JO 2030 dans les Alpes françaises : une impasse écologique et démocratique 

La station de ski des Deux Alpes (Isère). © Toa Heftiba

Les Jeux Olympiques d’hiver 2030, attribués aux Alpes françaises, symbolisent l’aveuglement face aux urgences démocratiques et climatiques. Alors que la neige se raréfie et que le modèle économique de nombreuses stations est menacé, cette compétition serait un pas de plus dans la fuite en avant. C’est du moins l’analyse que développe Fiona Mille, présidente de l’association Mountain Wilderness, dans son ouvrage Réinventons la montagne. Alpes 2030 : un autre imaginaire est possible (Éditions du Faubourg). À travers trois scénarios prospectifs, l’autrice invite à repenser en profondeur notre rapport à la montagne et à sortir des logiques dépassées du « tout-ski » et du « tout-tourisme ».

La saison de ski vient de commencer, et avec elles les premières neiges qui blanchissent les cimes offrant aux skieurs la satisfaction de dévaler les pistes. Mais derrière ce décor fragile, le monde de la montagne reste fébrile. L’an dernier, la France a traversé le troisième hiver le plus chaud depuis 1900, un présage alarmant pour ces territoires dont l’économie repose principalement sur le tourisme de sport d’hiver. Alors qu’un mois de couverture neigeuse a déjà été perdu dans les Alpes depuis les années 1970, le réchauffement climatique va désormais s’intensifier. Avec 53 % des stations européennes menacées d’une grave pénurie de neige en cas de réchauffement de 2°C, et jusqu’à 98 % à 4 °C, l’avenir du ski alpin est profondément remis en cause.

Or, à l’exception des grandes stations de haute montagne, personne ne semble prêt à cette fin de la neige. Sous la présidence de Laurent Wauquiez, la seule réponse de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui compte le plus de stations, a été de subventionner massivement l’installation de canons à neige. Après 50 millions d’euros dépensés lors de son premier mandat (2016-2021), Wauquiez en a promis 50 de plus dans le cadre du « plan neige » de son nouveau mandat. Pour faire bonne figure, la Région financera aussi quelques dameuses à hydrogène, histoire de ne pas oublier l’écologie. Mais cette avalanche d’argent public n’offre en réalité qu’un court répit aux stations, tout en saccageant l’environnement pour installer des retenues collinaires, des tuyaux et des canons.

L’augmentation des prix des forfaits et la montée en gamme des infrastructures transforment ce loisir en un privilège réservé aux élites.

En attendant, le recours à ces canons renforce les difficultés financières des stations. En février, un rapport de la Cour des comptes alertait sur l’impasse économique dans laquelle se trouve de nombreuses stations, malgré un soutien public massif : 23 % du chiffre d’affaires des opérateurs de remontées mécaniques dans les petites et moyennes stations provient désormais de subventions. Certaines sont d’ailleurs contraintes de mettre la clé sous la porte : cette année, le Grand-Puy (Alpes-de-Haute-Provence) et Notre-Dame-du-Pré (Savoie) ont fermé, tandis que la station de Métabief (Doubs) a fermé 30% de son domaine skiable et que la station de l’Alpe du Grand Serre (Isère) a obtenu un sursis d’un an grâce à une cagnotte et à une nouvelle subvention…

Ce contexte renforce une dynamique déjà en marche : le ski, toujours plus coûteux et concentré dans les stations de haute montagne, devient une activité de luxe. L’augmentation des prix des forfaits et la montée en gamme des infrastructures transforment ce loisir en un privilège réservé aux élites. Alors que seuls 11 % déclarent pratiquer le ski chaque hiver et que les classes supérieures sont très surreprésentées, les classes populaires en sont toujours plus exclues, à mesure que les colonies de vacances et hôtels familiaux sont remplacés par des établissements haut de gamme.

Un cercle vicieux inégalitaire est en marche dans nos montagnes : pour faire face aux coûts des investissements (canons à neige, téléphériques…), les stations augmentent le prix des forfaits, ce qui attire une clientèle plus aisée, prisée par des promoteurs qui font exploser les prix des terrains… Enfin, les skieurs des Alpes françaises viennent de plus en plus de l’étranger, de moins en moins de Français ayant les moyens de pratiquer ce loisir. Si ce tourisme rapporte beaucoup, il augmente encore le bilan carbone de ce loisir, en raison des voyages en avion de cette riche clientèle étrangère.

