Nucléaire en France : les éléments du choix

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Centrale nucléaire de Cruas

Le nucléaire a mauvaise presse auprès des principaux mouvements écologistes. L’histoire récente nous rappelle bel et bien que l’énergie nucléaire est sujette à d’importantes contraintes technologiques, financières et humaines. Le risque d’un accident majeur, même s’il est probablement limité en France, n’est pas nul. Ainsi, l’énergie nucléaire nécessite une vision stratégique de long terme, des investissements réguliers, une conservation du savoir-faire et des compétences, un appui permanent de l’État et de la société. Toutefois, une fois ces conditions remplies et le choix réalisé de manière démocratique, une énergie nucléaire bien gérée peut représenter un réel apport pour relever le défi de la transition énergétique. Un apport que les écologistes pourraient n’avoir pas le luxe de refuser.

Ndlr : Cet article s’inscrit dans la série portant sur les grands enjeux du système électrique du XXIème siècle et débutée avec « Les défis de l’intégration des EnR dans le système électrique ».

Durant plusieurs décennies, la France a fait le pari du nucléaire devenu comme une sorte de doxa républicaine, une image de la grandeur nationale. Cet unanimisme imposé s’est depuis fracassé. Les critiques se multiplient sur les risques du nucléaire, surtout après les accidents de Tchernobyl (1986) puis de Fukushima (2011). Les sommes importantes dépensées pour construire de nouvelles centrales mises au regard de la baisse des coûts des énergies renouvelables alimentent le débat.

Les enjeux autour de cette question méritent d’être traités plus finement, même si éclairer cet enjeu objectivement est difficile. Pour commencer, il est utile de rappeler brièvement le principe de base du fonctionnement de l’énergie nucléaire, la place que cette énergie occupe dans le système électrique français et les orientations récentes en la matière.

Le principe de base d’une centrale nucléaire est relativement simple à comprendre. Des particules de charge nulle, les neutrons, sont envoyées sur des gros atomes, d’uranium en général, et les scindent en deux noyaux plus petits. Au cours de cette réaction, une quantité importante d’énergie sous forme de chaleur est libérée et va chauffer l’eau des circuits. Au sein des échangeurs, l’eau passe à l’état de vapeur et va entraîner la rotation des turbines qui va alors produire de l’électricité. Toute la difficulté repose dans la capacité à stabiliser le rythme des réactions et la température au sein du cœur du réacteur. Cette stabilisation est acquise grâce à des circuits de refroidissement et à l’utilisation de modérateurs. Déjà, pour taire quelques fantasmes, il est important de le rappeler : il s’agit bien de deux circuits indépendants, un circuit primaire radioactif, en contact avec le combustible, et un circuit secondaire qui, en quelque sorte, ne brasse que de l’eau et agit de la même façon qu’un circuit identique fonctionnant au charbon ou au fuel.

À l’heure actuelle, le parc nucléaire français est composé de 56 réacteurs à eau pressurisée, dits de Génération II, de puissance allant de 900 à 1500 MW, alors que tous les anciens réacteurs de première génération ont déjà été fermés. L’ensemble du parc produisait en 2019 70,6% de l’électricité française, soit 379 TWh [1]. La majorité des réacteurs français ont été construits dans les années 80 et entament donc ce qu’on appelle leur 4ème visite décennale (40 ans) [2]. Certains vont être prolongés au-delà de 40 ans, tandis que d’autres vont probablement être arrêtés à l’instar de Fessenheim en 2019. La loi pour l’énergie et climat (LEC) de 2019 enjoint à une diversification du mix électrique français, fixant à 50% [au lieu de 70% ndlr.] la part du nucléaire pour 2035 [3]. Ainsi, 12 réacteurs devraient être fermés d’ici-là (potentiellement sur les sites de Tricastin, du Bugey, de Blayais, de Gravelines, de Cruas, de Dampierre et de Chinon) [4].

Sur le long terme, deux options semblent s’ouvrir pour le nucléaire. Soit une transition vers un système 100% EnR dont nous avons étudié les conditions dans un précédent article, soit le maintien d’une part conséquente de nucléaire (en dessous de 50% toutefois) qui impliquerait mécaniquement le prolongement du fonctionnement d’une partie du parc français et/ou la construction de nouveaux réacteurs (le programme de « nouveau nucléaire » à l’étude chez EDF). Différentes options intermédiaires sont bien entendu envisageables. La première paire de réacteurs dits de troisième génération (les fameux EPR) sera bientôt raccordée au réseau à Flamanville [5]. Dans chacune des sections suivantes, l’article tentera de décortiquer une des facettes de la question nucléaire.

Le nucléaire répond aux enjeux climatiques et de stabilité du réseau électrique

La France s’est engagée à réduire ses émissions de C02 de manière importante afin d’atteindre l’objectif « zéro-émission nette » à l’horizon 2050 via la Stratégie nationale Bas-Carbone (SNBC) [6]. Notons pour commencer que la production d’énergie nucléaire est très faiblement émettrice en Co2. Ainsi, l’ADEME évalue sa valeur à 6gCo2/kWh (12 dans le rapport du GIEC et 66 pour la moyenne monde) [7], en deçà des 419 gCo2/kWh des centrales à gaz ou même de toutes les autres énergies renouvelables qui vont de 9 gCo2/kWh pour l’éolien à 41 gCo2/kWh pour la biomasse [ADEME]. Une prise en compte plus large (analyse en cycle de vie plus large par exemple) peut donner des résultats parfois légèrement plus élevés. Toutefois, le caractère compétitif en termes de niveau d’émissions du Co2 est difficile à remettre en cause. Par ailleurs, les volutes de fumée qui s’échappent des tours de refroidissement sont composées uniquement de vapeur d’eau. Grâce aux centrales nucléaires, la France dispose de l’électricité la plus « propre » d’Europe avec la Suède et la Norvège [8].

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans son rapport global de 2018 propose des scénarios permettant de limiter le réchauffement global aux alentours de 1,5°C [9]. La très grande majorité des scénarios conduisent à une augmentation de la part du nucléaire dans le monde. Roland Séférian, chercheur à Météo France et auteur du chapitre 2 du rapport du GIEC, notait par ailleurs pour le journal Libération [10], que les scénarios sans nucléaire impliquent une acceptation plus rapide des EnR et des innovations technologiques plus rapides que la moyenne en matière d’EnR. Le GIEC note pour conclure que l’énergie nucléaire fait clairement partie des solutions pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

« Les scénarios sans nucléaire impliquent une acceptation plus rapide des EnR et des innovations technologiques plus rapides que la moyenne en matière d’EnR. »

L’énergie nucléaire a le mérite d’être pilotable, c’est-à-dire disponible sur demande et permet d’assurer la stabilité du réseau et l’équilibre offre-demande, qui sont les enjeux-clés du réseau électrique. Elle concourt notamment quotidiennement au réglage de la fréquence primaire et secondaire en France et fait du suivi de charge (pratique consistant à faire varier la puissance des réacteurs pour l’adapter aux besoins des consommateurs) pour s’adapter aux demandes des consommateurs. La puissance fournie en mode suivi de charge peut être modulée de près de 80% en l’espace de 30 min [11]. Ainsi, le parc nucléaire fournit un certain nombre de services systémiques au réseau. L’arrivée massive de moyens de production renouvelables intermittents est susceptible d’augmenter les congestions et l’instabilité sur le réseau. La présence de moyens pilotables bas-carbone est donc souvent nécessaire pour compenser une part croissante d’EnR. Toutefois, il faut le souligner, plusieurs études récentes (AIE/RTE) montrent qu’il serait possible de piloter un système 100% EnR [12].

Des enjeux industriels et socio-économiques considérables

Un autre élément à avoir en tête au moment de décider de la trajectoire future du nucléaire en France est le poids économique de la filière. Le nucléaire représente la troisième filière industrielle en France avec l’aéronautique et l’automobile. Elle pèse près de 220 000 emplois, voire près de 400 000 en comptant les emplois indirects et induits [13], soit 2% de l’emploi total français. Cette part d’emplois induits est la plus élevée parmi les filières françaises. La suppression d’emplois dans le nucléaire peut avoir des conséquences localisées importantes. Ces emplois ont le mérite de ne pas être délocalisables, à la différence d’autre filières et sont donc a priori durables. Par ailleurs, ils correspondent à des emplois à haut niveau de qualification. Une étude PwC (cabinet de conseils) avance que pour la construction d’un réacteur à l’étranger par une entreprises française, ce sont 3750 emplois qui sont créés en France [14]. L’exportation du savoir-faire français est donc un enjeu-clé.

