Inde : des réformes agraires entraînent la plus grande grève du monde

Manifestation de paysans indiens le 11 décembre 2020. © Randeep Maddoke

Fin janvier, les autorités indiennes ont coupé l’électricité et l’eau à un camp de protestataires, afin de mettre un terme à un mois de sit-in des agriculteurs manifestant contre les nouvelles réformes agricoles. Malgré ces coupures et une répression policière de plus en plus violente, les agriculteurs continuent leur lutte, des milliers d’autres arrivant en tracteurs au campement en signe de solidarité. Simran Jeet Singh, universitaire indien membre de plusieurs thinks-tanks et historien de l’Asie du Sud revient sur l’origine et l’évolution de ce mouvement social hors-normes encore peu abordé en Europe. Article traduit et édité par William Bouchardon.

Depuis la semaine dernière, la répression du mouvement paysan en Inde a redoublé d’ampleur. À New Delhi, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des manifestants ont été attaqués à coups de matraque. Selon le gouvernement indien, la violence a commencé lorsqu’un groupe de manifestants s’est écarté de l’itinéraire prévu et a franchi les barricades du Fort Rouge, symbole de l’indépendance de l’Inde, où le Président donne son allocution annuelle pour la fête nationale. Mais les vidéos prises sur le terrain montrent de multiples cas où des policiers attaquent des manifestants sans avoir été provoqués. Au moins un manifestant est mort lorsque son tracteur s’est renversé alors que la police tirait des gaz lacrymogènes, tandis que des centaines de policiers ont été blessés. Si la plupart des manifestants sont toujours déterminés à poursuivre la lutte, deux syndicats d’agriculteurs ont annoncé qu’ils se retiraient des manifestations en raison des violences.

L’escalade de fin janvier s’inscrit dans un face-à-face de plus de deux mois entre les agriculteurs et le gouvernement indien qui ressemble pour l’instant à une impasse. Les manifestants remettent en cause de nouvelles lois promulguées en septembre visant à déréglementer le secteur agricole. Pour le premier ministre Narendra Modi, ces réformes constituent un « tournant décisif » pour l’économie indienne. Les opposants des réformes les qualifient, eux, de « condamnation à mort » des travailleurs agricoles.

Les troubles ont commencé fin novembre lorsque plus de 250 millions de personnes ont participé à une grève générale en réaction aux nouvelles lois, conduisant de nombreux observateurs à qualifier le mouvement de « plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité ». Des centaines de milliers d’agriculteurs indiens ont alors installé des camps sur différents sites à la périphérie de la capitale. Les manifestants ont dû endurer un hiver rigoureux qui a coûté la vie à 150 d’entre eux, tandis que 18 autres se sont suicidés. Malgré ces décès et les rudes conditions de vie dans les camps, les manifestants, issus d’horizons très divers, transcendant les clivages religieux, de caste et de classe sociale, et promettent de rester jusqu’à ce que soient abrogées les nouvelles lois.

Le 12 janvier, face à une pression croissante et à l’échec de onze cycles de négociations, la Cour suprême de l’Inde a suspendu les nouvelles lois et convoqué un comité pour examiner les préoccupations des agriculteurs. Les chefs de file de la protestation ont toutefois estimé que cette suspension n’était pas sincère. Pour Balbir Singh Rajewal, un des leaders du mouvement, « les membres du comité nommés par la Cour suprême ne sont pas fiables car ils ont écrit que ces lois agricoles sont favorables aux agriculteur. Nous allons continuer notre campagne ».

« Nous sommes prêts à affronter les balles, mais nous ne mettrons pas fin à nos protestations ».

Depuis le début, les syndicats d’agriculteurs appellent à un retrait complet et absolu de la législation et considèrent les propositions d’amendement insuffisantes. « Nous avons rejeté à l’unanimité la proposition du gouvernement », déclarait ainsi Jagmohan Singh, secrétaire général de l’Union Bharatiya Kisan (Union des agriculteurs indiens). « C’est une insulte à notre égard… Nous ne voulons pas d’amendements ». Alors qu’aucun des deux camps ne veut céder et que la tension monte entre manifestants et autorités, les agriculteurs sont déterminés à poursuivre la lutte, même face à la violence. « Nous sommes prêts à affronter les balles, mais nous ne mettrons pas fin à nos protestations ».

Des lois écrites pour l’agro-industrie

A l’origine du conflit, on trouve trois projets de loi : la loi sur le commerce des produits agricoles, la loi sur l’accord de garantie des prix et des services agricoles, et la loi sur les produits essentiels. Ensemble, ces lois prévoient la suppression des protections gouvernementales en place depuis des décennies à l’endroit des agriculteurs, notamment celles qui garantissent des prix minimums pour les récoltes. Si les agriculteurs protestent contre ces trois projets à la fois, ils sont particulièrement préoccupés par le Farmers’ Produce and Commerce Bill, qui habilite les entreprises à négocier l’achat des récoltes directement avec les petits agriculteurs.

Pour ces derniers, ce serait une catastrophe, la plupart d’entre eux n’ayant ni les compétences ni les ressources nécessaires pour faire face aux multinationales. Les paysans de tout le pays craignent donc que leurs moyens de subsistance ne soient décimés et qu’ils s’endettent encore plus.

Balbir Singh Rajewal, syndicaliste paysan en lutte contre les nouvelles lois agricoles. © Harvinder Chandigarh

Etant donné le poids considérable du secteur agricole dans l’économie indienne, les conséquences de ces lois s’annoncent énormes. Les petits agriculteurs et leurs familles représentent près de la moitié des 1,35 milliard d’habitants de l’Inde : selon le recensement national de 2011, près de 60 % de la population active indienne, soit environ 263 millions de personnes, dépendent de l’agriculture comme principale source de revenus. Pour beaucoup d’entre eux, ces nouvelles lois viennent confirmer ce qu’ils craignaient le plus : que les petites exploitations agricoles ne soient plus un moyen de subsistance rentable ou durable en Inde. Au cours des dernières décennies, les paysans ont vu leurs marges bénéficiaires se réduire et leurs dettes augmenter. Une récente étude de l’économiste Sukhpal Singh, de l’université agricole du Pendjab, montre ainsi que les ouvriers agricoles du Pendjab sont endettés à hauteur de quatre fois leur revenu annuel.

Épidémie de suicides chez les paysans indiens

Plusieurs études ont en effet démontré que le cycle implacable de l’endettement est le principal facteur de l’épidémie de suicides de paysans que connait le pays. En trois ans, de 2015 à 2018, plus de 12.000 agriculteurs ont mis fin à leur jour dans l’État du Maharashtra. Et cette tragédie ne se limite pas à un seul État : en 2019, plus de 10.000 fermiers indiens se sont suicidés, selon les données du Bureau national indien des archives criminelles.

Or, ces statistiques alarmantes ont été enregistrées avant l’introduction des nouvelles lois ! On comprend mieux pourquoi certains qualifient ces dernières « d’arrêt de mort »… En effet, de nombreux experts craignent que la nouvelle législation ne serve qu’à endetter davantage les agriculteurs, exacerbant ainsi la crise économique et l’épidémie de suicides qui en découle.

