La politisation de la jeunesse à la suite du mouvement social

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De gauche à droite Roxane Lundy, Vincent Dain et Taha Bouhafs

Vous avez manqué notre Université d’été ? Retrouvez notre débat sur la politisation de la jeunesse à la suite du mouvement social avec comme invités Roxane Lundy (jeunes génération.s), Vincent Dain (LVSL) et Taha Bouhafs (Jeunes insoumis).

Crédits photos : Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL.

« March for Our Lives » : la génération post-2001 se soulève contre le port d’armes

Premier mouvement social de masse du mandat de Donald Trump, la March for Our Lives est aussi la plus grande manifestation anti-armes à feu de l’histoire des États-Unis. La mobilisation est d’ores et déjà historique, et couronnée de succès en Floride, où la législation a été modifiée. Mais au-delà de la question des armes, le 24 mars a des allures d’acte de naissance pour une nouvelle génération politique.


Les images étaient impressionnantes, samedi 24 mars, à Washington. 800 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale américaine pour réclamer un contrôle plus strict de la vente d’armes à feu dans le pays. Des mobilisations similaires ont eu lieu un peu partout aux États-Unis : 850 villes concernées, pour un million et demi de manifestants en tout. Le mouvement « March for Our Lives » (littéralement, « marcher pour nos vies ») est déjà à inscrire dans les livres d’histoire comme la plus grande manifestation anti-port d’armes de l’histoire américaine. Seul Donald Trump ne s’en est peut-être pas encore rendu compte, lui qui, pendant la Marche, jouait au golf dans sa propriété de West Palm Beach, en Floride.

Tout un symbole, qui reste en travers de la gorge de nombreux Américains : c’est à peine à quarante-cinq minutes de ce terrain de golf que la « March for Our Lives » puise ses origines. À Parkland, plus précisément. Le 14 février dernier, Nikolas Cruz, 19 ans, entre dans son ancien lycée et massacre quatorze élèves et trois membres du personnel avec un fusil d’assaut militaire AR-15. C’était déjà la trentième fusillade depuis le 1er janvier 2018 sur le sol américain, la dix-huitième en milieu scolaire…

Les succès de la mobilisation en Floride

© Mike Licht, Flickr

Avec 495 morts depuis début 2017, la chose en est devenue presque routinière aux Etats-Unis : les tueries de masse rythment l’actualité, dans un pays qui concentre 40 % des armes en circulation dans le monde. Alors pourquoi la tuerie de Parkland a-t-elle donné naissance à un véritable mouvement de fond, qui semble bien parti pour durer ? La réponse réside sans doute dans la capacité des survivants de Parkland eux-mêmes à se mobiliser rapidement après le drame, et à faire bouger les lignes dans l’État de Floride.

Ainsi, le 7 mars, le Parlement de Floride a adopté une loi restreignant l’accès aux armes à feu, et ce contre l’avis du lobby pro-armes, la NRA. La chambre étant à majorité républicaine, un camp politique particulièrement financé par l’argent de l’industrie des armes, le tour de force est à saluer. Certes, ce n’est au fond qu’une petite avancée : si l’âge légal pour acheter une arme recule de 18 à 21 ans, si les armes à crosse rétractable (comme le fusil d’assaut qui a servi dans la tuerie) sont interdites et si les délais d’attente à l’achat sont rallongés, la loi ouvre aussi la possibilité d’armer les enseignants et le personnel scolaire… Mais le symbole est là : des jeunes de moins de vingt ans, qui n’ont pas encore la majorité électorale, ont réussi à peser plus lourd que les lobbys.

Le soulèvement d’une jeunesse post-9/11

Car c’est sans doute ça, la véritable rupture historique de ce 24 mars : l’entrée dans le champ politique d’une nouvelle génération, qui fait partie de ces 4 millions d’Américains qui, d’ici 2020, pourront voter pour la première fois. Si la marche de samedi était transgénérationnelle et relativement transpartisane (bien qu’à forte majorité démocrate), les jeunes étaient en surnombre, et en tête de cortège. Cette génération-là est née entre 2000 et 2003, n’a pas connu le 11 septembre 2001, n’a pas dans son imaginaire politique la chute des Twin Towers, totem traumatique indépassable des générations précédentes. Les marcheurs de samedi ont été bien plus marqués par les errances et les mensonges de la politique de Bush au Moyen-Orient, par les dérives du Patriot Act, que par le patriotisme tous azimuts de leurs parents, voire de leurs grands frères et grandes sœurs. Ils étaient trop jeunes pour voter en 2016, mais soutiennent pour la plupart Bernie Sanders : ils sont progressistes et ont envie de changement. Leur poids électoral en 2020 pourrait jouer dans les Etats les plus stratégiques, Floride en tête.