«Elle pèse près de 220 000 emplois, voire près de 400 000 en comptant les emplois indirects et induits [13], soit 2% de l’emploi total français. »

D’un point de vue commercial, la filière nucléaire dégage chaque année un excédent commercial de 2 Mds€. De plus, le non-recours à des combustibles fossiles pour remplacer l’énergie produite (gaz, charbon, etc.) entraîne des gains de plusieurs dizaines de milliards par an (environ 25 Mds€), tandis que l’uranium représente un coût modéré (1 Mds€/an) [15]. Notons tout de même que l’accès aux ressources d’uranium peut impliquer des surcoûts géopolitiques importants, notamment militaires, comme c’est le cas au Niger.

Les entreprises françaises telles que Orano ou EDF sont des leaders mondiaux dans le domaine. L’industrie française est présente sur l’ensemble du cycle, de l’extraction au stockage final en passant par l’enrichissement et l’exploitation. Ce savoir-faire s’exporte sur plusieurs projets dans le monde : en Chine (Taishan), en Grande-Bretagne (Hinkley Point) ou encore en Finlande. EDF est ainsi le premier exploiteur de centrales nucléaires au monde. L’Agence internationale de l’énergie anticipe par ailleurs une croissance de 60% du nucléaire d’ici 2040 [16], principalement dans les pays asiatiques (Inde et Chine) et dans les pays du Golfe.  

La principale ressource utilisée dans le cadre de la production d’énergie électronucléaire est l’uranium qui a une abondance relativement limitée. Les principaux pays exportateurs sont l’Australie, la Russie, le Kazakhstan et pour ce qui concerne l’approvisionnement français, le Niger, qui concentre 8% des réserves mondiales [17]. La France s’approvisionne donc principalement au Niger dans les mines gérées par AREVA. Pour dresser un tableau complet, il faudrait citer les enjeux liés à l’exploitation de l’uranium par AREVA au Niger ou ailleurs dans le monde (Scandale Areva-Lauvergeon dans le cadre du rachat d’Uramin, collusion avec la rébellion touarègue, etc.). Par ailleurs, la présence de l’armée française dans cette zone et de tous les coûts humains et économiques qui en résultent est intimement liée à la nécessité de sécuriser les approvisionnements en uranium.

Des études récentes évaluent entre 60 et 100 ans les réserves restantes en uranium au rythme de consommation actuel (donc sans prendre en compte une potentielle hausse). Cet épuisement rapide est principalement lié au fait que l’uranium utilisé est au préalable enrichi, étape nécessitant de grandes quantités d’uranium brut.

Face à cette limite en matière de ressources, il semble exister une solution technique mise en œuvre dans la quatrième génération de réacteurs nucléaires, celle des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Cette nouvelle technologie de réacteurs diffère des premières générations en cela qu’elle utilise comme combustible, non de l’uranium 235 (0,7% de l’uranium naturel) mais de l’uranium 238 (99,3%) augmentant d’un facteur 100 l’énergie produite par une même quantité initiale d’uranium. En France, 3 réacteurs expérimentaux ont existé dont le dernier, Astrid, a été mis à l’arrêt en 2019 faute de moyens. Dans le monde, 3 RNR sont déjà branchés sur le réseau électrique en Russie et en Chine. Cette technologie semble donc pouvoir fonctionner mais est loin d’avoir atteint sa complète maturité et n’est pas encore totalement éprouvée. L’arrêt du programme de recherche en France est vraisemblablement fort dommageable.

Quels coûts pour le nucléaire ?

Il faut entrer maintenant dans le vif du sujet et un des débats-clés, celui autour du coût du nucléaire. Cette question s’articule en réalité en trois sous-questions : celle du coût de la prolongation des installations, celle du coût du démantèlement des anciennes installations et finalement celle du coût d’un programme de nouveau nucléaire.

Une première méthode pour assurer une production de nucléaire au cours des prochaines décennies est de prolonger la durée de vie des installations existantes. En effet, en France, une part considérable du parc nucléaire va atteindre les 40 ans et donc être sujette à sa quatrième visite décennale. Une importante opération de mise à niveau des sites, opérée par EDF et baptisée le « Grand Carénage » [18], va donc consister à prolonger la durée de vie des installations jusqu’à 60 ans. Cette opération vise aussi à augmenter les normes de sécurité à la suite des retours d’expériences liés à la catastrophe de Fukushima. Un certain nombre de composants seront remplacés à l’image des générateurs de vapeur, des turbines ou encore des échangeurs de chaleur. Ce type d’opérations a déjà eu lieu dans un certain nombre de pays comme les États-Unis, la Suède ou encore la Grande-Bretagne.

Son coût a été fortement remis en question. L’opération a été estimée à 49,4 Mds€ (EDF, octobre 2020) sur la période 2014-2025, ce qui peut sembler à première vue important. Une estimation indépendante de la Cour des comptes [19] aboutit à un résultat similaire et pronostique environ 100 milliards sur 2014-2030 en comptant les coûts d’exploitation (25 Mds€). Par ailleurs une importante hausse des dépenses de maintenance a eu lieu depuis 2011, permettant de rattraper des retards en investissements sur la décennie précédente. Ces investissements ont permis de réaugmenter depuis une décennie les performances du parc nucléaire. La Cour des comptes estime qu’une baisse de la production en raison d’investissements insuffisants aurait des conséquences plus importantes sur le prix de l’électricité qu’une augmentation des investissements de maintenance. De son côté l’Agence internationale de l’énergie [20] souligne que le prolongement d’installations avec remise aux normes de sécurité constitue le moyen le moins cher de produire de l’électricité décarbonée. 

«La Cour des comptes estime qu’une baisse de la production en raison d’investissements insuffisants aurait des conséquences plus importantes sur le prix de l’électricité qu’une augmentation des investissements de maintenance. »

Toutefois, au cours de ces opérations, des incertitudes persistent sur des besoins industriels insuffisamment anticipés et sur des possibles évolutions du référentiel de sureté nucléaire.

Deuxième élément pour cerner les coûts du nucléaire, celui concernant les frais liés aux démantèlements des centrales dont l’activité cesse. Avec la fermeture de Fessenheim, c’est la première centrale de deuxième génération qui a fermé en France. Notons tout de même que ce n’est pas la première fois que des installations nucléaires sont démantelées en France. Ainsi l’ensemble des réacteurs de première génération (réacteurs expérimentaux surtout) ont subi ce traitement. Les coûts du démantèlement sont normalement déjà calculés dans le prix de l’électricité par EDF. Ainsi EDF a déjà provisionné 35 Mds€ pour les futurs coûts de démantèlement. Toutefois, de nombreuses critiques existent sur l’estimation d’EDF qui envisage environ 350 M€ par réacteur tandis que d’autres études mettent en avant des coûts unitaires bien plus élevés. Ce coût est un enjeu important pour la fixation du prix de l’ARENH, dispositif par lequel EDF vend une part conséquente de son électricité à un prix fixé. Autre coût possible pour le contribuable, celui de la compensation des pertes subies par EDF pour la fermeture d’une activité profitable. A Fessenheim, on estime à 370 M€ le préjudice subi par l’État.

Un nouveau nucléaire sur lequel pèsent de nombreuses incertitudes

Enfin, le coût de la construction de nouvelles installations nucléaires est une question brûlante et est sujette à d’importants débats entre spécialistes. En 2004, EDF a lancé la construction de la première paire de réacteurs dits de troisième génération, les fameux EPR (initialement European Pressurized Reactor, renommé Evolutionary Power Reactor) sur le site de Flamanville. Le coût global du projet a donné lieu à d’importantes controverses. La Cour des comptes [21] estime que qu’il a été multiplié par 3,3 tandis que les délais ont été multipliés par 3,5 avec donc une dérive importante, même pour une installation tête de série (c’est-à-dire première du type construite). Les principales explications sont premièrement une sous-estimation flagrante de la durée des travaux (54 mois prévus alors que la moyenne des têtes de série était jusque-là de 121 mois et que finalement le projet nécessitera 187 mois). D’importants défauts d’organisation ont été observés chez EDF avec une confusion visible entre les rôles de maître d’œuvre et de maître d’ouvrage. Par ailleurs, une certaine perte de compétences a été identifiée en raison de la longueur importante du temps écoulé depuis le dernier projet de construction de réacteurs. Depuis, l’ensemble de la filière tente d’y remédier. L’AIE [22] estime à 44 % la baisse des coûts pour les prochains réacteurs en France en apprenant des erreurs précédentes.