Kaushik Basu, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, résume la situation en un tweet : « Je viens d’étudier les nouvelles lois agricoles de l’Inde. Je me rends compte qu’elles sont biaisées et qu’elles seront préjudiciables aux agriculteurs. Notre réglementation agricole doit changer, mais les nouvelles lois serviront davantage les intérêts des entreprises que ceux des agriculteurs. Chapeau à la sensibilité et à la force morale des agriculteurs indiens ».

Endettement et crise écologique : les legs de la « Révolution verte »

Le mouvement de protestation actuel s’inscrit dans une lutte beaucoup plus longue des agriculteurs indiens, inextricablement liée à la mise en œuvre du programme de la « révolution verte » à la fin des années 1960. Soutenue par les États-Unis, cette initiative déployée dans tous les pays du Sud a conduit à des pressions du gouvernement indien sur les agriculteurs du Penjab pour qu’ils abandonnent leurs méthodes agricoles traditionnelles au profit d’un système industriel américanisé. Si les rendement des cultures se sont considérablement améliorés, ces « progrès » rapides ont toutefois eu des conséquences profondément néfastes.

Pou augmenter les rendements, les nouvelles semences ont eu besoin de beaucoup plus d’eau que n’en fournissaient les précipitations naturelles. Les agriculteurs ont donc dû creuser des puits et irriguer leurs champs avec l’eau des nappes phréatiques. Ils ont également dû recourir à des pesticides et à des engrais nocifs pour favoriser la croissance « miraculeuse » des semences modifiées. Autant de pratiques qui se poursuivent encore aujourd’hui. Cependant, comme les prix des semences et des pesticides ont augmenté et que les prix minimums de vente des récoltes approuvés par le gouvernement sont restés bas, les agriculteurs ont été obligés de se tourner vers les banques et les prêteurs privés pour obtenir des prêts afin de maintenir leur entreprise à flot. C’est ainsi qu’a débuté la crise écologique, sanitaire et économique qui frappe désormais les agriculteurs indiens.

L’usage de pesticides toxiques durant des décennies a ravagé les sols du pays. En parallèle, les études du gouvernement montrent que les agriculteurs ont pompé tellement d’eau souterraine pour irriguer leurs cultures que le niveau de la nappe phréatique baisse de près d’un mètre par an. Le Penjab, l’un des plus gros consommateurs de pesticides par hectare du pays, connait également l’un des pires taux de cancer en Inde, ce qui lui vaut le titre de « ceinture du cancer »… Une étude de 2017 a relevé d’importantes traces d’uranium et d’autres éléments toxiques lourds dans des échantillons d’eau potable, tandis que de nombreuses autres études font un lien entre la forte augmentation des cas de cancer au Penjab et l’utilisation massive de pesticides dans la région.

Même si les agriculteurs indiens obtiennent l’abrogation de la législation, ils seront contraints de retourner travailler dans les mêmes conditions intenables, qui conduisent un paysan au suicide toutes les 30 minutes.

Les mauvaises récoltes dues à la dégradation des sols et l’incapacité à rembourser les intérêts des prêts ou à obtenir des prix compétitifs pour leurs produits forment un cercle vicieux pour nombre de paysans indiens. D’où l’épidémie de suicide que la nouvelle législation ne fera qu’aggraver.

Un moment décisif

La situation des agriculteurs indiens était déjà sombre avant même l’introduction de la nouvelle législation. Loin d’être une aberration, ces manifestations sont en fait la conclusion logique de décennies d’exploitation et de négligence de la part du gouvernement. Même si les agriculteurs indiens obtiennent l’abrogation de la législation, ils seront contraints de retourner travailler dans les mêmes conditions intenables, qui conduisent un paysan au suicide toutes les 30 minutes.

Si le gouvernement reste passif et ne s’attaque pas aux causes profondes de cette crise, les protestations de ce type deviendront de plus en plus fréquentes à mesure qu’augmenteront les taux de cancer, la pauvreté et l’épidémie de suicides. Alors que la tension s’aggrave chaque jour, il est clair que le gouvernement indien se trouve à la croisée des chemins. Continuera-t-il à ignorer et à négliger des millions de personnes les plus vulnérables ou cherchera-t-il enfin à résoudre les problèmes de longue date qui sont au cœur de cette lutte ? La réaction du gouvernement à ces manifestations de masse déterminera si l’Inde reste prisonnière d’un passé d’exploitation ou si elle s’engage résolument dans la voie d’un avenir plus juste et plus écologique.

« Modi joue la carte sécuritaire et ethno-nationaliste » – Entretien avec Christophe Jaffrelot

©Пресс-служба Президента Российской Федерации

Le gouvernement nationaliste indien de Narendra Modi a annoncé unilatéralement le 5 août dernier la fin du statut d’autonomie du Cachemire, statut qui prévalait depuis 1949 dans cet état indien à majorité musulmane. Depuis cette annonce, toutes les communications avec l’extérieur y ont été coupées et les Cachemiriens vivent dans un isolement total. Les relations avec le Pakistan voisin s’enveniment dangereusement, celui-ci venant de rappeler son ambassadeur à Delhi et de rompre l’ensemble des relations commerciales avec l’Inde. Pour tenter de mieux cerner les origines de cette décision explosive, et la stratégie actuelle du gouvernement Modi, nous avons interrogé Christophe Jaffrelot, un des meilleurs spécialistes français du sous-continent indien et de sa classe politique. Propos recueillis par Benjamin Joyeux.


 

LVSL – Quelles sont les principales leçons à tirer des dernières élections législatives indiennes d’avril-mai de cette année, marquées par une nette victoire du parti du Premier Ministre sortant Narendra Modi ?

Christophe Jaffrelot – La principale leçon est que Narendra Modi a réussi à se réinventer alors qu’il avait subi des revers sérieux en 2017 et 2018, en perdant notamment au Madhya Pradesh, au Rajasthan et au Chhattisgarh. Il s’est réinventé sur un terrain jusqu’alors inexploré (il avait été élu sur un agenda plutôt économique en 2014) en jouant la carte sécuritaire et ethno-nationaliste vis-à-vis du Pakistan, suite à l’attentat de Pulwama perpétré au Jammu-et-Cachemire en février 2019 et qui avait fait 41 morts[1]. Modi avait pu alors ordonner des frappes côté pakistanais, ce qui avait littéralement créé une « hystérie nationaliste » sur laquelle il a surfé jusqu’au scrutin d’avril dernier.

Il y a chez le national-populiste qu’est Modi une sorte de répertoire le faisant passer du populisme socio-économique au national populisme ultranationaliste lui ayant permis de refaire pratiquement la performance d’il y a cinq ans. Il y a très peu de différences en termes de sièges entre 2014 et 2019.

La 2e leçon est que les institutions qui sont censées garantir la régularité des scrutins en Inde, et notamment la commission électorale, sont de plus en plus fragiles. On les a vu céder sous les coups de la majorité. Par exemple, il y a eu un dépassement du plafond des dépenses du côté du BJP[2] et la majorité n’a rien dit.