Une militante tenant une pancarte à l’effigie d’Emma Gonzalez © Robb Wilson, WikiCommons

Déjà, des figures hypermédiatisées ont émergé, des visages qu’on s’attend à retrouver régulièrement sur la scène politique américaine ces prochaines années. À l’image d’Emma Gonzalez. Jeune femme de 18 ans, crâne rasé, jean troué, ouvertement bisexuelle et d’origine cubaine : si l’Amérique anti-Trump a un visage, c’est sans doute celui de la porte-parole des survivants de Parkland. C’est elle qui, samedi, a fait taire la manifestation pendant six minutes et vingt secondes de silence (soit le temps qu’il a fallu à Nikolas Cruz pour éliminer ses 17 victimes à Parkland). Certains commentateurs la présentent déjà comme l’avenir politique de la communauté latino-américaine en Floride.

Reste à voir maintenant si la « March for Our Lives » parviendra à pousser les autorités à s’attaquer à l’inamovible droit au port d’armes au niveau fédéral, ce qui sous-entendrait une modification de la Constitution. Une seule chose est sûre, ces jeunes n’en sont qu’au début de leur combat, et commencent à peine leur parcours politique.

Au Brésil le mouvement social ne faiblit pas contre la politique néolibérale de Temer – Entretien avec un brésilien

©Kremlin

Depuis un peu plus d’un an le Brésil est le théâtre d’un drame politique qui n’en finit pas depuis la mise à l’écart de l’ancienne présidente Dilma Rousseff fin-Août 2016, dans le cadre du scandale de corruption du géant pétrolier public Pétrobras et l’accusation de maquillage des comptes publics pour cacher la dette du pays et pouvoir être réélue en 2014. Remarquons qu’une bonne partie des sénateurs ayant prononcés sa destitution sont eux-même sous l’œil de la justice brésilienne car soupçonnés de corruption. Embourbé dans de nombreux scandales, le nouveau gouvernement s’emploie à présent à détruire les conquêtes sociales brésiliennes. 

Michel Temer, l’ancien vice-Président de Dilma Rousseff et son allié au cours des élections de 2014, est devenu depuis fin-Août 2016 le nouveau président brésilien. Mais il est lui même inquiété par la justice dans plusieurs affaires de corruption. Le tribunal électoral brésilien a même été à deux doigts d’annuler il y a quelques jours l’élection de 2014 , au cours de laquelle il a été élu vice-Président aux côtés de Dilma Rousseff, pour des financements illégaux de leur campagne électorale provenant d’entreprises.

La substitution à Dilma Rousseff de Michel Temer n’avait donc rien d’une « opération nettoyage » contre la corruption des politiques brésiliens mais tout d’un coup d’état institutionnel et d’un règlement de comptes entre deux anciens alliés devenus rivaux. Pour mieux comprendre la situation politique au Brésil, mais aussi le mouvement social qui est très actif et a même réussi le 28 Avril dernier à faire descendre 40 millions de Brésiliens dans les rues lors d’une grève générale et a appelé à une nouvelle journée de grève ce 30 Juin, nous avons interrogé un brésilien impliqué dans la lutte contre le gouvernement néolibéral de Michel Temer qui, depuis sa nomination, s’emploie à détruire les conquis sociaux.

LVSL : Peux-tu te présenter rapidement pour nos lecteurs ? Qui es-tu ? Que fais-tu dans la vie ? Es-tu engagé politiquement, syndicalement ?

Je m’appelle Francisco Arruda, j’ai 20 ans, je suis étudiant en dernière année d’Histoire à l’Université fédérale du Ceará. Je suis associé au Parti Communiste du Brésil (PcdoB) et au collectif étudiant Union de la Jeunesse Socialiste (UJS). Je n’ai pas grandit dans Fortaleza, la ville principale de l’État du Ceará, mais dans l’intérieur des terres, de telle façon qu’en plus du mouvement étudiant j’agis aussi dans le sertão* pour la défense des agriculteurs, pour cela je suis en contact avec l’actif Mouvement des Travailleurs sans Terre (MST) qui est, au Brésil, la référence dans la lutte pour la Réforme Agraire.

