Election présidentielle : Quel candidat pour les droits des femmes ?

Le premier tour des élections présidentielles arrivant à grand pas, un point sur les propositions des principaux candidats dans le domaine du droit des femmes s’impose. Alors qui propose quoi ?

Ceux qui régressent :

Marine Le Pen – Candidate FN

La citation qui fait mal : « Je n’ai jamais changé de discours sur la question du voile. J’ai dit et je redis que le voile n’a pas sa place dans la sphère publique en France. »

Depuis quelques mois, Marine Lepen ne cesse de prôner un intérêt particulier pour les droits des femmes. Prendrait-elle les féministes à ce point pour des idiotes ? Zoom sur les propositions et les petites manies du FN :

Le FN a pour habitude de ne pas prendre trop au sérieux les violences contre les femmes, ou l’égalité femmes-hommes de façon générale : vote contre les lois sur le harcèlement sexuel, contre la loi proposant des mesures assurant la bonne santé sexuelle des adolescents et adultes, vote contre la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui, entre autre, incitait les pères à prendre des congés parentaux… Rappelons-nous ensuite du rejet du parti face au droit à l’avortement ; Marion Maréchal Le Pen qui souhaite couper les subventions des plannings familiaux, sa tante qui insiste sur un déremboursement des frais d’IVG, etc. Ainsi, les femmes ayant les moyens pourraient avorter mais les plus précaires seraient condamnées à subir une grossesse qu’elles ne souhaitent pas. La candidate et sa nièce parlent « d’avortement de confort » ; expression abjecte laissant entendre que les femmes seraient des irresponsables qui prennent l’avortement pour une simple contraception. Aymeric Chauperade, ayant quitté le FN depuis, est même allé jusqu’à parler de l’avortement comme d’une « arme de destruction massive contre la démographie européenne ».

Dernièrement, Marine Le Pen tentait de modérer ses propos sur le sujet, mais nous n’avons pas la mémoire courte. En 2015, le FN votait contre le projet de modernisation du système de santé, qui consistait à renforcer le droit à l’avortement et supprimer le délai de réflexion de sept jours précédant l’IVG.

Qu’en est-il du programme du FN pour 2017 ?
La « grande proposition » de ce programme concernant le sujet, est celle du salaire maternel. Il s’agirait là d’un revenu que l’on accorderait aux femmes qui restent au foyer pour s’occuper de leurs enfants. Ainsi, le message est clair : dans un pays qui connaît un fort taux de chômage, un retour des femmes dans leurs maisons libérerait de l’emploi. Après tout, leur place n’est-elle pas auprès de leurs enfants, à s’occuper des tâches ménagères et de la cuisine ?

Le programme du Front National s’oppose aussi fortement à la parité, considérée comme une forme de « discrimination inversée ». Le parti et sa candidate assènent régulièrement que la principale menace pour les droits des femmes est la présence de musulmans radicaux en France. Ainsi, on peut facilement deviner que derrière un soudain intérêt pour l’égalité femmes-hommes, en incohérence totale avec les propositions du programme et les habitudes du parti, se cache en réalité une volonté de réprimer le port du voile et, de manière plus générale – ce qui se rapporte à la religion musulmane.

Pour finir, remarquons que beaucoup de sujets ne sont ni abordés ni développés ; c’est le cas, pour ne citer qu’eux, du harcèlement sexuel, des violences conjugales, des possibilités d’hébergements pour les femmes qui en sont victimes, de l’éducation des enfants à l’égalité des genres… Mais qui cela étonne-t-il vraiment ?

François Fillon – candidat Les Républicains

La citation qui fait mal : « […] la France n’est pas un pays à prendre comme une femme ».

Les droits des femmes englobent bon nombre de sujets, mais l’un des premiers qui vient à l’esprit est le droit à disposer de son corps. Quand François Fillon s’exprime sur l’avortement, il est bien difficile d’en dégager une position claire et affirmée. D’abord, il avait dit être « choqué » du terme « droit fondamental » en parlant du droit à l’avortement, puis avait déclaré qu’il ne reviendrait pas dessus, en ajoutant cependant que sa foi et ses convictions personnelles le poussaient à désapprouver un tel droit. Il affirme ne pas vouloir remettre en question le droit avortement mais – à titre personnel – en condamne le recours. Une position ambiguë.
Comme si ça ne suffisait pas, Madeleine de Jessey, secrétaire nationale de LR, et membre de son équipe de campagne, exprime un soutien clair à la Marche Pour la Vie (manifestation qui porte mal son nom quand on connaît le nombre de décès qui suivent un avortement illégal)…

Tweet de François Fillon après les diverses agressions sexuelles de Cologne

Marine Le Pen n’est pas la seule a instrumentaliser les droits des femmes pour mieux attaquer les musulmans. En effet, l’été dernier, Fillon s’était placé en fervent défenseur des droits des femmes pour pouvoir prôner l’interdiction du burkini, vêtement qui a plus été aperçu dans les journaux que sur les plages.
Depuis quand la libération des femmes se fait elle par l’interdiction ? Que l’on puisse considérer que le voile est un outil d’asservissement des femmes est compréhensible – et que l’on lutte pour empêcher l’obligation de le porter dans les pays où elles n’ont pas leur mot à dire est juste – mais nous n’avons encore jamais vu François Fillon lutter contre le port de la minijupe, l’épilation, ou le maquillage, qui sont pourtant aussi des formes de contrôle du corps et d’asservissement des femmes.

Le programme de Fillon pour 2017 comporte la mention d’un « renforcement des dispositifs de signalement du harcèlement sexuel dans les entreprises », qui n’est cependant détaillé nulle part. Si le candidat de Les Républicains semble accorder un minimum d’importances aux violences contre les femmes, il reste difficile de croire en un homme qui promettait, lorsqu’il était encore premier ministre, plus de structures d’accueils pour les femmes victimes de violences… lesquelles n’ont jamais vu le jour.

Celui qui parle pour ne rien dire :

Emmanuel Macron – candidat En Marche

La citation qui fait mal : « Il y a dans cette société [en parlant des abattoirs Gad] une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »

Macron reste particulièrement énigmatique dans l’ensemble de son programme. Mais entre les fillonistes dégoûtés du Penelope-Gate, et les sympathisants de Valls – qui ne voteront pas Hamon – il est déjà bien placé dans la course. Alors pourquoi parler de programme quand on peut si bien profiter d’un concours de circonstances ?
Cela dit, depuis le début de sa campagne le candidat ne cesse de parler de féminisme, d’égalité, et surtout de parité : il énonce par exemple l’importance d’un gouvernement qui respecterait la parité et songe même à donner la place de Premier Ministre à une femme. Néanmoins, on remarquera que les femmes ne se bousculent pas autour de Macron… à part Brigitte Trogneux – son épouse – il n’est entouré presque uniquement que par des hommes. Tout cela ressemble surtout à un « coup de com’ ». Par ailleurs, l’idée de parité existe déjà depuis 1999. Macron voudrait-il donc qu’on l’applaudisse parce qu’il propose de respecter la loi ? Enfin, il ne présente aucune analyse des raisons pour lesquelles la parité puisse être difficile à respecter (éducation des enfants, difficulté pour les femmes d’accéder à des études ou métiers considérés comme techniques, mauvaise répartition des tâches ménagères au sein du couple – qui laisse plus de temps libres aux hommes qu’aux femmes…).

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, il a dit dans son discours : « je crois en l’altérité », cherchant ainsi à glorifier les femmes pour leurs différences, selon l’idée qui veut qu’hommes et femmes soient des êtres qui se complètent. Macron devait être trop occupé à crier au monde son amour pour le féminisme pour effectuer quelques recherches sur la question et s’apercevoir que la différenciation est le premier pas vers la discrimination (qui n’a jamais entendu que, les femmes et les hommes étant différents, il était normal qu’ils aient des droits différents ?). Alors, à son histoire d’altérité et de complétude, répondons lui que les femmes ne veulent compléter personne. Nous ne sommes pas là pour mettre en avant les hommes et rester dans l’ombre !
Gardons aussi en mémoire que la loi Macron, promulguée en août 2015, s’attaque – entre autre – au travail du dimanche, faisant ainsi des femmes (qui occupent majoritairement les emplois concernés) les premières victimes de sa politique. Ainsi, quand Macron nous parle de parité à tort et à travers et s’autoproclame féministe, on a le droit d’être un peu sceptique. 

Ceux qui veulent avancer :

Benoît Hamon – candidat PS

La citation qui fait du bien : « Si une femme décide de porter le voile librement, et bien au nom de la Loi 1905, elle est libre de le faire ».

Avant tout, notons que le bilan du PS en matière de droit des femmes est assez maigre.
Malgré quelques tentatives d’amélioration (les victimes de violences conjugales peuvent conserver le logement même s’il n’est pas à leur nom, l’allongement de l’ordonnance de protection…), le parti a plutôt laissé à l’abandon ce domaine. On peut légitimement se demander comment faire confiance à un homme politique qui porte l’étiquette d’un parti qui a montré peu d’intérêt pour les droits des femmes.

Cependant, Hamon réussi à se démarquer – aussi bien par son attitude que par son programme. On se retrouve enfin face à un candidat qui ne surfe pas sur le féminisme pour légitimer des idéologies anti-musulmanes. L’intérêt de Benoit Hamon pour les droits des femmes s’est noté, par exemple, lorsqu’il s’est prononcé en faveur de la libération de Jacqueline Sauvage.

Son programme, clair et cohérent, prend très au sérieux les violences contre les femmes. En effet, il suggère la création de 4 500 places d’hébergements spécialisés pour les victimes de violences, souhaite que les poursuites soient systématiques, les jugements plus rapides, et veut augmenter le délai de prescription du viol. Pour ce faire, il compte « doubler le budget du ministère des Droits des femmes », annonce-t-il sur Twitter.
Face aux difficultés d’accès à la contraception, Hamon veut multiplier les plannings familiaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le programme semble vouloir répondre aux revendications féministes. En revanche, notons que Benoît Hamon, le 27 juin dernier, était absent lors du vote concernant l’amendement permettant de rendre inéligibles les députés accusés de violences contre les femmes. Il a expliqué cette absence en disant qu’il n’était pas au courant et en accusant les associations féministes de ne pas l’avoir prévenu… N’était-il pas censé se tenir au courant lui-même ?

Enfin, bien qu’il y’ait une volonté de redonner de l’importance aux questions qui concernent les femmes, certaines propositions économiques pourraient – même si ce n’est pas le but recherché – s’attaquer aux femmes. Loin du salaire maternel que propose le FN, le revenu universel pourrait tout de même précariser les femmes et les maintenir dans un rôle de mère au foyer.

Jean-Luc Mélenchon – candidat France Insoumise

La citation qui fait du bien : « il faut que chacun sache qu’il y’a des héros – ça on connaît – mais aussi des héroïnes, auxquelles on peut s’identifier. Vous les garçons, vous pouvez tous vous identifier mais mettez vous dans la tête d’une fille. Elle s’identifie à qui ? Blanche-neige ? »

Les positions de Jean-luc Mélenchon sur le féminisme ne manquent pas de précision ! Lors de son dernier meeting à Rennes, le candidat de la France Insoumise parlait de la représentation des femmes dans la littérature et du manque de personnages féminins. En tant que député européen, il a voté pour un grand nombre de propositions visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes (dont, entre autre, le plan d’action sur l’émancipation des jeunes filles par l’éducation dans l’Union Européenne, la résolution sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes)… Son engagement féministe ne date visiblement pas d’hier, mais qu’en dit le programme de la France Insoumise ?

Avant toute chose, Mélenchon insiste sur la nécessité, face aux régulières remises en question du droit à l’avortement, de l’inscrire dans la Constitution. En réalité, c’est même un peu plus que ça. Il s’agit de constitutionnaliser le droit de disposer de son corps, ainsi que sa non-marchandisation. De cette façon, il réaffirme en plus l’interdiction de la GPA. Aussi, en réponse aux problèmes d’inégalités salariales, il propose d’augmenter les sanctions pour les entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale. Mais Mélenchon ne s’arrête pas là. Il aborde aussi des thèmes nouveaux – en tout cas, en comparaison avec les autres programmes – comme sa volonté de diffuser de manière égale à la télévision les sports féminins et masculins, ou de réaffirmer les droits des femmes qui accouchent sous X à garder le secret de leur identité (ce qui est fréquemment remis en question). Enfin, le candidat souligne l’importance d’un changement d’état civil libre et gratuit. En effet, ce droit est revendiqué principalement par les femmes transgenres, trop souvent oubliées dans les luttes féministes.

Cependant on peut lui reprocher certains propos, comme lorsqu’il affirmait à la télévision qu’il savait lire dans les cerveaux des hommes alors que ceux des femmes sont inaccessibles. Cette idée perpétue l’éternel cliché de la femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, qui a une attitude en incohérence avec ses propos. Un cliché très dangereux puisqu’il laisse entendre que les femmes ont besoin que d’autres prennent les décisions pour elles, ou que leur comportement déclenche des choses qu’elles ne veulent pas.

Il est indéniable que Mélenchon cherche à réserver une place importante aux droits des femmes, et son programme novateur le démontre.

Seuls deux candidats parmi les cinq principaux ont tenté d’accorder de la valeur au féminisme. Si le programme de Hamon et de Mélenchon semblent présenter de grandes similitudes dans ce domaine précis, on peut noter que celui de La France Insoumise ne se contente pas de mesures immédiates mais s’intéresse également à la façon dont les mentalités pourraient évoluer – notamment d’un point de vue social et culturel.

Crédits photo :

François Fillon: alnas.fr

La VIème République est-elle possible ? Entretien avec Charlotte Girard

Charlotte Girard à l’émission Esprit de campagne. Crédits photo : Stéphane Burlot.

Charlotte Girard est Maîtresse de Conférences de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre – La Défense et coordinatrice du programme de La France Insoumise. Dans cet entretien, elle revient sur les raisons du passage à une Sixième République et sur les modalités concrètes du processus constituant.

L’une des mesures phares du programme de La France Insoumise porté par Jean-Luc Mélenchon est la proposition de passage à une VIème République. On sait que la Vème République a été largement révisée, notamment par l’alignement du mandat présidentiel et du mandat législatif, de sorte que nous sommes déjà passés à une autre forme institutionnelle. Pourquoi passer à une VIème République, plutôt que retourner à une Vème République référendaire qui semble convenir à la posture gaullienne de Jean-Luc Mélenchon ?

Votre postulat n’est pas bon. La Vème République a en effet été révisée 24 fois avec notamment la révision de 2000 qui a consisté à synchroniser les échéances présidentielles et législatives. Cependant, cela ne change pas le régime, mais en accentue la pente. C’est toujours la fonction présidentielle qui recueille prioritairement la légitimité. L’Assemblée Nationale en récupère ensuite une part pour le service du pouvoir exécutif. La majorité parlementaire est au service du projet présidentiel. Il n’y a pas eu de rupture, ni de volte-face depuis 1958.

Pourquoi est-ce qu’il en est ainsi ? C’est beaucoup dû au fait que le texte constitutionnel a été produit et fabriqué de façon très contrôlée par l’exécutif. En conséquence, ce texte a donné l’avantage au pouvoir exécutif. Cela a été renforcé en plusieurs occasions historiques : en 1962, lors de la mise en place de l’élection du Président au suffrage universel direct ; en 2000, avec la réforme du quinquennat. Ceci sans parler de la cohabitation qui n’a fait qu’accroître le principe d’irresponsabilité du Président qui reste en place malgré le désaveu populaire. Nous sommes face à une situation de déséquilibre des pouvoirs qui se traduit par une absence de responsabilité en contrepartie de grands pouvoirs acquis au Président. Cette pente est acquise, elle n’est pas réversible.

