas seulement par une forme d’incompétence doublée d’impréparation. [6]

Le Financial Time et NPR ont révélé que Donald Trump a volontairement refusé de fournir des tests par crainte des résultats. Selon son gendre et conseiller Jared Kushner, un niveau alarmant de contamination risquait de provoquer la panique des places financières.

Une fois l’épidémie trop sévère pour être ignorée et la bourse de New York en chute libre, Trump a refusé d’endosser la responsabilité de la gestion de la crise, délégant aux gouverneurs des différents États la tâche de mettre en place les mesures de confinement et de se fournir en masques et équipements médicaux. Cela a eu pour conséquence immédiate la mise en concurrence des différents États entre eux, provoquant un cauchemar logistique qui a conduit à une augmentation des prix et des délais d’acheminement.

Les États gérés par des démocrates étant généralement plus densément peuplés et sévèrement touchés par l’épidémie, la gestion de la crise a rapidement pris la forme d’un combat politique partisan. Que ce soit pour obtenir du matériel, des financements ou simplement produire un discours cohérent, l’administration Trump a souvent mis des bâtons dans les roues des gouverneurs qui cherchaient à appliquer les recommandations officielles de la CDC, pourtant rattachée à la Maison-Blanche. 

Cela accentue le clivage politique et les logiques partisanes. Les électeurs démocrates, plus exposés au virus, se disent deux à trois fois plus inquiets que les électeurs républicains. Ces derniers s’informent par des médias qui minimisent le risque sanitaire. Moins exposés, ils vivent davantage la crise sur le plan économique. [7]

Face à l’explosion du chômage, des voix se sont élevées dans les sphères financières et les médias conservateurs pour critiquer le confinement, argumentant que le remède était pire que la maladie. 

Sensibles à cette curieuse logique qui suppose que la situation économique soit indépendante des choix politiques, des groupuscules financés et recrutés par des milliardaires d’extrême droite et des cercles d’affaires plus ou moins proches du parti républicain ont organisé des manifestations contre le confinement. [8] Elles ont rapidement pris la forme d’actions spectaculaires, que ce soient des opérations escargot menées dans les centres-ville à bord de pick up truck et autres véhicules de luxe, ou dans les parlements de certains états par des miliciens armés de fusils d’assaut. Des voies d’accès aux hôpitaux ont été bloquées et des soignants pris à partie par des manifestants arborant des drapeaux confédérés.

La portée de ces actions a été largement exagérée par les médias conservateurs, qui espéraient rallier davantage de participants, et par les médias démocrates en quête de sensationnel. Deux Américains sur trois affirment craindre un déconfinement trop hâtif et précipité, mais Trump a encouragé ces manifestations, bien qu’elles protestent contre les recommandations de sa propre administration, afin de se servir de ce moment pour entamer un virage stratégique : fini la lutte contre la crise sanitaire, place à la reprise d’activité.

Face au risque de pénurie de viande lié à la contamination de nombreux ouvriers travaillant dans les abattoirs, Trump a ainsi signé un décret obligeant la reprise du travail, quelles que soient les conditions sanitaires, afin de préserver « un service essentiel ».[9]

À l’échelle fédérale, aucune mesure sanitaire sérieuse n’est en place pour accompagner la reprise. L’improvisation et l’amateurisme du gouvernement sont consternants.

Pour éviter de nourrir l’inquiétude des Américains, Trump refuse de porter un masque en public. Même les dirigeants d’entreprises apparaissant à ses côtés sont contraints de le faire à visage découvert, pour rassurer le public et encourager la reprise. Ce faisant, Trump va à l’encontre des recommandations officielles et de l’obligation du port du masque en public instaurée dans de nombreuses juridictions. [10]

Donald Trump sacrifie la santé publique sur l’autel de l’économie, comme si ces deux aspects étaient mutuellement exclusifs. En cela, il est aidé par le Congrès et la banque fédérale, avec la bénédiction quasi incompréhensible de l’opposition démocrate. 