* Zone géographique du Nordeste du Brésil éloignée des centres urbains, sorte de campagne semi-aride brésilienne.

LVSL : Tes engagements politiques et syndicaux te poussent donc à te positionner en permanence sur la politique menée par le gouvernement brésilien, est-ce que tu faisais déjà partie de l’opposition à la politique de Dilma Rousseff, si oui, pourquoi ?

D’une certaine manière oui, mes engagements me poussent à tenir cette posture.

Avant de répondre à la deuxième question, je crois qu’il est important de faire un bref résumé de la situation dans laquelle nous vivions entre 2014 et la chute de Dilma : lors de l’élection présidentielle (de 2014 – ndlr), il y avait 2 candidats principaux, Dilma et Aécio* (*Aécio Neves, président du PSDB, Parti de la Social-Démocratie Brésilienne – ndlr). Les deux avaient des projets extrêmement différents l’un de l’autre. Dilma fut réélue avec 51% des voix, une légère différence de nombre de voix par rapport à Aécio. Quand elle a été réélue tout le monde attendait un gouvernement encore plus combatif contre l’avancée des idées néolibérales.

Mais à la place de ça elle s’est tirée une balle dans le pied : Dilma a adopté le programme de Aécio. Des mesures impopulaires ont été prises comme des coupes budgétaires dans certains domaines qui étaient auparavant privilégiés, et une équipe économique néolibérale a été nommée, ce qui a entraîné, y compris parmi ses alliés, des critiques sévères de son gouvernement. Quand la classe aisée est descendue dans les rues pour soutenir l’impeachment, avec des slogans tels que “Dehors Dilma”, “Dehors Lula”, “Dehors le Parti des Travailleurs”, Dilma n’avait plus le soutien du peuple et des classes populaires pour résister à une telle pression, tout cela en raison des mesures prises au début du second mandat. Et avec seulement 10% d’approbation populaire son gouvernement est tombé.

Non seulement le mouvement étudiant mais tous les mouvements sociaux, syndicaux et les autres organismes de lutte connaissaient déjà d’avance le groupe politique duquel provenait le vice-président Temer et étaient conscients également des intérêts qui se cachaient derrière l’impeachment. On pouvait donc d’office se déclarer contre le nouveau gouvernement et sa politique. Après tout, ni moi, ni la majeure partie des mouvements sociaux existants ne nous sommes positionnés contre le gouvernement de Dilma. Oui, nous avons bel et bien protesté pendant son second mandat contre les coupures de budget dans l’éducation et nous avons fait de nombreuses critiques. Mais nous n’avons pas empêché l’ouverture du processus d’impeachment, nous croyions que quand ce processus commencerait, là oui nous aurions le gouvernement populaire que nous voulions, en croyant que nous avions toujours la majorité au parlement.

Mais quand tout a commencé nous avons compris l’abysse dans lequel se trouvait le Brésil. Tout est devenu clair et évident quand des enregistrements audios de personnes liées à Michel Temer proposant ouvertement un “accord national” pour mettre de côté Dilma et l’imposer lui, le tout avec l’appui de la Cour Suprême et du Parlement ont filtré : ce qui arrivait n’était rien de moins qu’un coup d’état institutionnel et l’impeachment n’était que le scénario dans lequel se jouait cette pièce politique et ses nombreux actes.

De plus, personnellement, je ne me suis pas placé contre le gouvernement de Dilma car je suis aussi un fils des programmes sociaux développés par le gouvernement du PT (Parti des Travailleurs): le nom par lequel on m’appelle, Gilmar, est un hommage posthume à un de mes frères qui est mort de maladie lors d’une période l’état ne s’intéressait pas au peuple, il n’a donc pas eu accès aux soins. Moi je n’ai pas eu ce genre de problème, mais mes frères ont connu la faim. Mon père et ma mère ont du faire face à de grands défis pour s’occuper de leurs 9 enfants, en plus des enfants du premier mariage de mon père. Les programmes du gouvernement de Lula (président du Brésil de 2003 à 2011, issu du Parti des Travailleurs – Ndlr) ont sorti des millions de personnes de la misère et nous ont donné des conditions de vie dignes. J’ai lutté à la campagne et dans le cadre du mouvement étudiant depuis que je suis entré à l’université afin que ces programmes puissent s’étendre et s’améliorer. Maintenant je dois lutter pour qu’ils ne soient pas démantelés par le gouvernement actuel.

