Bruno Retailleau à Beauvau : le Cheval de Troie de la droite réactionnaire

Bruno Retailleau © UMP – Octobre 2013

L’annonce du gouvernement Barnier a scellé officiellement une alliance entre une macronie radicalisée et une droite en quête de pouvoir, après sept années d’absence. Une coalition désormais sous l’influence du Rassemblement National, la députée Laure Lavalette (RN) n’ayant pas hésité à affirmer sur le plateau de BFMTV : « Quand on écoute Bruno Retailleau, (…) on a l’impression que c’est un porte-parole du Rassemblement national. » À Beauvau, l’arrivée de Bruno Retailleau, sénateur traditionaliste attaché à un imaginaire du passé glorifié et défenseur d’une conception autoritaire de la société, marque ainsi une étape décisive dans la progression de l’extrême-droite. Les figures issues des rangs de cette dernière ont néanmoins le mérite de faire ressurgir une alternative décisive, héritée des lendemains de la Révolution française : la République monarchique de l’ordre contre le mouvement d’une République démocratique et sociale. Retour sur le parcours du nouveau ministre de l’Intérieur et décryptage de « la politique de la majorité nationale»fondamentalement réactionnaire qui s’annonce.

Ce matin du 23 septembre, le personnel du ministère de l’Intérieur se rassemble pour assister à la passation de pouvoir entre Gérald Darmanin et son successeur. Bruno Retailleau, leader des sénateurs de droite au palais du Luxembourg, dans son style de sévérité monastique, s’installe au pupitre pour remercier celui qu’il critiquait hier encore, lorsqu’il jurait qu’aucune alliance ne serait tolérée avec le « Jupiter » de l’Élysée. Le voilà aujourd’hui son collaborateur de l’Intérieur en plus d’être la nouvelle caution auprès de l’extrême-droite, qui se félicite de sa nomination. Après des mots élogieux pour le ministre sortant, devenant celui que « n’a jamais faibli », le nouveau visage de Beauvau donne un cap on ne peut plus clair : ne rien céder, ne rien tolérer, aucune offense, aucune atteinte – répétant par trois fois l’impératif du rétablissement de l’ordre.
 
Ces derniers jours, même les médias « dominants » ont fait état des positions très conservatrices du nouveau « premier flic de France ». Les journalistes rappellent ainsi ses outrances lors de la grande loi consacrant le Mariage pour Tous, sa signature d’une tribune en 2015 demandant un référendum pour revenir sur la loi qu’il jugeait contraire aux « valeurs fondamentales » de la famille traditionnelle, sa critique ouverte de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, perçue comme une rupture dans la dualité des sexes, son opposition à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ou encore son vote contre l’interdiction des « thérapies de conversion », qui visent à changer par la contrainte l’orientation sexuelle des homosexuels. Des titres de presse qui ne l’ont pourtant pas ébranlé puisqu’il n’a pas tardé à s’affirmer toujours plus clivant sur la scène médiatique, multipliant les apparitions sur Cnews, l’antenne de Vincent Bolloré, ou au 20h de TF1, en reprenant à son compte la stratégie des années sarkozystes : capter l’électorat d’extrême-droite par ses thèses anti-immigrationnistes.
 
Au-delà de ces effets d’annonce et des commentaires médiatiques, cette nomination marque une étape décisive dans le basculement vers l’extrême-droite des représentants de la droite historique et du macronisme. Avec la prise de Beauvau, Bruno Retailleau incarne le retour au pouvoir d’un courant réactionnaire, catholique traditionaliste et libéral, sous l’œil bienveillant, et toujours en embuscade, du bloc mené par Marine Le Pen.

L’ancrage réactionnaire : le parcours d’un notable

C’est au sein du microcosme du Puy du Fou que Bruno Retailleau commence sa carrière auprès de son ex-mentor Philippe De Villiers, imprégné de la romance d’une France traditionaliste et chrétienne. Il prend rapidement des responsabilités au sein de l’entreprise de divertissement vendéenne et devient responsable de l’un des principaux spectacles, dont plusieurs historiens ont pointé le révisionnisme historique.
 
À partir de ce milieu, dont il sera exclu en 2010 suite à l’éclatement de différends politiques, l’homme se construit une carrière de notable, tout d’abord au sein des directions de radio locale ou d’une école de commerce privée puis en tant que professionnel de la politique. Son assise acquise grâce au parti traditionaliste du Mouvement Pour la France (MRP) lui permet de monter rapidement au sommet des instances du Conseil départemental de la Vendée. En 2004, il fait une apparition à l’échelle nationale en devenant sénateur de Vendée.
 