Explosion des inégalités : une tragédie politique en quatre actes

Bien qu’imparfaite, la réponse économique des principaux pays développés a consisté à maintenir l’emploi via des mécanismes de chômage technique subventionnés par l’État. 

À l’inverse, le Congrès américain a décidé de livrer sa population au chômage sans lui garantir une assurance maladie ni un revenu. Pendant ce temps, la Fed prenait une décision sans précédent : bannir le risque pour les investisseurs en bombardant les marchés d’argent frais. Pour le capitalisme financier, Wall Street est désormais un gigantesque casino où « à tous les coups on gagne ». Les profits sont réels, et les pertes épongées par la maison. 

Résultat, la bourse de New York renoue avec les sommets, tandis que 38 millions d’Américains se retrouvent sans emploi. Il s’agit ni plus ni moins du plus grand transfert de richesse jamais orchestré, dont les conséquences sont encore difficiles à appréhender. 

Le premier acte législatif, à l’initiative de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, avait pour but de répondre à la crise sanitaire en assurant la gratuité des tests de dépistage et en obligeant les entreprises à offrir quinze jours d’arrêt maladie, pour permettre aux personnes symptomatiques de rester chez elles. Pourtant, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a décidé de son propre chef d’exclure les entreprises de plus de cinq cents employés, laissant de côté près de 50 millions d’Américains. Les Républicains ont approuvé cette décision, que le New York Times dénoncera dans un éditorial au vitriol. [11]

Le deuxième acte législatif, nommé CARES act, doit répondre à l’urgence économique. Cette fois, le Sénat est à la manœuvre, sous la houlette de son président républicain Mitch McConnell. Sa proposition initiale se résume à un chèque en blanc de 500 milliards pour les grandes entreprises, sans aucune contrepartie, et un chèque de 600 dollars pour chaque Américain. Ce projet, initialement estimé à 700 milliards de dollars, est rapidement porté à 1000 milliards, Trump « aimant les chiffres ronds ». 

Les démocrates ont négocié de nombreux ajouts et concessions, en particulier la création d’un comité de contrôle pour superviser les prêts accordés aux grandes entreprises, une extension importante de l’assurance chômage (étendue à quatre mois et gonflée de 600 dollars par semaine), 150 milliards de dollars pour les hôpitaux et 360 pour les PME. Le chèque aux Américains a vu son montant doubler (à 1200 dollars par adulte et 500 par enfant), mais est limité aux ménages gagnant moins de 75 000 dollars par an et par adulte. Le coût final du CARES act s’élève à 2300 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France.

Le président de la minorité démocrate au Sénat Chuck Schumer s’est félicité d’avoir mis en place une « nouvelle assurance chômage sous stéroïdes » et Bernie Sanders a salué le fait que, contrairement à la crise des subprimes, les trois quarts des financements iront aux ménages et PME.

Mais cette aide temporaire ne traite aucunement sur le fond les pertes d’emploi ou les baisses spectaculaires de revenu, et va priver des millions d’Américains d’assurance maladie. Les chèques aux particuliers et aides aux PME vont mettre deux mois à arriver, du fait des lourdeurs bureaucratiques induites par le mode de distribution retenu. À l’inverse, l’aide octroyée aux grandes entreprises est immédiate. Elle vise à garantir les profits présents et futurs, via un mécanisme qui va redéfinir en profondeur le capitalisme américain. 

La Fed a ainsi mis à disposition de Steve Mnuchin, le secrétaire au trésor de Donald Trump et ancien cadre dirigeant de Goldman Sachs, un fonds spécial de 4000 milliards. Cette création monétaire sera utilisée en complément des 500 milliards d’aide aux grandes entreprises pour permettre des « effets de levier » afin d’arroser les marchés d’actions et d’obligations. Le tout à la discrétion de Mnuchin, le comité de contrôle négocié par les démocrates n’ayant qu’un droit de regard ex post. [12]

Wall Street a parfaitement compris le message. Un conseiller financier de JPMorgan écrivait récemment à ses clients qu’ils pouvaient s’attendre « à ce que les marchés retrouvent rapidement les niveaux record pré-Covid, tant que l’outil monétaire restera mobilisé ». 