“Toute la première phase de la révolution citoyenne à laquelle nous appelons se fera en Vème République, c’est-à-dire avec un exécutif fort […] nous nous en servirons pour renverser l’ordre qui nous est imposé depuis toutes ces années”

A partir de ce constat, nous n’avions pas d’autre choix que d’envisager une réécriture totale de la constitution. La procédure de révision simple n’est pas suffisante, il faut investir le peuple comme véritable souverain dans le processus constituant. Ça n’a pas été le cas en 1958, mais cela doit être cette fois-ci. Le moule dans lequel est fabriqué la constitution détermine le résultat du processus constituant.

Mais la verticalité de la Vème République n’était-elle pas utile pour la mise en place de mesures d’urgence ?

Nous n’échapperons pas à la verticalité imposée par la Vème République elle-même. C’est déjà vrai dans cette campagne en dépit de tous nos efforts pour l’ouvrir à la participation de la population. Toute la première phase de la révolution citoyenne à laquelle nous appelons se fera en Vème République, c’est-à-dire avec un exécutif fort. Bien que nous fassions le constat que ce régime est peu démocratique, nous nous en servirons pour renverser l’ordre qui nous est imposé depuis toutes ces années tant sur le plan social, économique qu’écologique. Cet ordre par ailleurs ne permettait plus la participation du grand nombre à l’activité politique. Nous ferons donc des faiblesses de la Vème des points fort pour l’avenir en commun.

Après, lorsque nous serons passés à une VIème République, nous espérons que le nouveau compromis aura repensé l’exercice du pouvoir dans un sens plus horizontal ; que les rapports entre le législatif et l’exécutif seront vraiment rééquilibrés. En ce qui me concerne et bien que rien ne soit arrêté à ce sujet, je suis pour la disparition de l’institution présidentielle au profit d’un exécutif collégial.

On soulève souvent le risque de faire face à une nouvelle IVème République instable. Néanmoins, il est assez simple de ne pas se retrouver avec les mêmes travers institutionnels, en mettant par exemple en place une motion de censure constructive, qui implique une majorité de remplacement. On peut penser à d’autres garde-fous. C’est une affaire de réglages et de volonté politique.

Pour passer à une VIème République, vous proposez d’en passer par un processus constituant. Dans quelle temporalité celui-ci aurait-il lieu ?

Voilà ce que nous disons : le peuple au départ, à l’arrivée et pendant le processus. C’est pourquoi nous poserons la question suivante en septembre : Est-ce que nous faisons oui ou non une assemblée constituante ? – dont les caractéristiques seront inscrites en annexe de la question. Cette question sera posée dans le cadre de l’article 11 de la constitution qui permet au Président de demander au peuple l’approbation d’un projet de loi. Le résultat du référendum de septembre – s’il est positif – ouvrira donc la possibilité de convoquer l’assemblée constituante, car la « loi portant convocation d’une assemblée constituante » aura été ainsi adoptée.

A partir de ce moment, le processus de désignation des membres de cette assemblée est ouvert. La désignation aura lieu à l’issue d’une campagne qui se terminera en décembre. Une part des membres sera élue, l’autre sera tirée au sort. La part tirée au sort sera déterminée en fonction du nombre d’électeurs qui feront le choix du tirage au sort. Par exemple, si 30% des électeurs utilisent le bulletin « tirage au sort », alors 30% de la composition de l’assemblée sera déterminée par tirage au sort. Cela permet de ne pas fixer arbitrairement la quotité de tirés au sort, et d’éviter que le résultat du travail de la constituante soit considéré comme illégitime. Les électeurs seront donc constamment face à leurs responsabilités, y compris au moment de composer l’assemblée constituante.

L’entrée en fonction de l’assemblée constituante aura lieu en janvier 2018 et sera validée uniquement pour 2 ans. C’est une assurance que ce mandat soit effectif. C’est aussi une manière de ne pas dissuader les tirés au sort d’y participer car un mandat sans fin serait impossible à accepter. Enfin, un projet est présenté au référendum de clôture du processus constituant. Intervenant à chaque étape du processus, le peuple redevient souverain.

N’y a-t-il pas un risque de conflit de légitimité entre les deux assemblées ?

Non, ce risque n’existe pas car leurs compétences sont strictement délimitées et différenciées. L’Assemblée Nationale produit et vote la loi, alors que la Constituante fera uniquement un travail de rédaction de la nouvelle constitution. Bien évidemment, nous supposons que la majorité à l’Assemblée Nationale sera plutôt une majorité insoumise, ce qui permettrait que l’Assemblée Nationale soit « complice » du processus constituant et favorise l’implication populaire dont le processus constituant a besoin. L’implication populaire est conditionnée au fait de revenir sur l’ensemble des lois antisociales afin de permettre aux citoyens d’avoir du temps pour s’investir dans le processus. Il faudra abroger la loi El Khomri et revenir sur le travail du dimanche entre autres.

“Voilà ce que nous disons : le peuple au départ, à l’arrivée et pendant le processus. […] Intervenant à chaque étape du processus, le peuple redevient souverain.”

Il en va de même pour les lois sécuritaires. Nous avons vu fleurir une vingtaine de lois sécuritaires depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, et celles-ci ont tricoté un carcan orienté vers la répression du mouvement social sous couvert d’antiterrorisme. L’Assemblée nationale permettra de s’en défaire.

Comment est-ce que ce processus constituant s’articulerait avec la sortie des traités européens ? D’une certaine façon, le résultat des négociations européennes, et la façon dont le rapport de force s’établirait avec l’Allemagne, auront un impact sur ce processus constituant. Dès lors, n’est-ce pas risqué de mener en même temps ces deux processus, sachant que le programme de La France Insoumise risque d’être en rupture avec l’ordre légal européen ?

L’objectif de la stratégie du plan A/plan B est de faire en sorte que le programme l’Avenir en commun choisi par le peuple français puisse être mis en oeuvre à l’intérieur du cadre européen. Il est néanmoins évident aujourd’hui que celui-ci ne sera pas compatible avec l’UE dans un premier temps, et que nous devrons désobéir aux traités d’entrée de jeu, ce qui est de toute façon déjà le cas chez nous comme chez beaucoup de nos voisins – y compris l’Allemagne. Toutes les négociations iront dans le sens qui vise à faire que notre programme puisse se dérouler dans le respect des traités, sans changer le programme mais les traités.

Le processus constituant est un élément du programme qui nécessite comme ces négociations européennes une dynamique importante héritée de l’élection. Il ne pourra pas attendre. Le droit communautaire ne doit pas empêcher ce type de choix politiques fondamentaux. Et à ce titre, l’investissement populaire sera la clé de la réussite de ces deux processus.

Ceci dit, si les négociations du plan A échouent, il n’y a pas de raison de penser que cela aura un quelconque impact sur le processus constituant. Ce dernier est l’acte souverain par excellence, il ne peut donc absolument pas se laisser perturber par l’ordre juridique communautaire.

En réalité, en cas d’accession aux responsabilités d’un pouvoir insoumis, ce sont les référendums sur le processus constituant qui seront les plus risqués, et non ceux qui se tiendront sur l’Union Européenne.

Vous voulez rendre le processus constituant le plus ouvert possible, afin de redonner une légitimité démocratique à notre constitution. Comment est-ce qu’on pourrait y participer ? N’y-a-t-il pas un risque que ce processus soit capturé par des minorités actives de toute sorte qui seront surreprésentées dans l’élaboration de la constitution ? C’est un reproche qui est souvent adressé à la démocratie directe et à la démocratie participative.

Nous n’avons pas peur de ce risque, car si le processus se déroule selon le principe de la plus grande implication du peuple, alors ce que vous appelez les « minorités actives » seront contrebalancées par toutes sortes d’opinions divergentes. Nous misons beaucoup sur le 2.0 et la capacité à suivre en direct l’évolution des débats. Cela doit engendrer une dynamique d’implication très importante. Tout le monde est en mesure d’avoir un avis sur la question, ce qui fait que les risques de manipulation diminuent.

Ainsi, nous ferons en sorte qu’il n’y ait pas de déséquilibres. Un moyen peut alors être de communiquer fidèlement les « doléances » et d’obliger l’assemblée constituante à auditionner les groupes de citoyens qui les présentent. Nous sommes attentifs à ce qui s’est récemment produit dans l’organisation des débats publics, et notamment dans l’enseignement, où nous avons vu fleurir des modalités très horizontales. Il faudra aussi organiser de nombreuses conférences, des forums citoyens divers et variés, et promouvoir l’investissement le plus large possible.

Dans cette proposition de VIème République, vous envisagez de donner beaucoup plus de place aux citoyens dans le contrôle de leurs représentants et dans leurs formes de participation à la vie politique. Le modèle Suisse est-il une référence en la matière ? Comment est-ce que vous comptez produire ces nouveaux citoyens conscientisés et politisés ?

Non, le modèle Suisse n’en est pas vraiment un pour nous. Je parlerais plutôt de modèle français, qui s’inscrit dans la tradition révolutionnaire française. Ce qui s’est passé en Amérique Latine, notamment en Equateur, en Bolivie et au Venezuela, ou encore en Tunisie plus récemment, constitue aussi une source d’inspiration. Des processus constituants très importants ont eu lieu, avec un fort investissement populaire.

Pour cela, il faudra impliquer l’Éducation Nationale dans la mise en place de processus d’instruction civique profonde – qui ne pourront pas se limiter à une heure par-ci par-là. De même, il faudra opérer cette révolution dans les médias en interdisant les concentrations et en incitant à la réorientation de leurs missions pour qu’ils deviennent de véritables sources d’information.

Pour stimuler la participation, nous pensons utile de rendre le vote obligatoire à partir de 16 ans, tout en reconnaissant le vote blanc et en le comptabilisant, c’est-à-dire en lui faisant produire des effets. Il faudrait avoir atteint un seuil de votes favorable pour être élu. Ceci n’est possible que si vous comptabilisez les votes blancs et nuls parmi les suffrages exprimés. Enfin, si on se met à réfléchir aux moyens de rendre les élus responsables de leurs actes politiques alors nous sommes sûrs que nos concitoyens seront enfin intéressés par la chose politique. Notre projet de VIème République est un projet de révolution citoyenne.

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL.

2ème débat : Où est passée l’Ecologie ?

Capture d’écran

Le chômage, la sécurité, le rapport aux autres. Et l’Ecologie alors ? Les 3 heures de débat ont été l’occasion de mettre sur la table ce qui préoccupe (vraiment) les français. Comprenons : Les chômeurs, les terroristes, les musulmans. Ce sont vos priorités, nos priorités. Puisqu’on vous le dit ! Mais le format, certes complexe à gérer, aurait pu voir émerger une question importante : celle de la crise écologique et de ses solutions. Échec.

Les chômeurs, les terroristes, les musulmans 

            En bref, et comme on s’y attendait, le débat a été polarisé autour de ces 3 catégories. L’occasion une fois de plus de jeter de l’huile sur le feu pour certains, voire de chercher le buzz. Dans les faits, de permettre à l’élite économique, politique et médiatique en place d’employer les vieilles recettes de la division. Quand on a des choses à se reprocher et des intérêts à défendre, le meilleur moyen de détourner l’attention étant de jeter la pierre sur quelqu’un d’autre. Le bon vieux théorème attribué à C. Pasqua : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

            L’occasion pour Marine Le Pen de qualifier la France d’ « université des djihadistes », pour Fillon de réaffirmer son ambition de “vaincre le totalitarisme islamique”, pour Macron de trouver un entre-deux habituel sur tous les sujets, fustigeant la guerre économique à laquelle mènerait le protectionnisme tout en louant une Union Européenne plus « juste » où l’harmonisation fiscale est pourtant impossible. Certains candidats ont bien tenté d’imposer une visée alternative aux priorités fixées par les deux journalistes animatrices du débat. Sortez des sentiers battus et vous vous ferez vite rappeler à l’ordre par Ruth Elkrief. Il ne faudrait quand même pas nommer les candidats en cause quand on parle de moralisation de la vie publique. Et les éditorialistes de BFMTV de s’insurger au matin : « Je trouve que c’est un candidat (Philippe Poutou) qui, par moment, n’a pas le respect qu’il faut pour être candidat à la présidentielle. » (Bruno Jeudy, journaliste à BFMTV).

Vrais ou faux écolos ?

Une majorité de candidats ont intégré des thématiques environnementales dans leur programme. Mais davantage dans un opportunisme marketing que par conscience assumée. Et cela s’est confirmé sur le plateau. Alors que le sujet « Comment protéger les français ? » offrait l’opportunité d’aborder la pollution, le nucléaire, les pesticides, (etc.), une bonne partie d’entre eux est restée focalisée sur le terrorisme. Oubli ou omission révélatrice ?

            Difficile sans pour autant impossible, avec ce format imposé, d’avancer des considérations écologistes. Le mérite revient donc d’autant plus à ceux qui ont essayé de porter haut le cœur de leur programme. Jean-Luc Mélenchon a exprimé la place centrale de l’Ecologie dans L’Avenir en Commun en insistant sur l’opportunité et la nécessité de mettre en œuvre une grande transition écologique pourvoyeuse d’emplois et garantie de paix. Philippe Poutou, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se sont distingués dans cet intérêt commun. Les transports gratuits pour Philippe Poutou, le passage au « mode de production et de consommation écologiste » pour le candidat de la France Insoumise. Chacun disposait de 17 minutes pour exprimer les fondamentaux de son programme, et il est clair que pour d’autres, l’Ecologie est visiblement loin d’être une priorité. Au mieux, une variable d’ajustement.

L’ Ecologie, un truc de bobo ?

74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle[1]. Chez les 18-35 ans,  98% des 55 000 interrogés répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains.[2] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés.

Ainsi, il s’agit de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Les catastrophes en cours et à venir rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Notre système de santé, notre système agricole et notre économie sont en jeu. On estime par exemple à 48 000, le nombre de décès liés à la pollution atmosphérique en France.[3] A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale à laquelle on appartient ou le pays dans lequel on vit. Les pauvres sont et seront bien plus touchés par les catastrophes, la pollution, l’alimentation industrielle, les pesticides, les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles… Et la liste est longue.

Embrasser l’écologie c’est donc envisager les luttes sociales sous un nouveau jour. Au contraire, ne pas parler d’écologie revient à ignorer ces conséquences irréversibles de long-terme qui affecteront principalement les plus démunis. Ne pas parler d’Ecologie sert à préserver les intérêts de ceux qui ont tout à gagner à ce que le système ne change pas. C’est taire le besoin impératif de renverser la table. Ou bien penser que la solution réside dans l’accablement de plus pauvre que soit. Voilà de quoi nous aider à choisir un candidat.


[1] Sondage YouGov, septembre 2016.

[2] Enquête de GénérationCobayes, décembre 2016.

[3] Agence Santé Publique France, 2016.