La politique locale le rattrape très vite. Après le retrait de la vie politique de Philippe De Villiers, il prend en 2010 sa succession à la tête du département de Vendée. Il se rapproche alors de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) et y adhère en février 2012 pour se rapprocher de l’autre branche conservatrice du grand ouest, portée en Sarthe par la figure de François Fillon. À la tête de l’exécutif vendéen, il promeut une vision d’autonomie locale sous la forme de l’activité entrepreneuriale qu’il oppose à l’assistanat économique. Sa politique s’ancre dans la lignée historique d’un tissu économique qui promeut les petites entreprises familiales, valorisant le capitalisme local en lien avec les intérêts des divers groupes confessionnels ou agricoles, comme la puissante FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles).

À la tête de l’exécutif vendéen, il promeut une vision d’autonomie locale sous la forme de l’activité entrepreneuriale qu’il oppose à l’assistanat économique.

Ce modèle est présenté comme une forme de conservatisme social mais relève bien plus souvent des logiques clientélistes du bocage tout en reposant sur un affrontement surjoué avec l’État central. Lors de son arrivée à la présidence de la région des Pays de la Loire en 2016, Bruno Retailleau oppose ainsi sa nouvelle équipe aux administrations décentralisées des sous-préfectures qui recevaient alors les directives des gouvernements hollandistes ; et n’hésite pas alors à s’en prendre aux politiques « trop sociales » mises en œuvre depuis l’Élysée.
 
Cet ancrage de notable lui permet de se faire réélire à deux reprises au poste de sénateur dans un territoire sans réelle adversité politique organisée – sa liste remporte environ 70% des votes des grands électeurs. À partir de 2014, il prend le poste de président de groupe de la droite conservatrice au Sénat, devenant ainsi un personnage incontournable dans la construction de la loi au sein de la haute chambre du parlement. L’assise étant assez solide, Bruno Retailleau peut alors porter à l’échelon national, d’abord comme bras droit du candidat Fillon à la présidentielle de 2017 puis sous son propre nom, un projet réactionnaire au sens littéral du terme, c’est-à-dire défendant un retour à un état social antérieur, inscrit dans la tradition contre-révolutionnaire.

La République d’un monarchiste

À suivre les positions du nouveau locataire de Beauvau, il n’y a donc pas l’ombre d’un doute : la République dans sa bouche n’est « autre chose que la monarchie couronnée par le bonnet phrygien », pour reprendre une formule de Marx dans son texte Les Luttes des classes en France (1850). Le sénateur vendéen défend ainsi une République transcendantale portée par une figure forte et directrice au sommet de l’État : « Un peuple a besoin d’un chef, et un chef a besoin d’autorité », affirme-il à plusieurs reprises, notamment lors des primaires de son parti (LR), en vue des élections présidentielles de 2022.

Une République de l’ordre, qui n’est pas sans rappeler la réaction de la bourgeoisie à chaque fois qu’un élan progressiste remet en cause sa domination. Dans son livre Les droites en France, René Rémond avait en ce sens théorisé les trois courants des droites (légitimiste, orléaniste, bonapartiste), conformément au rapport qu’elles entretenaient avec la Révolution française. Les conservateurs rejetaient à des degrés divers la souveraineté populaire ainsi que les nouvelles institutions qui la consacraient. Deux siècles plus tard, si les droites françaises ont stratégiquement épousé la voie parlementaire, elles continuent néanmoins de contester la souveraineté populaire – autorité autrement légitime, qu’elles comptent bien définitivement continuer à museler.
 
Si l’on considère aujourd’hui les trois courants de la droite et de l’extrême-droite contemporaines – le macronisme, fondé sur un néolibéralisme mondialisé ; une droite conservatrice récemment intégrée au gouvernement ; et enfin le bloc nationaliste aux portes du pouvoir –, toutes entendent ainsi, à des degrés divers, radicaliser le bonapartisme propre à la Ve République, consacrant un président-monarque censé garantir l’ordre. La souveraineté populaire est quant à elle largement confisquée au nom d’une autorité supérieure, supposée défendre une « République » en danger. Qu’on retrouve au sein de ces trois mouvances une orientation commune pour l’ordre institutionnel trouve alors à s’expliquer : toute remise en question de la concentration du pouvoir et du culte du chef est ainsi rapidement perçue comme une attitude hostile envers la République, sacrée de la même auréole que le trône des anciennes monarchies.