D’ailleurs, ceci constitue une 3e leçon de cette élection : le rôle de l’argent y a été sans précédent. Les évaluations les plus fiables disent que l’on a dépensé plus de 7 milliards de dollars lors des dernières élections indiennes. C’est plus que les élections américaines de 2016, pourtant les plus chères de l’histoire. La plupart de cet argent a été dépensé par le BJP qui a reçu des dons de la part des hommes d’affaires. On est désormais dans une situation très préoccupante où l’argent tend à faire l’élection. A ce point-là, c’est un phénomène nouveau.

Une des dernières leçons à tirer de ces élections est le rôle des médias en faveur de Modi. D’abord la télévision, avec la plupart des chaînes qui appartiennent à des hommes d’affaires ayant besoin de la bénédiction du pouvoir pour faire tourner leurs activités industrielles. Les salles de rédaction ont été soumises à de très fortes pressions lorsqu’elles traitaient du gouvernement. On a vu la complaisance des médias se traduire par quantité d’entorses à l’éthique journalistique : pratiquement aucune question qui dérange dans les interviews, aucune conférence de presse – ce qui est devenu la règle -, etc. A côté de cela, il y a les médias sociaux qui constituent une arme redoutable pour tous les populistes, et pour Modi en particulier. On a ainsi vu des « trolls », des spécialistes de la désinformation, qui sont payés, voir salariés du BJP, et qui s’en sont donnés à cœur joie, en prétendant par exemple que Rahul Gandhi[3] était un musulman, que sa circonscription était à majorité musulmane, que le parti du Congrès lorsqu’il était au pouvoir traitait les djihadistes comme des gens respectables, etc. C’est ridicule, mais ça sature l’espace public, créant une atmosphère qui finit par avoir un effet délétère.

LVSL – Quels sont désormais les nouveaux rapports de force au sein du champ politique indien ?

C.J. – Le BJP est maintenant dans une situation hégémonique, qui tient au fait qu’il a remporté 300 sièges à la chambre basse[4] mais également qu’il a réussi à déstabiliser l’opposition, notamment à la chambre haute[5], où il n’a pas la majorité mais où il parvient maintenant à faire voter pour lui des partis régionaux. Des partis qui sont à la tête d’Etats de l’Union indienne et qui reconnaissent la force de ce pouvoir viennent d’être reconduits dans ces fonctions. Ils négocient alors des échanges de bons procédés. A la chambre haute, il n’y a plus la résistance qu’on avait pu observer jusqu’alors. Le BJP vient ainsi de faire passer des lois draconiennes, comme une loi antiterroriste très liberticide à la chambre haute avec l’appui de partis régionaux qui étaient avant dans l’opposition. C’est un changement considérable qui témoigne de l’hégémonie grandissante du BJP. A cela s’ajoute que le parti du Congrès est sorti désuni et éreinté des élections. Cela se traduit par des transferts de députés du Congrès qui passent au BJP au niveau des Etats. Cela a fait perdre la coalition du Congrès au pouvoir dans l’Etat du Karnataka au profit du BJP. On va observer un peu partout ce phénomène, comme dans l’Etat du Maharashtra.

Dans les assemblées, et même au Parlement national, des gens du Congrès votent désormais avec le BJP. On l’a vu avec la transformation du statut du Cachemire qui n’a pas entraîné un rejet général. Si Rahul Gandhi a refusé cette décision, d’autres membres du Congrès l’ont approuvée. C’est ce qu’on a pu également observer avec la loi antiterroriste.

C’est donc une hégémonie au carré : il y a d’une part un parti dominant qui est plus fort qu’avant, et d’autre part une opposition en miettes.

LVSL – Quelles sont du coup les principales priorités de la majorité actuelle ?

C.J. – On peut citer ce qui relève du sécuritaire et de l’ethno-nationalisme qui va de pair. Le BJP a réussi à l’emporter alors que la situation économique indienne s’était fortement dégradée, grâce à cette campagne anti-pakistanaise très portée sur l’Hindutva[6]. Du coup, le BJP se dit que ce n’est pas forcément la peine de s’échiner à relancer l’économie puisqu’il suffit de surfer sur l’identitaire et le sécuritaire. Cela s’est traduit par une loi antiterroriste calamiteuse qui réduit considérablement les libertés individuelles, et par cette fameuse transformation du statut du Jammu-et-Cachemire qui perd son autonomie spéciale et son statut d’Etat, et devient un territoire de l’Union. Le BJP avait promis d’abolir l’article 370 de la Constitution indienne[7] depuis très longtemps et il l’a fait.

Les autres priorités du même ordre que l’on va voir se développer concernent l’enregistrement des citoyens, en fait la redéfinition de ce qu’est que la citoyenneté indienne : on est en effet en train de recenser ceux qui sont vraiment arrivés depuis très longtemps en Assam[8], dans le Nord-Est, et d’exclure ceux qui n’y sont pas depuis assez longtemps. C’est le début de ce qu’on appelle le National Citizenship Register, qui va aller de pair avec l’amendement du Citizenship Act pour qu’explicitement les musulmans qui ne sont pas indiens mais qui viennent des pays voisins, évidemment principalement en provenance du Bengladesh, soient d’abord parqués dans des camps puis déportés. Cela a commencé et on va voir jusqu’où la majorité est prête à aller. Evidemment, ce serait ennuyeux de s’aliéner le Bengladesh en y renvoyant à tout prix quatre millions de musulmans parlant Bengali. C’est une dimension diplomatique très lourde avec le Bengladesh. Mais sans aller jusque-là, le pouvoir indien va tenter quelque chose, car c’est une priorité, avec l’idée de commencer par l’Assam avant le reste du pays. Cette volonté de recenser les citoyens et de déporter les migrants qui ne sont pas éligibles à la citoyenneté indienne est en train se répandre. Le prochain Etat concerné sera le Bengale-Occidental.

LVSL – Le nouveau gouvernement indien vient donc d’annoncer ce lundi la révocation du statut d’autonomie de la région de Jammu-et-Cachemire, territoire disputé entre l’Inde et le Pakistan et qui était sous statut spécial depuis 1949. Pourquoi maintenant cette décision subite qui semble avoir surpris beaucoup de monde?

C.J. – C’est en fait lié à trois facteurs. D’abord à la crise économique que l’Inde traverse. Il faut absolument compenser la perte de popularité et de crédit que cela entraîne. C’est une crise sérieuse, tous les indicateurs sont au rouge : investissements, épargne, inflation, roupie, exportations… Donc c’est la meilleure façon de détourner l’attention.

Il y a un deuxième facteur, consistant à répondre à Donald Trump qui s’est mis en tête de faire une médiation entre le Pakistan et l’Inde sur le Cachemire. C’est la meilleure façon de lui imposer une fin de non-recevoir en mettant le Cachemire sous cloche.

Et puis il y a un 3e facteur qui a trait à la situation en Afghanistan, lié à la stratégie américaine. Le départ des troupes américaines d’Afghanistan peut faire craindre aux Indiens que les groupes islamistes actifs là-bas, une fois le retour prévisible des Talibans au pouvoir, ne reprennent le chemin du Cachemire. Ainsi pour éviter cela, on fait en sorte de tout de suite militariser le Cachemire pour empêcher qu’un gouvernement du Jammu-et-Cachemire puisse se montrer plus conciliant.