En savoir plus :

Christophe Ventura : “Si le populisme de gauche n’assume pas de briser le mur européen, il raconte des histoires aux enfants”

Dans le cadre de la sortie de l’édition française du livre Construire un peuple (en librairie le 7 avril), dialogue entre Chantal Mouffe (philosophe théoricienne du populisme de gauche) et Íñigo Errejón (co-fondateur et stratège de Podemos), nous nous sommes entretenus avec Christophe Ventura, qui a mené la publication de cette édition. Christophe Ventura est animateur de l’association Mémoire des Luttes et l’un des fondateurs du groupe de réflexion politique et intellectuel Chapitre 2. Qu’est ce que le populisme de gauche ? Quelle est sa stratégie ? Quelles sont les différences entre Bernie Sanders, Jeremy Corbyn, Jean-Luc Mélenchon et Podemos ? Comment comptent-ils contrer l’hégémonie du populisme de droite ? Emmanuel Macron est-il populiste ? Ces mouvements ont-ils un tabou sur la question européenne ? Doivent-ils prôner la sortie de l’UE ? Nous lui avons posé toutes ces questions.

 

LVSL : Vous vous intéressez de près à la question du populisme en Europe. Et plus particulièrement au « populisme de gauche », théorisé par Chantal Mouffe. Pourquoi ce concept vous semble-t-il pertinent aujourd’hui ?

https://melenchon.fr/2016/11/02/debat-sur-le-populisme/
Chantal Mouffe, juste à gauche de Jean-Luc Mélenchon, et Christophe Ventura, celui qui attire leur regard avec son téléphone portable, lors de la marche pour la VIe République du 18 mars 2017 © mélenchon.fr

Christophe Ventura : Je pense qu’il faut s’intéresser à ce terme de « populisme de gauche » car, d’une manière générale, la notion de populisme est utile pour comprendre ce qui se joue, dans une séquence historique donnée, au sein d’une société. Le populisme est avant toute chose un « moment » dans la vie d’une démocratie devenue totalement oligarchique, et qui entre en crise. Ainsi, ce « moment » annonce l’arrivée ou l’éclatement d’une crise de régime. Sur ce point, je converge beaucoup avec Chantal Mouffe. Nous sommes dans un « moment » populiste. A quoi correspond-il ? Pour résumer : à l’activation d’un vaste mouvement d’opinion et de mobilisation destituant dans la société, à une désaffiliation de la population avec ses organisations et institutions de représentation habituelles. Il s’agit d’une dynamique qui, plus que de se situer dans le cadre des références politiques du moment antérieur, cherche à destituer les pouvoirs en place, leurs représentants et leurs symboles : classes politiques et institutions notamment.

Ce phénomène nous oblige à concevoir l’action politique, mais aussi intellectuelle et sociale, différemment, à rechercher des stratégies distinctes par rapport à nos habitudes d’organisation. Car, en effet, ce type de dynamique contestataire n’appartient ni au camp de la gauche, ni à celui de la droite a priori. Elle devient en revanche l’objet d’une bataille hégémonique entre ces deux familles pour l’orienter vers la gauche – et à ce moment contribuer à re-signifier cette gauche auprès d’une masse de gens pour qui elle ne veut plus rien dire parce que, pour eux, elle est associée aux mêmes politiques économiques et sociales que la droite – ou vers la droite – et à ce moment-là renforcer le sentiment de rejet de l’autre dans la société, et protéger dans le même temps les intérêts des puissants. Un exemple pour illustrer : le Brésil. En 2013-2014, c’est exactement ce type de phénomène qui a fini par éclater – avec une captation par la droite de la rue – contre le gouvernement de centre gauche de Dilma Rousseff tandis que se préparaient les festivités onéreuses de la Coupe du monde de football (2014) et que l’onde de choc de la crise économique et financière mondiale commençait à se faire sentir dans le pays (chômage, montée de la précarité, des inégalités). Je me souviens d’une analyse du journaliste uruguayen Raúl Zibechi dans laquelle il décrit avec minutie comment, « pour la première fois depuis cinquante ans, l’hégémonie dans les rues brésiliennes appartient aujourd’hui à la droite » [1].

Là-bas, la gauche a perdu la bataille. Empêtrée dans la gestion du pouvoir, confrontée à la crise économique, affectée par des scandales de corruption, significativement bureaucratisée et ayant perdu son lien avec les mouvements sociaux, elle a pensé qu’il suffirait de faire valoir son bilan – pourtant le meilleur pour le pays depuis des décennies – et de proclamer ses valeurs pour gagner un sujet alors en construction dans la rue qui se mobilisait initialement contre la cherté de la vie, l’augmentation du prix des transports, les gâchis financiers et la corruption en période de restriction économique. C’était une erreur.

 

“Emmanuel Macron n’est jamais autre chose que le candidat du libéralisme économique en France.”

 

L’emploi du terme « populisme » peut faire sursauter à gauche. En effet, beaucoup y voient un concept vide, voire méprisant vis-à-vis du peuple, utilisé par les élites pour discréditer les candidats de gauche radicale qui s’adressent aux catégories populaires. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon refusait cette étiquette en 2012, car pour lui c’était alors une façon de l’assimiler au FN. Ça ne semble plus être le cas aujourd’hui : il se montre plus ouvert à cette appellation, même s’il ne l’endosse pas directement. Pourquoi, selon vous, ce terme à autant de mal à être assumé à gauche ?

Il y a trois raisons à cela.

Premièrement, si certains à gauche refusent d’employer le terme, c’est parce que ce mot est plastique, élastique, qu’on peut tout mettre dedans. De fait, comme vous le dites, il est repris par le système pour disqualifier tous ceux qui le contestent… et ce système le fait en utilisant lui-même une stratégie populiste, comme l’explique par exemple Emmanuel Macron lorsqu’il affirme « Si être populiste, c’est parler au peuple de manière compréhensible sans passer par le truchement des appareils, je veux bien être populiste » [2] (Journal du dimanche, 19 mars 2017).

Donc, cela pose un problème à gauche. En gros, si toi-même tu utilises le mot que les médias utilisent pour te disqualifier, tu passes tes journées à expliquer que tu as une autre acception du mot mais tu es incompréhensible pour le commun des mortels. Ça c’est une première critique. Par exemple, celle de Jean-Luc Mélenchon.

Exemple célèbre de caricature médiatique du populisme avec ce dessin de Plantu.

La seconde critique consiste à dire que le populisme, même de gauche, est toujours, in fine, un autoritarisme parce qu’il se construit contre les institutions, les corps intermédiaires, et reconnait le rôle d’individus leaders et de stratégies discursives (c’est-à-dire le fait de construire un type de discours qui va articuler des demandes au départ hétérogènes dans la société, puis identifier un adversaire, pour ensuite engendrer la formulation d’une nouvelle frontière politique dans cette dernière entre un « nous » et un « eux » [3]) comme médiations pour la (re)construction du politique. En effet, dans sa dimension théorique, le populisme, selon les travaux de Chantal Mouffe ou d’Ernesto Laclau, postule que les stratégies discursives et le rôle des individus –  ou d’une lutte singulière – coagulent et orientent le sens de la dynamique populiste vers le progrès ou la réaction, vers la construction d’un peuple de gauche ou de droite au sein de la population.

Il faudrait ajouter une troisième critique venue de la gauche. Celle consistant à souligner que le peuple, en tant que catégorie, n’existe pas  – ce que disent en fait Laclau et Mouffe qui rappellent qu’il est toujours une construction – et qu’il n’est jamais majoritairement de gauche, mais largement en faveur de la conservation de l’ordre économique et social – même s’il peut dans le même temps souhaiter un coup de balai de sa classe politique – du fait de ses structures sociologiques (paysans et classes populaires attachées aux logiques de propriété, classes moyennes désireuses de mobilité et d’ascension, aspiration au mode de vie bourgeois, etc.) et religieuses (poids ou résilience culturelle de ces dernières dans les classes populaires notamment).

Dialogue entre Chantal Mouffe et Jean-Luc Mélenchon le 21 octobre 2016 à la Maison de l’Amérique latine, animé par Christophe Ventura, et où il est notamment question du populisme de gauche.

 

Que répondez-vous à ces critiques ?

Ce sont des débats très sérieux et les arguments ne manquent pas mais, de mon point de vue, le populisme est, au fond, la méthode par laquelle se reconstruit le politique à partir d’une crise de la politique. Au bout du processus se trouve la formation d’une volonté collective, d’un peuple mobilisé en politique. Il peut être de droite, de gauche, du centre. Symptôme initial d’un dysfonctionnement de la démocratie, le populisme contribue à la revivifier, à réinstaller un équilibre entre la société et cette dernière, à « reloader » la démocratie représentative en y imposant ou ré-imposant une présence et une représentation des classes populaires et de leurs exigences. Plus qu’un projet idéologique ou politique de long terme, c’est peut-être ici sa véritable fonction.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’adopter des interprétations mécanistes ou maximalistes de la théorie populiste. Chaque société est différente et même dans les phases de mouvement destituant, les structures sociales et institutionnelles conservent plus ou moins de légitimité, de résilience, de fonction auprès des populations. Ainsi, le scénario français n’est pas celui de l’Espagne, de la Suède ou de l’Amérique latine.

Christophe Ventura lors de notre entretien, dans les locaux de l’association Mémoire des Luttes © Flavien Ramonet

Une fois tout cela posé, le populisme n’est, effectivement, pas en soi progressiste. S’il n’insuffle pas ou ne s’appuie pas sur des aspirations existantes dans la société qui visent la transformation de la structure sociale, il servira les groupes dominants. Passer par l’étape du populisme de gauche en France aujourd’hui, c’est se demander comment inclure dans la mobilisation politique et intellectuelle des tas de gens, en particulier dans les nouvelles générations, qui ne se retrouvent pas dans les organisations, pour faire un chemin qui, à la fin, nous amène à redécouvrir la gauche, en quelque sorte. Donc moi je n’oppose pas non plus, de ce point de vue-là, ceux qui se disent juste de gauche par rapport à ceux qui se disent populistes de gauche. Je pense que ce sont des dynamiques qui permettent de se retrouver in fine.

Je pense que la grille populiste doit être envisagée comme une boîte à outils utile pour notre travail politique et qu’on ne peut pas nier l’existence du phénomène. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut assumer la notion de populisme et ne pas laisser ce mot à la définition que veulent en imposer les dominants.

Outre Jean-Luc Mélenchon, un autre candidat a décidé de se présenter à la présidentielle sans se baser sur un appareil partisan, en allant directement au contact du peuple : il s’agit d’Emmanuel Macron. Pour le politologue Gaël Brustier, Emmanuel Macron incarne « le populisme des élites » [4]. Comment analysez-vous le « phénomène Macron » dans le cadre du populisme ?

Je pense que Gaël Brustier fait une analyse extrêmement pertinente de ce qu’est le « macronisme ». Macron, c’est le populisme des élites, le transformisme, ou alors, pour le dire encore autrement, un populisme de « l’extrême-centre ». C’est l’inverse d’un trou noir. Il aspire la non-matière pour en faire de la matière. C’est un candidat du vide, au départ, qui aspire de tous les côtés du système qui veut survivre. Il est populiste dans ce sens-là. Il incarne la stratégie, la méthode, la médiation pour tous ces courants-là. Il mène une mission de sauvetage du système et de repositionnement des élites au centre du pouvoir. Emmanuel Macron est celui que le système choisit pour recréer du consentement dans la société  – notamment ses parties les plus intégrées économiquement et socialement – autour du consensus du système.

Macron correspond tout à fait à ce qui s’est passé avec Mauricio Macri en Argentine [Cela sera détaillé dans un entretien avec Christophe Ventura au sujet de l’Amérique latine à paraître très prochainement sur LVSL, NDLR]. Il y a du Macri dans le Macron ! Macri, en Argentine, c’est le prototype du macronisme. C’est exactement le même genre : l’attitude, le positionnement, le discours. Un candidat sans programme. Ou plus exactement si, un programme : le candidat.

S’il fallait résumer le cas Macron, on pourrait dire qu’il fait l’opération suivante : il offre –  c’est ce qu’il a dit dans son discours du 4 février à Lyon –  à différents courants en France, qui vont du gaullisme jusqu’aux sociaux-démocrates, en passant par le centre gauche, le centre droit, les chrétiens-démocrates, etc., la promesse d’être le point d’équilibre pour garantir la continuité de la démocratie-libérale, au sens politique du terme. C’est ce qu’il offre de manière visible à ces courants-là. Mais ce qu’il ne dit pas, et qui est en réalité le coagulant de tout ça, c’est en réalité le libéralisme économique, et son approfondissement. Même s’il ne fait pas campagne là-dessus, il n’est jamais autre chose que le continuateur de son mentor François Hollande. Il n’est jamais autre chose que le candidat du libéralisme économique en France, de l’actualisation de son modèle de société  – l’ubérisation  -, dans une version moins brutale que ce que propose Fillon.

Au-delà de ses démêlés, Fillon fait peur à une partie de ses propres troupes, y compris du patronat, à la différence de Macron. Il fait peur parce qu’il promet au pays l’affrontement ; avec les syndicats, la gauche, le monde du travail, etc. C’est tellement brutal : 500 000 fonctionnaires à la poubelle. Macron ça n’est pas ça. Il temporise. Donc même une partie de la droite et du patronat préfère Macron parce qu’il est le garant d’une sorte de stabilité molle et qu’il est un modernisateur du libéralisme dans la société. Fillon est trop dur pour eux.

Il y a donc aujourd’hui dans la campagne présidentielle française trois populismes qui s’affrontent. Il y a le populisme de droite : Le Pen (nationaux contre mondialistes) ; le populisme de l’extrême centre : Macron (les libéraux des deux rives du système contre les ennemis du système) ; et le populisme de gauche (Mélenchon). Et pour la première fois dans l’histoire de la Vè République, il devient tout à fait probable que l’un de ces candidats – y compris Marine Le Pen –  devienne président en lieu et place des candidats des grands partis de gouvernement traditionnels issus du bipartisme. C’est inédit !

Aujourd’hui, la forme que prend en France la crise du centre du système politique et de ses organisations (les partis), celle que prend leur effritement et leur éloignement des classes populaires confirment l’émergence, à la périphérie de ce système, de mouvements qui vont tenter de devenir de plus en plus centraux. De ce point de vue-là, chacun dans leur genre est populiste. Ils sont des produits de ce « moment » populiste.

 

“Aujourd’hui, ce qui l’emporte en Europe, c’est l’effondrement des valeurs de solidarité. (…) Mais, plus se mettent en place des politiques qui sanctionnent les marchés financiers et les puissants, et plus se recréent les conditions d’un retour à la solidarité dans la société.”

 

On voit qu’il y a une approche différente entre le populisme de gauche anglo-saxon, incarné par Jeremy Corbyn et Bernie Sanders, qui s’appuie sur les appareils partisans de la gauche traditionnelle, et celui de Podemos et de Jean-Luc Mélenchon qui, quant à eux, ont décidé d’agir en dehors du cadre des partis, et ont tendance à délaisser le mot « gauche » pour le mot « peuple ». Comment analysez-vous cette différence de stratégie ?

Est-ce qu’il s’agit vraiment de différences de stratégie ou sommes-nous en présence de variantes d’un même phénomène qui pousse dans des engrais différents ? Je pense que c’est plutôt ça. Le populisme anglo-saxon de gauche émerge au sein et contre des structures qui n’ont pas disparues : les Démocrates et le Labour.