Figure 1 : Durée de construction des réacteurs tête de série, Cour des comptes

Toutefois, le tableau n’est pas aussi noir pour l’ensemble des nouveaux réacteurs de la troisième génération. Les deux réacteurs construits à Taishan en Chine fonctionnent bien et ont été branchés sur le réseau. Pour les prochains réacteurs, EDF envisage de proposer un nouveau modèle d’EPR plus simple et moins cher. Une proposition de construction de 6 réacteurs construits par paire pour un coût de 46 Mds€ a été faite [23]. La décision gouvernementale est prévue mi-2023. Cette question sera donc un enjeu important des futures échéances politiques. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) anticipe quant à elle à l’échelle mondiale un nouveau nucléaire totalement compétitif avec les autres énergies et une évolution croissante du nombre de réacteurs.

Figure 2 – Coût actualisé de différentes sources d’énergie (LCOE), Agence internationale de l’énergie

Quels risques pour le nucléaire ?

L’étude des risques est l’une des dimensions épineuses de la question nucléaire. Il faut tout d’abord fixer ceci : le risque zéro n’existe pas, comme plusieurs exemples historiques l’ont montré, que ce soit Three Miles Island, Tchernobyl ou encore Fukushima plus récemment. Toutefois, céder à un discours catastrophiste ne serait pas non plus totalement approprié. Depuis l’accident de Fukushima, les normes de sécurité ont été grandement améliorées et augmentées sous l’impulsion de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN). Dans le cadre du grand carénage, d’importants investissements ont été faits dans l’amélioration de la sureté des sites français avec des investissements prévus jusqu’à 2030 à hauteur de 100 M€. Par ailleurs, l’ASN a la réputation d’être une des autorités de contrôle indépendantes parmi les plus intransigeantes du monde. Les incidents nucléaires sont classés sur une échelle allant de 1 à 7, l’échelle INES (pour Échelle internationale des événements nucléaires). Par exemple Fukushima et Tchernobyl correspondent à un niveau 7. Toutefois, sur les 350 réacteurs qui ont fonctionné dans le monde depuis près de 60 ans, le nombre d’accidents majeurs reste malgré tout très restreint, comparé à la complexité de la technologie. Les conséquences hors-sites de l’accident deviennent importantes pour un niveau 5 voire 6. En France, depuis l’incident à la centrale de Saint-Laurent en 1980, aucun incident d’un niveau supérieur à 3 n’a été enregistré [24]. Parmi les incidents de niveau 3 survenus, citons les trois derniers : « Exposition d’un travailleur à une source radioactive à l’ONERA à Toulouse (18 mars 2008) », « Fuite radioactive d’un fût expédié de Suède et transitant par Roissy (27 décembre 2001) » ou encore « Accident nucléaire de Forbach (Moselle) : trois employés intérimaires pénètrent dans un accélérateur industriel en fonctionnement et sont fortement irradiés ». On peut formuler l’hypothèse que si un accident devait avoir lieu quelque part, ce ne serait pas nécessairement en France mais plutôt dans un pays où les normes de sureté sont moins contraignantes et dans lesquels le nucléaire est amené à se développer (Inde, Chine notamment). Toutefois, mieux vaut ne pas être trop optimiste en la matière : prudence est mère de sûreté.

Notons l’étude publiée récemment par Global Chance et menée par Bernard Laponche [25] portant sur l’augmentation des incidents de catégorie 2 sur 2010-2020. Selon l’auteur, elle serait le reflet de l’état inquiétant du parc. Toutefois, aucun incident de niveau 3 n’est à souligner sur la dernière décennie, fruit peut-être des investissements d’EDF en matière de sûreté. L’étude souligne aussi l’enjeu des risques sismiques.

Figure 3 – Échelle INES de classification des incidents nucléaires, Autorité de sûreté nucléaire

Autre dimension importante, celle des impacts du changement climatique sur la sureté nucléaire. En effet, certains réacteurs ont été conçus pour fonctionner dans un intervalle restreint de variations et de contraintes climatiques. Nombreux sont les réacteurs qui sont refroidis directement via des rivières. Or des situations de sécheresse et de forte baisse des précipitations peuvent créer des risques sur les capacités de refroidissement des centrales. Ainsi, des centrales nucléaires sont régulièrement arrêtées ou bien fonctionnent en puissance réduite lorsque la sécheresse est trop importante [26]. En effet, l’eau rejetée par les centrales a tendance à augmenter la température de la rivière dans laquelle elle puise, pouvant endommager la flore et la faune du bassin hydraulique. En cas de dépassements de certains seuils, l’ASN contraint donc la centrale concernée à réduire son activité. Toutefois, d’autres modalités de refroidissement des centrales nucléaires seraient possibles avec notamment la construction de tours de refroidissement comme ce qui peut être fait déjà fait sur certains sites, aux États-Unis notamment. Enfin les événements climatiques extrêmes peuvent avoir des conséquences dramatiques à l’image du tremblement de terre pour Fukushima. La prise en compte de ces risques est croissante, notamment en ce qui concerne le risque sismique et la montée des eaux.

« Or des situations de sécheresse et de forte baisse des précipitations peuvent créer des risques sur les capacités de refroidissement des centrales. »

Concrètement, quelles seraient les conséquences d’un accident majeur ? Une étude prospective de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) [27] tente d’estimer le coût socio-économique d’un accident d’importance en distinguant deux cas. Le premier, correspondant à un « accident grave », concerne une fusion du cœur suivie de rejets radioactifs plus ou moins contrôlés. Le second, dit « accident majeur » entraine des rejets radioactifs massifs. Dans la première configuration le coût global pour la société serait de 120 Mds€ (6% PIB). 77% des coûts correspondraient en réalité à des coûts liés à la réduction de la production d’électricité, aux dépenses engagées pour restaurer l’image des acteurs concernés et du nucléaire sans oublier les soins à apporter à 3 500 réfugiés radiologiques (chiffre moyen estimé). Au contraire, un accident majeur serait une catastrophe économique nationale voire européenne avec des coûts à hauteur de 400 Mds€ (20% du PIB français) avec près de 100 000 personnes déplacées. Ces chiffres peuvent varier selon le site et les conditions météorologiques. Pour résumer, même un accident nucléaire grave avec fusion du cœur représenterait un défi majeur pour notre société, comme l’a montré Fukushima. De façon trop édulcorée, l’IRSN parle de « réfugiés radiologiques ». Parmi ces réfugiés, il y aura probablement de nombreuses maladies graves et des décès prématurés. Des décennies après Tchernobyl, les chiffres invoqués restent sujets à bien des polémiques tant la fourchette basse est éloignée de la fourchette haute.

Gérer les déchets du nucléaire : mission (im)possible ?

Enfin abordons pour terminer une des questions-clés sur le nucléaire, celle portant sur la gestion des déchets. Parmi l’ensemble des déchets produits au cours de la réaction nucléaire, ce n’est qu’une petite fraction qui est responsable de l’ultra-majorité de la radioactivité. Une partie des déchets est stockée à l’usine de la Haye où les déchets sont retraités et leur activité réduite. La question des déchets de haute activité et à vie longue (HAVL) pose des problèmes d’une autre envergure. Il n’existe pour ces déchets, qui représentent 0,2% de l’ensemble, aucune méthode de retraitement. La seule solution actuelle est celle du stockage sur des durées de temps très longues (plusieurs centaines voire des milliers d’années). Actuellement tous ces déchets accumulés depuis plusieurs dizaines d’années ne sont pas stockés de manière définitive mais uniquement temporaire. La solution adoptée par la très grande majorité des pays est celle du stockage géologique en couches profondes. En France, la mise en œuvre du stockage doit se concrétiser avec le projet Cigéo à Bure [28]. Ce site, choisi après 25 ans de recherches, doit permettre de stocker l’ensemble des déchets HAVL produits par le nucléaire français. Toutefois, il se heurte à de fortes oppositions. Les principales critiques concernent la fiabilité des installations à garantir l’imperméabilité du site sur 100 000 ans, le coût important du projet (entre 15 et 36 Mds€) et questionnent la réversibilité du processus [29] [30].