Ces trois facteurs renvoient à des conjonctures présentes très lourdes.

LVSL – Est-ce que ce n’est pas une stratégie dangereuse de la part du gouvernement Modi, même vis-à-vis des buts qu’il s’est fixés, de se mettre à dos Donald Trump alors qu’entre populistes, ils semblent avoir tout pour s’entendre ?

C.J. – Oui, à ceci près qu’il y a de l’eau dans le gaz entre Trump et Modi. Le nombre de dossiers litigieux entre eux ne cesse d’augmenter : ils sont en proie à une guerre commerciale. Il y a les sanctions contre l’Iran que l’Inde digère très mal, parce que l’Iran était le pays dans lequel l’Inde avait beaucoup investi, notamment dans un port en eaux profondes pour prendre le Pakistan en tenailles et accéder à l’Afghanistan. Là, ils se retrouvent à avoir investi des milliards pour rien. On a vu alors l’Inde se rapprocher de la Russie, voire de la Chine. Il y a peut-être finalement pour l’Inde plus à gagner avec cette dernière qu’avec les Etats-Unis.

Un autre aspect à prendre en compte est que le Congrès américain ne cesse de critiquer la façon dont l’Inde traite ses minorités en général et ses musulmans en particulier. Et l’Inde le vit très mal.

LVSL – Est-ce que cette décision vis-à-vis du Cachemire a été prise subitement comme on a tendance à le présenter dans les médias occidentaux ? N’était-ce pas en fait prévu depuis longtemps ?

C.J. – Oui cette décision est dans les tuyaux depuis longtemps. On est au croisement du temps court et du temps long. C’est parce que les conjonctures étaient propices que ce gouvernement a décidé d’appuyer sur la gâchette à ce moment-là. Je ne sais pas s’il y a de la naïveté de la part des Occidentaux. Il y a une naïveté plus générale de notre part du fait que l’on n’arrive pas à voir l’Inde comme un pays belliqueux, autoritaire, voire suprématiste.

LVSL – Quel rôle joue Amit Shah dans tout cela, le nouveau ministre indien de l’Intérieur à la personnalité controversée ?

C.J. – Amit Shah est homme très secret, difficile à cerner. Modi l’est tout autant d’ailleurs, et tous les deux se ressemblent énormément. Ce sont deux loups solitaires mais qui ensemble forment un duumvirat. Ils sont deux à être seuls. Amit Shah joue en fait deux rôles très importants pour Modi. Il est d’abord l’organisateur hors-pair, celui qui a réformé le BJP et a porté les victoires électorales de 2014 et 2019. Donc c’est un stratège politique à la tête du BJP. Deuxièmement, il joue le rôle de l’homme de la sécurité intérieure. Il était déjà dans cette fonction au Gujarat puisqu’il a été le secrétaire d’Etat à la sécurité intérieure de Modi après le pogrom de 2002[9]. C’est clairement sur ce sujet qu’Amit Shah s’est fait une réputation. Un homme de la sécurité, qui a soi-disant déjoué les complots des djihadistes qui visaient à assassiner Modi, à l’époque chef du gouvernement du Gujarat. On n’a jamais eu la preuve que les musulmans, qui eux ont été assassinés sur les routes, étaient vraiment venus pour faire la peau de Narendra Modi. Mais c’est ce qu’il a dit, pour justifier des exécutions qui visaient à entretenir la peur. C’est la politique de la peur tellement répandue dans tous les pays de la région. En cultivant ce sentiment de peur, vous pouvez facilement apparaître comme l’homme fort, le protecteur dont vous avez besoin.

Donc Amit Shah est un expert en politique de la peur très utile à Modi, jouant ces deux rôles. Le premier, il l’a joué dans l’ombre, très peu présent sur la scène publique. Mais maintenant qu’il est Ministre de l’Intérieur, il devient personnage public, et c’est bien le numéro deux du gouvernement, dont la voix porte le plus juste derrière Modi.

C’est un homme d’affaires qui ne vient pas d’un milieu aussi défavorisé que Modi. Par contre, tout le reste est identique. Ils sont tous deux entrés très jeunes au RSS[10], puis nommés par le RSS dans certaines de ses succursales comme son syndicat étudiant. Amit Shah y a fait ses premières armes à Ahmedabad. Ce sont deux Gujarathis venant d’un milieu culturel et politique très semblable, et ils travaillent ensemble depuis 20 ans.

Sur le Cachemire, c’est une décision qu’on ne peut pas à mon sens attribuer à une personne en particulier, car c’est quelque chose que le RSS réclame depuis 70 ans. C’est une obsession de sa part, l’abolition de l’article 370. Celui qui a le plus parlé du statut du Cachemire est le chef du RSS, Mohan Bhagwat, qui disait déjà en 2017 qu’il fallait réformer la Constitution, alors que les autres n’osaient pas encore le dire étant donné la lourdeur de la procédure. Or le RSS ne s’embarrasse pas de tout cela. Et de fait, ils ont transgressé toutes les procédures.

LVSL – Est-ce qu’après sa nette victoire, le BJP n’en revient pas à ses fondamentaux en satisfaisant tout d’abord son noyau idéologique dur ?

C.J. – Ce qui est certain, c’est que le BJP fait ce qu’il a toujours rêvé de faire car il a enfin les moyens de le faire. C’est avant tout pour remplir la mission que ces gens se sont fixés il y a des décennies de cela. En plus de cela, ils le font dans une conjoncture très propice, car personne ne peut aller contre, au risque sinon d’être antinational. Ainsi ils jouent sur du velours et détournent l’attention des vrais problèmes.

Le seul rempart désormais qui pourrait éventuellement contrer cette décision, c’est la Cour suprême. Les jours qui viennent vont être très importants car celle-ci a deux dossiers très lourds à traiter : celui d’Ayodhya[11], pour lequel la Cour va très prochainement donner son verdict, et le statut du Cachemire. On va voir alors jusqu’où la Cour suprême est encore un rempart. On ne peut pas prédire son attitude, mais c’est la seule institution qui peut encore faire la différence. Néanmoins ses juges sont sous pression et influencés eux aussi par les idées dominantes. On ne sait donc pas si la Cour va utiliser son indépendance.

LVSL – Quels sont les risques réels d’affrontements d’après vous entre l’Inde et le Pakistan suite à cette décision ?

C.J. – À court terme, il ne va sans doute pas se passer grand-chose. Le Pakistan va essayer d’internationaliser la crise et la question du Cachemire, car il a une fenêtre de tir vis-à-vis de Donald Trump. S’il réussit à faire intervenir les Américains, cela aura un effet certain. Mais c’est ensuite que les choses risquent de s’envenimer sérieusement. Ce que l’on peut imaginer, c’est que la jeunesse cachemire, si la Cour suprême valide la réforme, va descendre dans la rue. Une partie d’entre elle risque de flirter alors avec les groupes djihadistes, et ceux basés au Pakistan y verront l’occasion d’infiltrer encore davantage le Cachemire indien. C’est là qu’on assistera à une vraie escalade, qui ne fera que servir les intérêts de Modi. Il faudra alors utiliser la manière forte, et le meilleur dans la manière forte, c’est Modi, qui pourra montrer « qu’il n’y a rien à faire avec les musulmans ». Sa stratégie, c’est de ne pas vouloir la paix mais des tensions au Cachemire, des tensions qui permettent de servir les intérêts de son parti.