Or, le directeur de la Fed a été on ne peut plus clair en déclarant qu’il « ne tomberait pas à cours de munitions ». Historiquement, la banque centrale intervient après l’éclatement d’une bulle financière. Là, c’est elle qui en gonfle une nouvelle, les investisseurs avertis n’ayant qu’à miser sur les produits et entreprises ayant ses faveurs.

Sous la pression des chiffres alarmants du chômage, l’aile gauche démocrate a voté le CARES act dans l’urgence, malgré ses problèmes évidents. Mitch McConnell a profité d’une procédure exceptionnelle pour imposer un vote expéditif et à l’unanimité au Sénat, sans amendements ni débats. Puis Nancy Pelosi a forcé la chambre des représentants à adopter le texte sans le modifier via un « vote à main levée », procédure permettant d’éviter la présence physique des 435 parlementaires. Justifiée par la crise sanitaire, elle possède l’autre avantage de garantir l’anonymat du vote.

Les vices du CARE act ne sont apparus qu’après. Par exemple, une niche fiscale introduite par les républicains a permis d’offrir 135 milliards de dollars de baisse d’impôts aux personnes gagnant plus d’un demi million de dollars de revenu annuel dans la finance et la spéculation immobilière.[13] De même, l’aide aux PME a été siphonnée par de grandes entreprises organisées selon le modèle de franchise, en particulier dans la restauration, et par des « petites entreprises » gérant des fonds spéculatifs et produits financiers, et mieux équipés pour obtenir les fonds rapidement auprès des grandes banques chargées de l’allocation des prêts. Ces banques ont amassé 10 milliards de dollars de profit dans l’opération, un cadeau indirect supplémentaire du CARES act pour Wall Street. Le plan d’aide aux PME a été un tel fiasco qu’il a justifié un troisième “acte” pour débloquer 450 milliards d’aide supplémentaire dans l’urgence.

Côté démocrate, seule Alexandria Ocasio-Cortez s’y est opposée. Elle s’est justifiée en citant l’absence de nouvelles mesures sociales, dénonçant le fait que les républicains n’avaient fait aucune concession. 

https://www.flickr.com/photos/nrkbeta/32411240957
Alexandria Ocasio-Cortez. ©Ståle Grut / NRKbeta

Ce qui nous amène au quatrième acte. Proposé par les démocrates à la chambre des représentants, ce texte baptisé « HEROES » doit combler les failles des packs précédents en se concentrant sur les ménages et les PME. Il avait été annoncé à l’aide du mot-dièse #putpeoplefirst (mettre les gens en premier, contrairement aux trois premiers actes) et devait servir de démonstration politique, afin de mettre Trump et les républicains au pied du mur. 

Du moins, c’est ce qu’avait annoncé Nancy Pelosi, en affirmant vouloir envoyer un « message ». Dans les faits, elle a ignoré les propositions de son aile gauche, malgré la mobilisation de sénateurs importants et de nombreux groupes de militants et d’ONG. Le résultat est un plan de 3000 milliards au contenu timide et politiquement désastreux.[14]

Au lieu de profiter de la crise pour étendre la couverture santé publique, Pelosi propose de recourir à un système mis en place par Ronald Reagan pour étendre la couverture santé des employés licenciés, nommé COBRA (sic). Ce plan, plus coûteux qu’une extension de l’Obamacare ou du Medicare, comme l’a démontré l’organe d’évaluation interne du Congrès (CBO), couvrira moins bien, et pour plus cher. Comment expliquer une telle ineptie ? Pour Jacobinmag, il s’agit d’empêcher qu’une extension des programmes publics n’agisse comme un cheval de Troie pour la nationalisation de la couverture santé (Medicare for all). D’où cette subvention massive aux compagnies d’assurances (estimée à 330 milliards) pour fournir une couverture santé aux nouveaux chômeurs sans remettre en cause le modèle privé.[15]