« Il n’existe pour ces déchets, qui représentent 0,2% de l’ensemble, aucune méthode de retraitement. »

Figure 4 – Typologie des différentes catégories de déchets nucléaires

La voie nucléaire : un choix citoyen et démocratique à assumer collectivement

La question nucléaire est une question complexe qui comprend de nombreuses facettes à prendre en compte. En termes d’emplois, d’enjeux climatiques ou encore de coût le nucléaire semble pouvoir être compétitif. C’est une filière importante pour l’industrie française. Toutefois, l’énergie nucléaire est une énergie demandant d’importantes contraintes technologiques, financières et humaines ainsi qu’une attention de tous les instants. Cela a été maintes et maintes fois répété, le risque zéro n’existe pas. L’hypothèse peut être émise que les investissements et l’augmentation des normes de sûreté, ainsi que le faible nombre d’incidents importants au cours des dernières années laissent penser que la filière est capable d’être à la hauteur des enjeux en matière de gestion des risques. Mais l’énergie nucléaire réclame des régimes politiques stables, elle nécessite une vision stratégique de long-terme, des investissements réguliers, une conservation du savoir-faire et des compétences, un appui permanent de l’État. L’affaiblissement d’une seule de ces composantes peut mettre en péril la sécurité. Un accident de grande ampleur serait une catastrophe humaine, économique et environnementale majeure.

Il appartiendra à la société d’accepter ou non le risque, aussi infime soit-il, inhérent à ces technologies. Un nucléaire mal géré, sous-financé et mal surveillé pourrait devenir la 8ème plaie d’Egypte. Mais un nucléaire bien géré peut représenter un réel apport économique, en termes d’emploi et de recherche, sans parler de sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique.

Notes :

[1] Bilan électrique 2019, RTE

[2] Liste des réacteurs nucléaires français avec type et âge https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_r%C3%A9acteurs_nucl%C3%A9aires_en_France

[3] Programmation Pluriannuelle de l’énergie, 2020

[4] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/nucleaire-edf-donne-la-liste-des-centrales-qui-vont-arreter-des-reacteurs-1164755

[5] https://www.ouest-france.fr/normandie/flamanville-50340/epr-consolider-l-emploi-apres-le-grand-chantier-jusqu-en-2022-7143100

[6] Stratégie nationale Bas-Carbone, 2020, https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

[7] Bilans GES ADEME : https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?renouvelable.htm

[8] RTE, https://www.rte-france.com/eco2mix/les-emissions-de-co2-par-kwh-produit-en-france

[9] Rapport spéciale du GIEC : Global Warming of 1.5 ºC, https://www.ipcc.ch/sr15/

[10] Libération, 19 octobre 2018, https://www.liberation.fr/checknews/2018/10/19/le-giec-preconise-t-il-le-nucleaire-dans-son-dernier-rapport_1685660/

[11] KEPPLER et COMETTO : L’interaction des énergies nucléaires et renouvelables effets systémiques dans les réseaux électriques bas carbone ; 2013

[12] RTE/AIE ; Etude sur les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050

[13] SFEN, https://www.sfen.org/sites/default/files/public/atoms/files/calcul_des_emplois_de_la_filiere_nucleaire_par_region_-_note_methodologique.pdf

[14] https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/nucleaire-en-france-410000-emplois-et-2-du-pib-6156/

[15] https://lenergeek.com/2019/10/02/nucleaire-deficit-commercial/

[16] [20] AIE, Projected Costs of Generating Electricity, 2020 Edition

[17] Supply of Uranium, World Nuclear Association

[18] https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_car%C3%A9nage

[19] Cour des Comptes, Rapport public annuel, 2016

[21] [23] Cour des comptes, Rapport thématique sur la filière EPR, juillet 2020.

[22] AIE/AEN, 2015

[24] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27accidents_nucl%C3%A9aires

[25] l’accumulation d’incidents graves témoigne de l’état inquiétant du parc électronucléaire, Bernard Laponche et Jean-Luc Thierry, Global Chance, 10 décembre 2020

[26] IRSN, NOTE D’INFORMATION, 31 juillet 2020, Effets de la canicule sur la production et la sureté des centrales nucléaires

[27] IRSN, Coût économique des accidents nucléaires

[28] https://www.cigeo.gouv.fr/

[29] https://reporterre.net/Dechets-nucleaires-stockes-a-Bure-Une-faille-majeure-dans-le-projet

[30] https://blogs.mediapart.fr/la-revue-dessinee/blog/251120/bure-ou-le-scandale-enfoui-des-dechets-nucleaires

L’intelligence économique est avant tout un état d’esprit

Dans un contexte propice à de multiples conflits, notamment économiques, financiers et commerciaux, l’intelligence économique, popularisée en France au début des années 1990, est aujourd’hui vue comme une étape indispensable pour la maîtrise de nos actifs et la défense de nos intérêts. Pour autant, la France continue d’accuser un retard en la matière faute de coordination entre l’État et les acteurs locaux ainsi que d’un manque de confiance des entreprises envers les administrations censées les accompagner. Ce qu’il faut, en plus de revoir les ambitions françaises, c’est changer notre culture en matière d’IE et cela passe par davantage de confiance. C’est la thèse de Jean-Louis Tertian, qui vient de publier L’intelligence économique, un état d’esprit aux éditions du Palio. Contrôleur général au sein des ministères économiques et financiers depuis 2015, Jean-Louis Tertian a travaillé de 2007 à 2015 dans l’intelligence économique au sein du Service de coordination à l’intelligence économique de Bercy, dont il a été coordonnateur ministériel de 2014 à 2015. Il avait été précédemment chef du département de l’analyse stratégique et de la prospective, puis adjoint du coordonnateur ministériel au sein de cette structure. Il est membre du conseil d’administration du Club des exportateurs de France. Il est également colonel de la réserve citoyenne de l’armée de l’air et de l’espace. À ce titre, il a piloté la réalisation de l’ouvrage paru en 2015 sur les dix ans du réseau ADER. Les lignes suivantes sont extraites de son ouvrage.

Depuis ma découverte de l’intelligence économique, en 2000, lors d’une formation à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), jusqu’à mon départ du poste de Coordonnateur ministériel à l’intelligence économique1 au sein du ministère de l’Economie, des finances et de la relance2 en 2015 et jusqu’à aujourd’hui, j’ai le sentiment que la pratique de cette discipline a peu évolué, pas forcément sur le plan technique mais sur celui de son appropriation par les acteurs économiques. Il m’a donc semblé utile, au travers d’une perspective large, de regarder les causes de ce constat, ses conséquences ainsi que les pistes de progrès qui pouvaient être tracées. Mieux comprendre en quoi l’intelligence économique est un révélateur des blocages français est une première étape pour les dépasser.

On verra au fil de l’ouvrage que les freins à l’IE, qui ont conduit d’une prise de conscience il y a plus de vingt ans à un déploiement aujourd’hui, certes encore régulièrement dénoncé comme insatisfaisant et insuffisamment pris en compte au niveau de l’État ou des entreprises, tirent leurs sources de causes profondes et historiques, qu’une réorganisation au sein de l’administration ou un changement de périmètre de la politique publique ne peuvent à eux seuls corriger.

Aborder la crise du coronavirus, qui est à l’origine une crise sanitaire, se justifie car cette crise, qui se révèle également économique, a eu des conséquences dans les trois dimensions de l’intelligence économique : l’anticipation, l’influence et la sécurité économique. À partir de là, anticiper une nouvelle vague de l’épidémie de Covid-19 ou la survenue d’un futur nouveau virus suppose d’être préparé et en état de réagir. Préparé notamment au niveau de stocks stratégiques permettant d’équiper, d’abord les soignants mais aussi la population. Cela suppose donc également de disposer de capacités de production mobilisables. En 2020, la question de la constitution de tels stocks ne fait guère débat dans le contexte de crise sanitaire. La critique est même sévère vis-à-vis de ceux ayant laissé s’étioler et se périmer les stocks précédemment constitués. Mais qu’en sera-t-il dans quelques années quand le souvenir le plus aigu de cette crise sera plus lointain, quand d’autres contraintes, notamment budgétaires auront pris le dessus ?

Cette crise du coronavirus a ainsi illustré un changement systémique en matière d’influence. Dans la totalité des crises précédentes, les pays occidentaux proposaient de l’expertise aux pays touchés, en moyens humains et matériels. Or, en l’occurrence, c’est la Chine qui, après avoir fait la preuve de sa capacité à maîtriser l’épidémie dans son pays au travers d’actions vigoureuses, a proposé à l’Italie, pays le plus touché au cours du premier trimestre 2020, de fournir des experts et du matériel pour l’aider à lutter contre l’épidémie.