LVSL : La question suivante concernait justement les différences entre Dilma et Michel Temer. Tu nous as déjà fourni de nombreux éléments de réponse en pointant certaines mesures néolibérales promulguées d’abord pendant le second mandat de Dilma Roussef puis poursuivies par Michel Temer. Mais dans quelle mesure cette politique a-t-elle été amplifiée ?

En premier lieu, à la tête d’un gouvernement qui est le fruit d’un coup d’état et ayant un accord avec le grand capital rentier, qui a patronné ce coup d’état, Michel Temer avait déjà montré ce qui allait advenir. Ensuite dès son arrivée au gouvernement il a proposé des réformes dans l’éducation, le droit du travail et la protection sociale. L’éducation avait été jusque là un domaine de grande réussite pour avoir facilité un accès à l’enseignement supérieur jamais vu dans l’histoire du Brésil, en 13 ans de gouvernement* (*durée cumulée des mandats de Lula et de Dilma, ndlr) 18 universités fédérales publiques de qualité ont été créées et chaque année les résultats s’amélioraient. A la fin du gouvernement de Dilma, comme je l’ai dis, des coupures ont été annoncé dans l’éducation. Dilma les a annoncé, Temer les a réalisé, et même de façon bien pire que ce qui était annoncé : un projet de son équipe économique et approuvé par le parlement gèle pour 20 ans les dépenses du gouvernement fédéral, ce qui implique de nouvelles régressions dans l’éducation, la santé, les infrastructures, la sécurité, etc.

Tout cela, selon lui, pour empêcher que le pays ne se ruine financièrement. Il pointe la protection sociale, mais il occulte que 45 % du budget général de l’Union sert à payer les intérêts de la dette publique. De plus le pétrole, principalement le pre-sal* (* réserves pétrolifères présentes sur le littoral brésilien), est livré aux entreprises étrangères sous forme de vente d’actifs et de domaines d’exploitation, Petrobras vend aussi ses participations à cette exploitation. Si ce partage du pre-sal continue, il représentera un manque à gagner de 480 milliards de reais brésiliens (soit un peu plus de 128,5 milliards d’euros) sur 15 ans selon la Chambre des Députés. Autant d’argent qui aurait pu servir à financer l’éducation ou la santé. De plus dans les appels d’offres actuels le gouvernement ne convoque pas les entreprises nationales en prétextant qu’ « elles sont toutes impliquées dans des cas de corruption dans le cadre du Lava Jato* » (* lavage express en Français, opération anti-corruption en cours depuis 2014i). De la même façon on a appris récemment que le Brésil pourrait posséder 98 % des réserves de Niobium* de la planète (* métal rare qui entre dans la composition de nombreux alliages d’aciers), mais cette richesse naturelle est elle aussi menacée.

La protection sociale est un autre grand combat que nous essayons à gauche de bloquer. Le gouvernement tente d’adopter une contre-réforme de la sécurité sociale qui rendrait la retraite quasiment inaccessible. Quant à la réforme du travail, il veut réduire le rôle et l’importance des syndicats, mettant au même niveau pour « négocier » l’ouvrier pauvre et le grand bourgeois, comme s’ils étaient dans les mêmes conditions. Il tente aussi de faire adopter la loi de tertiarisation, qui met fin aux garanties salariales et permet au patron de réduire les salaires. Un député allié au gouvernement a même proposé que les travailleurs agricoles soient payés en nature (repas et vivres) comme c’était le cas avant le gouvernement de Lula.

Ce que nous subissons est un cas sérieux de perte de notre souveraineté nationale, que ce gouvernement, qui a à nouveau été accusé de corruption le 26 Juin dernier, continue de mettre en place.

LVSL : Quelles sont les moyens qu’ont les Brésiliens pour combattre cette politique ? Et quelles sont les perspectives ?