Syndicalistes, militants pour les droits sociaux ou encore activistes pour le climat sont dès lors dépeints en figures du désordre afin de légitimer les mesures liberticides et répressives. Ce fut le cas lors de l’adoption au sénat en 2019 de la « loi anticasseurs », dont Bruno Retailleau a été l’un des principaux artisans, qui instaura la création de périmètres de contrôle policier à l’entrée des manifestations et, surtout, prévoyait de permettre aux préfets de s’opposer au droit à manifester pour des individus considérés comme dangereux. Le nouveau ministre de l’Intérieur avait également appelé avec sa collègue Laurence Garnier à ne rien céder « face au totalitarisme vert », tout en allant jusqu’à dépenser 60.000 euros d’argent public pour une campagne de publicité de la région Pays de la Loire réclamant l’expulsion des écologistes installés à Notre-Dame-des-Landes.
 
La séquence de ces dernières semaines a par ailleurs illustré la restriction systématique de la démocratie – même dans sa forme représentative – au sein de la République de l’Ordre. Dans son discours de passation, Bruno Retailleau s’est ainsi appuyé sur le nouvel argument favori des chefs minoritaires : « Il y a eu des élections législatives et nous sommes en démocratie. » Or, c’est oublier que l’actuel gouvernement s’appuie sur une poignée d’élites dont les diverses parties tentent de théoriser le « nécessaire » piétinement du suffrage universel. On justifie de la sorte que le bloc en tête des élections ne soit pas appelé à former un gouvernement et que le Premier ministre soit choisi au sein de la force politique, qui sort seulement quatrième du scrutin.

Le nouveau ministre de l’Intérieur, s’octroyant l’incarnation de « la volonté des Français », assure de protéger la population aux moyens policiers de l’État, à condition que celle-ci reste passive et indifférente à l’exercice de sa souveraineté.

Deux orientations droitières trouvent même s’exprimer au sommet de l’État pour normaliser l’usurpation des élections. La première s’inscrit dans la tradition technocratique classique, invoquant la nécessité d’un « gouvernement technique » pour assurer la gestion des affaires courantes, mais surtout pour rassurer les institutions internationales et européennes ; tandis que la seconde orientation, portée par Bruno Retailleau, se caractérise par une pratique sécuritaire du pouvoir, légitimée par un prétendu plébiscite en faveur du retour à l’Ordre. Le nouveau ministre de l’Intérieur, s’octroyant l’incarnation de « la volonté des Français », assure de protéger la population aux moyens policiers de l’État, à condition que celle-ci reste passive et indifférente à l’exercice de sa souveraineté. Ces deux orientations, bien que divergentes en apparence, convergent pourtant sur un point essentiel : le maintien du statu quo en matière de politique économique.

Un positionnement libéral et antisocial

Bien que certaines positions de Bruno Retailleau – son opposition en 2005 à la privatisation des autoroutes, ou encore son ralliement dans le camp du « non » lors du vote du traité de Maastricht – pourraient laisser croire qu’il défend une forme de souverainisme social, ses multiples faits d’armes démontrent le contraire. En 2023, lors de la réforme des retraites, alors que la France connaît l’un de ses plus grands mouvements de revendication sociale depuis la sortie de la guerre, il soutient l’action macroniste et plaide même pour une réforme encore plus dure, critiquant à l’époque ses alliés d’aujourd’hui qui n’allaient pas assez loin. De même en 2018, lorsqu’il s’oppose frontalement au mouvement des « Gilets jaunes » et se montre inflexible à l’égard des manifestations populaires, considérant comme illégitimes les revendications des ronds-points.

La droite réactionnaire et libérale poursuit par là son offensive contre l’un des acquis du socialisme républicain : l’État social. Depuis plusieurs années, les votes de Bruno Retailleau à la chambre haute se sont généralement orientés sur des coupes drastiques de la dépense publique et de baisse du nombre de fonctionnaires : après avoir fortement soutenu l’objectif de suppression de 500.000 postes durant la campagne de François Fillon en 2017, l’ex-chef de file des conservateurs au Sénat a fait inscrire un objectif de 120.000 postes en moins d’ici à 2027 dans la loi de programmation des finances publiques. Quant aux questions posées par le budget 2025, sur lequel pèse l’ouverture d’une procédure par la Commission européenne pour déficit public excessif contre sept pays dont la France, nul doute que le nouveau ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à conjuguer l’autorité à l’austérité – au nom d’un nouvel « effort national ».