En ce qui concerne Jeremy Corbyn, je pense qu’il fait du populisme de gauche au sens de la méthode, d’ailleurs son entourage le revendique depuis peu. C’est assez clair lorsqu’il mobilise et organise un « peuple de gauche » contre l’appareil du parti. A l’intérieur, à travers son appel aux adhésions individuelles massives et à l’extérieur, avec le mouvement « Momentum » qu’il a inspiré et qui lui est directement lié. Mais il le fait d’un point de vue assez singulier, qui n’a pas d’équivalent, puisqu’il a été propulsé à la tête de ce qu’il y a de plus traditionnel comme parti social-démocrate européen : le Labour. C’est tout à fait nouveau. Il a été envoyé au quartier général d’une structure qui est tout sauf une force populiste et qui, malgré son arrivée, n’a pas été encore transformée. Il faut attendre pour en savoir plus dans son cas.

Dans les sociétés plus latines (en Espagne par exemple), qui sont aussi plus brutalement affectées par les effets de la crise économique et sociale, et où il y a des crises de régime politique, ce phénomène prend corps en dehors du système des partis établis, du centre du système politique.

Podemos s’est beaucoup intéressé au populisme pour savoir comment construire une méthode, une stratégie, qui permette de sortir une gauche en crise de la confidentialité politique. « Comment forger des instruments permettant de reconstruire une base sociale qui, en expansion permanente, doit devenir majoritaire politiquement et investir une nouvelle identité politique ? » C’est ça qu’ils appellent populisme. Et la réponse, à travers les outils de Laclau et de Mouffe, c’est construire une stratégie discursive qui va privilégier la construction d’un discours sur des thématiques rassembleuses et fédératrices plutôt que sur des mots d’ordre d’organisation qui font référence à des habitus politiques prédéterminés, en particulier ceux de la gauche. Par exemple la question de la reconquête, de la récupération des droits. Ce sont des thématiques larges, mais qui vont permettre d’agglomérer des populations dont l’affiliation au clivage droite-gauche ne suffit pas ou ne suffit plus. Ça permet donc de construire ce bloc socio-politique offensif.

Le groupe fondateur de Podemos a beaucoup travaillé ces questions à partir d’expériences latino-américaines de terrain, puisque, pour la plupart, ils ont fait les campagnes de Bolivie, du Venezuela, etc. Mais ils n’ont jamais décidé de s’auto-définir comme « populistes de gauche », même si dans les faits, ils en font. Il y a dans Podemos un intérêt pour le sujet, mais l’adhésion au concept est l’objet d’un débat intense, en particulier entre Pablo Iglesias et Íñigo Errejón. Errejón est plutôt contre l’emploi de ce concept – « populisme » oui, mais pas « de gauche » – tandis qu’Iglesias est plutôt pour. C’est d’ailleurs l’un des objets du livre Construire un peuple [5].

En France, nous sommes un peu entre les deux scénarios. Jean-Luc Mélenchon pense qu’au-delà de la gauche, il faut fédérer le peuple, dont de larges pans sont touchés par les mêmes maux. Selon lui, le référent « gauche » est brouillé car ceux qui s’en réclament font, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, des politiques nocives contre les intérêts populaires et ressemblent à ceux qu’ils prétendent combattre (les riches, les importants, les dominants, les détenteurs du bon goût, les tricheurs, etc.).

De gauche à droite : Jeremy Corbyn, Pablo Iglesias, Jean-Luc Mélenchon et Bernie Sanders.

 

Lorsqu’on regarde la victoire de Donald Trump et du Brexit, ainsi que les scores de l’extrême-droite en Europe qui augmentent continuellement, tandis que le populisme de gauche n’a pas encore réussi à prendre le pouvoir ou à gagner une élection, cela vous fait-il penser que le populisme de droite est en train de l’emporter sur son versant de gauche ou bien pensez-vous que le populisme de gauche a juste un train de retard à rattraper ?

Je pense qu’aujourd’hui l’hégémonie du populisme est à droite. C’est indéniable. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Aujourd’hui, ce qui l’emporte en Europe, ce sont des logiques d’ultra-concurrence entre tous. Ce qui l’emporte en Europe, c’est l’effondrement des valeurs de solidarité. Tout ce qui renvoie à l’idée de solidarité entre les gens s’effondre. Et, j’ai envie de dire, c’est un peu « Dieu pour tous ». Donc le populisme de gauche part avec cet inconvénient.

Mais la question est de savoir si le populisme de gauche peut être un instrument utile pour fissurer cette hégémonie-là. Parce que la réponse de la gauche social-démocrate, par rapport à ce problème, est un échec cuisant. Toute la stratégie d’une gauche d’accompagnement, qui consiste à dire « ce système est comme il est, mais on va lui donner un visage humain », est ruineuse. C’est ça qui ruine la gauche. Donc le populisme de gauche peut intervenir comme une tentative pour essayer de déjouer l’hégémonie du populisme de droite, notamment sur une question qui est essentielle et qui n’est pas simple à régler : comment constituer la communauté politique ?

Au fond, la différence entre populisme de gauche et populisme de droite est là. Le populisme de droite affirme que ce qui fonde le peuple, c’est l’ethnie. Il développe une vision essentialisée et statique du peuple tandis que ce que propose le populisme de gauche comme principe fondateur, c’est le politique et les logiques dynamiques, conflictuelles, indéterminées et transformatrices que cela induit.

Aujourd’hui, la version de droite est hégémonique, parce que notre difficulté c’est aussi la question économique. Plus le mal-être économique se propage dans toutes les couches de la société et plus il est difficile d’affirmer et de construire la solidarité entre elles. Le malheur ne rend pas plus aimant… Mais, plus se mettent en place des politiques qui sanctionnent les marchés financiers et les puissants, et plus se recréent les conditions d’un retour à la solidarité dans la société.

 

“La bataille culturelle hégémonique au sein de la gauche sur l’Europe ne fait que commencer.”

 

Il existe peut-être un tabou qui pourrait expliquer le piétinement du populisme de gauche : le fait que malgré l’échec de Syriza en Grèce, les tenants de cette stratégie peinent à tenir un discours de vraie rupture vis-à-vis de l’Union européenne ; Jeremy Corbyn a même fait campagne pour le Remain au Royaume-Uni. L’échec actuel du populisme de gauche en Europe ne vient-il pas du fait qu’il existe dans ses rangs un tabou sur la question de l’Union européenne ?

Si, indéniablement. Cela fait partie des tabous de ce courant-là. Pourtant, si des forces populistes de gauche – auxquelles ne se réfère pas Syriza explicitement –  n’assument pas de briser le mur européen, alors elles racontent des histoires aux enfants car les propositions qu’elles portent –  égalité, justice sociale, souveraineté politique – ne sont pas applicables dans le cadre du système européen. Ce faisant, elles laissent ainsi le champ libre aux populistes de droite qui ont bâti une cohérence retorde dans leur rejet de l’UE, à partir de la question de l’immigration et en promettant plus de social pour les seuls nationaux. Ils disent « L’Europe et l’euro nous privent de souveraineté et nous appauvrissent, l’UE promeut la mobilité du travail intra-européen et l’immigration qui minent notre Etat social. Sauver notre Etat social passe par la sortie de l’euro, la fermeture des frontières, l’arrêt des migrations, la préférence nationale ».

Aux forces populistes de gauche de montrer la « roublardise » de ces positions qui cherchent à récupérer de la souveraineté pour ensuite mieux la contrôler et la réduire dans la société, renforcer le patronat national dans la concurrence internationale et discipliner le salariat en lui offrant quelques miettes sur le dos des immigrés et des plus pauvres réprimés. Mais en maintenant toujours plus exploité ce salariat, par des patrons nationaux revigorés ! Une sorte de modèle d’« exploitation patriote » en somme ! Car l’histoire est là pour le montrer. Chaque fois que ces forces ont pris le pouvoir, le discours social a servi à capter les masses populaires durant la phase de conquête de l’État. Chaque fois qu’elles ont gouverné, elles ont servi de chiens de garde au capital et écrasé les revendications populaires.

Alexis Tsipras, le premier ministre grec qui a échoué dans son bras de fer avec l’Union européenne.

Et je passe sur l’État social dont le manque de ressources provient, avant toute chose, et de manière massive et surdéterminante, des politiques d’austérité, de la montée des inégalités sociales et fiscales.

Sur l’Europe donc, aux forces populistes de gauche de montrer le chemin d’un autre modèle, de prouver que l’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe.

 

C’est dans cet esprit que vous avez lancé Chapitre 2, un groupe de réflexion et d’action politique et intellectuelle qui « se donne comme objectif stratégique de gagner la bataille hégémonique au sein de la gauche sur les questions européennes ». Vous affirmez justement que « l’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe et qu’elle est désormais incapable de mener à bien sa propre démocratisation ». Faut-il donc un Frexit (sortie de la France de l’UE) ?

Effectivement. On a fondé Chapitre 2 pour cela. Partant du constat que j’ai développé juste avant, la bataille culturelle hégémonique au sein de la gauche sur l’Europe ne fait que commencer. Donc, il faut avoir des outils pour le faire et c’est à ça qu’on veut se consacrer. Concernant le Frexit, la question est de savoir dans quelles conditions il interviendrait, dans le cadre de quelle coalition politico-sociale et pour servir quel projet ? En soi, un Frexit ne répond à rien, ce n’est pas un fétiche. Un Frexit peut tout à fait – et ce serait hélas le cas aujourd’hui en fonction du rapport de forces actuel dans la société – déboucher sur un projet réactionnaire et dangereux pour les classes populaires. Un Frexit n’offrirait des perspectives que s’il était conduit par une certaine France, celle qui va puiser dans le meilleur de son histoire. Celle qu’il faut, c’est le moins que l’on puisse dire, réanimer tandis que dominent plutôt ses forces les plus sombres. Il n’y a pas que l’Europe qui va mal. C’est la double peine. Pour moi, l’affrontement et la rupture – qu’il faut assumer –  doivent s’inscrire dans la construction de nouvelles bases authentiquement coopératives pour une construction continentale.

C’est ce à quoi il faut travailler, se préparer. Il faut inclure un maximum de gens dans un raisonnement : un gouvernement minimalement progressiste ne pourra pas mettre en place ses propositions dans le cadre de l’UE. Pour le faire, il devra s’affranchir de facto de l’UE, de son système.

A partir de là, nos forces doivent progressivement articuler un maximum de demandes démocratiques, sociales, économiques et écologiques existantes dans la société pour construire un rapport de forces permettant d’imposer un pouvoir transformateur et d’orienter l’inéluctable et nécessaire rupture vers une perspective positive.

Europe, année zéro. C’est là où nous en sommes. Chapitre 2 veut contribuer à la reconstruction, à tous les niveaux où il faut le faire. Admettons que la tâche est rude et incertaine. C’est pour cela qu’elle vaut la peine d’être relevée.

 

Propos recueillis par Flavien Ramonet.

 

[1] : « La nouvelle droite brésilienne », Mémoire des luttes, 19 avril 2016.

[2] : « Macron : “Appelez-moi populiste si vous voulez” », Journal du dimanche, 19 mars 2017.

[3] : Peuple/caste ; 99%/1% ; souverainistes/mondialistes ou « partisans d’une société ouverte » selon qu’on soit au FN ou François Hollande et Emmanuel Macron.

[4] : Gaël Brustier, « Emmanuel Macron, le signe que nous approchons du stade terminal de la crise de régime », Slate, 20 janvier 2017

[5] : Chantal Mouffe et Íñigo Errejón, Construire un peuple. Pour une radicalisation de la démocratie, Éditions du Cerf, Paris, 2017.

Crédits :

© Flavien Ramonet

© mélenchon.fr https://melenchon.fr/2016/11/02/debat-sur-le-populisme/

2017, Fronde générale

2017, cru exceptionnel. Pour la première fois dans la Ve République, aucun des candidats à la présidentielle n’est assuré de pouvoir compter sur une majorité parlementaire après les législatives. Pire, tous les prétendants majeurs font l’objet d’une dissidence interne à leur propre mouvement. Revue des troupes avant la Bérézina.

D’abord, il faut préciser que sauf surprise monumentale, ni Nathalie Arthaud, ni François Asselineau, ni Jacques Cheminade, ni Jean Lassale, ni Nicolas Dupont-Aignan, n’ont la moindre chance d’être élus. Encore moins en n’étant pas invités au débat de TF1. Si cela arrivait, ils devraient évidemment faire avec une Assemblée Nationale composite.

Procédons de gauche à droite :

  • Jean-Luc Mélenchon

    -Dissensions à gauche. Les critiques les plus virulentes à l’encontre du chef de file de la France Insoumise viennent de ses propres alliés, communistes ou d’Ensemble. “Leader minimo”, “égocentrique”, “auto-proclamé”, les insultes fusent chez ceux qui seraient censés être ses plus fidèles soutiens. Les élus communistes sont même allés jusqu’à faire du chantage aux parrainages à Mélenchon, qui n’a validé ses fameuses 500 signatures que le 14 mars. Dernier débat en date au sein de la “gauche de la gauche” : la pertinence – ou non – du déploiement de drapeaux Bleu-Blanc-Rouge lors de la manifestation du 19 mars.

  • Benoît Hamon

    COMBO-FRANCE-VOTE-PRIMARIES-LEFTLe Parti Socialiste va exploser. Après un quinquennat calamiteux, le Président en exercice est dans l’incapacité de se représenter. Un frondeur a remporté assez facilement la Primaire contre le dépositaire du bilan, Manuel Valls. Depuis la victoire de Benoît Hamon, la crise est ouverte. Par dizaines, des membres éminents de son propre camp quittent le navire pour rejoindre Emmanuel Macron. François de Rugy et Manuel Valls, tous deux candidats à la Primaire et engagés à soutenir le vainqueur, ont déjà trahi leur parole.

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  • Emmanuel Macron

    1212273_en-marche-macron-suscite-des-tensions-a-gauche-avec-son-mouvement-politique-web-tete-021824086406L’exception qui confirme la règle. Le candidat En Marche avance, poussé par une ahurissante campagne médiatique en sa faveur, vers sa probable élection. Cependant, son mouvement politique, fait de bric et de broc, semble dans l’incapacité de remporter les élections législatives. Il sera bien compliqué pour l’ancien banquier d’affaires de présenter des candidatures cohérentes aux élections de juin. Son parti ratisse tellement large que se côtoient des profils immiscibles. Sérieusement, Robert Hue, Gérard Collomb, Daniel Cohn-Bendit, Alain Minc, François Bayrou et Alain Madelin travailleraient ensemble ? Même si Macron remporte la présidentielle puis les législatives, on voit mal comment un tel attelage pourrait se mettre d’accord sur la moindre mesure. Un retour à la IVe République pour achever la Ve ?

  • François Fillon

    3414-francois-fillon_5758679Sorti vainqueur de la Primaire de la Droite et du Centre, François Fillon est aujourd’hui dans une situation qui semble inextricable.
    Quasiment chaque jour offre son lot de nouvelles révélations sur son train de vie de pacha, qui a amené la justice à le mettre en examen. Motifs : « détournement de fonds publics », « complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de biens sociaux » et « manquement aux obligations déclaratives ». Rien que ça.

    En conséquence de quoi d’innombrables soutiens de son propre camp ont décidé de tourner le dos à leur champion, pour ne pas être associés au naufrage qui s’annonce. Finalement, aucun plan B n’a été validé. Ni Juppé ni Baroin. C’est bien Fillon, malgré les affaires, qui représentera la droite. Il s’appuie sur son socle électoral, catholique et libéral, qui semble insuffisant pour l’emporter au suffrage universel.Capture

  • Marine Le Pen

    marine le pen portrait.jpgLa candidate du Front National, malgré la menace agitée depuis des années par les classes politiques et médiatiques, n’a aucune chance d’être élue. Quel que soit son adversaire au second tour. Sa défaite à venir pourrait être une étape majeure dans le processus d’implosion qui s’annonce au FN. Il semble en effet impossible de faire tenir ensemble sur le long terme les deux clans qui s’affrontent au sein du parti xénophobe.