 

LVSL – Quel rôle la France et l’Union européenne peuvent-elles jouer pour tenter d’apaiser les tensions grandissantes dans la région ?

C.J. – Le Parlement européen, qui s’est montré sensible aux questions de Droits de l’Homme, pourrait intervenir, ou en tous cas se manifester. C’est ce que vient de faire d’ailleurs l’ONU à Genève, avec un courage qui passe totalement inaperçu.

Les pays européens eux vont rester très discrets car ils ont tous des intérêts économiques et stratégiques avec l’Inde, qui fait partie de la coalition indo-pacifique qui se met en place pour contenir la Chine. Tout le monde a des choses à vendre à l’Inde. En plus de cela, cette décision sur le statut du Cachemire ne s’est pas encore traduite par des violences et une grande répression. Dans ces conditions, nous ne sommes pas encore tenus de réagir. Il ne va pas se passer grand-chose sur ce front.

LVSL – Le 2 octobre prochain, c’est le 150e anniversaire du Mahatma Gandhi, une date importante même pour le BJP. Comment l’imaginez-vous au regard de ces derniers événements ?

C.J. – Paix à son âme ! Mais cet anniversaire sera célébré. Modi ne jure que par Gandhi et ils le célébreront en grande pompe. « Paris vaut bien une messe », comme disait Henri IV. On ne va pas sacrifier le potentiel international du nom du Mahatma. Mais entre rendre hommage à Gandhi et faire réellement ce qu’il disait, il y a un très grand pas.

[1] Voir notamment https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html

[2] Le BJP ou Bharatiya Janata Party (« parti indien du peuple ») est un parti de droite nationaliste duquel est issu Narendra Modi.

[3] Rahul Gandhi est l’actuel président du Parti du Congrès, 2e principal parti indien, opposé au BJP, voir notamment sur https://rahulgandhi.in/en/

[4] La Lok Sabha (« Chambre du Peuple ») est la chambre basse du Parlement indien, composée de députés élus au suffrage universel direct dans 543 circonscriptions au scrutin uninominal majoritaire et de deux députés nommés par le président de l’Inde. Le mandat est de cinq ans, à moins que le chambre ne soit dissoute avant par le président.

[5] La Rajya Sabha (« Conseil des États ») est la chambre haute du Parlement indien. Elle est composée de 245 membres désignés pour un mandat de six ans et renouvelés par tiers. 12 sont nommés par le président de l’Inde et 233 sont élus au suffrage indirect par les membres des législatures des États et territoires.

[6] Inventé par l’idéologue d’extrême droite Vinayak Damodar Savarkar en 1923, ce mot désigne une certaine “hindouité” fantasmée et revendiquée par les nationalistes hindous.

[7] Article qui définissait ce statut administratif spécial du Cachemire indien.

[8] Etat de l’extrémité Est de l’Inde, ayant une frontière physique avec le Bengladesh.

[9] Les violences au Gujarat de 2002 sont des émeutes visant les populations musulmanes de cet Etat limitrophe du Pakistan. Ces émeutes ont fait suite à l’incendie d’un train de pèlerins hindous ayant entraîné 58 morts et auraient causé la mort de 800 à 2 000 personnes. Ce sont les émeutes les plus violentes et meurtrières que l’Inde ait connues depuis son indépendance.

[10] Le Rashtriya Swayamsevak Sangh, ou RSS (« Organisation volontaire nationale ») est un groupe nationaliste hindou d’extrême droite et paramilitaire. Fondé en 1925 à Nagpur par un médecin indien, le RSS propage une conception raciale du peuple indien. Nathuram Godse, celui qui a assassiné Gandhi, était un ancien membre du RSS.

[11] Depuis le début des années 1990, Ayodhya est le centre d’un conflit entre musulmans et hindous. Le 6 décembre 1992, des hindous ont rasé la Mosquée de Babur, construite en 1528, d’après une légende sur l’emplacement de la naissance du dieu Rāma, où il y aurait eu un temple hindou détruit par les musulmans. Cette destruction de 1992 a provoqué de violents affrontements qui ont causé la mort de 2 000 personnes, principalement des musulmans.

 

Élections en Inde : triomphe du nationalisme hindou

Narendra Modi lors d'une réunion publique à Meerut, 15 février 2014. © Narendra Modi, Flickr
Narendra Modi lors d’une réunion publique à Meerut, 15 février 2014. © Narendra Modi, Flickr

La plus grande démocratie du monde vient d’achever le marathon électoral au terme duquel plus de 600 millions d’Indiens ont choisi celui qui présidera aux destinées de la sixième puissance économique du monde. Le verdict est sans appel : la coalition emmenée par le Premier ministre, Narendra Modi, emporte 353 des 542 circonscriptions en jeu. Il a désormais toute latitude pour poursuivre les orientations définies lors de son premier mandat, entre réformes libérales, investissements dans les infrastructures, affirmation de l’Inde sur la scène mondiale et renforcement de l’identité hindoue du sous-continent. Le parti du Congrès est décimé [ndlr : principal mouvement d’opposition, le parti du Congrès a dominé la vie politique indienne de l’indépendance jusqu’à l’élection de Narendra Modi en 2014].


Une Inde s’éteint. Une autre émerge. Celle-là se pensait comme un creuset de civilisations, unie par une constitution qui proclame la sécularité de l’État indien et garantit des protections particulières aux minorités autant qu’aux couches populaires, notamment les ex-intouchables et les populations tribales. Celle-ci brandit fièrement l’hindouisme, fondement de sa civilisation et ciment de son identité, pense-t-elle.

Celle-là était mue par un nationalisme civique ayant pour ambition de constituer une puissance souveraine qui promeut la paix et le multilatéralisme. Celle-ci veut tenir en respect les autres nations, notamment la Chine et le Pakistan, n’hésitant pas à faire usage de la force et laissant planer l’ombre du feu nucléaire.

Celle-là tenait les civil servants pour des modèles de vertu, soldats d’un capitalisme d’État ayant pour mission d’œuvrer en faveur de l’autonomie productive et d’un développement soucieux des couches populaires. Celle-ci espère que Narendra Modi mènera à son terme la libéralisation économique qu’a entamée le sous-continent dans les années 1980.

Celle-là reconnaissait une légitimité sans faille à ses élites intellectuelles, rompues aux humanités au sein des universités européennes, s’exprimant dans un Anglais presque britannique, consolidant, chaque jour passant, le culte du savoir et l’admiration pour la figure du professeur, et plaidant, sans fléchir, en faveur des droits des minorités, de la tolérance, du respect de la diversité et de la laïcité. Celle-ci admire les ingénieurs, conquérants modernes, formés dans les Indian Institute of Technology et dont les faits d’armes sont des places de choix acquises dans la Silicon Valley. La vieille Inde admirait les conservateurs du savoir, à la croisée entre la philosophie grecque, la pensée française, le libéralisme anglais et les traditions spirituelles et philosophiques indiennes. La nouvelle espère atteindre la classe moyenne supérieure des entrepreneurs à succès, qui assument leurs devoirs envers leur famille en leur garantissant protection, aisance matérielle et accès au mode de vie consumériste américain.