Des JO imposés et désuets

Dans cet univers en mutation, les Jeux Olympiques d’hiver 2030 apparaissent comme un vestige d’un autre temps. Pour Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France et autrice de Réinventons la montagne (Faubourg, novembre 2024), cet événement représente un double déni, démocratique et écologique. Par crainte de rejet, comme cela aurait pu être le cas si les candidatures de la Suisse et de la Suède avaient été retenues par le CIO, aucun débat public n’a été organisé en France. Résultat : un sentiment d’injustice et une opposition croissante au sein de l’opinion.

Or, la montagne, « sentinelle du climat », se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Dans les Alpes, les températures ont déjà augmenté de +2°C depuis 1900, mettant en péril les écosystèmes et les activités humaines. La fonte accélérée des glaciers perturbe le cycle de l’eau, privant les vallées de ressources essentielles pour l’agriculture et les usages domestiques. Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, a récemment déclaré qu’il fallait « réinventer nos loisirs en montagne » dans le cadre du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Cependant, cette ambition contraste avec les choix qui perpétuent un modèle économique dépendant du « tout-ski » et du tourisme intensif. 

En replaçant la transition écologique et la justice sociale au cœur des décisions, il serait possible d’imaginer un autre avenir pour la montagne – construit avec les habitants et non contre eux. 

Les Jeux Olympiques, loin de s’adapter aux réalités décrites par les scientifiques, amplifient en effet ces tensions. Le recours massif à la neige artificielle et à des infrastructures énergivores, présenté comme des solutions, ne fait que renforcer le risque environnemental dans ces territoires fragiles. Ces choix témoignent d’une fuite en avant technologique et d’un non-sens économique, alors même que nombre stations de ski de moyenne altitude sont déjà dépourvues d’enneigement. Selon une étude réalisée au printemps 2024 par l’Inspection générale des finances, la facture totale de ces Jeux d’hiver pourrait s’élever à 2,4 milliards d’euros, un montant qui risque, comme pour les éditions précédentes, d’augmenter encore d’ici la compétition. « Autant d’argent qui manquera cruellement à l’accompagnement de la transition des territoires de montagne » comme le souligne Eric Adamakiewicz, maître de conférence en management du sport à l’université Toulouse 3, cité dans l’ouvrage. 

Pourtant, comme le montre Fiona Mille, cette crise pourrait être une opportunité de transformation. En replaçant la transition écologique et la justice sociale au cœur des décisions, il serait possible d’imaginer un autre avenir pour la montagne – un avenir construit avec les habitants et non contre eux. 

Un appel à repenser la montagne

Face à ces constats, Fiona Mille propose trois scénarios prospectifs pour les Alpes à l’horizon 2030. Dans le premier, les JO ont lieu, mais au prix d’une catastrophe environnementale et sociale. Les stations de ski haut de gamme prospèrent, mais les villages de montagne sont désertés par leurs habitants, incapables de faire face à l’inflation des loyers et à la dégradation des conditions de vie. Dans le second scénario, les JO sont annulés en 2029 en raison de l’aggravation des crises climatiques et géopolitiques. Cette décision intervient dans un contexte d’abandon des territoires de montagne, frappés par des sécheresses, des incendies et des pénuries d’eau.

Enfin, le troisième scénario raconte comment un mouvement citoyen transforme l’opposition aux JO en un projet alternatif. Les stations deviennent des centres éducatifs et culturels. Les compétitions sportives, rebaptisées « Sportivades », adoptent des pratiques écoresponsables. Ce scénario explore un imaginaire inédit, où la montagne serait un lieu d’innovation écologique et sociale. Pour Fiona Mille, ces scénarios ne sont pas des prédictions, mais des invitations à agir. La crise climatique, loin d’être un obstacle insurmontable, est une opportunité de transformation. En réconciliant justice sociale et transition écologique, les montagnes peuvent redevenir des lieux de résilience et d’innovation.

Si l’ouvrage donne peu de pistes concrètes de transformation, l’autrice donne cependant la parole à des scientifiques et des militants comme Marie Dorin-Habert, championne olympique et défenseure du Vercors, ou Rémy Knafou, spécialiste du tourisme durable. Ils partagent une même conviction : l’avenir de la montagne dépend de choix politiques courageux et de l’implication citoyenne. Outre la diversification du tourisme, pour ne plus dépendre exclusivement de la neige et valoriser les « lits froids » inoccupés en dehors de l’hiver, on peut aussi imaginer relancer des activités traditionnelles de la montagne, comme le pastoralisme, le petit artisanat ou la production agro-alimentaire en général.