    D’un côté, se trouvent les tenants de la dé-diabolisation (Marine Le Pen-Florian Philippot), de l’autre ceux du FN à l’ancienne, identitaire et réactionnaire (Marion Le Pen-Gilbert Collard-Robert Ménard). A terme, tous ceux là devraient s’entre-tuer et le schisme du FN semble inéluctable.

Capture3

Un pays ingouvernable ?

Le flou est total quant à l’identité du futur président. Il en va de même pour les législatives qui se tiendront dans la foulée. Toutefois, une chose semble à peu près certaine : le FN devrait faire bien mieux que ses 13% de 2012, qui ne lui avaient offert que 2 députés, en vertu du mode de scrutin particulier (uninominal majoritaire à deux tours). Si, comme on peut l’imaginer, “la Flamme” termine aux alentours de 25% des suffrages, se sont près de 70 députés Front National qui siégeront à l’Assemblée Nationale. Une vraie vague, mais pas suffisante pour gouverner.

Le PS devrait payer le prix du mandat désastreux de François Hollande, débordé sur sa droite par En Marche, véritable inconnue de cette équation. Seul François Fillon semble susceptible d’emporter la majorité au Palais Bourbon. Pourtant, son profil d’homme menteur et vénal, tenant un discours de rigueur insoutenable à entendre au vu de son profil, le disqualifie d’office sur le plan moral. La révolte populaire sera certainement gigantesque si le mari de Pénélope est élu et demande aux Français de se serrer la ceinture.

On peut donc imaginer que, quel que soit le nouveau locataire de l’Elysée, il devra composer avec une fronde interne et une minorité législative. Le quinquennat à venir s’annonce folklorique…

Matthieu Le Crom

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Tribune : L’unité de la gauche est-elle un mirage ? Par Philippe Légé

http://www.laprovence.com/actu/en-direct/4618347/melenchon-si-hamon-avait-retire-sa-candidature-il-serait-premier-ministre.html
Capture France 2

Philippe Légé est enseignant-chercheur en économie à l’université de Picardie Jules Verne. Il aborde, dans cette tribune, la question de l’unité de la gauche, posée presque tous les jours depuis la victoire de Benoit Hamon aux primaires de la BAP.

L’échec de la politique de F. Hollande était très prévisible. La volonté de N. Sarkozy de revenir dans le jeu électoral aussi. Mais plusieurs évènements de la fin du quinquennat l’étaient beaucoup moins : les attentats, l’ampleur des divisions au PS autour de la déchéance de nationalité et du projet de loi Travail, la victoire de F. Fillon aux primaires et les révélations sur ses affaires, le renoncement de F. Hollande à sa propre succession, le succès d’opinion de la candidature Macron et le soutien médiatique dont elle bénéficie, etc. Malgré le caractère mouvant de la situation politique depuis environ un an, voici quelques éléments de réflexion afin d’essayer d’y voir plus clair.

La catastrophe sociale

La situation sociale est exécrable. Fin 2016, le taux de chômage au sens du BIT était au même niveau que fin 2012 lorsque François Hollande promettait « l’inversion de la courbe du chômage ». On compte notamment 1,2 millions de chômeurs de longue durée. Beaucoup d’électeurs de Hollande sont en colère du fait du renoncement à de nombreuses promesses : renégocier le traité européen, museler la finance, attribuer le droit de vote aux étrangers pour les élections locales, fermer la centrale de Fessenheim avant la fin 2016, etc. Il y eut aussi quelques surprises ahurissantes : la loi Travail imposée à coups de 49-3, un « pacte de responsabilité » qui coûtera cette année la bagatelle de 41 milliards d’euros, etc. Même dans le monde enseignant, où le PS jouait pourtant sur du velours après les 66 000 suppressions de postes effectuées par Sarkozy, le gouvernement a réussi l’exploit de devenir impopulaire.

Les conséquences électorales

Durant le quinquennat, le PS a perdu toutes les élections intermédiaires et par voie de conséquence les deux tiers de ses élus ! La droite et surtout le FN ont progressé. Aux européennes de 2014, le FN est même arrivé en tête en obtenant 25,18% des suffrages (contre seulement 6,47% en 2009).

On sait donc depuis des mois que le second tour des Présidentielles sera très marqué par la droitisation et la déception induites par la politique du gouvernement. Aujourd’hui, les intentions de vote pour Benoit Hamon parmi les fonctionnaires sont deux fois plus faibles que celles pour François Hollande en 2012 parmi ces mêmes fonctionnaires[1]. En outre, le FN mène une campagne très habile et sa promesse de « Remettre la France en ordre » rencontre un écho favorable dans les classes populaires. En dépit des trois affaires judiciaires la concernant, Marine Le Pen peut même « Au nom du peuple » gagner les voix de nombre d’électeurs dégoûtés par la corruption de Cahuzac ou l’emploi fictif de Mme Fillon. Rappelons que cinq jours avant le « coup de tonnerre du 21 avril 2002 », il paraissait « assez peu vraisemblable » à Lionel Jospin de se retrouver derrière Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, avec 27% d’intentions de vote, le FN est assuré d’être présent au second tour de l’élection présidentielle.

La responsabilité du gouvernement socialiste

Cette situation est souvent présentée de façon déformée. Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui est responsable de la catastrophe actuelle mais le gouvernement socialiste et, indirectement, tous ceux qui ne s’opposent pas à la politique économique déflationniste mise en place en Europe. Fin juin 2012, on pouvait déjà constater que le discours du Bourget semblait « bien loin », que le soutien populaire risquait « de rapidement faire défaut au pouvoir en place » et qu’il était « urgent de construire une opposition de gauche à l’austérité, sans quoi l’extrême-droite se nourrira des fruits de la désillusion »[2]. La construction d’un front d’opposition de gauche s’est heurtée à l’échec du Front de Gauche et au sectarisme de l’extrême-gauche. Ceci étant dit, la question est de savoir ce qu’il faut faire à présent.

L’unité électorale de la dernière heure ?

Beaucoup ont cru que la victoire de B. Hamon rendait possible de conjurer la catastrophe au dernier moment. On pouvait certes rêver d’une unité de l’aile gauche du PS et de l’ex Front de Gauche sur la base d’une critique du bilan de Hollande et d’un projet de rupture… mais il fallait bien admettre dès le départ que c’était une entreprise désespérée. En outre, l’échec de cette tentative d’unité ne résulte pas de la mauvaise volonté des uns ou des autres. Dans un message diffusé sur les réseaux sociaux, l’écrivain Denis Robert estime que lorsque « le FN emportera la présidentielle » et une centaine de sièges à l’Assemblée, « nous le devrons à ces deux coqs qui font passer leurs intérêts avant les nôtres ». C’est d’abord exonérer le gouvernement qui mène une politique désespérante et laisse le chômage à un niveau extrêmement élevé. Et c’est ensuite faire de la question des alliances politiques une question d’ego, de personnes. Alors même que ni Mélenchon ni Hamon n’avaient vraiment la possibilité de réaliser cette alliance.

Le nœud du problème

Supposons que Hamon n’ait pas sa part de responsabilité dans cette situation catastrophique (c’est une première fiction) et que, comme lui a indiqué Mélenchon dans sa lettre, nous lui fassions « de bon cœur crédit de [sa] bonne foi » (deuxième fiction). Admettons donc les mains blanches et les bonnes intentions : la situation catastrophique demeure, tant sur le plan social que celui du rapport de force électoral gauche-droite. La question est alors : Hamon peut-il contribuer à y remédier ? Comme lui écrit Mélenchon, il est « légitime et honnête que nous te demandions des garanties politiques précises sur ton engagement à rompre avec le quinquennat et son bilan ». C’est la moindre des choses. Par honnêteté vis-à-vis de ses électeurs, Mélenchon ne peut pas faire abstraction de cette question. Mais Hamon peut difficilement y répondre positivement parce qu’il est prisonnier de l’appareil du PS.

Dès lors, même en admettant que le programme de Hamon soit un bon programme (c’est une troisième fiction[3]) à partir duquel on puisse négocier un compromis programmatique, il reste une difficulté de taille, sans doute insurmontable. La possibilité qu’un tel compromis soit effectivement mis en œuvre ne se résume pas à la volonté, ou à l’ampleur des divergences idéologiques, entre deux individus. En dépit de son régime très présidentiel, la France est une démocratie parlementaire. Pour gouverner il faut une majorité au Parlement. Or, tant que Hamon ne remet pas en cause la composition très droitière des candidats PS aux législatives, toutes ses promesses seront mensongères : comment peut-il prétendre appliquer un programme idéologiquement proche de Mélenchon avec des députés comme Valls ? El Khomri ? etc. Ce ne sont pas des cas isolés : celles et ceux qui ont soutenu la politique de Manuel Valls jusqu’au bout forment la grande majorité des candidatures retenues par le PS. Dans ces conditions, qui votera les lois d’un programme commun Hamon-Mélenchon ? En outre, avec de tels candidats aux législatives, la fiction consistant à exonérer le candidat Hamon de la responsabilité du bilan ne tient plus. Ses futurs parlementaires sont majoritairement ceux qui revendiquent le bilan positif du quinquennat, ceux qui ne reconnaissent pas la catastrophe. Et son équipe de campagne est le fruit de compromis internes.

Le recyclage des vallsistes

L’équipe de campagne de Hamon ne comprend pas seulement des « frondeurs » et des personnalités de la gauche ou du centre du PS. Certains droitiers se sont certes ralliés à Macron, comme Gérard Collomb, François de Rugy (qui avait pourtant promis le contraire afin de pouvoir participer à la primaire du PS !) et Christophe Caresche. Mais ce n’est pas tous leur cas. Véronique Massonneau, qui était la directrice de campagne de François de Rugy, a annoncé qu’elle « continuera à travailler » avec ce dernier mais qu’elle soutient désormais Benoit Hamon. Les vallsistes Dominique Raimbourg, Elsa Di Méo, André Viola et Luc Carvounas ont intégré l’équipe de campagne de Hamon. Carvounas, bras droit de Valls, est ainsi chargé de « chapeauter les parlementaires ». Pour mémoire, en janvier 2013 il comparait le PCF et le FN[4]. Deux mois plus tard, Carvounas insultait Jean-Luc Mélenchon en le qualifiant de « petit Robespierre de mauvaise facture » qui « éructe » des propos « violents et outranciers contre le président de la République »[5].

Après avoir insulté la jeunesse rassemblée par Nuit Debout « qui est un peu le miroir d’une autre jeunesse plus réactionnaire qui s’était rassemblée pour la manif pour tous »[6], Carvounas déclarait pendant les grèves de 2016 que la CGT est « une forme de caste gauchisée » et que « bien sûr ce sont des privilégiés »[7]. C’est classique : quiconque lutte contre les injustices est qualifié par la droite de réactionnaire ou de privilégié. Mais prétendre opposer au « populisme » de Mélenchon une « gauche » accueillant de telles pratiques est… pour le moins problématique ! Luc Carvounas (qui est membre des instances fédérales du PS depuis l’âge de 25 ans) ajoutait que Philippe Martinez (qui a travaillé en usine avant de devenir secrétaire général de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie à l’âge de 47 ans) est un « permanent politique ». Et durant l’été 2016, Carvounas organisait la fronde… pour le cumul des mandats : « Après les parlementaires de droite, au tour de quelques sénateurs de gauche de s’attaquer à la loi interdisant le cumul des mandats. […] Si ces élus assurent ne pas vouloir totalement mettre à bas l’interdiction du cumul des mandats, cette initiative venant d’élus qui s’étaient déjà opposé à ce texte lors de son examen ne laisse aucun doute sur leur intention »[8]. Pourquoi Benoit Hamon intègre-t-il un tel profil dans son équipe ?

Le succès de Hamon, symptôme de la crise du PS

La primaire peut permettre de gagner en popularité mais elle n’est pas une procédure démocratique. On peut comprendre celles et ceux qui sont allés voter pour « dégager Valls ». Mais il ne faut pas tirer du résultat l’idée que Hamon est majoritaire dans le PS. Il a gagné avec un apport important de voix extérieures au parti. Même Philippe Marlière est obligé, dans son plaidoyer pour une alliance de « la gauche de gauche » avec B. Hamon, de reconnaître que ce dernier est « minoritaire pour le moment dans l’appareil du parti »[9]. « Pour le moment » : oui, comme pour toute chose. Mais il est vain de croire que cela puisse changer avant les élections. Bon connaisseur du Parti Socialiste, dont il fut militant, P. Marlière reconnaît d’ailleurs que les marges de manœuvres de Hamon sont très limitées lorsqu’il explique que l’argument de Mélenchon concernant les candidatures aux législatives « est plus recevable que le précédent à ceci près qu’il est très théorique. La question de la désélection de candidat-es s’est posée à Jeremy Corbyn, et il s’est heurté à un mur. Quand on est politiquement minoritaire dans un parti, il est quasi-impossible de procéder à ce type de « nettoyage » car Hamon serait rapidement débarqué par un putsch interne ».

C’est exact, si ce n’est que l’argument « très théorique » débouche sur un enseignement bien concret : la seule solution pour l’unité serait que Hamon prenne le risque de faire éclater le PS, devenant ainsi celui qui dénoue les contradictions au sein de son parti. Il n’a pas fait ce choix difficile (ou « quasi-impossible ») qui impliquait beaucoup de départs vers Macron et supposait en outre l’organisation d’un Congrès. Ce n’est pas très surprenant : le succès de la candidature Hamon est davantage le symptôme de la crise interne au PS que le résultat d’une victoire politique.

La « gauche » est électoralement minoritaire

Philippe Marlière a sans doute raison de penser que la relative faiblesse interne de Hamon conduira ce dernier à suivre une stratégie politique consistant à convaincre le cœur de l’appareil d’accepter un certain gauchissement de son discours : « Mieux vaut tenter de convaincre le ventre-mou du parti de se rallier à une politique qui suscite l’intérêt et le soutien des électeurs de gauche, que de menacer ou sanctionner a priori des élu-es en vertu de leur comportement passé ». Reste à savoir si la « gauche de gauche » préfère épauler Hamon dans cette opération séduction vis-à-vis du ventre-mou du PS – qui a voté tous les budgets d’austérité et toutes les lois régressives – plutôt que de mener à bien la campagne entamée il y a près d’un an par Jean-Luc Mélenchon. On en revient à la question de savoir si cette politique « qui suscite l’intérêt » a des chances d’être effectivement mise en œuvre.

Imaginons à présent que toutes les conditions précédentes soient réunies et que Benoit Hamon parvienne à imposer à son parti le gauchissement de la composition des listes des candidats aux législatives (quatrième fiction). De nombreux candidats de l’aile droite du PS perdent leur investiture au bénéfice de l’ex-Front de Gauche. Quel serait le résultat ? Aux présidentielles, même en cas d’alliance, le total de la gauche est pour l’instant inférieur de quinze points à celui obtenu en 2012. Penser que ces sondages ne donnent aucune indication sur le rapport de force électoral ou penser que la dynamique de l’unité suffirait malgré tout à obtenir une majorité au parlement c’est prendre ses rêves pour des réalités. Les sondages situent « le total Hamon-Jadot-Mélenchon dans une fourchette de 26 à 29% […] la prévisible majorité présidentielle se trouve dans l’incertitude pour les législatives qui suivent. En 2012, il a fallu 42 % au premier tour de la présidentielle pour avoir 40 % à celui des législatives »[10]. Même Hamon le sait : il ne fait pas campagne pour gagner mais pour limiter la casse.