Trois symboles illustrent ce changement d’époque. Kanhaiya Kumar, jeune étudiant marxiste, candidat pour le parti communiste – ayant fait ses armes au sein de la Jawaharlal Nehru University, temple du marxisme et connu pour son arrestation spectaculaire, pour sédition, durant un événement organisé par des étudiants de la JNU, à l’occasion duquel des slogans anti-Indiens furent proférés – essuie une défaite, dans son État natal, le Bihar, où il faisait face à un candidat du BJP, le parti de Narendra Modi. Atishi Marlena, professeure formée à Oxford, quintessence de ces élites humanistes issues de l’indépendance, est frappée d’un échec similaire, tandis que Pragya Thakur, militant du BJP, accusé d’avoir participé à un attentat à la bombe (non condamné pour l’heure et, par conséquent, présumé innocent), en réaction aux attentats islamistes de Mumbai, perpétrés en 2008, est élu triomphalement. Ces trois figures incarnent l’Inde qui s’efface et celle qui la remplace.

2014 : NARENDRA MODI CHASSE LA DYNASTIE GANDHI-NEHRU DU POUVOIR

Enfant du Gujarat, État situé à la frontière avec le Pakistan, Narenda Modi s’engage très jeune au sein du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), groupe paramilitaire et militant, membre de la famille politique Sangh Parivar. Cette dernière réunit principalement le groupe RSS, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party et le Vahini Hindu Parishad.

Cette communauté politique et intellectuelle se réunit autour de l’Hindutva, idéologie éponyme d’un ouvrage rédigé par un penseur fondamental du nationalisme hindou : Vinayak Damodar Savarkar. A ces origines, l’Hindutva n’implique pas forcément une suprématie de l’hindouisme sur les autres civilisations et religions. Toutefois, très vite, le groupe RSS s’engage contre le séparatisme musulman, ennemi éternel, pour ce groupe, de la civilisation indienne. Dans l’Inde contemporaine, les propagateurs de l’Hindutva souhaitent, à tout le moins, soumettre les musulmans et les chrétiens à l’ethos, aux mœurs et aux valeurs fondamentales de l’hindouisme. Pour les nationalistes hindous, l’hindouisme et l’identité de l’Inde se confondent. Les musulmans et les chrétiens ne feront jamais totalement partie de Mata Bharat (littéralement la Mère Inde), terme mythique pour désigner l’Inde éternelle, inscrite dans les temps immémoriaux.

Groupe clivant, RSS sera plusieurs fois interdit au cours de l’histoire récente de l’Inde : après l’assassinat  de Mahatma Gandhi, commis par un ancien membre d’RSS, durant l’état d’urgence déclaré par Indira Gandhi et après la destruction de la mosquée Babri, que ce groupe estimait construite sur les ruines d’un ancien temple hindou, à Ayodhya, cœur du royaume de Ram, héros mythique du Rāmāyaṇa, conte épique de l’Inde.

Manifestation du groupe RSS. ©Suyash Dwivedi
Manifestation du groupe RSS. ©Suyash Dwivedi

Alors que nombre de leaders de Sangh Parivar sont en prison, pendant l’état d’urgence déclaré par Indira Gandhi, Narendra Modi parvient à monter, un à un, les échelons des organisations hindoues. A l’occasion de cet état d’urgence, plusieurs opposants politiques sont emprisonnés, au nombre desquels figurent des représentants du BJP. Il assume des responsabilités dans le Gujarat puis dans l’Himachal Pradesh, où il mène le BJP à la victoire. Entre 2001 et 2012, il est chef de l’État du Gujarat. A cette occasion, ses opposants l’accusent de jouer un rôle négatif pendant les pogroms ayant conduit aux meurtres d’entre 1000 et 2000 personnes, majoritairement musulmanes, après l’incendie d’un train dans lequel périssent 59 pèlerins, revenus d’Ayodhya. Toutefois, il faut signaler que Narendra Modi ne fait l’objet d’aucune condamnation dans cette affaire.

Son règne à la tête du Gujarat lui permet de se forger l’image d’un leader charismatique et autoritaire, capable de mener les Hindous à la victoire. Par ailleurs, le développement économique du Gujarat, fondé notamment sur des investissements venus de riches hommes d’affaires indiens et du Japon – eux-mêmes facilités par la création de zones économiques spéciales, à la fiscalité et aux normes sociales moins contraignantes – le fait passer pour un modernisateur, capable de redresser l’économie du sous-continent.

Ainsi, en 2014, lorsqu’il se présente aux suffrages des Indiens, Modi réalise une synthèse qui rencontre les aspirations de l’Inde : un renouvellement démocratique qui balaie la dynastie Nehru-Gandhi, perçue comme corrompue et népotique, l’affirmation d’un pouvoir fort au gouvernement central qui redonne de la fierté aux Hindous et une modernisation économique qui libère les Indiens d’un État ressenti comme bureaucratique. Cela lui permet d’obtenir le soutien de la classe moyenne supérieure qui rêve de modernisation économique et se trouve de moins en moins habitée par le surmoi caritatif que le Congrès avait insufflé en elle. Elle estime mériter la place qui est la sienne. Narendra Modi donne un vernis moral et spirituel à ce sentiment. En agissant ainsi, assure-t-il, les Indiens assument leur devoir à l’égard de leur famille et de leur patrie. Leur position dans l’échelle sociale n’est qu’une juste rétribution de leurs mérites.

Fait plus rare pour le BJP, Modi arrache le soutien d’une partie des couches populaires indiennes, notamment celui des Other backward castes (OBCs), groupe social qui ne bénéficie pas pleinement des politiques de discrimination positive mais reste délaissé par la croissance indienne, profitant essentiellement aux upper castes et à la classe moyenne supérieure. Le récit de Narendra Modi rencontre la soif de représentation politique exprimée par ces OBCs, que les partis régionaux et le Congrès ne considèrent pas. En effet, Modi est un Shudra, caste qui, parmi les 4 Varna traditionnelles de l’hindouisme, se rapproche des OBCs.

Plus jeune, alors que ses parents se préparent à lui présenter la femme qu’il doit épouser, le jeune Narendra s’enfuit et travaille comme chai walla, c’est-à-dire vendeur de thé dans la rue, figure populaire s’il en est. Pour ces OBCs, Modi est l’un des leur. Il se détache des élites libérales et occidentalisées qui composent le parti du Congrès. Il n’hérite pas. Il mérite. Dès lors, leurs espoirs se portent sur cet homme.

En 2014, les Indiens décident de chasser la famille Nehru-Gandhi, corrompue et incapable d’assurer le développement économique du pays selon eux, tandis que Narendra Modi leur promet le vikas, c’est-à-dire le développement, en les débarrassant des lourdeurs de la bureaucratie indienne et de la corruption et en développant les infrastructures, le retour à la fierté hindoue et l’affirmation de l’Inde comme puissance majeure sur la scène internationale. Avec Modi, estiment les Indiens, viendront les acche din, c’està-dire les jours heureux.