Le parti et les mouvements sociaux dont je fais partie donnent une grande importance au débat et à la formation dans les organisations de base. De cette façon nous faisons constamment l’analyse de la conjoncture, ce qui est actuellement très important, au Brésil et dans le monde, en raison des altérations du scénario politique. Ainsi nous nous proposons de pointer les chemins et les possibilités : le départ de Temer est notre mot d’ordre actuel, mais nous regardons au-delà ce qui se dessine à l’horizon. Temer parti nous devrons lutter pour que soient organisées des élections directes. Nous savons qu’il y a une opposition à ce projet dans les médias locaux (principalement TV Globo, grand soutien du putsch, qui essaie maintenant d’imposer pour des élections indirectes au parlement un politique de droite : Tasso Jereissati). Les parlementaires de gauche, eux, soutiennent aussi l’organisation d’élections directes. Mais dans cette lutte notre meilleur allié est le peuple brésilien qui a été, lors des deux dernières années, très passif à tout cela. Aujourd’hui il reprend la parole dans différents espaces et critique le gouvernement Temer, on peut dire qu’il y a une tendance de fond à revenir vers la gauche il n’y a plus autant d’aversion pour la politique et nous voyons tout un tas de petites actions qui montrent sa résistance. Ce que nous avons vu le 28 Avril était un exemple de cela, le peuple est descendu spontanément dans la rue. La méthode du mouvement est non seulement la conscientisation populaire mais aussi de faire mal au porte-monnaie de l’élite bourgeoise, et ça, nous savons le faire.

Nos perspectives sont qu’une grande pression populaire, même si les parlementaires disent qu’elle n’existe pas, se mette en œuvre avec la plainte actuelle contre Michel Temer, avec le soutien des masses, des centrales syndicales et des grands secteurs de la société civile comme l’Ordre des Avocats du Brésil (qui présente déjà une demande d’impeachment au parlement) et la CNBB (Conférence Nationale des évêques du Brésil) qui ont déjà manifesté contre le gouvernement actuel. Nous sommes bien plus forts avec ces soutiens, ce que nous souhaitons est établir un front large unifiant la gauche et les forces progressistes dans un même projet national pour le retour de la croissance économique et le rétablissement des programmes sociaux et faire revenir le Brésil sur la scène internationale comme une nation souveraine. Cela veut donc dire annuler les mesures rétrogrades du gouvernement actuel et commencer à discuter au parlement de nouvelles réformes (fiscales, politiques, éducatives, etc.) qui soient en accord avec les demandes des mouvement sociaux, pour que la prochaine législature commence par ces réformes.

LVSL : Merci beaucoup pour ton témoignage !

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Au Dakota, le combat des Sioux, le combat de tous

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Dans une année 2016 noircie par les catastrophes politiques, humanitaires, sociales et environnementales, difficile de trouver quelque-chose à sauver. Pourtant, le 4 décembre, le campement de Standing Rock au Dakota du Nord a fêté une grande victoire : celle des Sioux, contre le projet Dakota Access Pipeline, qui menaçait de défigurer leurs terres et d’empoisonner leur eau. Comme un air de ZAD dans les grandes plaines, de quoi retrouver (un peu) le sourire.

Un sinistre projet

En 2014, la compagnie pétrolière américaine Energy Transfer Partners monte un projet chiffré à 3,7 milliards de dollars, visant à connecter les champs pétrolifères du Dakota du Nord à l’Illinois, en traversant les États de l’Iowa et du Dakota du Sud. Ce projet titanesque, soutenu par de nombreuses banques, dont – cocorico sarcastique – la Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole (source : Food and Water Watch) devait initialement traverser la rivière Missouri à quelques kilomètres de Bismarck, capitale de l’État du Dakota du Nord. Mais, face aux risques de contamination des eaux et d’empoisonnement des 67 000 citoyens de la ville, le tracé de l’oléoduc a été déplacé d’une centaine de kilomètres vers le sud. Pas de bol, le nouveau projet fait passer l’oléoduc à 800 mètres de la réserve Sioux de Standing Rock, où vivent plusieurs milliers de personnes.

Alors, certes, le terrain n’appartient pas à Standing Rock ni aux Natifs Américains, mais bien à l’État. Pour cause, cette parcelle a été volé aux Sioux en 1950. Comme du reste, l’intégralité des deux États du Dakota (le traité de Yankton, en 1858, cède la quasi-totalité des terres dites « amérindiennes » au gouvernement américain), le nom même de Dakota désignant la langue sioux éponyme. Les États-Unis ont ce don et cet humour si particulier qui consistent à désigner leurs États du nom des peuples qu’ils ont massacrés et pillés…

« Que ferait Sitting Bull ? »

On notera le principe de précaution à géométrie variable d’Energy Transfer Partners : l’empoisonnement possible d’un peuple minoritaire soulève à l’évidence moins de préoccupations que lorsqu’il s’agit d’une ville à large majorité blanche. Rien de surprenant, malheureusement, si on jette un œil à l’histoire des Sioux du Dakota, qui ont été spoliés de leur terres, à chaque fois sous prétexte de projets industriels et de la sacro-sainte productivité américaine. De la grande réserve censée avoir été « sanctuarisée » en 1868, il ne reste que peu : entre-temps une mine d’or et deux barrages ont déjà morcelé le territoire et obligé la population à se déplacer.