Conclusion

Rêver d’un retour de la gauche plurielle, n’est pas seulement illusoire. C’est aussi oublier que cette expérience a eu lieu il y a 20 ans et qu’elle a fini par la déception et par la disqualification du PS au premier tour de l’élection présidentielle. Il faut construire l’unité autour d’un compromis programmatique progressiste et valable dans le monde d’aujourd’hui. Comme l’explique le ministre-président wallon Paul Magnette, qui fut un fervent fédéraliste mais se définit aujourd’hui comme un « fédéraliste meurtri et un peu désespéré », l’Europe « est en train de se désintégrer. Les gens ne le voient pas encore, mais c’est comme un feu de cheminée : ça a pris, c’est invisible, mais à un moment donné on le verra. Et le Brexit en est le premier symbole »[11]. Jean-Luc Mélenchon prend acte de cette situation : « L’Europe de nos rêves est morte. C’est seulement un marché unique et les peuples sont soumis à la dictature des banques et de la finance. Comment stopper ce cauchemar ? ». Son programme cherche à y répondre. Rien de tel chez Benoit Hamon, dont les promesses ne vaudront rien tant qu’il ne remettra pas en cause les traités européens. C’est d’ailleurs ce que vient d’expliquer Jean-Luc Mélenchon : « il n’est pas possible de régler la différence qui par exemple nous sépare sur la question essentielle de l’Europe ».

Faire abstraction des conditions concrètes est le meilleur moyen de ne rien construire dans la durée. En France, la recomposition des forces politiques est imminente. Or, il existe un choix électoral susceptible d’améliorer les conditions dans lesquelles elle se déroulera et, peut-être, de favoriser le mouvement populaire de transformation sociale. Malgré les limites de sa candidature, notamment dans le domaine des questions internationales, il faut soutenir Mélenchon et, pour les législatives, œuvrer au rassemblement de toutes les forces de gauche indépendantes du PS. Sur les 577 circonscriptions, il n’y a pour l’instant que deux cas dans lesquels l’unité prévaut entre EELV, Ensemble, France Insoumise et le PCF[12]. La priorité n’est-elle pas de multiplier les expériences de ce type et, pour les présidentielles, de convaincre les très nombreux électeurs n’ayant pas encore fait leur choix de voter pour Jean-Luc Mélenchon ?

Philippe Légé

Sources :

[1] Enquête du CEVIPOF publiée le 21/02/17.

[2] https://blogs.mediapart.fr/philippe-lege/blog/010712/le-changement-et-maintenant

[3] Lire les critiques du projet de revenu universel formulées par Jean-Marie Harribey ou David Cayla : http://l-arene-nue.blogspot.fr/2016/05/un-revenu-universel-peut-il-liberer-la.html ; http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2016/06/26/il-faut-choisir-entre-revenu-minimum-et-salaire-minimum/ ; https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-11-automne-2016/dossier-le-travail-en-question-s/article/travail-collectif-valeur-et-revenu-l-impossible-dissociation

[4] « Les relations entre les anciens alliés socialistes et communistes ne cessent de se dégrader. Après les coups d’éclat communistes au Sénat, la parodie de vœux envoyée fin décembre par le PCF à François Hollande n’a pas été appréciée rue de Solférino. “Le FN aurait pu en signer l’esprit !”, s’en étrangle encore Luc Carvounas, secrétaire national du PS aux relations extérieures » Source: http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/01/09/l-unite-de-facade-de-la-gauche-au-pouvoir_1814376_823448.html#iyPdGXJo4KDg3MpE.99

[5] http://lelab.europe1.fr/jean-luc-melenchon-un-petit-robespierre-de-mauvaise-facture-pour-luc-carvounas-7601

[6] http://www.dailymotion.com/video/x47qeuu_luc-carvounas-sur-nuit-debout-les-manifestants-sont-comparables-a-ceux-de-la-manif-pour-tous_tv

[7] http://www.lci.fr/politique/pour-un-senateur-ps-la-cgt-est-une-caste-de-privilegies-et-son-patron-un-permanent-politique-1260032.html

[8] http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2016/08/17/25006-20160817ARTFIG00092-offensive-a-gauche-contre-la-loi-interdisant-le-cumul-des-mandats.php

[9] https://www.contretemps.eu/marliere-vote-hamon-ps-gauche/

[10] http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/les-faux-semblants-de-l-union

[11]http://www.lecho.be/dossier/maastricht/Paul_Magnette_L_Europe_est_en_train_de_se_desintegrer.9859074-8732.art?ckc=1

[12] Ces organisations portent dans la 1ere circonscription de la Somme la candidature de François Ruffin et de sa suppléante Zoé Desbureaux, et dans la 1ere circonscription des Hautes-Alpes celle de Pierre Villard et de sa suppléante Karine Briançon.

Crédits Photo :

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Le retour de l’homme au couteau entre les dents

Les caricatures du sans-culotte assoiffé de sang et de l’homme au couteau entre les dents ont encore de beaux jours devant elles. A l’heure de la société médiatique, ces vieux procédés propagandistes ont été adaptés et remis au goût du jour, et servent toujours le même intérêt : discréditer la gauche de transformation sociale. Jeremy Corbyn, Bernie Sanders et Jean-Luc Mélenchon, trois personnalités politiques dont les tempéraments, les parcours et les projets de société sont pourtant bien différents, n’y échappent pas.

La bestialité de l’homme de « gauche radicale »

Jeremy Corbyn, Jean-Luc Mélenchon et Bernie Sanders sont les cibles régulières d’accusations plus ou moins voilées d’agressivité, de hargne, voire d’un penchant pour la violence, de la part de leurs adversaires politiques et médiatiques. C’est ainsi que les cadres du Parti Démocrate du Nevada s’étaient plaints de la violence des partisans de Bernie Sanders lors d’une convention démocrate et en avaient, à mots à peine couverts,  attribué la responsabilité à Bernie Sanders qui conduirait, selon eux, une campagne ayant un « penchant pour la violence » dans le cadre des primaires démocrates. Démenti catégorique de Sanders. S’ensuit un rétro-pédalage de la direction locale du Parti Démocrate… Plus tôt, c’était l’équipe de campagne de sa rivale, Hillary Clinton, qui déclarait s’attendre à un Bernie Sanders « agressif » à la veille d’un des débats télévisés entre les deux rivaux démocrates. Le soupçon ne se dissipera pas autour du sénateur Sanders… La fâcheuse habitude de la presse dominante d’illustrer ses articles de photos qui montrent les impétrants avec le regard hargneux, la bouche grande ouverte et le doigt rageur ou encore avec le cheveu hirsute, concourent à renforcer le soupçon de violence et véhiculent, dans l’opinion publique, une image proprement caricaturale des trois hommes de gauche.

Affiche d'un syndicat de petits et moyens patrons (1919)
Affiche d’un syndicat de petits et moyens patrons (1919)

L’image médiatico-politique qui se construit à leurs dépens nous renvoie inlassablement à l’image d’Épinal de l’homme au couteau entre les dents, la caricature diffamante dont les communistes faisaient l’objet pendant l’entre-deux-guerres. Les clichés ont la vie dure et, malgré la chute du bloc de l’Est, les médias dominants continuent de surfer sur la peur du communisme… Une étude conduite par des chercheurs de la London School of Economics, a, par exemple, montré que pendant les deux dernières semaines de campagne pour le leadership du parti Travailliste en 2015, Jeremy Corbyn avait été assimilé de manière péjorative à un communiste dans 42% des articles des 8 journaux de référence considérés. Jeremy Corbyn s’est pourtant toujours déclaré socialiste.

Affiche du British Conservative Party (1909)
Affiche du British Conservative Party (1909)

L’agressivité, la violence et la hargne sont autant de traits que l’on attribue à la bête sauvage dans l’imaginaire collectif. La bestialisation dont ils font l’objet permet à leurs adversaires de décrédibiliser de manière pernicieuse le courant politique tout entier qu’ils incarnent dans leurs pays respectifs. La colère populaire face aux injustices, dont ils entendent être les porte-parole, est alors présentée et traitée non pas tant comme l’expression politique d’un sentiment humain d’indignation, mais plutôt comme l’expression d’un bas instinct animal qu’il convient de réprimer. Ainsi, les positions anti-impérialistes et anti-OTAN de Jean-Luc Mélenchon et de Jeremy Corbyn leur valent des accusations persistantes d’accointance avec Vladimir Poutine pour le premier et avec le Hamas pour le second de la part du camp atlantiste. Par quel tour de force rhétorique leurs adversaires politiques et médiatiques arrivent-ils à insinuer une proximité idéologique entre ces deux partisans convaincus de la pertinence d’une société multiculturelle, de l’égalité homme-femme et des droits LGBT avec deux partis politiques aussi réactionnaires que Russie Unie et le Hamas ? L’explication est toute trouvée : leur penchant commun pour la violence et son utilisation en politique.

L’image du révolutionnaire sanguinaire associée à la « gauche de la gauche » en France

Au pays de la Grande Révolution de 1789, un imaginaire révolutionnaire sanguinaire s’est forgé depuis la restauration thermidorienne, et perdure encore aujourd’hui. La réduction de la Révolution Française à sa violence ne date pas d’hier et est typique de la pensée libérale comme le rappelle la journaliste Mathilde Larrère d’Arrêt sur images dans une leçon d’histoire à Thierry Ardisson et Karine Le Marchand.

Gravure de l'exécution de Louis XVI
Gravure de l’exécution de Louis XVI

Cet imaginaire fait de têtes sur des piques, de guillotines et de sang dans la Seine sert toujours à discréditer et écorner l’image des Montagnards d’hier et d’aujourd’hui. On peut citer en exemple le bien-nommé magazine “Capital” qui a publié, il y a quelques jours, un article intitulé “Impôt : la “révolution fiscale de Mélenchon s’annonce sanglante pour les plus aisés”. On se souvient également de Laurence Parisot qui, lors de la campagne présidentielle de 2012, n’a pas hésité à dépeindre Jean-Luc Mélenchon en « héritier de la Terreur ». En 2017, c’est au tour de Benoit Hamon de reprendre la vieille rengaine de l’ancienne patronne du MEDEF. En effet, suite à la demande de clarification de la part de Jean-Luc Mélenchon dans l’éventualité d’une alliance, le candidat socialiste a répondu en déclarant qu’il était contre « l’idée d’offrir des têtes » et alimente, par cette allusion, les clichés du révolutionnaire violent qui collent à la peau de Jean-Luc Mélenchon. Tout en faisant mine de continuer à tendre la main au candidat de la France Insoumise, le candidat socialiste marque symboliquement une distinction nette entre la tradition politique dont il est issu et celle dont se réclame Jean-Luc Mélenchon. De manière paradoxale, il avalise inconsciemment la théorie des deux gauches irréconciliables de Manuel Valls par l’image à laquelle il a recours, alors même qu’il n’avait eu de cesse de la pourfendre tout au long de la campagne des primaires du PS.

L’argument ultime de la folie

"Le Labour a choisi Corbyn car c'était le plus fou dans la salle" - Bill Clinton (The Guardian)
“Le Labour a choisi Corbyn car c’était le plus fou dans la salle” – Bill Clinton (The Guardian)

Ces hommes sont régulièrement taxés d’hystérie, de mégalomanie, de paranoïa, de folie des grandeurs, d’égocentrisme… Ce sont autant de termes plus ou moins médicaux qui renvoient à différentes pathologies mentales. C’est l’argument ultime de la folie. Selon des informations Wikileaks abondamment reprises par la presse internationale, Bill Clinton s’est moqué de Jeremy Corbyn, à l’occasion d’un discours privé, en expliquant que s’il avait été élu à la tête du Labour en 2015, c’est parce que les travaillistes avaient choisi « la personne la plus folle dans la salle ».  Si leurs idées paraissent si saugrenues, c’est bien parce que quelque chose ne tourne pas rond dans la tête de ces gens-là! Ces gens-là sont fous ! Ce sont des aliénés ! Étymologiquement, l’aliéné est celui qui est autre que ce qu’il paraît. Sous l’apparence de l’homme de gauche, se cache une bête. Le procès en bestialité, on y revient toujours …

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Alliance Hamon – Jadot – Mélenchon : pourquoi il faut tourner le dos au PS

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© Benoît Prieur

Hacker la présidentielle. Mettre de côté les enjeux personnels. Présenter une candidature d’union au service de la France. Un projet qui fleure bon le printemps, là où tout est rose, tout est fleuri et merveilleux. L’idée est tentante… Mais cette alliance serait un piège stratégique qui ne ferait que redorer le blason du Parti Socialiste. Cette pétition qui commence à circuler sur les réseaux sociaux est à l’initiative d’un certain nombre de personnalités dont on connaît l’engagement pour un projet de société viable. Cet appel paré de toutes les belles intentions n’en constitue pas moins une grossière erreur de jugement. Et ceux qui, en la partageant, pensent faire preuve du meilleur sens politique, font en réalité le bonheur de tous les barons du système.

Le PS ne mérite aucun pardon

Le résultat du 2nd tour de la primaire est certes une bonne nouvelle. Il marque une étape supplémentaire dans l’effondrement du vieux monde politique. Deux présidents et deux premiers ministres ont été balayés par le piège des primaires. Moins de 15% des électeurs ont participé à celles du PS et de la droite. En faisant confiance aux chiffres surgonflés par M. Cambadélis, tout au plus 2 millions d’électeurs sur 48 potentiels à l’échelle nationale ont participé à la primaire du PS. Et plusieurs milliers sans doute, se sont précipités pour gifler une deuxième fois Manuel Valls. Pas nécessairement pour applaudir Hamon.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. N’oublions pas qu’ Hamon est l’heureux héritier du bilan Hollande. Hamon est le complice de la Loi Travail, de la Loi Macron, auxquelles il s’est opposé bien mollement. Mais il est surtout responsable, alors au gouvernement, du vote du traité budgétaire européen (TSCG) en 2012 et du CICE (40 milliards offerts gracieusement au MEDEF sans contrepartie). Quelle crédibilité possède Benoît Hamon, qui prône aujourd’hui la justice sociale après avoir été membre d’un gouvernement qui l’a niée an bloc ? Il y a quelques jours, on soupçonnait le PS de manipulation des résultats au premier tour des primaires. Peu de votants, 35 000 adhérents tout au plus et un bilan catastrophique. Et soudain, au lendemain de la victoire de Benoît Hamon, un curieux bond dans les sondages, comme pour mieux rappeler au troupeau pour qui il faut voter. Le PS n’est plus qu’une coquille vide et ne mérite pas qu’on oublie son bilan. L’idée d’une convergence sous l’égide d’Hamon est tentante. Mais quelle est sa légitimité après avoir été le fossoyeur des valeurs de la gauche ?

