Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

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Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

Crédit photo : ©kamiel79. L’image est libre de droit. 

1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

Danielle Simonnet : “La bataille culturelle est première”

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Danielle Simonnet ©Thomas DIPPE

On a parlé réseaux sociaux, humour, uberisation et populisme avec la Conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche, Danielle Simonnet…

LVSL – Vous réalisez des vidéos courtes pour attirer l’attention sur différents problèmes, comment combinez-vous votre savoir-faire politique classique et cet usage des réseaux sociaux ?

Danielle Simonnet – Ma première tâche politique c’est d’éveiller les consciences. A travers ces vidéos courtes, j’essaye, en partant de problématiques concrètes de démontrer la logique néolibérale à l’œuvre, d’aborder un sujet d’actualité, pour faire réagir. C’est une tâche essentielle que de mener ce type de bataille culturelle, car il ne faut pas oublier que la bataille culturelle est première.

LVSL – Vos vidéos vous donnent accès à une large audience. La vidéo sur La Poste ou vous dénoncez les fermetures de bureaux, a récemment fait 500 000 vues sur Facebook…

DS – Oui, je me suis rendue compte qu’un communiqué de presse est moins souvent repris par les médias, alors même que la plupart des médias disposent d’une audience qui est limitée. Une vidéo peut dire tout autant, et aussi bien qu’un article dans la presse, tout en étant partagé des milliers de fois, et vues par des centaines de milliers de personnes. Une vidéo à fait plus d’un million de vues (Ndlr : 1,2 million), c‘est celle d’une intervention à la mairie de Paris sur les liens financiers entre le groupe Lafarge et l’Etat islamique, alors que Lafarge fournissait le sable de Paris Plages.

C’est un sujet grave : comment lutter économiquement contre les terroristes, mais pris avec un exemple concret, et avec l’objectif de dénoncer un pouvoir public hypocrite. Une vidéo avec autant de personnes qui la regardent, je pense que ça peut permettre d’éveiller des consciences .

« Il faut casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle »

LVSL – Est-ce que ça vous permet de sortir d’une zone de confort politique (celle où l’on s’adresse à des convaincus) et ainsi de vous adresser à des publics, des électorats, différents de celui de la gauche radicale ?

DS – Tout à fait, je le vois dans les commentaires sur les réseaux sociaux. Ma page Facebook est passée de 4000 j’aime à presque 22 000 en 6 mois depuis que je fais des vidéos courtes. Et je vois bien dans les commentaires, quand j’explique pourquoi il faut voter pour Mélenchon à la fin de mes vidéos, même si beaucoup de personnes apprécient mes idées ils ne sont pas forcément d’accord avec cette conclusion. C’est que l’objectif est réussi.
J’ai touché un public plus large que les gens de la France Insoumise (Ndlr : Mouvement de soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon et au programme L’Avenir en Commun) ou PG-compatibles (Ndlr : PG, Parti de Gauche, cofondé par J-L Mélenchon) . C’est ça qui m’intéresse : avoir un auditoire beaucoup plus large, ce qui me force à synthétiser un propos.
Par exemple, la vidéo sur La Poste qui a fait énormément de vues, devant un bureau de poste qui transfère ses activités aux petites supérettes, je dis : « Il n’y a pas écrit La Poste ici mais carrefour ». Une telle manière de dénoncer ce gouvernement qui casse la poste publique peut enclencher une réflexion sur le devenir du service public mieux qu’un propos désincarné.


Il est nécessaire de s’exprimer tels que nous sommes : des citoyens comme tout le monde. et mes vidéos ne font pas la leçon, j’assume d’être une citoyenne comme tout dans le monde qui interpelle sur un problème concret et largement ressenti. C’est aussi un moyen de casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle qui véhicule l’idéologie dominante. C’est une bataille essentielle pour que le peuple reprenne le pouvoir.
Voilà pourquoi je me suis filmée dans mon plumard (rires) pour dénoncer le travail le dimanche ! Et puis ce sont aussi les femmes qui vont subir cette remise en cause d’un acquis essentiel. Là c’est du concret et c’est de l’universel : tout le monde à envie de faire la grasse mat’ le dimanche ! Il faut montrer que la politique concerne tout le monde et cela implique de se mettre dans un rapport d’égalité.

« Le peuple doit se réapproprier sa souveraineté. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. »

LVSL – Ça rentre dans une stratégie populiste de s’adresser au-delà de l’électorat de gauche ?