Le coronavirus expose les failles du système américain

Nancy Pelosi a refusé à sa minorité progressiste un plan de sauvegarde de l’emploi inspiré des mécanismes de chômage technique existant en Europe, malgré l’appui de sénateurs républicains. À la place, le HEROES act propose d’étendre la fameuse « assurance chômage sous stéroïdes » jusqu’au mois de janvier 2021, faisant officiellement des démocrates le « parti du chômage ». Pelosi a toujours déclaré qu’elle gouvernerait plus à gauche si elle n’avait pas pour impératif la défense des sièges les plus exposés aux républicains dont dépend sa majorité, typiquement défendus par des élus centristes. Mais ces derniers, contestés sur le terrain de l’emploi et débordés sur leur gauche par les républicains, s’allient de plus en plus avec leurs collègues progressistes contre Pelosi. En vain pour l’instant, le HEROES act ayant été adopté à la chambre des représentants. [16]

La cerise sur le gâteau reste le plan de sauvetage des entreprises de lobbyisme. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les dix mille lobbyistes qui travaillent à Washington ont formé une association pour se doter de leur propre lobby, afin de faire pression sur les élus pour obtenir leur propre plan de sauvetage. L’argument étant que sans lobbyistes, les législateurs ne seront plus capables d’écrire les prochains textes de loi.[17]

Officiellement, Nancy Pelosi a inclus cette demande dans le HEROES act pour contraindre les républicains à accepter les autres revendications démocrates. Mais puisque le texte a pour but d’envoyer un « message » et n’a aucune chance d’être voté par le Sénat, pourquoi inclure une telle aberration ? Surtout que ce texte prévoit des financements pour des groupes d’influence dotés d’un budget dépassant le milliard de dollars et s’étant illustrés par leurs attaques contre les démocrates, Medicare for All et Bernie Sanders.[18]

Le coronavirus aura ainsi exposé jusqu’au bout les faillites du système économique, social, mais également politique américain. 

Tandis que les inégalités explosent, Donald Trump et le parti républicain, dans une forme de « stratégie du choc », cherchent à supprimer les régulations environnementales et provoquer la faillite des programmes sociaux en refusant d’aider les états. De leur côté, les démocrates condamnent des millions d’Américains au chômage et aux aides sociales « sous conditions de ressources » tout en arrosant d’argent les lobbies, les grandes entreprises et Wall Street, sans contreparties. Depuis le début de la pandémie, un ménage américain sur deux a vu ses revenus diminuer. En même temps, la fortune des milliardaires a progressé de 435 milliards de dollars en deux mois. Vous avez dit dystopie ?

 

Notes et références :