2019 : LA VICTOIRE IDÉOLOGIQUE DE L’HINDUTVA

En 2019, la campagne électorale prend une toute autre tournure. Rahul Gandhi, le leader du Congrès, estime la constitution et la laïcité menacées par le règne sans partage du parti safran – surnom du BJP – et souhaite sauver la laïcité de l’ombre du nationalisme hindou. Durant ses cinq années de mandat, Narendra Modi s’est efforcé de renforcer l’identité hindoue de l’Inde. Une partie des programmes d’histoire sont réécrits. Les interdits qui frappent l’élevage bovin sont renforcés pour protéger la vache sacrée. L’Hindi est mis en avant au détriment des autres langues de l’Inde. Le Congrès prend donc la tête d’une grande coalition laïque.

Par ailleurs, le Congrès fait campagne sur les échecs du gouvernement en matière économique et sociale. M. Modi a mis en place de grands plans d’infrastructures (toilettes publiques, électricité, gaz, routes) insuffisants aux yeux des Indiens et a imposé des réformes libérales qui ne font pas l’unanimité, comme la Goods and Services Tax (une TVA uniformisée à l’échelle du pays) et la démonétisation (remplacement de 85% de la monnaie en circulation afin de lutter contre l’argent sale et développer les réseaux bancaires). La détresse des paysans reste grande. Ils sont victimes de la politique de faible inflation des prix agricoles et de baisse des subventions qui garantit des denrées alimentaires bon marché aux électeurs urbains du BJP mais délaisse les masses paysannes. Par ailleurs, le chômage reste un sujet majeur de préoccupation pour les Indiens.

Enfin, le Congrès s’efforce d’affubler le BJP des limaces de la corruption. Il accuse Narendra Modi de favoritisme à l’égard du riche entrepreneur Anil Ambani, à l’occasion du « contrat du siècle », par lequel la France a vendu 36 Rafales à l’Indian Air Force.

Le plan du Congrès souffre d’une faiblesse de taille : de nombreux partis régionaux font bande à part. Il s’agit notamment du Bahujan samaj party, et du Samajwadi party, qui obtiennent traditionnellement le soutien des Yadav (sous-caste des OBCs) et des Jatav (sous-caste des dalits, ex-intouchables) dans l’État le plus peuplé de l’Inde, l’UttarPradesh. Mamata Banerjee, qui règne sur le Bengal Occidental, joue également sa propre partition.

Fin 2018, la mayonnaise semble prendre puisque le BJP subit trois défaites, coup sur coup, au Rajasthan, au Madhya Pradesh et à Chhattisgarh, lors de scrutins régionaux.

Un événement vient cependant bouleverser la campagne. Le 14 février 2019, un camion rempli d’explosifs tue 49 paramilitaires indiens dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde. Très vite, l’attentat est revendiqué par Jaish-e-Mohammed, dont le chef, Masood Azhar, opère depuis le Pakistan. L’Inde réagit coup pour coup. Le 26 février, un raid de 12 Mirage 2000 cible un centre d’entraînement djihadiste situé au-delà de la frontière indo-pakistanaise. Selon l’Inde, 350 terroristes sont neutralisés.

Les critiques du Congrès deviennent inaudibles. L’Inde se cherche un chef de guerre dont la main ne tremblera pas lorsqu’il s’agira de frapper le Pakistan au cœur. Narendra Modi apparaît alors comme l’héritier de Shivaji, qui croisa le fer contre le joug musulman.

Le professionnalisme du BJP et le talent politique de Narendra Modi feront le reste. Sa stratégie de communication est nettement plus adaptée aux campagnes du XXIème siècle que celle de Rahul Gandhi. Modi est partout : dans les grandes réunions publiques en plein air réunissant des centaines de milliers de personnes, sur tous les réseaux sociaux, dans la presse, sur toute les pancartes publicitaires situées le long des routes. Rahul Gandhi, au contraire, s’est doté d’une stratégie réseaux sociaux balbutiante et apparaît, tout à tour, nerveux, immature, incapable de se contrôler, faible, fragile et excessif.

Par ailleurs, Modi et Amit Shah, leader du BJP, ont une analyse très fine des patrimoines électoraux. Ainsi, dans l’État de l’Uttar Pradesh qui donne 80 députés à l’Inde, une mahagatbandhan (grande alliance) affronte le parti safran. A trois, le Samajwadi party, le Bahujan samaj party et le Lok dal coalisent les suffrages des Yadav (sous-caste des OBCs), des Jatav (sous caste des dalit, ex-intouchables) et des Jats (caste de paysans). Additionnées, ces diverses communautés dépassent largement les hautes castes, qui forment l’électorat traditionnel du BJP. Le BJP ne se résigne pas et cible, dans les candidats qu’il présente, dans les localités qu’il investit ainsi que dans les sujets qu’il prend en charge, les OBCs non-Yadav et les dalits non-Jatav. Ainsi, il emporte la mise et s’assure du soutien de 63 des 80 députés de l’État de l’Inde le plus peuplé.

Le succès est sans appel. Dans la ceinture Hindi, traditionnellement acquise au BJP, Modi réalise des scores staliniens. Il obtient le soutien de 41 des 49 députés du Maharashtra, de la totalité des députés de l’Haryana, du Gujarat et du Rajasthan, et de 28 des 29 députés du Madhya Pradesh. Il réalise également des cartons pleins dans l’Himachal Pradesh et l’Uttarakhand.

Carte électorale de l'Inde, 2019
Carte électorale de l’Inde, 2019
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Le succès du BJP s’étend même hors de ses bastions historiques. Il fait des percées notables dans le Nord-Est de l’Inde, qui se donne habituellement aux partis autonomistes et aux mouvements révolutionnaires. Il emporte la victoire dans le Bihar, où 39 des 40 députés sont issus de la coalition dirigée par Narendra Modi.  Dans le Bengal occidental, État où se trouve une forte communauté musulmane, il fait quasiment jeu égal avec Mamata Banerjee, et éclipse le parti communiste, qui a dirigé l’Etat pendant près de quatre décennies.

Il n’y a guère que les États du Sud qui résistent à la vague safran. Les Indiens du Sud n’ont pas les mêmes rapports avec l’islam que les Indiens du Nord, pour qui la frontière avec le Pakistan est nettement plus palpable. Par ailleurs, ils sont très jaloux de leurs particularités culturelles et très attachés à la sauvegarde des leurs langues. Ils restent donc réticents à apporter leur soutien à un parti qui plaide pour la suprématie de l’Hindi. Toutefois, il est remarquable que Modi emporte 25 des 28 députés du Karnataka, bastion du Congrès pendant ces 5 années rares en succès électoraux pour Rahul Gandhi.

En 2014, la victoire de Narendra Modi fut un subtil mélange entre diverses aspirations : un coup de balai qui débarrasse l’Inde de la dynastie Gandhi-Nehru et de la corruption, un coup de collier en faveur de la libéralisation de l’économie, un pouvoir fort à la tête de l’État central et le renouement avec la fierté de l’hindouisme triomphant.

En 2019, le message est sans équivoque. L’Inde ne se cache plus. Elle souhaite réaffirmer son identité hindoue, chasser les élites libérales qui promeuvent le multiculturalisme et porter à la tête de l’État un chef de guerre capable de tenir en respect les autres nations pour assurer à Mata Bharat une place éminente sur la scène mondiale.