DS – Il faut se méfier du terme “populiste” qui est souvent utilisé à tort et à travers. Mais oui je veux permettre au peuple de se réapproprier sa souveraineté, dans une démarche populaire, en suscitant, avec de nouvelles façons de faire (les criées dans le métro, les réseaux sociaux…) l’envie de reprendre en main notre destin collectif. Si c’est du populisme je l’assume avec fierté. Je suis convaincue qu’avec de l’humour, avec le rire on peut aussi atteindre une subversion absolue. La politique du spectacle s’en sert, à nous de le retourner pour contester le système, avec ceux qui ont confiance dans l’avenir, parce qu’ils sont dans cette insolence là, d’essayer de changer le cours de l’histoire. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. L’humour dans ce qu’il a d’insolent est une arme contestataire.

LVSL – Vous animez aussi une “conférence gesticulée” intitulée « Uber, les Salauds et mes Ovaires »…

DS – L’invention des conférences gesticulées de Franck Lepage, vient de la volonté de montrer que tout le monde, par ses engagements personnels, syndicaux, associatifs, citoyens, est en capacité d’être médiateur, de produire du savoir, de donner une incarnation à du savoir froid. Plutôt que de faire des conférences avec des sachants, où l’on déverse un contenu froid, la conférence gesticulée s’appuie sur une dynamique de groupe. Dans la méthode d’élaboration, c’est vraiment de l’éducation populaire. Ça m’a permis notamment d’assumer l’aspect féministe sur Uber, de raconter les anecdotes drôles que j’avais pu vivre. Ensuite, les gens viennent à un spectacle, donc je n’ai effectivement pas les mêmes gens que j’aurais à un meeting politique. Et ça c’est intéressant. Et ensuite il s’agit de savoir comment on raconte une histoire dans laquelle tout le monde peut se projeter, avec des gens qui s’ouvrent au contenu qui est transmis.

LVSL – Pouvez-vous nous rappeler les dangers de l’uberisation ?

DS – L’uberisation c’est le développement de plate-formes qui mettent en relation clients et autoentrepreneurs pour un service, et elle se développe dans plusieurs secteurs. C’est une façon pour le capitalisme d’exploiter des nouvelles technologies, et d’imposer des salariés sans droits. C’est un grand remplacement ! Pas celui des fachos, mais le grand remplacement des entrepreneurs qu’on substitue au salariat, où les plates-formes s’exonèrent des cotisations salariales, du droit du travail, et où on peut entre autre déconnecter d’une plate-forme comme Uber sans procédure de licenciement. La logique de la plate-forme est de ponctionner de l’argent, et de s’exonérer des cotisations fiscales, parce que ça va directement dans les paradis fiscaux, en passant par les Pays-Bas. L’uberisation, en s’appuyant sur le consumérisme, en proposant un service a priori moins cher, plus pratique et moderne, rend complice d’un suicide social collectif. Les consommateurs sont invités à utiliser l’uberisation et à devenir complices de la casse de l’État social, et d’un système d’évasion fiscale.

Donc c’est vraiment la grosse merde. (Rires)

LVSL – On a vu que Mélenchon était l’homme politique avec le plus d’abonnements sur Youtube, est-ce que cela peut avoir une influence sur l’élection présidentielle cette présence sur les réseaux sociaux ?

DS – Bien sûr ! C’est la capacité d’être son propre média, de mener sa campagne de manière autonome par rapport aux médias structurellement liés à des logiques oligarchiques. Maintenant il n’y a pas que ça, il y aussi un excellent programme, des mobilisations sur le terrain… Il ne faudrait pas croire que les réseaux sociaux peuvent se substituer à la présence sur le terrain, d’où l’intérêt de grands rassemblements humains, physiques. Le 18 Mars nous faisons une grande marche qui permet à la force citoyenne de se vivre comme force et de se retrouver physiquement. Et ça augmente sa capacité à se construire elle même et à exister en tant que force qui peut prendre le pouvoir.

Pour conclure, le travail sur internet vient en complément du travail militant !

(Propos recueillis par Paul Ajar)

Photo : ©Thomas DIPPE

Primaire de la BAP : Camba n’attend ni Faudot ni Nadot !

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©Marie-Lan Nguyen

A la suite de Pierre Larrouturou et de Nadot, Bastien Faudot a été recalé de la primaire de la BAP (Belle alliance populaire). Que va-t-il se passer après cette humiliation pour l’ancien parti de Jean-Pierre Chevènement ?

Nous vous informions lundi en exclusivité de la candidature de Bastien Faudot à la primaire de la Belle Alliance Populaire. Cambadélis, sollicité également par le « progressiste » Nadot du parti de Robert Hue, et par Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), a dit non à l’ « open bar ».