En tant que socle de notre modèle de société occidentale, les Lumières constituent l’une des explications du comportement individualiste que nous connaissons, de plus en plus poussé à l’extrême. Il est donc utile, sans leur retirer leurs mérites, de s’interroger sur leur évolution et voir s’il ne devient pas nécessaire de les réinventer pour répondre aux enjeux que nous pose le XXIe siècle. Dans la tradition des Lumières, la critique représentait la première partie d’un ensemble et était indissociable de la reconstruction. Sans contrepartie positive, le discours critique « tourne à vide ». Le scepticisme généralisé n’a de sagesse que l’apparence et s’oppose à l’esprit des Lumières. Ce principe se retrouve dans un autre ouvrage de Nassim Nicholas Taleb, Antifragile. L’antifragilité d’un système n’est pas la résistance mais bien l’opposé de la fragilité, le vaccin constituant un bon exemple en la matière. Et l’un de ses corollaires, c’est qu’on peut renforcer l’antifragilité d’un système ou celle des parties d’un système. Mais pas les deux à la fois.

L’enjeu est justement d’éviter le piège de la prévision pour fournir une aide à la prise de décision. Le travail d’anticipation comprend la transformation de cette information en connaissance. L’important n’étant pas l’information mais ce qu’on en fait. Le principe de vérification des faits qui s’impose aux spécialistes de l’intelligence économique, aux journalistes et aux universitaires notamment, mais est pratiqué par tout citoyen soucieux d’être bien informé, se révèle à la fois de plus en plus éloigné des pratiques courantes et de plus en plus complexe à mettre en œuvre. 

Dès lors entamer une démarche d’IE, c’est d’abord s’interroger sur ce qu’on veut comprendre et dans quel but. Cela conduit à questionner ce que l’on croit savoir et ce qui est présenté par les experts du sujet ou qui est considéré comme l’expression d’un consensus général. Aller au-delà des évidences pour prendre la bonne décision. Dans ce contexte de tendance longue, les préoccupations en matière d’avenir de la planète ne datent pas d’hier. Comme nous vivons dans un monde fini, il est logique que les ressources minérales, hydriques ou énergétiques le soient également. De ce fait, on glisse vite vers la crainte de voir ces ressources s’épuiser à court terme.

Or, l’exemple du pétrole l’illustre, la problématique des réserves naturelles ne se limite pas à l’évaluation d’un stock figé. Les réserves sont sans cesse réévaluées, ce qu’on constate depuis le premier krach pétrolier de 1973 où un épuisement des réserves était envisagé au bout d’une quarantaine d’années, durée qui s’est maintenue ou a progressé depuis lors. Illustration supplémentaire de la prudence à avoir en matière de prévisions. C’est dans ce contexte extrêmement volatile et chargé en risques divers que l’intelligence économique peut prendre toute son utilité, toute sa dimension. Cette dernière ne doit cependant pas être vue comme une discipline académique mais bien comme une boîte à outils à employer sans réserve dans la guerre économique à laquelle notre État et nos entreprises sont confrontés.

Ce terme de guerre économique, contesté par certains acteurs de l’intelligence économique, reste essentiel pour percevoir la réalité de la situation qu’affrontent notre pays et nos entreprises. Il convient de prendre en compte un autre élément dans le contexte économique actuel : nos partenaires en matière de défense tout comme les pays membres de l’Union européenne sont aussi nos concurrents. Et en matière économique très souvent, ils sont davantage des concurrents que des partenaires. Bien entendu, il n’est pas question de ne plus coopérer avec eux, de ne pas envisager d’alliances. Mais il faut le faire en ayant bien conscience que leur première priorité est de promouvoir leurs intérêts, y compris nationaux. Ne nous privons donc pas de faire de même.

La première caractéristique de l’intelligence économique est de fournir une réflexion en matière d’anticipation pour détecter des tendances émergentes, les signaux faibles, susceptibles de conduire à l’obtention d’un avantage concurrentiel. C’est une pratique quotidienne par les entreprises qui cherchent ainsi à renforcer leur positionnement concurrentiel dans un contexte évoluant rapidement. Mais il reste du chemin à parcourir à l’intelligence économique pour convaincre et surtout être mise en œuvre.

En outre, la révolution numérique accélère le tempo des innovations mais également de diffusion de l’information en imposant une réactivité constante aux acteurs, rendant difficile la projection dans le moyen et, a fortiori, dans le long terme. Pour « exister » sur le plan informationnel aujourd’hui, il faut s’immerger dans ce flux. A contrario pour réfléchir à long terme, il faut s’extraire de cette tyrannie du quotidien pour identifier d’abord la direction dans laquelle on veut aller, l’objectif, puis les actions à mener pour se diriger vers l’objectif. Si l’anticipation est une nécessité, la capacité d’adaptation dans l’anticipation l’est tout autant. Prendre une mauvaise direction, cela arrive. Encore faut-il pouvoir le constater et agir en conséquence. Changer de cap peut se révéler ardu mais nécessaire. La qualité du bon décideur réside dès lors autant dans la capacité à identifier l’erreur d’aiguillage que dans celle d’arriver à modifier la direction prise. L’exemple du numerus clausus est illustratif à cet égard.

Disposer d’un stock de produits mobilisables immédiatement en période de crise est donc un outil essentiel de souveraineté et l’inverse peut conduire à une dépendance vis-à-vis d’interlocuteurs extérieurs (c’est un outil politique très utilisé par certains pays), voire à une situation de pénurie si la production dans les pays tiers est orientée vers d’autres pays que le sien. On est donc bien au cœur d’une problématique d’intelligence stratégique majeure pour l’indépendance stratégique d’un Etat.

Le constat de la désindustrialisation de la France n’est pas contesté. Il peut être jugé normal ou inquiétant suivant l’approche qu’on en a. Normal si l’on considère que l’on migre vers une économie de services et que l’entreprise doit devenir « fab-less », sans usine. Inquiétant si l’on se rappelle que les États qui comptent sur la scène internationale, Chine, États-Unis, Allemagne au premier chef, ont conservé – voire développent –leur industrie.

La conquête spatiale a longtemps représenté un enjeu de pouvoir et d’influence entre pays.3 D’abord du temps de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, la capacité à disposer d’un lanceur constituait un élément majeur d’indépendance stratégique. Le fait pour la France et l’Union européenne de disposer des lanceurs Ariane reste un atout industriel et de notoriété considérable. Mais la donne est en train de changer. L’un des plus redoutables outils de la guerre économique s’avère être le droit dans un domaine très spécifique, l’application extraterritoriale de lois nationales. Certes, le droit a toujours été un outil important de domination économique. Il suffit de regarder l’importance du choix du lieu de juridiction dans l’élaboration d’un contrat pour percevoir cet enjeu. En outre, l’application extraterritoriale de lois en fait une arme encore plus redoutable : l’utilisation du dollar américain dans une transaction suffit à placer de facto les entreprises sous juridiction américaine.

L’exemple […] de l’échec du rachat de la société Photonys illustre bien qu’il est possible de tenir tête aux autres États pour peu que la volonté soit là. En posant clairement des conditions, il a été possible de dire ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas. Un exemple duquel s’inspirer pour espérer rééquilibrer les forces en présence. Si la 2G a vu le couronnement de l’Europe, la 3G et la 4G ont plutôt confirmé la montée en puissance des acteurs américains. Face à ce constat, le choix des acteurs chinois, en particulier Huawei, a été de miser à fond, depuis des années, sur la 5G, dès les étapes de normalisation. General Electric a su, lui aussi, à sa façon réussir un saut de génération en se réinventant, en particulier sous la direction de Jack Welch. GE a su évoluer pour devenir un conglomérat d’entreprises spécialisées dans le service au client, tournant le dos au passé industriel du groupe. Cela ne l’empêche pas de se retrouver depuis 2018 dans l’œil du cyclone.

Notre pays dispose d’une filière d’excellence, on aurait tendance à l’oublier. Pendant des décennies, cette filière a assuré en grande partie l’autonomie énergétique de notre pays. Elle a permis un niveau d’émissions de CO2 que nombre de pays ne peuvent espérer atteindre avant longtemps. Elle nous a fait disposer d’une industrie de pointe garantissant un niveau d’emploi et une capacité d’export. Peu d’industries réunissent autant d’atouts en ces temps où le changement climatique constitue une priorité et peu de pays seraient disposés à renoncer à tous ces avantages. C’est cependant le cas dans notre pays avec la filière nucléaire et cette dernière est la grande oubliée des plans de développement des énergies décarbonées au niveau européen.