L’INDE, PUISSANCE CHARNIÈRE DANS LE JEU INTERNATIONAL ?

A présent, plusieurs échéances vont se succéder pour le Premier ministre fraîchement réélu. Elles donneront à voir le rôle que l’Inde entend jouer sur la scène internationale.

A l’occasion de son premier mandat, Narendra Modi avait renforcé la posture guerrière de son pays à l’égard du frère ennemi : le Pakistan. L’attaque terroriste intervenue en février dernier ne changera certainement pas la donne.

L’Inde accuse régulièrement le Pakistan de soutenir et de financer, par l’intermédiaire de son agence de renseignement ISI, le terrorisme islamiste et séparatiste dans la vallée du Cachemire. Aussi, à l’occasion du G20 qui aura lieu les 28 et 29 juin prochains et du G7, auquel l’Inde est invitée par la France, Modi entend obtenir des engagements forts de la part de la communauté internationale pour couper les financements aux organisations terroristes. Elle a d’ores et déjà arraché la reconnaissance, par les Nations-Unies, de Masood Azhar, chef de Jaish-e-Mohammed, comme global terrorist.

Par ailleurs, alors que les États-Unis ont annoncé leur retrait du bourbier afghan, l’Inde va devoir prendre position sur le processus de paix dans ce pays. Vladimir Poutine espère œuvrer en faveur d’un compromis historique entre les Talibans et le gouvernement afghan, condition sine qua non, selon lui, d’une lutte résolue contre l’Organisation de l’État islamique. C’est la raison pour laquelle Moscou a organisé plusieurs rencontres entre le Haut Conseil pour la paix, organe consultatif de l’État afghan et les Talibans. Il a également provoqué une rencontre entre l’opposition afghane et les Talibans. Ainsi, il espère réconcilier les populations pachtounes, parmi lesquels on trouve des soutiens des Talibans, et les populations du Nord de l’Afghanistan. Ces efforts russes ont d’ailleurs poussé le président afghan Ashraf Ghani à convoquer une grande assemblée consultative, qu’il souhaite représentative des courants de la société afghane, afin qu’elle constitue un interlocuteur acceptable pour les Talibans.

L’Inde pourrait avoir intérêt à appuyer ce processus de paix à la fois pour donner de la stabilité à son allié afghan – riche en ressources pétrolières et gazières, carrefour commercial et de civilisations entre l’Asie et la Russie – et pour forcer le Pakistan à intensifier sa lutte contre le mouvement taliban pakistanais, entamée lorsque l’armée pakistanaise a délogé les terroristes du Tehrik-e-Taliban de la région du Waziristan pakistanais.

Enfin dernier axe structurant pour la diplomatie indienne : le rapport qu’elle entretient avec son puissant rival chinois. L’Inde a consolidé sa relation avec les États-Unis, pour se protéger des incursions chinoises dans l’Océan indien et l’Himalaya, participant régulièrement à des exercices militaires communs avec les États-Unis, le Japon, l’Australie et, plus récemment, la France. Elle a renforcé son arsenal militaire et sa présence navale dans l’Océan indien : achat de 36 rafales et de 6 sous-marins de classe Scorpène auprès de la France, accès aux bases navales françaises dans l’Océan indien (Djibouti, La Réunion, Émirats Arabes Unis).

Toutefois, cette nouvelle alliance stratégique avec l’Occident se heurte au partenariat historique qu’entretient l’Inde avec deux pays que les États-Unis ont pris en grippe : l’Iran et la Russie. L’Inde investit notamment dans le port de Chabahar, stratégique pour l’accès de l’Iran à la Mer Rouge et à l’Océan indien. Les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé qu’ils sanctionneraient toute nation qui achèterait du pétrole iranien, sans exception. Dès lors, l’Inde va devoir rapidement se positionner : reprendre les importations de pétrole depuis l’Iran ou intensifier les relations commerciales avec l’Arabie Saoudite. Elle semble se diriger vers un alignement sur la position américaine.

Avec la Russie, l’Inde partage une relation militaire ancienne. La Russie est le second fournisseur de l’Inde en termes d’armements. 35% des exportations de la Russie vers l’Inde concernent le domaine militaire. L’Inde vient ainsi de confirmer l’achat de systèmes de défense sol-air russes S 400 et la location d’un sous-marin nucléaire d’attaque auprès de la Russie. Elle s’expose à des sanctions américaines, au titre du Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act qui permet aux États-Unis de châtier des nations qui achèteraient des systèmes d’armement à la Russie.

Donald Trump a déjà de retiré à l’Inde son inscription au sein du Generalized Preferences System, qui assure aux produits indiens un accès privilégié au marché américain. Les États-Unis souhaitent, en effet, que l’Inde ouvre d’avantage son marché intérieur, notamment dans les domaines du e-commerce, des médicaments et des produits laitiers.

L’Inde entend ainsi contenir les prétentions chinoises qui s’expriment à travers des investissements dans des infrastructures portuaires et aéroportuaires de la Mer de Chine à Djibouti. La Chine a ainsi obtenu une concession de 99 ans sur le port d’Hambatota, au Sri Lanka. Elle prévoit d’investir dans deux cités portuaires d’ampleur : le Colombo International Container Terminal, qu’elle exploite par le biais d’une société détenue à 70% par la Chine et à 30% par le Sri Lanka et le port de Gwadar au Pakistan, point d’arrivée du corridor économique sino-pakistanais. Pour se protéger des incursions chinoises, l’Inde cherche à s’assurer des facilités portuaires aux Seychelles et aux Maldives. Elle s’apprête à construire une nouvelle base militaire sur l’île Andaman-et-Nicobar, à proximité du détroit de Malacca. Elle vient également de signer un accord avec le Sri Lanka pour exploiter le terminal Est du port de Colombo, par le biais d’une société détenue à 51% par le Sri Lanka et à 49% par les Indo-Japonais. Signe des temps, le premier voyage qu’a effectué le Premier ministre indien après son élection l’a mené vers le Sri Lanka et les Maldives.

Elle développe également des relations avec les pays de l’ASEAN – Association des Nations de l’Asie du Sud-Est et de l’ASACR – Association sud-asiatique pour la coopération régionale, qui réunit le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan, le Sri Lanka et l’Afghanistan. A ce titre, d’ici novembre, elle devra rendre sa décision sur sa participation à l’accord de libre-échange conclu entre les pays de l’ASEAN, la Chine, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Renforcé par le plébiscite que vient de lui donner le peuple indien, Modi va pouvoir développer son agenda, mélange de réformes néolibérales et de nationalisme hindou. Il profitera sans doute de cet appui populaire pour pousser son avantage vis-à-vis du Pakistan et consolider son réseau d’alliances ainsi que son arsenal militaire, de façon à rééquilibrer la relation avec la Chine, aujourd’hui défavorable à l’Inde.  L’Inde se prépare à assumer les responsabilités qui seront les siennes lorsqu’elle fera partie, avec les États-Unis et la Chine, des trois premières puissantes mondiales.

©Prime Minister’s Office, Government of India