  1. https://www.npr.org/sections/coronavirus-live-updates/2020/05/10/853505446/unemployment-numbers-will-get-worse-before-they-get-better-mnuchin-says
  2. https://www.latimes.com/california/story/2020-05-02/coronavirus-california-healthcare-workers-layoffs-furloughs
  3. https://nymag.com/intelligencer/2020/05/kids-are-going-hungry-because-of-the-coronavirus.html
  4. https://taibbi.substack.com/p/the-bailout-miscalculation-that-could et https://www.npr.org/2020/05/01/848247228/rent-is-due-today-but-millions-of-americans-wont-be-paying
  5. https://www.nytimes.com/2020/04/08/nyregion/coronavirus-race-deaths.html
  6. Lire notre article : https://lvsl.fr/covid-19-les-etats-unis-face-au-desastre-qui-vient/
  7. https://fivethirtyeight.com/features/democrats-and-republicans-are-increasingly-split-on-the-coronavirus-crisis/
  8. https://theintercept.com/2020/04/22/coronavirus-and-the-radical-religious-rights-bumbling-messiah/
  9. https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/apr/30/trump-executive-order-meat-processing-workers-coronavirus
  10. https://theintercept.com/2020/05/09/pence-aides-positive-covid-19-test-exposes-folly-white-house-aversion-masks/
  11. Ibid 6.
  12. Pour la partie sur le CARES act, se référer à l’article suivant : https://www.rollingstone.com/politics/politics-features/taibbi-covid-19-bailout-wall-street-997342/ (rolling stone) et celui-ci de The Intercept : https://theintercept.com/2020/05/20/the-jungle-and-the-pandemic-the-meat-industry-coronavirus-and-an-economy-in-crisis/
  13. https://theintercept.com/2020/04/19/coronavirus-cares-act-millionaire-tax-break
  14. https://theintercept.com/2020/05/15/coronavirus-relief-house-heroes-act-progressives/
  15. https://www.jacobinmag.com/2020/05/nancy-pelosi-cobra-medicare-for-all-coronavirus-covid-m4a
  16. https://theintercept.com/2020/05/19/heroes-act-paycheck-bill-democrats/
  17. https://theintercept.com/2020/05/05/lobbyists-trade-groups-bailout/
  18. https://www.jacobinmag.com/2020/05/house-democrats-coronavirus-relief-bill-corporate-lobbyists

 

 

 

 

Elizabeth Warren : alliée ou ennemie de Sanders ?

Elizabeth Warren aux côtés d’Hillary Clinton. Bernie Sanders, sénateur du Vermont. © Tim Pierce et Gage Skidmore via Wikimedia Commons.

Lors des débats de la primaire démocrate Elizabeth Warren et Bernie Sanders se sont mutuellement épargnés et ont focalisé leurs attaques sur les multiples candidats de l’establishment, Biden en tête. Une stratégie efficace à en juger par le désarroi de l’aile centriste des Démocrates, documenté dans nos colonnes. Mais la similarité des programmes de Warren et de Sanders est l’arbre qui cache la forêt : la sénatrice du Massachusetts adopte une démarche technocratique visant à réconcilier les Démocrates autour de propositions modérées tandis que Sanders se pose en leader d’un mouvement “révolutionnaire” qui ne se limite pas à la conquête de la Maison Blanche.


Une proximité avec Sanders… mais aussi avec Clinton

Élu à la Chambre des Représentants de 1991 à 2007 et au Sénat depuis, Bernie Sanders a longtemps été le seul élu n’appartenant ni aux Démocrates, ni aux Républicains. Quant à ses convictions (gratuité de l’université, Medicare for All, pacifisme…), on ne peut pas dire qu’elles soient partagées par ses collègues. Ainsi, l’élection de Warren au Sénat en 2013, qui défend des mesures de régulation du capitalisme américain débridé, rompt l’isolement de l’élu du Vermont. Bien que Sanders ait toujours été plus radical que l’élue démocrate, il n’hésite pas à soutenir ses propositions modérées, comme le Bank on Student Loans Fairness Act, qui limite les taux d’intérêt des prêts étudiants, mais n’abolit pas la nécessité d’y recourir. Les occasions de coopération entre les deux sénateurs sont nombreuses au cours des années suivantes, notamment autour du Medicare for All, c’est-à-dire une protection maladie universelle.

La stratégie de Warren est en réalité la même depuis des années : convaincre l’establishment démocrate d’accepter quelques concessions sociales en leur proposant de canaliser le dégagisme et les exigences socialistes portées par Sanders.