Il faut se rappeler ce que représentent les émissions de CO2 du fait de la consommation électrique dans les différents pays d’Europe. En France, elles représentent 39g/kWh contre 264 en Allemagne et 377 au Royaume-Uni. Sans parler de la Pologne qui culmine à 664. Il faut donc avoir ces chiffres en tête quand on pense évolution de la politique énergétique. La France a su à la fois bâtir un fleuron industriel et être très en avance sur les préoccupations en matière de réchauffement climatique grâce à une énergie ne produisant pas de CO2.

Les innovations et remises en cause de leadership ne se limitent pas au domaine civil. Elles touchent également le domaine militaire ce qui a, par ricochet, des conséquences dans la sphère économique. Une réflexion sur les enjeux de l’indépendance stratégique éclaire les arbitrages à réaliser y compris dans le civil. Le développement d’armements se révèle de plus en plus coûteux, limitant le nombre de pays en mesure de rester à la pointe de la technologie. D’où la recherche d’alliances comme le tente la France avec l’Allemagne et l’Espagne tant en matière d’avion de combat que de char. Mais des technologies moins pointues et moins coûteuses peuvent se révéler facteur de perturbation. À l’autre bout du spectre, accessible à un nombre très limité d’acteurs étatiques, figurent un certain nombre d’innovations modifiant également les équilibres géopolitiques. Citons en premier lieu les missiles hypersoniques dont la mise en œuvre a été annoncée4 par Vladimir Poutine fin décembre 2019, avec le missile Avengard capable d’atteindre 33 000 km/h (Mach 27) et de surpasser n’importe lequel des boucliers antimissiles existants. De tels missiles sont susceptibles de rendre les porte-avions obsolètes car devenus trop vulnérables. 

Malgré cela, dans un monde où les vérités d’hier ne sont pas celles de demain, la capacité d’adaptation est un élément clé et les solutions qui se présentent imposent de savoir combiner si ce n’est des contraires, au moins des aspects fort éloignés. Les Chinois avec leur culture du yin et du yang savent très bien le faire. Peut-être est-il temps de s’en inspirer.

Tout cela intervient dans un contexte où les conflits majeurs entre États ne sont plus à exclure, comme cela ressort de la « vision stratégique » présentée début 2020 aux députés de la commission de la Défense. Le besoin d’une armée « durcie », prête à faire face à des chocs plus rudes, est affirmé. L’évolution du monde vers une remilitarisation sans complexe de nombreux États fait redouter la fin d’un cycle et le début d’un nouveau plus conflictuel. Alors que les guerres asymétriques sont devenues la norme, un conflit symétrique d’ici à la prochaine décennie redevient une possibilité, en tout cas impose de s’y préparer. Les tendances décrites précédemment  mêlant le développement de technologies de pointe et le recours à des armes à bas coût tendent à égaliser la donne. Et les dimensions de guerre à la fois dans l’espace et dans le cyberespace ajoutent à cette complexité d’ensemble. L’élément principal qui ressort c’est que « l’efficience c’est l’anti-résilience ». Car quand l’efficience commande de ne pas disposer de stocks, la résilience impose d’identifier les équipements les plus stratégiques dont il faut sécuriser la chaîne d’approvisionnement. Le principe est qu’en temps de crise ou de guerre, l’ennemi fera tout pour nous empêcher de reconstituer nos stocks. L’absence de maîtrise de nos stocks et de notre chaîne de production n’est pas une option.

Si la perspective de supprimer la dépendance au pétrole est susceptible de bouleverser les équilibres géopolitiques, qui en seront les acteurs dominants ? S’il y a quelque chose à anticiper, ce n’est pas seulement l’évolution du réchauffement climatique et ses conséquences mais bien plutôt ce qui serait induit par les choix en matière énergétique, sur le plan économique avec des secteurs entiers fragilisés, sur le plan militaire avec des conséquences sur la souveraineté mais aussi paradoxalement sur l’environnement d’une révolution vendue comme propre. De même qu’avec les ères du charbon et du pétrole, il y aura des gagnants et des perdants. Qui seront-ils ? 

Le recyclage pourrait bien constituer une réponse pour contrer la domination chinoise en matière de production et par là même améliorer l’impact environnemental des métaux stratégiques. Le Japon semble avoir d’ailleurs commencé à œuvrer dans ce sens. Dans le nord de Tokyo, un recyclage d’appareils électriques, comme il en existe de plus en plus, se concentre jusqu’à présent sur des métaux comme l’argent, l’aluminium ou le cuivre. Mais ces déchets sont également riches en terres rares. On estime à trois cent mille tonnes de terres rares le stock existant dans le seul archipel japonais, un niveau suffisant pour assurer son autonomie pour une trentaine d’années.

Les États-Unis ont les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) tandis que les Chinois ont les BATXH (Baidu, Alibaba, Tencent, Xaomi et Huawei). […] Kering, LVMH, L’Oréal, Chanel et Hermès, […] il importe de savoir si nous sommes prêts à nous appuyer sur cette force que représentent les géants du luxe.

Cette combinaison d’une image forte, d’une capacité industrielle, illustrée par la réactivité des groupes du luxe lors de la crise du coronavirus, et d’une présence sur l’ensemble du territoire prouve que la désindustrialisation et les délocalisations ne sont pas une fatalité mais ont souvent d’autres raisons, financières notamment. Il faut bien voir que même les groupes du luxe ne pourraient maintenir une production française si elle n’était pas associée à une notion de qualité. Pour réindustrialiser et sortir de la logique financière dont on voit le coût qu’elle recèle en temps de crise mais aussi en temps normal en termes de chômage et de rupture du pacte social, il faut envisager une approche multifacette. Car un des autres enseignements d’une crise, c’est qu’elle donne l’occasion de décider, de faire un choix comme le suggère l’étymologie grecque du même mot crise. Il y a bien un choix possible pour éviter de reproduire une situation ou pour changer d’orientation. La crise du Covid-19 a confirmé à quel point la confiance est un élément clé dans la société. Rebâtir cette confiance passe non seulement par une protection adéquate mais également par l’acceptation d’un changement d’état d’esprit en admettant une certaine prise de risque.

Comme le souligne le psychologue américain du sport Bob Rotella, la confiance en soi n’est pas innée : elle se développe et peut s’acquérir à tout âge et par chacun. Elle n’est pas limitée aux « vainqueurs », précise-t-il, car il faut bien avoir confiance pour gagner une première fois ! La confiance précède donc la réussite. Changer d’état d’esprit et accepter la réalité demandent en effet du courage, car cette réalité est souvent difficile à cerner, inconfortable, déstabilisante. Il faut prendre son parti du flou qui, tel le « sfumato » de la Renaissance, caractérise l’état du monde contemporain. Or sans confiance, le courage, indispensable pour affronter un environnement complexe et incertain, risque de faire défaut. 

Notes :

1 : Par intérim.

2 : Appellation officielle en septembre 2020.

3 : Il suffit de se rappeler au moment de la guerre froide l’enjeu qu’a représenté le premier vol habité dans l’espace, réalisé par les Soviétiques, qui a conduit à l’aventure Apollo pour les Etats-Unis.

4 : Il reste en phase de développement au premier semestre 2020.

Grands enjeux énergétiques français : l’intégration des énergies renouvelables

Malgré l’arrêt brutal de notre économie entraînant la réduction drastique de nos consommations énergétiques, impossible d’échapper au débat sur le nucléaire français. Bernard Accoyer, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg ont récemment fait irruption dans le débat public en signant un appel à la construction de nouveaux réacteurs alors même que les pouvoirs publics sont encore embourbés dans le cas de l’EPR de Flamanville en construction depuis 2007, et dont le coût ne cesse de grimper. Dans le même temps, le Réseau de Transport d’Électricité (RTE) et l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) publiaient leur étude sur la faisabilité d’un mix électrique français à forte part de renouvelables. Tentons donc dans cet article de cerner brièvement quelques grands enjeux liés à l’énergie en France, en particulier celui de l’intégration massive des énergies renouvelables (EnR) dans le réseau et les conditions permettant d’assurer la stabilité de celui-ci.

Le changement climatique est désormais une réalité. Il nous faut donc atteindre la neutralité carbone. La France s’y est engagée pour 2050 à travers la Stratégie Nationale Bas-Carbone [1], qui fixe la dynamique de transition et le rythme de décarbonation de l’économie. Rappelons-le, les principales sources d’émissions sont le transport (29%), le résidentiel/tertiaire (17%), l’agriculture (17%), l’industrie (11%) et la production d’énergie (10%) (voir Figure 1).