Quant aux questions posées par le budget 2025, nul doute que le nouveau ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à conjuguer l’autorité à l’austérité – au nom d’un nouvel « effort national ».

Aurons nous encore de la lumière en hiver ? s’interroge même le nouveau ministre de l’Intérieur dans le livre qu’il a fait paraître en 2021, à la recherche d’une « écologie du réel ». On ne trouvera pourtant aucune solution d’usage à protéger les chaînes d’approvisionnement énergétiques, ni de mesures concrètes capables de financer la transition écologique, mais l’éloge des prétendues « lois » immuables de la nature, redoublé d’une critique d’une prétendue déliquescence morale et spirituelle. Un positionnement qui n’est pas sans rappeler les écrits du théoricien de l’écologie d’extrême droite, Alain de Benoist et qui légitime, à l’appui d’un nouveau substrat idéologique, la thèse du désordre social. On voit donc rapidement réapparaître le fondement même de la pensée réactionnaire : la volonté de restaurer une organisation sociale désormais révolue, à rebours des aspirations progressistes de la société présente.

L’autre séparatisme à Beauvau

Autre facette du nouveau locataire de la place Beauvau : la revendication d’un catholicisme conservateur qui n’accepte pas la relégation de sa croyance dans la sphère privée. Sur les questions de laïcité, Bruno Retailleau tient par conséquent des positions à géométrie variable. S’il a été très actif en 2021 lors du passage au parlement de la loi dite « Contre le séparatisme » qui visait à encadrer strictement les associations recevant des subventions publiques et à contrôler l’activité des lieux de cultes2, c’est moins pour défendre « les valeurs de la République », fondamentalement anticléricales, que pour protéger « les racines chrétiennes de la France », conformément à l’idéologie d’extrême-droite.

Preuve en est : celui qui ne cesse d’appeler à un durcissement des sanctions contre le séparatisme s’était lui-même opposé, en 2014, au tribunal administratif de Nantes, lorsque ce dernier avait interdit l’installation d’une crèche dans le hall du Conseil départemental de la Vendée au nom du principe de la loi de 1905. Après une victoire en cour d’appel, Bruno Retailleau avait salué une « décision de bon sens » qui ne faisait pas du principe de « laïcité un principe d’absurdité ». C’est ce même bon sens qui légitime toutes ses positions en la matière : il s’oppose aux mesures visant à renforcer le contrôle de l’État sur les contenus éducatifs religieux, ou encore à l’interdiction des écoles privées religieuses hors contrat.
 
Lors des deux présidences locales de Bruno Retailleau, la part belle avait ainsi été donnée aux écoles catholiques. Par deux fois en 2016, la région Pays de la Loire a augmenté les aides aux établissements privés – ce qui avait suscité de nombreuses critiques au sein des oppositions2. Dans une enquête de Médiapart d’août 2024, on apprend également que la politique conduite par la majorité régionale, aujourd’hui aux mains de son ex-protégée Christelle Morançais, a versé entre 2016 et 2023, plus de 234 millions d’euros de subventions facultatives aux lycées privés. Celui qui a affirmé ces derniers jours qu’il défendait « les Français les plus modestes » au titre « qu’ils n’ont pas assez d’argent pour mettre leurs enfants dans les bonnes écoles » était jusqu’ici l’un des principaux lobbyistes de l’enseignement catholique au sein du Parlement.

La macronie a participé à faire rentrer au gouvernement un fidèle des derniers prêtres réfractaires, à l’opposé de l’idée hugolienne d’une Église chez elle et d’un État chez lui.

En somme, la macronie a participé à faire rentrer au gouvernement un fidèle des derniers prêtres réfractaires, à l’opposé de l’idée hugolienne d’une Église chez elle et d’un État chez lui. Pour ce nouveau cartel des droites, la laïcité n’est donc plus un principe républicain, au sens historique du terme, permettant de garantir l’expression pacifiée des différents cultes ; mais un principe au service d’une certaine conception traditionnelle de la société aux pratiques catholiques. Une usurpation de la loi de 1905 largement dénoncée par l’ancien Observatoire de la laïcité, dissout en juin 2021 par le gouvernement Castex.