En 2016, lorsque Sanders décide d’affronter Hillary Clinton, couronnée d’avance par tout le parti démocrate, Warren demeure très silencieuse. Bien qu’elle encourage Sanders à continuer sa campagne, elle annonce son soutien à Clinton en juin 2016 alors que le retard de Sanders devient irrattrapable. Grâce à sa popularité, qui fait d’elle la figure majeure de l’aile gauche du parti, elle est pressentie pour devenir vice-présidente de Clinton et cherche à imposer des politiques progressistes dans le programme de cette dernière. Cette stratégie fut un échec total. Trop confiante en elle-même et soumise aux lobbies, l’ancienne première dame n’accepte aucune des idées de Warren et préfère aller draguer les électeurs républicains rebutés par Trump. Ainsi, elle choisit Tim Kaine, un sénateur au profil très conservateur, comme running mate. Depuis, les deux femmes sont resté en contact et Warren compte sur le soutien de l’ancienne candidate pour obtenir le soutien des superdélégués démocrates. Ces pontes démocrates, très décriés en 2016 car ils ne sont pas élus, pourraient encore jouer un rôle majeur dans la sélection du candidat du parti. En effet, il est probable que l’éparpillement des voix lors de la convention du parti n’aboutisse pas à la majorité requise, entraînant un second vote lors duquel les superdélégués ont toujours le droit de vote. La stratégie de Warren est en réalité la même depuis des années : convaincre l’establishment démocrate d’accepter quelques concessions sociales en leur proposant de canaliser le dégagisme et les exigences socialistes portées par Sanders.

“Warren a un plan pour ça”

Loin d’être une conspiration, la sympathie d’Elizabeth Warren à l’égard des tous les défenseurs de l’inertie néolibérale se traduit également dans sa campagne. Quoique les propositions phares de la candidate ressemblent à celles de Sanders, le diable se niche dans les détails. Son plan pour une assurance santé serait par exemple mis en place en deux temps, et les compagnies d’assurance privées ne seraient pas abolies immédiatement, mais “à terme”. Or, si elle n’utilise pas la fenêtre d’opportunité que représenterait son élection, elle perdra rapidement le soutien des électeurs et ne parviendra pas à vaincre l’industrie pharmaceutique et les assureurs, qui sont près à tout pour conserver leur profits. Quant au financement du Medicare for All selon Warren, il correspond à une taxe sur les classes moyennes que la candidate prétend éviter. De tels “compromis” aboutiront nécessairement à la démoralisation des Américains, qui renonceront à défendre leurs intérêts si la réforme phare qu’on leur avait promis offrent des résultats décevants.

Il en est de même en matière de financement de sa campagne: alors qu’elle met en avant le fait qu’elle n’accepte que les petits dons, tout comme Sanders, elle a pourtant utilisé les 10,4 millions de dollars offerts par des gros donateurs (notamment issus de la Silicon Valley) qu’il lui restait de sa campagne de réélection au Sénat en 2018. Et ne s’est pas privé d’évoquer qu’elle accepterait les dons de super PACs si elle gagnait la primaire… Aucun doute n’est donc permis : le financement, même partiel, de sa campagne par des groupes d’intérêts va obligatoirement la conduire à des positions plus molles. Alors que la trahison des espoirs de changement incarnés par Obama – qui débuta son mandat en sauvant le secteur bancaire – a contribué au succès de Trump en 2016, les Démocrates s’entêtent à défendre les vertus du compromis et de la gestion rigoureuse des comptes publics, dont les Républicains se fichent éperdument. Quoiqu’elle ose être plus radicale que la moyenne, Elizabeth Warren ne fait pas exception à la règle.

T-shirt “Warren has a plan for that”. Capture d’écran du site de la candidate.

L’ancienne professeure de droit (Warren a enseigné dans les universités les plus réputées, dont Harvard, ndlr) joue à fond sur son image d’universitaire capable de concevoir des projets de lois complexes traduisant ses engagements de campagne. A tel point qu’on trouve sur son site de campagne un t-shirt “Warren has a plan for that”, un refrain récurrent de ses militants devenu un mème internet. Ce positionnement technocratique de policy wonk dépolitise sa campagne en encourageant ses soutiens à se contenter de la faire élire puis à lui faire confiance, plutôt que d’engager de vrais rapports de force avec les banquiers, les milliardaires et les multinationales. 