C’est un revers pour la candidature Faudot. Surement celle qui était la plus avancée des trois, avec un nombre de parrainages flirtant avec les 200, la chute n’en est que plus grande. Pour rappel, dimanche, lors d’un conseil national, le MRC avait voté la participation de son candidat à la primaire. Malheureusement pour eux, ils n’étaient pas invités à y participer. D’ailleurs, ils avaient refusé d’y participer il y a un an. Jean-Luc Laurent, député du Val-de-Marne et président du MRC, avait même paraphrasé Boris Souvarine pour qualifier la Belle Alliance Populaire : « autant de mensonges que de mots »[1]. Pour lui, l’alliance proposée par Jean-Christophe Cambadélis était une « parodie » de la gauche plurielle. Force est de constater que Cambadélis n’a pas apprécié ce revirement.

En définitive, seuls les membres fondateurs de la BAP, Mélenchon et Macron sont invités.

 Jean-Christophe Cambadélis, dans une allocution télévisuelle, a rendu compte des décisions de la haute autorité de la BAP. Seuls le PS, les Ecologistes ! de de Rugy, le Front Démocrate de Benhamias et le PRG de Pinel, tous membres fondateurs de la « Belle Alliance Populaire », seront invités à la primaire. C’est « trop tard » pour les autres. Il n’y a pas d’ « open bar », a-t-il ajouté… avant de se contredire deux minutes plus tard ! En effet, si Faudot, Nadot et Larouturou, volontaires, ne sont pas invités, Mélenchon et Macron, bien décidés à présenter leur candidature hors-primaire, le sont, eux. Une décision rocambolesque qui a plus à voir aux sondages et aux capacités réelles de nuisance qu’à un quelconque règlement. Comme l’a rappelé Laurent de Boissieu dans La Croix[2], la décision du PS résulte d’un choix politique, aucun règlement n’existant pour des candidats hors-BAP. Les candidats malheureux semblent donc légitimes dans le fait de pointer l’hypocrisie du PS, qui appelle depuis des semaines au rassemblement.

Pour le MRC, l’enterrement de sa candidature et la fin de l’illusion d’une capacité de nuisance ?

Pour le MRC, c’est un coup dur. La décision, nous l’avons rappelé lundi, était déjà contestée en interne, et a provoqué la démission de plusieurs secrétaires nationaux. C’est maintenant une humiliation politique pour un parti qui revendique 6.000 adhérents mais qui, depuis le départ de Jean-Pierre Chevènement, pourrait en avoir selon des sources internes, que le dixième. Tout de même, les démissions semblent endiguées par l’annonce de Cambadélis. En interne, ceux qui contestaient la décision en appellent désormais à un congrès extraordinaire. « Un congrès extraordinaire peut être convoqué par le conseil national ou par un tiers des adhérents à jour de cotisation » nous a confié un cadre s’étant opposé à la participation à la primaire. « Le MRC a réussi à survivre sur le souvenir de Jean-Pierre Chevènement et de ses plus de 5% à la présidentielle de 2002 qui, pour beaucoup de socialistes, avait empêché Lionel Jospin de se qualifier au deuxième tour. Nous recaler de la primaire, c’est dire que nous n’avons plus aucun pouvoir de nuisance ».

Et maintenant quel destin pour le MRC ?

 Avec deux députés élus avec le soutien du parti socialiste, le MRC risque de ne pas en finir avec les échecs. La troisième députée était partie à République Moderne avec Jean-Pierre Chevènement après le congrès de 2015 (elle soutient désormais Arnaud Montebourg). Et le seul député en mesure d’être réélu, Christian Hutin (Nord), est déjà vice-président de République Moderne (et du MRC). Une situation assez originale mais qui pourrait lui permettre de garder le soutien du PS si Montebourg est désigné en janvier comme candidat de la BAP. Déjà aux dernières élections locales, le MRC avait perdu de nombreux élus. Outre les régions perdues par la gauche ou sans plus aucune représentation de la gauche élue (le MRC avait 5 élus dans les régions Nord-Pas de Calais et Picardie, un en PACA), le MRC a fait alliance dans de nombreuses régions avec le PCF, sans que cela ne procure d’élus.

Une stratégie à « géométrie variable » qui était une première pour le parti. Cette évolution fut freinée par le résultat de la consultation interne du PCF : André Chassaigne, candidat officieux à la présidentielle, entretient de très bonnes relations avec le MRC national et local. Il avait participé il y a deux ans à une conférence à l’assemblée nationale organisée par le MRC : « Faut-il sauver l’euro ? » Localement, il avait mené les tractations avec le MRC pour que la liste de Cécile Cukierman, en Auvergne Rhône-Alpes, soit une liste PCF-MRC. Mais la décision des militants communistes rendit mort-née cette possibilité. Le ralliement à Mélenchon ne semble pas une option alors qu’à la base, certaines convergences semblent se dessiner entre les militants de La France Insoumise et le MRC. Hier, Bastien Faudot qualifiait d’ « erreur politique » l’absence du candidat de la France Insoumise des primaires. On peut se demander si néanmoins, il ne va pas être obligé de revoir son jugement.

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