Le peuple civilisationnel contre le peuple républicain

Dans les déclarations du ministre de l’Intérieur, les notions de « décivilisation » ou « d’ensauvagement de la société » sont enfin très présentes. En mobilisant ces dernières, il perpétue l’idée d’une dégradation morale et culturelle de la France, causée par l’arrivée massive de populations étrangères, idée pourtant démentie par les chiffres. Ses récents propos sur Sud Radio au sujet de l’époque de la colonisation, renvoyant à « des heures qui ont été belles » ou encore l’existence selon lui d’une « haine de cette civilisation, que certains veulent nourrir dans l’Occident » contribuent à normaliser cette ligne de clivage culturel et à renforcer l’imaginaire d’un peuple civilisationnel. Ainsi, la stratégie réactionnaire est double : elle construit un ennemi de l’intérieur et présente le pays comme une citadelle assiégée.

La stratégie réactionnaire est double : elle construit un ennemi de l’intérieur et présente le pays comme une citadelle assiégée.

Lors de sa prise de fonction, Bruno Retailleau a déclaré vouloir défendre une « politique de la majorité nationale » tout en sachant très bien que cette majorité ne pouvait se trouver dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, qui n’a jamais été aussi émiettée. Il en appelle plutôt à un hypothétique pays profond, où sommeillerait une France du passé, imprégné d’une morale catholique traditionaliste. Cette grammaire rappelle l’idée de « pays réel » développée par Charles Mauras, l’homme de l’Action française, qui entendait défendre à travers ce vocable « l’immense masse française dépositaire des vertus de la race »3. À l’inverse, le « pays légal », celui des institutions et des représentants, était perçu comme un obstacle à l’expression du peuple. De quoi mieux comprendre les propos du nouveau ministre au sujet de l’État de droit qui, dans la droite lignée de cette tradition nationaliste, n’a jamais effectivement été considéré comme « sacré ».

Reste alors une question en suspens : quelle différence de fond existe-t-il désormais entre une « politique de la majorité nationale » présentée comme telle et la politique « de la préférence nationale » portée par le parti de Marine Le Pen ? De la réponse donnée à cette question dépend, en partie, le réarmement du camp authentiquement républicain, démocrate et social, face aux droites réactionnaires. Les forces de gauche ne peuvent plus se contenter d’étiqueter « extrême-droite » tout ce qui s’oppose à leur projet émancipateur.

Il importe de saisir la particularité du moment, de relire la restructuration actuelle des blocs au regard de la longue histoire sociale du pays, de reconnaître les différentes nuances de droite, d’identifier leurs références culturelles, leurs sources de financement et leurs réseaux militants, afin de mieux appréhender « le processus d’extrême-droitisation » qui a cours aujourd’hui. C’est ici ce que propose cet article en souhaitant réhabiliter l’idée d’un parti de l’ordre4, émergeant d’une nouvelle alliance de la bourgeoisie libérale (Macronie, Droite LR et FN/RN) contre le bloc progressiste et social, dans un contexte de profonde crise de régime.

Quant à l’homme de Beauvau qui s’octroie le mot de République à tout va et se rêve en nouveau Clémenceau, il ne finira pas mieux que le député royaliste de Vendée Baudry d’Asson : du bruit, du bruit, avant de retourner usé dans son fief pour regarder lentement une société nouvelle apparaître. L’affaire serait comique si elle n’avait pas déjà de graves conséquences quotidiennes sur la vie d’une partie de la population et qu’elle n’annonçait pas déjà le pire.

Notes :

(1) Dans de nombreux appels et tribunes des organisations de défense des droits s’étaient alors alarmées d’une remise en cause des libertés fondamentales au sujet de la pratique du culte et du droit d’association. Voir par exemple : Loi séparatisme : une grave atteinte aux libertés associatives, Libération, 21 janvier 2021.

(2) Documents de délibérations du conseil : délibérations en avril 2016 4 – Enseignement secondaire – 336 – Subventions d’investissement aux établissements privés sous contrat d’association (digitechcloud.fr), délibérations en octobre 2016 4 – Enseignement secondaire – 336 – Subventions d’investissement aux établissements privés sous contrat d’association (digitechcloud.fr)

(3) Courrier royal, 10 juillet 1935.

(4) Une dénomination qui fait directement référence au groupe des conservateurs rassemblant des figures qui mirent un terme à la Révolution de 1848 puis participèrent au massacre de la Commune de Paris en 1871.