Crédibilité et cohérence zéro 

Impossible de s’allier quand les projets sont trop différents. La pétition entend œuvrer pour un projet écologique, social et économique au service de la France. Il s’agirait de regonfler la voile de la gauche et de faire barrage aux dangers que constituent le néo-libéralisme de Fillon et Macron et la xénophobie de Marine Le Pen. Encore une fois, les électeurs ont la mémoire courte. On se remémore encore le fameux « mon ennemi c’est la finance ! » du brave Hollande. Les déclarations d’intention des candidats ne comptent pas : seules devraient nous intéresser la crédibilité des partis et la cohérence des programmes. Or, de crédibilité et de cohérence, le parti et le programme de Hamon n’en possèdent pas.

Le PS devrait d’abord commencer par résoudre ses propres incohérences en interne. On oublie vite que Myriam El Khomri dans le 18ème et Manuel Valls à Evry  sont candidats aux législatives. Cela signifie que la ministre de la Loi Travail, et le 1er ministre du 49-3 se présentent en promettant – via Hamon – d’abroger la Loi Travail et le 49-3. Sans compter les défections en cours et à venir des ténors du PS qui rejoignent Macron la queue entre les jambes, priant pour sauver leur carrière politique ! Même inconséquence pour le programme politique de Benoît Hamon : l’ex-ministre de l’Education nationale use et abuse de la communication sur un hypothétique « revenu universel » tout en jouant les européistes béats. Mais des revendications écologiques et sociales radicales ne seront pas dissociables d’une interrogation critique vis-à-vis du projet européen. Le programme de Benoît Hamon est strictement inapplicable dans le cadre de l’Union Européenne, fer de lance des politiques néolibérales et bras armé des lobbies pollueurs. Or, de son aveu même, Benoît Hamon ne croit pas à l’idée d’un “rapport de force” avec l’Union Européenne. Quelle crédibilité, dès lors, pour son programme écologique et social ?

Diviser pour régner

L’appel du pied d’Hamon et cette pétition sont un piège. Appeler à une telle convergence à moins de trois mois de l’élection présidentielle peut donner à certains l’impression d’œuvrer pour le meilleur des mondes en dénonçant le « jeu des égos » et la stratégie politicienne. C’est en réalité la manœuvre parfaite pour assurer la pérennité du système. Proposer une alliance sans avoir l’intention de, forcer les autres à la refuser, les dénoncer ensuite. Avec le renfort de la grande presse et de sondages bidonnés, huer les égoïstes et les stratèges. Le deal parfait pour semer le trouble et sauver le parti socialiste ! Classique. On nous a déjà fait le coup. Hamon, en 2012 déjà, déclarait au Figaro en parlant de Hollande : « On lui assure un flanc gauche qui évite que certains électeurs se tournent vers Mélenchon. » A moins que Hamon n’ai été touché ces 2 derniers mois par la grâce divine et la révélation écologiste, il pourrait tenir toujours le même rôle. Le risque, en définitive, à trop appeler à une convergence qui irait dans le même sens qu’en 2012, serait d’ouvrir la voie à un Macron qui siphonne d’ores et déjà des voix de tous les côtés. On apprend ce matin qu’ Hollande manifeste son soutien à Hamon. Au mieux, la preuve d’un bel aveu de filiation. Au pire, la marque de Caïn signé Hollande pour sacrifier définitivement Hamon au profit de Macron. En ce sens, et sans être défaitiste, il faut aussi s’attendre à l’éventualité d’un second tour Macron – Fillon. Dans cette perspective, aucun intérêt stratégique à se compromettre avec un parti dont les cadres abandonnent déjà le navire pour se jeter dans les bras de « monsieur Rothschild ».

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Il s’agit de refuser d’être cette fois les complices d’un PS impardonnable. Yannick Jadot refuse déjà l’idée d’une alliance, souhaitant incarner seul les idées d’ EELV, à moins qu’Hamon ne “s’émancipe du PS“. Plutôt que de s’engouffrer à nouveau dans des manœuvres d’appareil, le défi des électeurs et des candidats sera de se focaliser justement sur un programme radical. Pour redorer le blason de la gauche, engageons-nous pour un projet global de planification écologique, de relocalisation de l’économie, de fin du productivisme et de justice sociale. Le défi est bien celui d’une exigence écologique couplée à une nécessaire justice sociale. Donc ce n’est pas sur un PS compromis qu’il faudra compter ! Si penser que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, alors il apparaît indispensable de laisser le PS mourir pour mieux préparer l’avenir. Aller vers une « démocratie collaborative » implique de ne pas renouveler notre confiance à ceux qui se sont assis à la table du gouvernement. Et si Mélenchon avait les clés en main ? Il ne tient qu’à lui de fédérer pour la gagne, celle de la vraie gauche, sans concéder sur le fond. Appeler à une convergence, sans aucun doute. Mais sans le PS.

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“Le PS est atteint de maladie sénile” – Entretien avec Bastien Faudot

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Lancement de campagne de Bastien Faudot : Bastien Faudot.

Bastien Faudot est le candidat du MRC (Mouvement Républicain et Citoyen) à l’élection présidentielle de 2017. Son parti n’a pas été accepté à la primaire de la “Belle Alliance Populaire” et fait donc campagne de façon autonome. Au programme de cet entretien : la primaire du PS, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, l’école et les injustices sociales.

LVSL – Le 5 décembre, jour de notre lancement, nous révélions que vous alliez candidater à la primaire de la « Belle Alliance Populaire » (BAP). Depuis, et à l’instar d’autres responsables de gauche – Pierre Larrouturou, Fabien Verdier, Sebastien Nadot, ou encore Gérard Filoche – vous avez été recalé par les dirigeants de la BAP. Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est passé ? Quel sens a pris la primaire à vos yeux ?

Bastien Faudot – C’est très simple. Nous avions dans un premier temps refusé de participer à une opération tactique qui avait été calibrée pour permettre au président de la République sortant de retrouver une légitimité très abîmée dans l’opinion publique. Empêché de se représenter, l’annonce de son renoncement le 1er décembre ouvrait la possibilité de changer le périmètre et la nature de cette primaire. C’était même, de mon point de vue, la condition de son succès.

Le PS est atteint de maladie sénile : il a choisi le repli sur lui-même et la division

Après la victoire et la dynamique dont bénéficiait Fillon au sortir de la primaire de la droite, avec un FN situé entre 25 et 30 % d’intentions de votes, personne à gauche ne peut se désintéresser du jour d’après le premier tour. La primaire était l’occasion d’un débat franc, sincère, loyal, condition préalable à tout rassemblement. Mais le PS est atteint de maladie sénile : il a choisi le repli sur lui-même et la division. Quelques hiérarques à Solférino ne veulent pas débattre de la seule question aujourd’hui décisive : celle de la souveraineté nationale et populaire. Ils feront donc un congrès à ciel ouvert. Je leur souhaite bien du plaisir.

LVSL – L’attention médiatique est actuellement portée sur les primaires. On y voit des candidats dont le programme semble très proche du vôtre, notamment Arnaud Montebourg. Il s’est d’ailleurs entouré d’anciens responsables du MRC telle que Marie-Françoise Bechtel, chargée des questions de laïcité. Vous revendiquez d’être « La gauche qui aime la France ». Pouvez-vous nous dire ce qui vous différencie d’Arnaud Montebourg et de ses accents patriotiques ?

Je connais Arnaud et j’apprécie son panache et sa détermination. Sur le champ économique, il a le courage de remette en cause la logique de Bruxelles et des eurocrates dans une famille politique qui pratique le déni sur cette question depuis 30 ans. Il a fait l’expérience, comme ministre, de cette technostructure qui entend faire le bonheur des peuples malgré eux. Il a tenté de peser, mais il était à peu près seul, même chez ceux qu’on appelle les frondeurs, à poser la question au bon niveau. Sur la reconquête de notre secteur industriel, sur le “produire en FRANCE”, sur l’étranglement des politiques de déflation par l’offre, il a développé une vraie cohérence et une analyse sérieuse de ces sujets. Cependant, comme Tsipras, je pense qu’il s’arrête en chemin : il refuse l’austérité mais accepte la monnaie unique qui en est le moteur. Peut-être qu’il n’en pense pas moins mais qu’il sait qu’il ne peut rien en dire là où il est…

Par ailleurs, je regrette son silence sur les grandes questions régaliennes : laïcité face aux communautarismes, autorité de l’Etat et sécurité, indivisibilité de la Nation. Il est favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales, moi pas. Ces sujets ne sont pas accessoires, ils sont un point d’équilibre de la question sociale. D’une manière plus générale, la gauche ne peut pas se désintéresser de ces sujets là en se focalisant de façon exclusive sur les sujets économiques et sociaux. Ce qui fait société, ce ne sont pas seulement les conditions matérielles d’existence.

LVSL – De même, on peut se demander si un candidat tel que Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas été un partenaire possible pour le MRC dans cette élection présidentielle. En effet, celui-ci s’est rapproché des positions que tient le MRC sur la construction européenne et l’euro, tout en tenant un discours républicain. Pourquoi une dynamique de rassemblement du « Non » de gauche à l’UE ordolibérale, que votre parti incarne par ses positions, ne s’est-elle pas enclenchée ? Quelles raisons devraient pousser les électeurs à voter Faudot plutôt que Mélenchon ?

Suivre le parcours de Mélenchon demande un vrai effort. Sénateur socialiste pendant 20 ans, il fait aujourd’hui campagne contre le système. Il a les qualités et les défauts de Nicolas Sarkozy : il a son énergie, une capacité quasi magnétique de capter son auditoire, mais il est lui aussi un exalté. Il suffit de relire son discours au parlement sur Maastricht pour comprendre le symptôme : il fait un portrait dithyrambique du choix de l’Europe fédérale et de la monnaie unique. Vingt cinq ans plus tard, il n’a jamais de mot assez sévère contre cette Europe qu’il chérissait tant. Qu’on se comprenne bien : je ne lui reproche pas d’avoir changé d’avis, au contraire, mais je suis toujours très circonspect sur la vigueur des nouveaux convertis.

Mais à l’inverse de Sarkozy, Mélenchon est un homme instruit, très cultivé, doté d’une vraie pensée politique. C’est rare et ça mérite d’être souligné.

Sur le fond, je suis en complet désaccord avec son grand Bing bang institutionnel de la 6ème République. Pour trois raisons : la première, c’est que je crois qu’on a autre chose à faire que de lancer une constituante au printemps prochain compte tenu de l’urgence économique que nous devons traiter. Un tel processus va occuper le pays jusque quand ? Ensuite, sa 6ème République est une république suspicieuse à l’égard des élus. Mais on ne résoudra pas la crise de confiance en constitutionnalisant la défiance ! C’est le cas avec les procédures de référendum révocatoire par exemple. Des garde-fous, oui, des élus en permanence sur la sellette, non. Enfin, il faut que notre Nation perde la mauvaise habitude qui consiste à changer de constitution deux fois par siècle. Il ne faut pas confondre contenu et contenant. Il y a des ajustements à faire, mais pour le reste concentrons-nous sur le contenu des politiques publiques.

Voter Faudot, c’est voter pour une continuité et une ligne qui ne varie pas au gré des circonstances. C’est aussi voter pour le renouvellement du paysage politique. Je n’ai jamais fait dans le jeunisme, mais il y en a franchement marre de recevoir des leçons d’une génération qui s’est goinfrée pendant les trente glorieuses et qui nous rend la France dans cet état.

LVSL – On parle peu d’éducation dans cette campagne, sauf pour s’autocongratuler des réformes réalisées du côté du PS ou pour promettre des suppressions de fonctionnaires du côté de François Fillon. Dans votre programme, vous avez inscrit des propositions fortes sur l’École Républicaine, avec l’abrogation de la réforme du collège et l’augmentation de 25% du salaire des enseignants sur 5 ans. Vous allez même plus loin, et proposez le port obligatoire de luniforme à l’école, pourquoi cette mesure ?

L’école, comme toutes les institutions publiques, est confrontée à des problèmes de moyens après 30 années d’offensive libérale contre l’État. C’est un sujet sur lequel les gouvernements de François Hollande ont plutôt fait le boulot, il faut être juste.

Il reste un point noir : la rémunération des professeurs qui est aujourd’hui très sous-évaluée. Les professeurs allemands gagnent près du double ! Les 25% d’augmentation que je propose sont un minimum absolu car nous sommes aujourd’hui confronté à une crise des vocations. Or, nous ne redresserons pas cette grande et belle institution sans ceux qui la font vivre tous les jours. Si l’on veut un corps de hussards, nous devons valoriser leur mission et notamment à travers la fiche de paie.

Mais les problèmes que rencontre l’école de la République ne se résument pas à la question des moyens. C’est d’abord toute l’approche qui doit être réinvestie après trente années de dérive pédagogiste, cette petite morale misérabiliste, qui triomphe au ministère et dans les IUFM. La réforme du collège incarne cette approche jusqu’à la caricature : enseignements interdisciplinaires qui relèvent davantage de l’animation que du cours, remise en cause de l’enseignement des humanités et notamment des langues anciennes, territorialisation de l’enseignement en fonction des publics. On assomme les professeurs avec la réformite permanente. Avec moi, les enseignants ont deux garanties : ils feront leur métier, c’est-à-dire d’abord transmettre les savoirs, et on leur foutra la paix car toute c’est toute l’institution qui a besoin de stabilité.

Sur l’uniforme, je m’étonne que cela étonne. L’école n’est pas la rue. Pour ma famille politique, c’est un lieu à part. Dans le monde entier, une grande majorité de pays, sur les cinq continents, pratiquent l’uniforme pour les élèves jusqu’au lycée. En quoi cela pose-t-il problème pour notre gauche bien-pensante en France ? Le vêtement, pour les plus jeunes, renvoie à des appartenances sociales parfois violentes : il y a ceux qui portent de grandes marques et ceux qui s’habillent chez Kiabi. Je crois que le rôle de l’école est aussi d’apprendre aux futurs citoyens que l’individualité ne procède pas de l’apparence. Et puis cela règle tous les problèmes de vêtements provocants, des tenues inadaptées, mais aussi de revendication religieuse.

LVSL – 32h, 10% d’augmentation du SMIC, retour à la retraite à 60 ans, suppression de la moitié des niches fiscales, sortie de l’euro et sortie du cadre budgétaire européen, votre programme économique est un programme de rupture avec le néolibéralisme et avec l’Union Européenne. N’avez-vous pas peur du saut dans l’inconnu ? Pensez-vous que l’Allemagne laissera faire ? Qu’est-ce qui justifie ces mesures ?

Ce dont j’ai peur, ce n’est pas qu’on saute dans l’inconnu, mais plutôt qu’on poursuive ce qu’on connaît trop et qui échoue.

Je vais me permettre d’être assez général, mais je veux rendre compte de ce qui motive mes choix politiques. La rupture que je propose avec le monde libéral procède de l’idée que je me fais de l’humanité. Les libéraux veulent nous réduire à nos fonctions marchandes parce qu’ils sont convaincus que nous ne sommes mus, tels les animaux, que par des intérêts immédiats. Leur projet, c’est la naturalisation des  rapports sociaux, le retour à l’état de nature où chacun est en concurrence avec son voisin, son collègue. Ces rivalités existent bien sûr, et elles génèrent aussi des effets stimulants, mais si elles ne sont pas corrigées, encadrées, réglementées, alors c’est un monde de la toute puissance pour quelques uns, d’avilissement et de soumission pour tous les autres.

Ils veulent faire du business sans État, accumuler du capital tranquillement et impunément, ne pas payer d’impôt, mais par contre ils veulent que l’Etat assure leur sécurité et protège leur capital. C’est une escroquerie en bande organisée.