Plus risqué encore, Elizabeth Warren joue à plein la carte de l’affrontement culturel contre Donald Trump, terrain où les Démocrates finissent toujours perdants. Plutôt que d’évoquer les difficultés que vivent les Américains, elle a cherché à démontrer à Trump, qui la surnomme “Pocahontas” qu’elle avait bien un peu de sang d’origine amérindienne, certificat à l’appui. Réponse du président : “who cares?” Accorder une quelconque importance aux propos provocateurs du locataire de la Maison Blanche revient à lui offrir la maîtrise des termes du débat. Il y a ainsi fort à parier que les torrents de racisme, de sexisme et de mensonges utilisés par Trump pour gagner il y a 3 ans auront le même effet en 2020 s’ils sont toujours au centre de l’élection. Mais cette focalisation sur les enjeux culturels et la défense, évidemment nécessaire et légitime, des droits des minorités est une stratégie pertinente pour convaincre les électeurs de la primaire démocrate. Ce corps électoral est avant tout composé de personnes éduquées, évoluant dans un monde cosmopolite et aux positions professionnelles plutôt confortables. Le magazine Jacobin les nomme ironiquement “Patagonia Democrats– en référence à la marque de vêtements dont les polaires à plusieurs centaines d’euros sont très populaires chez les cadres “cool” – et rappelle que les Démocrates ont gagné les 20 districts les plus riches du pays lors des midterms de 2018. Avant d’ajouter que Warren est donné gagnante auprès des personnes qui gagnent plus de 100.000 dollars par an par tous les sondages. 

En résumé, le positionnement modéré d’Elizabeth Warren, entre un Joe Biden qui mène une mauvaise campagne et un Bernie Sanders jugé trop radical par les démocrates classiques, lui offre une chance solide d’être la candidate de l’opposition. Mais sa volonté de compromis et sa mise en avant du clivage culturel ne lui donnent guère de chances contre Trump et limite sérieusement l’espoir d’un changement radical de la politique américaine.

Sanders appelle à la “révolution politique”

Après le succès inattendu de sa campagne de 2016, Bernie Sanders n’a pas voulu laisser retomber l’espoir qu’il a fait naître. Il a ainsi mis sur pied “Our Revolution, une structure qui vise à faire élire des personnalités aux idées proches des siennes et est venu apporter son soutien à toutes les luttes qu’il entend défendre. Signe que les luttes sociales sont de retour, le nombre de grèves aux USA est en effet à son plus haut depuis les années 1980. Qu’il s’agisse de salariés d’Amazon, d’enseignants, d’employés de fast-food ou d’autres professions, l’appui du sénateur du Vermont a galvanisé les grévistes qui se battent pour de meilleurs salaires et conditions de travail et sans doute joué un rôle dans les victoires importantes obtenues ces derniers mois. Durant ses meetings, le candidat encourage systématiquement ses supporters à soutenir les luttes sociales autour chez eux et son équipe envoie même des invitations à rejoindre les piquets de grève par email et SMS. En retour, les prolétaires de l’Amérique contemporaine lui témoignent de leur confiance par des petits dons : en tête de ses donateurs, on trouve les employés de Walmart (chaîne de supermarché, premier employeur du pays), de Starbucks, d’Amazon, Target (autre chaîne de supermarché) et du service postal.

Bernie Sanders et Alexandria Occasio-Cortez en meeting dans l’Iowa. © Matt A.J. via Flickr.

En parallèle de cette mobilisation sur le terrain, Sanders met aussi à profit sa présence au Sénat en proposant des projets de loi comme le Stop BEZOS Act (du nom du patron d’Amazon, homme le plus riche du monde), le Raise the Wage Act, le Medicare for All Act ou le College for All Act, forçant les élus démocrates à se positionner sur les enjeux socio-économiques. Car le leader socialiste ne se fait pas d’illusions: sa victoire ne serait que le début, et non l’achèvement, du démantèlement du néolibéralisme. Un de ses slogans de campagne, “Not me, us!”, traduit cet appel à un mouvement social de masse en parallèle de sa candidature.