Ministère de la Transition Écologique, Rapport sur l'état de l'environnement, 2016
Ministère de la Transition Écologique, Rapport sur l’état de l’environnement, 2016

Les émissions dans ces secteurs sont principalement dues à la consommation d’énergies fossiles. En France, environ 65% de l’énergie consommée est d’origine fossile (pétrole, gaz, charbon) et donc fortement émettrice de gaz à effet de serre (voir Figure 2). L’enjeu de la Stratégie Nationale Bas-Carbone est donc de réduire cette dépendance aux énergies fossiles. Deux leviers doivent être principalement activés : d’une part la sobriété et l’efficacité en réduisant les consommations via les rénovations thermiques, la limitation du poids des véhicules, l’utilisation de technologies moins intensives en énergie, etc. D’autre part, il va falloir électrifier une partie conséquente de nos consommations afin que l’électricité se substitue aux carburants fossiles. Alors que la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie est d’environ 25%, elle pourrait passer à une part bien plus importante dans les années à venir pour atteindre jusqu’à 55% de l’énergie consommée en 2050 [2]. L’électrification comprend par exemple l’arrivée massive des véhicules électriques ou encore le remplacement des chauffages au fioul puis au gaz.

Part des différentes filières dans la consommation finale d’énergie. L’électricité (EnR + hors EnR) représente environ 25%), ADEME, septembre 2020
Part des différentes filières dans la consommation finale d’énergie. L’électricité (EnR + hors EnR) représente environ 25%), ADEME, septembre 2020

La production d’énergie électrique propre et décarbonée est donc un des enjeux-clés de la transition écologique. Rappelons qu’à l’heure actuelle, la France produit une des électricités les moins intensives en émissions de l’Union Européenne (le fameux « mix électrique »), et cela en grande partie grâce à son parc nucléaire qui produit une électricité pilotable [3]. Dans ce cas, si nous sommes déjà climato-compatibles, pourquoi vouloir changer et passer au 100% énergies renouvelables (EnR), comme le proposent plusieurs instituts et plusieurs stratégies de transition ? Deux raisons principales peuvent expliquer la nécessité de planifier l’évolution de la composition du système électrique français des années à venir.

D’une part, nous l’avons déjà souligné, l’électrification des usages va mécaniquement faire augmenter les besoins de production électrique (sous l’hypothèse que la demande supplémentaire dépassera les économies dues à la sobriété). D’autre part, une part importante du parc nucléaire français arrive en fin de vie et la gestion d’une partie des déchets nucléaires pose des difficultés. Plusieurs centrales entament entre 2019 et 2023 leur quatrième visite décennale [4]. Initialement, les centrales nucléaires sont conçues pour fonctionner 40 ans et fermer ensuite. La réalisation d’importants travaux (le fameux grand carénage dont le coût, estimé récemment à 49,4 Mds€ par EDF [4bis], est régulièrement mis en avant par les détracteurs du nucléaire) peut permettre de prolonger la durée de vie de certaines centrales au-delà de la date fatidique, ce qui a notamment été fait massivement aux États-Unis. Toutefois, que ce soit maintenant, dans 10 ans ou dans 20 ans, une part importante des réacteurs français devra un jour fermer et ne pourra plus fournir ses électrons au réseau électrique.

Face à ces deux contraintes, deux grands scénarios sont envisageables : 

– Un renouvellement massif du parc nucléaire, accompagné de l’ouverture de plusieurs nouveaux réacteurs de la dernière génération EPR. Cela signifierait donc une part importante de nucléaire dans le mix énergétique (50% par exemple).

– Une transition qui tend vers un système électrique 100% énergies renouvelables et de récupération.

La première option fera probablement l’objet d’un article plus détaillé sur sa faisabilité, ses enjeux techniques et son coût. L’option choisie actuellement par le politique est celle d’une intégration progressive des EnR dans le mix-électrique. Les gouvernements successifs n’ont pas encore choisi définitivement la stratégie à adopter concernant cette intégration, entre reconstruction partielle du parc nucléaire (EDF étudie la possibilité de construire un EPR à Penly, en Bretagne) ou bien fermeture progressive de toutes les centrales en amorçant une transition vers les énergies renouvelables plus soutenue. Actuellement, l’option choisie est donc celle d’une répartition des risques avec une diminution de la part du nucléaire visant 50% à l’horizon 2035 [5]. Notons toutefois un certain retard pris au niveau national vis-à-vis des objectifs de développement de capacités renouvelables [5bis]. Dans la suite de cet article, nous allons tenter d’éclairer les enjeux de l’intégration massive des énergies renouvelables. 

Les enjeux de l’intégration massive des énergies renouvelables dans le mix électrique français

Tout d’abord, il convient de rappeler quelles sont les contraintes qui pèsent sur le réseau électrique. Le système doit respecter la contrainte d’équilibre c’est-à-dire qu’à tout instant la production doit égaler la consommation. Cela signifie que la production doit être capable de répondre aux pics de consommation (les pics journaliers pendant les heures de forte consommation et les pics annuels pendant les grands froids d’hiver) et de diminuer pour les périodes de faible demande. Par ailleurs, l’équilibre se fait maintenant à l’échelle européenne avec 400 interconnexions entre pays de l’Union Européenne [6]. Pour assurer la stabilité du réseau européen, il faut que la fréquence du réseau (la vitesse à laquelle tournent les alternateurs) soit toujours proche de 50 Hz (contrainte en fréquence). Pour cela, une partie de la puissance des moyens de production est gardée en réserve pour ajuster à chaque instant la fréquence du réseau [7].

Afin d’assurer l’équilibre, on peut stocker l’énergie quand elle est en surplus pour pouvoir la réutiliser plus tard. On peut également lisser la consommation via différents mécanismes (tarifs heures creuses) ou bien limiter certaines dépenses énergétiques lorsque la production dépasse la demande.

Regardons maintenant en quoi l’intégration massive d’énergies renouvelables peut soulever certaines difficultés pour assurer l’équilibre offre/demande sur le marché de l’électricité. 

Le renforcement du réseau

Le passage à un mix électrique donnant une place importante aux énergies renouvelables pose tout d’abord des questions de renforcement du réseau. En effet, actuellement, la majorité de notre production électrique est concentrée autour de quelques gros sites de production (barrages et centrales thermiques nucléaires, gaz et charbon) puis distribuée aux consommateurs, ménages et industries. La production est donc centralisée et la consommation éparpillée. Le développement des EnR va créer une multitude de lieux de production, comme des panneaux solaires sur les toits des bâtiments, des éoliennes onshore et offshore. La production et la consommation seront donc éparpillées. Les besoins en renforcement du réseau de transport et de distribution vont donc fortement augmenter.

La gestion du réseau au jour le jour risque donc d’être plus difficile et de devoir faire appel à des outils informatiques bien plus performants que ceux qui existaient jusqu’ici, afin d’éviter les risques de congestion. En Allemagne par exemple, 80% des congestions sont dues à l’intégration des EnR. Par ailleurs, il se peut que la production ne se fasse pas là où les besoins de consommation sont importants. L’exemple de l’Allemagne est là encore assez marquant. La production d’éoliennes se fait ainsi au Nord de l’Allemagne, en Mer du Nord et en Mer Baltique, tandis que la consommation énergétique industrielle se fait plutôt dans le sud du pays (Bade-Wurtemberg, Bavière) [8].

Toutefois, de nombreuses études prospectives de gestion de ce réseau ont été menées et montrent qu’un réseau répondant aux exigences de distribution et de consommation est a priori réalisable. L’opérateur de transport RTE, entreprise publique monopolistique de fait assurant le transport de l’électricité en France, a ainsi développé son Schéma de développement décennal du réseau électrique qui répondrait à l’ensemble des enjeux pesant sur le réseau [9].

La gestion de l’intermittence

Le caractère intermittent de certaines énergies renouvelables est souvent mis en avant comme argument contre leur déploiement massif. En effet, que ce soit le photovoltaïque ou l’éolien, la puissance fournie à chaque instant va dépendre de la météo (temps couvert, vent). Par exemple les éoliennes sont à l’arrêt quand le vent ne souffle pas mais aussi quand il souffle trop fort (tempêtes) pour des raisons de sécurité.