Les limites du « tout ski » étant désormais flagrantes, Réinventons la montagne nous appelle à imaginer une montagne qui ne soit plus un simple décor pour les loisirs, mais un refuge pour la biodiversité et un modèle de sobriété. Fiona Mille nous pousse à questionner notre rapport à ces territoires fragiles et à réfléchir dès maintenant à leur avenir.

Vague de froid, changement climatique et impuissance publique

Alors que les photos de Paris sous la neige envahissent les réseaux sociaux et que les polémiques s’accumulent autour des « naufragés de la route », la question de la capacité de l’État à gérer les épisodes climatiques extrêmes se pose concrètement. S’il ne faut pas confondre météo et climat, le changement climatique est bien responsable de l’intensification des vagues de froid que nous traversons en ce moment.


 

Précis de climatologie facile : le Jet-stream devient fou

Le changement climatique est déjà à l’origine de violentes perturbations météorologiques et leur fréquence risque fortement de s’intensifier. Dès lors, connaître les ressorts climatiques qui les sous-tendent peut se révéler particulièrement utile pour comprendre que l’adaptation n’est pas une option parmi d’autres. Mais alors, comment expliquer de telles vagues de froid ?

La température n’augmente pas de manière uniforme sur Terre avec le réchauffement climatique. Les pôles, par exemple, se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète. En effet, la neige blanche possède un indice « albédo » fort, de 0,9 sur 1, c’est-à-dire qu’elle réfléchit 90% de l’énergie qu’elle reçoit du soleil. Avec la fonte des glaces, elle est de plus en plus remplacée par de grandes étendues de mer sombre, d’un indice de 0,05, qui absorbent 95% de l’énergie solaire, ce qui provoque une accélération de ce phénomène.

L’Arctique est particulièrement victime de ce cercle vicieux. Les températures y ont grimpé de plus de 2°C en moyenne depuis le XIXème siècle et la surface recouverte par la glace en été y a diminué de 50%. La différence de température entre le Pôle Nord et l’équateur a tendance à diminuer, ce qui perturbe le cours normal des vents dominants. L’air chaud est plus léger que l’air froid. Il a donc tendance à monter et ce faisant, il provoque un phénomène d’aspiration par le bas. La différence de température entre l’équateur et les pôles actionne donc des vents considérables : les alizés.

Au niveau du cercle arctique, l’air froid entre en contact avec les alizés chauds et la rencontre crée un ascenseur thermique : l’air chaud monte et l’air froid descend selon un axe vertical. En tournant, la Terre transforme ce mouvement vertical en mouvement horizontal, c’est la « force de Coriolis ». C’est ainsi que naît le Jet-stream, vent froid puissant se déplaçant d’ouest en est.

Avec le changement climatique, ce vent est moins « maintenu », puisqu’il y a moins de tension thermique. Il se déplace donc de manière plus sinueuse, ce qui permet d’une part à des vagues de froid polaire de s’enfoncer vers le sud, et d’autre part à des vagues de chaleur de pénétrer plus au nord.

Des pouvoirs publics incapables de s’adapter ?

En décembre dernier, l’Amérique du Nord a connu une vague de froid particulièrement extrême (-40°C à New-York, de la neige en Floride), tandis que début février, le Maghreb s’est retrouvé sous la neige, avec pour conséquence une paralysie des zones rurales. Ces derniers jours, c’est la Ville Lumière qui s’est voilée de blanc, avec les conséquences que l’on connait : des bouchons en Ile-de-France (jusqu’à 739 kilomètres km le 6 février), des perturbations dans les transports publics (arrêt des bus RATP, TGV ralentis pour « éviter les projections de glace ») et des entreprises en difficulté. Vendredi 9 février, elles étaient plus d’une centaine à être sérieusement empêchées dans leur fonctionnement, a fortiori celles qui dépendent des transports routiers et des livraisons.

La question de savoir si cela aurait pu se passer autrement est légitime. Le gouvernement semble nier une réaction insuffisante, ou trop tardive, de sa part. La ministre des transports Elisabeth Borne accuse la fatalité et déclare que “lorsque de telles quantités de neige tombent, le sel n’agit plus et la neige tient au sol. Il devient alors extrêmement compliqué pour les engins d’intervenir car les routes sont pleines d’automobilistes”. De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb évoque, avec sa franchise caractéristique, une réalité plus « crue », sans mauvais jeu de mots : “Il faudrait acheter beaucoup de matériel, qu’on utilise une fois tous les trois ans. Lorsque vous êtes au Canada, il tombe 60 centimètres et tout le monde roule parce qu’ils ont investi des milliards et des milliards”.