Le rêve des libéraux, d’une économie sans État, sans contrainte, où l’on laisse faire l’autorégulation naturelle, la main invisible, c’est un fantasme d’ado. D’ailleurs, je note qu’il faut beaucoup d’État et beaucoup de lois en réalité pour protéger les intérêts de ces pseudos libéraux ! Le capital, comme la violence physique la plus brutale, broie aujourd’hui les 3/4 de l’humanité. Ils veulent faire du business sans État, accumuler du capital tranquillement et impunément, ne pas payer d’impôt, mais par contre ils veulent que l’Etat assure leur sécurité et protège leur capital. C’est une escroquerie en bande organisée.

Donc oui, mes propositions visent à remettre de la puissance publique, non pas de façon hégémonique, mais de façon stratégique pour permettre à tous les Français d’avoir un rôle, une reconnaissance, une utilité sociale et vivre dans la dignité. Le mérite individuel, le désir de confort, le goût pour l’argent font le reste, je ne suis pas communiste. Mais quand le travail ne permet plus à chacun de gagner son autonomie, nous avons un problème grave.

Quant aux Allemands et à l’Union européenne, je vais être très net : la France n’a pas de comptes à leur rendre. Ma génération n’a connu que les crises, malgré les bons sentiments européens, malgré les refrains sur le couple franco-allemand. Je me sens plus solidaire des 3 millions de mes compatriotes de moins de 30 ans qui sont dans la précarité, que des retraités allemands qui veulent le statu quo pour protéger leur retraite par capitalisation. Si je dois choisir entre les deux, je choisis les premiers sans aucune hésitation.

LVSL – Selon nos informations, vous seriez encore loin des 500 parrainages nécessaires pour l’élection présidentielle de 2017. Que comptez-vous faire si jamais vous n’obtenez pas les parrainages dont vous avez besoin ?

Je ne sais pas ce que sont vos informations. Nous avons un peu plus de la moitié des promesses nécessaires. J’en ai récupéré encore hier et aujourd’hui en me déplaçant dans l’Aisne. On sait depuis le départ que le défi est difficile car nous sommes face à un double verrouillage : les parrainages et les médias. Mais je refuse de jouer la partition de la plainte. Si les élites médiatiques et les élus ne comprennent pas l’intérêt de donner la parole à la gauche souverainiste dans ce débat, le danger ne cessera de croître et la crise politique de s’approfondir.

Nous sommes une organisation politique modeste, notre réseau d’élus ne suffit pas. On se pose les questions les unes après les autres. Si nous ne parvenions pas à obtenir les parrainages, nous prendrions les décisions utiles d’abord au pays, ensuite à la gauche. Mais, quoi qu’il advienne, notre voix portera dans les années qui viennent. Pas parce qu’on a raison seuls contre tous, mais parce que le réel a raison. Je prends rendez-vous.

Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL

Crédit Photo : http://www.ouest-france.fr/sites/default/files/styles/image-640×360/public/2016/12/06/bastien-faudot-candidat-la-primaire-organisee-par-le-parti-socialiste.jpg?itok=WG4MhY0N

“Les ouvriers sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique” – Entretien avec Jack Dion

Jack Dion, directeur-adjoint de Marianne

Jack Dion est directeur adjoint de l’hebdomadaire Marianne et l’auteur de l’essai, Le mépris du peuple : Comment l’oligarchie a pris la société en otage, paru en 2015 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Dans cet ouvrage, il pointait la manière dont les catégories populaires ont été rendues invisibles et suspectes par une caste qui dispose de tous les leviers de pouvoir.


LVSL – Est-on revenu à l’image très XIXème siècle des « classes dangereuses » ?

Jack Dion – Il y a un peu de ça, mais le contexte est très différent. Marx disait : un spectre hante l’Europe, le communisme. Aujourd’hui, on pourrait dire : un spectre hante le monde, le populisme.  On emploie ce mot valise pour tout et n’importe quoi. On l’évoque aussi  bien pour le Brexit que pour la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, pour la défaite de Renzi en Italie que pour la percée de Poutine sur la scène internationale. En France, on l’utilise pour jeter dans le même sac d’opprobre ceux qui se trompent de colère en votant FN et ceux qui sont sensibles à la musique alternative d’un Jean-Luc Mélenchon, par exemple. Ce concept fourre tout est devenu le mot favori de ceux qui ne comprennent pas les dérèglements politiques contemporains. On le retrouve sous toutes les plumes, on l’entend dans toutes les bouches.

Le populisme est ainsi devenu l’idée référence, le mantra agité en permanence. Il est asséné comme une formule magique qui revient à dire que le peuple fait sécession – sans que l’on sache pourquoi – ou qu’il ne comprend rien à rien, ou qu’écouter ses doléances est un crime contre la pensée correcte.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition.

Certains vont même jusqu’à théoriser qu’il n’est nul besoin de s’intéresser aux couches populaires puisqu’elles fournissent les bataillons des abstentionnistes aux élections. A quoi bon écouter des gens qui sont en dehors du système validé par les élites, que ces dernières soient de droite dure ou de gauche molle ?

La mise en rencart des couches populaires est ainsi devenue la donnée politique dominante de la société française. Tout le monde (ou presque) semble s’en accommoder, soit en considérant que c’est inévitable, soit en spéculant sur d’hypothétiques jours meilleurs pour en sortir. C’est sur cette réalité que le FN fait sa pelote politique, utilisant ainsi les douleurs et les frustrations pour avancer ses thèses.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition. Ils sont absents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils sont inexistants aux postes de direction des partis politiques. Ils sont caricaturés par les principaux médias, souvent présentés comme des beaufs racistes sensibles au discours xénophobe. Leur parole n’est jamais prise en compte alors qu’ils sont les premières victimes des politiques néolibérales menées ces trente dernières années, soit par la gauche soit par la droite. Ils sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique.  D’où un décrochage durable qui fait du peuple le trou noir de la scène publique.

L’UNION EUROPÉENNE, TELLE QU’ELLE FONCTIONNE, EST UNE MACHINE À CRÉER DES EUROPHOBES À LA PELLE

LVSL – Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique du Brexit et de la façon dont son résultat a été contesté ?

J.D. – Il a été aussi caricatural que l’est toute analyse incapable de comprendre la réalité complexe en raison d’une grille de lecture préétablie dont il est impossible de sortir. Les élites avaient décidé que l’hypothèse du Brexit était une abomination, une perversion intellectuelle, quasiment un blasphème, et qu’il fallait donc diaboliser quiconque évoquait la possibilité d’une telle perspective. Elles se sont donc trompées, avant, pendant et après le choix souverain du peuple britannique. Avant, en ne voyant pas que l’Union Européenne, telle qu’elle fonctionne, est une machine à créer des europhobes à la pelle, pour de bonnes et parfois pour de mauvaises raisons. Pendant, en croyant les sondages qui assuraient que les défenseurs du Brexit étaient isolés. Après en n’imaginant même pas qu’il puisse y avoir une vie possible pour la Grande-Bretagne en dehors de l’Europe, alors même que ce pays a parfaitement survécu à son maintien en dehors de la zone euro, profitant de la marge de manœuvre que lui confère l’existence d’une monnaie nationale.

La France a connu un phénomène similaire en 2005 à l’occasion du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE). A l’époque, déjà, quiconque osait contester la logique du TCE était traité de populiste, ou de national-populiste (version plus sophistiquée), voire de fasciste en herbe. Quand Manuel Valls, qui avait d’abord pris partie pour le Non se rallia au Oui, il le fit en expliquant, dans une tribune publiée par Le Monde, que l’Europe était menacée par une vague de « populisme » (déjà). Serge July, alors directeur de Libération, restera comme l’auteur d’un éditorial destiné à figurer dans les annales de l’analyse politique en voyant dans le résultat du référendum « un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité ». En somme, les Français n’avaient pas voté en connaissance de cause, mais par peur, par réflexe animal.

Le débat européen était déjà ramené à un clivage entre les gens de biens, membres d’une avant-garde éclairée, et les gens de peu, ignorants. C’est ce qui s’est passé pour le Brexit. Certes, une partie de l’élite britannique a appelé à voter contre l’Europe pour des raisons xénophobes, mais ce n’est pas une raison pour faire de tous ceux qui ont voté en faveur du Brexit des racistes avérés refermés sur eux-mêmes et décidés à bouffer de l’étranger à la place du porridge.

LVSL – Des partis, des hommes et des femmes politiques cherchent à incarner une forme d’insurrection populaire. Parfois sous un verni de droite avec Donald Trump et l’AfD en Allemagne, parfois sous un verni plus progressiste avec Podemos et Jean-Luc Mélenchon, enfin sous des traits assez flous, avec le Movimento Cinque Stelle en Italie. Est-ce que l’on vit actuellement un « moment populiste » ?

J.D. – Je suis assez réservé sur l’usage de cette formule pour des raisons développées précédemment, et tenant au fait que le terme de « populiste » est très insultant vis-à-vis des milieux populaires. De plus, la formule peut aboutir à mettre dans le même sac des réactions et des comportements politiques qui sont antinomiques. Il est clair que l’on ne peut comparer les différentes formes d’insurrection populaire que vous avez évoquées. Entre Trump et Podemos ou entre L’AfD et Mélenchon, c’est le jour et la nuit, ou l’eau et le feu. Reste un point commun qui est le rejet des politiques austéritaires menées au fil des ans par des partis politiques qui suscitent un véritable phénomène de rejet, et des élites qui en sont devenues les symboles en chair et en os, comme l’a été Hillary Clinton aux Etats-Unis.  Cette dernière a quand même réussi à se faire battre par un représentant de Wall Street mieux à même de faire entendre un discours en prise sur les angoisses de la classe ouvrière américaine, aussi surprenant que cela puisse paraître. Au lieu de se demander si la main de Moscou est derrière la victoire de Trump, ce qui est du plus grand ridicule, mieux vaudrait tirer les leçons de la débâcle de Hillary Clinton et de Barack Obama réunis, ces deux chouchous des bobos de San Francisco et de Brooklyn. Toute la question est de savoir si l’insurrection civique qui couve débouchera sur une voie sans issue, telle la victoire de Trump aux Etats-Unis ou un éventuel renforcement du FN en France, ou si ce sont des forces et des courants porteurs d’une vision émancipatrice qui l’emporteront. Bien malin qui pourrait le dire.

LVSL – Certaines choses semblent avoir changé depuis la parution de votre ouvrage. Les candidats du « système » se revendiquent ouvertement du peuple et partent à l’assaut des médias. On pense ici à certaines déclarations de Manuel Valls, à la posture d’Emmanuel Macron qui critique le « vieux système », ou encore à François Fillon, qui avait ouvertement taclé Pujadas au cours d’un des débats de la primaire de la droite. Que pensez-vous de ce renversement ?

J.D. – Ce renversement illustre le phénomène qui est au cœur de mon livre, à savoir la coupure, la fracture même, entre le peuple et les élites, phénomène qui dépasse de loin le clivage traditionnel droite/gauche puisqu’une partie de la gauche a sombré corps et biens dans la gestion pépère du capitalisme financier. Du coup, certains sont obligés de prendre en compte cette réalité, ne serait-ce que pour ne pas se couper d’une partie majoritaire de l’électorat sans laquelle il est illusoire de prétendre être élu. Mais ils le font avec des stratégies différentes. Manuel Valls ne veut pas porter le poids du bilan de François Hollande, qui risque de le plomber en raison de son parcours de Premier ministre d’un Président ultra minoritaire dans l’opinion. Emmanuel Macron perçoit certains des blocages institutionnels mais vise un rassemblement « ni gauche ni droite » sur la base d’un néolibéralisme intégral. Quant à François Fillon, s’il a été plébiscité lors de la primaire par la crème d’un électorat de droite CSP+, il a un programme d’inspiration thatchérienne qui peut le handicaper dans la dernière ligne droite. Cela dit, il faut reconnaître que sur certains points, comme le rapport à la Russie ou la condamnation de l’islamisme, il a un discours qui rompt avec le droit-de-l’hommisme en vigueur dans les médias et dans la gauche bourgeoise. D’où une impression de parler vrai et une hauteur de vue qui ont tranché lors des débats de la primaire, y compris lors des échanges avec des journalistes en tous points conformes à leur propre caricature.

LVSL – On pointe régulièrement le fait que le FN s’implante de plus en plus chez les ouvriers, les employés précarisés et les inactifs. Le « peuple » est-il passé à l’extrême-droite ? Quel rôle va-t-il jouer pendant l’élection présidentielle de 2017 ?

J.D. – Non, le peuple n’est pas passé à l’extrême-droite, mais il faut se demander pourquoi il est sensible à sa petite musique. Plusieurs causes sont à prendre en considération. La première est que le FN apparaît comme le seul parti non concerné par le rejet des équipes ayant exercé le pouvoir ces dernières années.  C’est un fait objectif qui permet au FN de se présenter comme un parti ayant les mains propres, ce qui est un comble quand on connaît son histoire, ses liens douteux et les gamelles que traînent certains de ses représentants. Mais l’alternance de pacotille qui a permis aux partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche, de se relayer aux affaires pour mener une politique similaire (au détail près) a ouvert un boulevard à l’extrême-droite. Le second élément à prendre en considération, plus structurel, est l’échec historique du communisme tel qu’il a existé du temps de l’URSS. La conséquence en a été l’effondrement du PCF qui a longtemps été le porte voix des exclus, et qui a été en partie remplacé dans ce rôle par le FN. Ce disant, je ne mets pas le PCF et le FN sur le même plan. Loin de moi cette idée saugrenue qui traîne parfois de ci de là, et qui est passablement injurieuse pour les communistes, quoi que l’on pense de leurs errements passés et de leurs choix d’aujourd’hui. Mais force est de constater que le vote contestataire a été récupéré en partie par le FN. Dans les quartiers populaires, le rôle social, culturel et politique naguère assuré par les communistes l’est par d’autres, qui n’ont pas le même attachement (c’est un euphémisme) aux valeurs républicaines, à commencer par la laïcité et l’émancipation féminine. Enfin, le dernier élément à prendre en compte est l’abandon par les forces se réclamant de la gauche, de bien des terrains de combat, permettant ainsi au FN d’apporter des réponses au mieux illusoires au pire dangereuses.

Ainsi, a-t-on oublié le rôle de la nation, les vertus de la laïcité, la nécessaire régulation de l’immigration pour ne pas nourrir la guerre des pauvres contre les pauvres, la lutte contre toutes les formes d’insécurité (sociale, civile culturelle), ou la question européenne, jugée intouchable par les Eurobéats de tous poils.  Résultat : sur tous ces sujets comme sur d’autres, on a laissé le FN avancer ses pions, aussi critiquables soient-ils. Pourtant, il n’y a aucune fatalité à ce qu’il en soit ainsi. Contrairement à ce qu’on lit dans la Pravda des bobos, titre que se disputent Le Monde et Libération, les Français ne sont pas des racistes invétérés, insensibles aux autres. On n’en est pas revenu aux « heures les plus sombres de notre histoire », comme disent ces esprits qui se croient encore à l’époque des Républicains espagnols en lutte contre le fascisme. Simplement, à oublier de regarder la réalité telle qu’elle est, à remplacer la politique par la morale permanente, on se coupe de ceux qui ont les deux pieds dans la glaise de la vraie vie, et qui attendent des réponses à leurs questions, non des sermons culpabilisants. D’une certaine manière, tout l’enjeu de la prochaine présidentielle est là.