Le leader socialiste ne se fait pas d’illusions: sa victoire ne serait que le début, et non la fin, du démantèlement du néolibéralisme. Un de ses slogans de campagne, “Not me, us!”, traduit cet appel à un mouvement social de masse en parallèle de sa candidature.

Les médias, bien sûr, préfèrent se concentrer sur le commentaire des sondages et ne ratent pas une occasion d’annoncer que sa campagne ne prend pas, alors que Sanders a environ autant d’intentions de vote que Warren et Biden. Beaucoup de journalistes l’attaquent sur son âge, 78 ans, notamment suite à une récente attaque cardiaque, mais il faut dire que celui de ses concurrents est relativement proche : Joe Biden a 76 ans, Donald Trump en a 73 et Elizabeth Warren 70. Un autre stéréotype mis en avant par les médias est celui du profil de ses soutiens, dénommés “Bernie bros”, qui seraient presque exclusivement des jeunes hommes blancs de gauche. Il est pourtant le candidat qui reçoit le plus de dons de la part des latinos, des militaires et des femmes et les sondages le place en tête des intentions de vote chez les afro-américains, à égalité avec Joe Biden. Quant à ses propositions, plus radicales dans tous les domaines que celles de Warren, elles sont bien sûr sous le feu des critiques.

Si d’aucuns reprochent au sénateur du Vermont son chiffrage parfois moins précis que celui de Warren, d’autres mettent en avant sa fine compréhension du jeu politique, affaire de rapport de forces : Sanders est conscient que pour avoir une quelconque chance d’appliquer son programme, il ne lui suffira pas d’être élu président, mais devra compter sur le soutien de millions d’Américains prêts à se mobiliser pour soutenir ses efforts.

Cela lui suffira-t-il pour gagner la primaire, puis l’élection contre Trump ? Même s’il est encore tôt pour en être certain, des signaux faibles permettent de l’envisager. Ses meetings ne désemplissent pas et donnent à voir des foules immenses, comme à New York le mois dernier et à Los Angeles plus récemment. Alexandria Occasio-Cortez, plus jeune élue du Congrès à 29 ans, enchaîne les meetings à ses côtés et va à la rencontre des électeurs dans les Etats clés, notamment l’Iowa, premier état à voter dans les primaires, et la Californie, qui fournit le plus grand nombre de délégués. Ce soutien de poids et l’image personnelle de Sanders, celle d’un homme ayant passé toute sa vie à défendre les causes qu’il porte aujourd’hui, l’aident à se différencier nettement de Warren. Le sénateur du Vermont se refuse en effet à attaquer de façon directe sa concurrente afin de ne pas froisser ses électeurs et de conserver de bonnes relations avec celle qui pourrait être son alliée s’il gagne la primaire. 

S’il obtient la nomination, le leader socialiste a de bonnes chances de défaire Donald Trump, ce que confirme presque tous les sondages. Contrairement à ses rivaux démocrates qui ont du mal à élargir leurs bases électorales, Bernie parvient en effet à séduire nombre d’abstentionnistes et d’électeurs républicains. En avril, lors d’un débat organisé par Fox News (il est le seul candidat de la primaire à s’être prêté à l’exercice), il a reçu le soutien de l’écrasante majorité du public malgré les attaques répétées des présentateurs de la chaîne conservatrice. Bien qu’il refuse de l’avouer en public, Donald Trump est conscient du fait que sa base électorale puisse lui échapper au profit du défenseur du socialisme démocratique: lors d’une réunion à huis clos, il aurait déclaré : “il y a des gens qui aiment Trump (sic), mais pas mal de monde aime bien les trucs gratuits aussi“, en référence aux propositions d’annulation des dettes étudiantes et de la gratuité d’accès à la santé. On comprend donc mieux pourquoi le président américain essaie de faire de Joe Biden son adversaire l’an prochain !