Empoisonnement des eaux, profanation de cimetières et terres « sacrées » : devant cette négation de leurs droits et cette menace d’un projet reconnu comme dangereux pour la santé publique (en témoigne le refus du premier tracé), les Sioux de Standing Rock se sont organisés. Rejoints par d’autres militants Natifs Américains, venus parfois des États voisins, puis par des militants d’ONG environnementales et de ligues de protection des Droits de l’Homme, le camp de Standing Rock s’est métamorphosé en quelques semaines en Zone à Défendre, face aux bulldozers venus entamer le chantier.

Aux rythmes des chants traditionnels et à l’ombre des banderoles « Que ferait Sitting Bull ? », la cicatrice de la bataille de Little Big Horn toujours ancrée dans les mémoires collectives, c’est toute la conscience Sioux qui a fait corps et qui a résisté, malgré les pressions du gouvernement local. Début septembre, la situation dégénère lorsque des bulldozers commencent à creuser alors qu’une demande de suspension de projet a été formulé. Des manifestations s’organisent, mais des agents privés payés par la compagnie lâchent leurs chiens sur la foule et jettent du gaz lacrymogène, avec le soutien tacite du shérif local qui parlera d’une « réponse proportionnée ».

Dans un système médiatique qui vise à taire la répression, les violences faites aux manifestants n’auraient peut-être jamais été relayées à l’échelle fédérale, si l’actrice Shailene Woodley, qui faisait partie du cortège des manifestants, n’avait pas « tweeté » son arrestation musclée. Le combat de Standing Rock bénéficie aussi du soutien de Leonardo DiCaprio, figure emblématique du Hollywood « green-friendly », de la présidente du Parti Vert Jill Stein, de Bernie Sanders, du mouvement Black Lives Matter et d’une multitude de mouvements de communautés minoritaires à l’étranger, à l’image des Aborigènes d’Australie.

Une bataille, pas la guerre

Le 4 décembre, Standing Rock célèbre sa victoire. Le gouvernement enterre le projet de pipeline, au profit de l’étude de nouveaux tracés. Certains se veulent prudents, créditant ce revirement de situation au dernier geste d’un Barack Obama sur le départ, souhaitant donner des gages aux luttes pour l’environnement, au moment même où le climato-sceptique Donald Trump s’apprête à conquérir la Maison Blanche. D’autres préfèrent célébrer la victoire d’un mouvement social fort, ayant réussi à fédérer au-delà de l’aspect strictement culturel et communautaire des Sioux, à rallier “stars” et anonymes, et à unir la gauche américaine dans une même lutte.

De Standing Rock, il faut retenir plusieurs choses. D’abord, c’est une preuve, s’il en fallait encore, que les grands intérêts capitalistes n’ont que faire de l’humain ni de l’environnement, que pour une poignée de « pétro-dollars » la santé et la dignité de milliers de personnes sont sacrifiables, a fortiori si elles sont Natives. Ensuite, qu’il n’y a pas de recette miracle pour faire valoir ses droits : la résistance, pacifique quand c’est possible, physique lorsque l’oppresseur n’hésite pas à employer de la violence. Enfin, que la communication, qu’on le veuille ou non, est un élément incontournable, peut-être celui qui a manqué à Notre-Dame-Des-Landes en France : tout relais dans l’opinion publique qui vise à la mobiliser, qu’il vienne de Hollywood ou d’ailleurs, est bon à prendre. Combattre isolé c’est garantir sa défaite.

Surtout, il ne faut pas oublier que le combat n’est jamais gagné. A Standing Rock, on garde la tête froide. Le scénario catastrophe s’est réalisé : Trump a été élu. Or, le « President-Elect », qui n’est pas un grand ami de l’environnement, c’est peu de le dire, a soutenu durant la campagne le projet Dakota Acess Pipeline. Et pour cause, la société Trump a des parts dans Energy Transfer Partners. Conflits d’intérêt ? Pensez-donc… Si le cauchemar continue, tout est en place pour que le projet soit relancé après l’investiture de Donald J. Trump, et que Standing Rock doive se dresser, à nouveau, pour conserver ses terres.

Crédits photo : ©Fibonacci Blue. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)