Certes, il y a toujours pire ailleurs. Début janvier, avec 2cm de neige seulement – contre 18 à Paris -, une pagaille a envahi la métropole madrilène, entraînant des annulations de vols, des fermetures d’écoles et la prise d’assaut des stations-service. L’armée a même dû secourir des milliers d’automobilistes coincés toute la nuit dans leurs véhicules sur l’autoroute reliant Madrid et Ségovie.

Les villes qui ne sont pas habituées la neige sont donc confrontées à un dilemme : s’équiper coûte cher et la probabilité d’occurrence de chutes importantes est jugée faible. A l’heure où les services publics sont diminués sous prétexte d’économies budgétaires, de tels investissements ne semblent pas à l’ordre du jour. Comme souvent, les pouvoirs publics préfèrent en appeler à la responsabilité individuelle – beaucoup moins coûteuse -, comme en témoignent les propos de l’ancien ministre des transports Dominique Bussereau : « Peut-être que nous [les automobilistes] n’avons pas forcément les bons réflexes. Nous sommes dans une région, la région parisienne, où nous ne sommes pas habitués à ces conditions comme nos amis du Jura, des Vosges ou d’Auvergne, qui savent rouler sur la neige”. Pourtant, les dégâts coûtent souvent plus cher que la prévention, surtout en vie humaine.

Inondations, crues et même canicules… ce que laisse envisager le bouleversement du Jet-stream.

Le Jet-stream apporte beaucoup d’humidité car la différence de température entre les vents qui le font naître provoque des phénomènes de condensation. En hiver donc, il apporte souvent de la neige. Lorsque le redoux survient, cette dernière fond et gonfle les cours d’eau. Avec l’augmentation de la fréquence des vagues de froids et de redoux, la quantité globale d’eau de fonte peut s’avérer bien supérieure aux moyennes annuelles. Si les sols sont en surcapacité d’absorption, alors les fleuves finissent par déborder. L’artificialisation des terres et le tassement des sols agricoles n’aident évidemment pas à prévenir ces phénomènes. Un sol forestier peut absorber 400 mm d’eau par heure alors qu’un sol agricole labouré n’en absorbe qu’1 ou 2 mm en moyenne.

Selon l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU), 100 000 établissements et 745 000 salariés seraient touchés en cas de crue centennale en Île-de-France, c’est-à-dire une hauteur de 8,62 mètres comme en 1910 (le 29 janvier 2018, nous étions rendus à 5.85 mètres). Mais avec l’érosion des sols, bien supérieure qu’au début du siècle en raison de l’évolution des pratiques agricoles, la densité de l’eau est très importante (car chargée en terre), ce qui augmente son pouvoir abrasif et destructeur. Ce phénomène ne diminuera pas sans un changement radical des pratiques agricoles et un boisement des bassins versants.

En été, le Jet-stream remonte vers le nord. Mais à cause du changement climatique, il peut s’enrailler et s’arrêter. En effet, si les températures sont trop hautes dans l’Arctique, il y a moins de conflit avec les vents chauds du sud et donc moins d’énergie disponible. Lorsque le Jet-stream ralentit fortement, l’Europe de l’Ouest n’est plus « ventilée » et les températures augmentent fortement : c’est la canicule. Globalement, entre 2002 et 2012, le nombre de canicules importantes enregistrées sur la planète a été trois fois supérieur à celui relevé lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001, et le phénomène s’accélère. D’après le GIEC, la France connaîtra en 2050 un épisode caniculaire équivalent à celui de 2003 en moyenne 2 années sur 3.

Personne ne sera épargné par l’intensification des épisodes climatiques extrêmes. Il n’y a pas de tergiversation possible sur ce fait d’un point de vue scientifique. Dès lors, investir dans la résilience est une adaptation nécessaire, qui entre d’ailleurs dans le domaine des responsabilités régaliennes de l’État. Or, la démission de l’État diminue de fait sa capacité à planifier une stratégie d’adaptation, au dépend de la sûreté des citoyens.

 

Crédit photo : Matis Brasca