La puissance des éoliennes est proportionnelle au cube de la vitesse du vent. Ainsi, de faibles variations de vent ont un impact important sur la puissance fournie, chose pouvant potentiellement affecter la stabilité du réseau si la part modale des éoliennes devait devenir très importante dans notre mix électrique. Par exemple, la production renouvelable allemande, principalement composée de PV et d’éolien peut être très variable, fournissant parfois jusqu’à 80% de l’électricité allemande et parfois seulement 15% [10]. Actuellement, lorsque la production renouvelable est basse, certains pays allument des centrales thermiques (charbon ou gaz) ou bien achètent de l’énergie à leurs voisins.

En France, si les capacités nucléaires sont déjà utilisées au maximum, ce qui arrive de plus en plus souvent en raison de pics de consommation, on allume certaines des 4 dernières centrales à charbon sur notre territoire. Ces dernières sont toutefois amenées à être fermées avant 2022 (engagement présidentiel). Cependant, dans un réseau 100% renouvelable, il ne sera plus possible de démarrer des centrales thermiques pilotables, ce qui explique la volonté pour certains de garder des réacteurs nucléaires pilotables dans le mix électrique. Dans un réseau où la part d’énergies renouvelables augmente et où la part de moyens de production pilotables (centrales thermiques par exemple) diminue, comment gérer l’intermittence ? 

Adapter la production ?

Tout d’abord, l’idéal serait que les moyens de production renouvelables ne soient pas intermittents au même instant. Pour donner une image simple, quand le vent s’arrête au large de la Bretagne, le soleil se mettrait à briller ailleurs en France, compensant donc l’intermittence. L’association de plusieurs moyens de production dans différents lieux permettrait alors d’assurer l’équilibre du réseau et de compenser les baisses de production de tel ou tel site. C’est l’hypothèse du foisonnement qui permettrait de contrebalancer l’intermittence des énergies renouvelables prises individuellement. Toutefois, cette hypothèse est souvent remise en question et n’est pas systématiquement observée dans les faits. 

Pour surmonter les limites du foisonnement, la principale réponse technique est celle du stockage. Actuellement, l’énergie est très peu stockée car son coût est assez élevé. Rappelons tout de même que certaines énergies renouvelables sont elles aussi rendues pilotables grâce à des systèmes de stockages à bas coût.

Un premier moyen de stocker de l’énergie est de développer des STEP (Stations de Transfert d’Energie par Pompage), système consistant à faire remonter de l’eau par pompage dans des bassins d’accumulation lors des pics de production pour la relâcher lorsqu’on a besoin d’énergie [11].

L’énergie hydraulique devient alors pilotable dans la mesure où il suffit simplement d’ouvrir et de fermer les vannes. Toutefois, les perspectives de développement des STEP sont limitées en raison du haut niveau d’utilisation actuelle des possibilités offertes par le réseau hydraulique français. 

Les modélisations de systèmes 100% renouvelables misent par ailleurs sur un rôle-clé des biogaz et des processus de méthanisation, consistant à faire fermenter des déchets naturels puis à les brûler. Cela revient à avoir une centrale biogaz pilotable. On peut aussi émettre des hypothèses sur le développement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie qui pourrait être stocké. L’hydrogène utilisée comme moyen de stockage est toutefois encore en cours de développement et le coût de production d’hydrogène par des processus verts est encore peu compétitif à l’heure actuelle. 

Il existe donc de nombreux moyens de stocker l’énergie, et d’autres encore que nous n’avons pas développés ici (stockage thermique, stockage sur batteries, etc). Toutefois, à l’heure actuelle, les technologies de stockage ne semblent pas encore être assez mûres pour répondre aux besoins de flexibilité du réseau. 

Tarir la demande excessive ?

L’enjeu principal serait alors de lisser les pics pour adapter au maximum la consommation à la production (aussi appelé effacement de la consommation ou lissage de la courbe de charge). Comme nous l’avons déjà évoqué, il existe par exemple des tarifs heures creuses incitant notamment les consommateurs d’énergie (notamment les industriels) à déplacer leurs pics de consommation sur les horaires de moindre consommation nationale.

Toutefois, ce mécanisme sera loin d’être suffisant en cas d’électrification massive des consommations. En particulier, le développement de la voiture électrique pourrait mener à une situation où tout le monde charge sa voiture le soir, en rentrant du travail. Certaines technologies comme le Vehicle To Grid (V2G) proposent justement de se servir des batteries de voitures comme d’un stock d’électricité dans lequel puiser en cas de pic de consommation. La recharge devenant bidirectionnelle, lorsque le véhicule est branché, la batterie se recharge normalement, sauf en cas de production électrique inférieure à la demande. Dans ce cas, le réseau puisera sur la batterie du véhicule pour pallier le manque d’approvisionnement.

L’amélioration du pilotage nécessite d’augmenter fortement la connaissance sur les profils de consommation d’électricité générant un nombre considérable de données. L’idéal (technique) serait ensuite de piloter à distance certaines consommations. Pour ne prendre que l’exemple simple des vehicle to grid, telle voiture serait alors rechargée entre 9h et minuit, telle autre entre minuit et 3 heures et ainsi de suite. La fin de vie des batteries des véhicules peut également être utilisée pour le stockage d’électricité. En effet, lorsque la batterie a perdu de son efficacité, elle devient inutilisable pour un usage de mobilité (autonomie devenue trop faible notamment). Elle peut cependant être reconditionnée et servir de stockage d’électricité pour un bâtiment par exemple. 

D’autres mesures de pilotage de la consommation d’électricité permettent également de tarir les pics. En effet, nos appareils électriques en veille captent la production de 2 à 3 réacteurs nucléaires, il suffirait donc de débrancher quelques-uns de nos appareils pour faire face aux pics de consommation. Cela semble trop simple, mais c’est à peu près ce en quoi consiste la technique de l’effacement diffus.

En installant des boitiers connectés dans les espaces consommateurs d’électricité (logements, magasins, lieux publics, etc), il serait possible en cas de pic de consommation, de cesser d’alimenter certains appareils de manière précise et pour une courte durée, de façon à ce que ce soit imperceptible.

Par exemple, si le chauffage d’un appartement cesse de fonctionner quelques minutes, cela n’est pas suffisant pour impacter la température ambiante ressentie dans le logement. Bien que la diffusion de boitiers connectés dans les logements puisse être entravée par crainte de voir les données personnelles collectées, elle pourrait être systématisée dans la plupart des commerces. Rappelons également que le cycle d’intermittence des panneaux photovoltaïques (qui ne produisent pas d’électricité la nuit) est le même que le cycle d’intermittence des besoins d’électricité de la plupart des magasins (qui n’ont pas besoin d’être éclairés la nuit). 

Le coût du renouvelable

Premier fait majeur de l’histoire des énergies renouvelables, leur coût baisse de manière remarquablement constante au cours des dernières années (voir figure 3). Cette baisse s’explique d’une part par des améliorations technologiques et par des effets d’apprentissage. Ces technologies, en particulier l’éolien et le solaire, sont arrivées à un stade de maturité qui leur permet d’atteindre des coûts très intéressants et cela les rend compétitifs face aux énergies fossiles traditionnelles. Notons toutefois que cette compétitivité n’aurait pas été atteinte sans les investissements publics massifs du début du siècle et les soutiens avec des prix de rachat garantis. Ces derniers ont ainsi permis d’avoir des retours d’expérience et d’accélérer l’arrivée à maturité des technologies et leur développement industriel. 

Figure 3, Évolution des prix de l’éolien terrestre (gauche) et du photovoltaïque (droite), M. Liebreich

Par ailleurs, des coûts supplémentaires sont nécessaires pour effectuer le raccordement aux réseaux et gérer les risques de congestion. Ces coûts ne sont pas continus avec des différences importantes selon les technologies et les lieux. Une étude DENA estime pour l’Allemagne ces coûts à 100€/kW [12] en ce qui concerne les raccordements réalisés jusqu’alors. À l’échelle européenne, les coûts de raccordement sont estimés à environ 100 milliards d’euros pour les projets européens sur les dix prochaines années.

Une chose est certaine : aucune énergie renouvelable n’est capable, seule, d’assurer l’équilibre du réseau à tout instant. Seule une combinaison astucieuse de différents moyens de production et de technologies de stockage peut atteindre cet objectif. 

Les principales contraintes qui pèsent sur l’intégration des énergies renouvelable ainsi que certaines solutions ont donc été présentées. Tentons maintenant de mettre toutes ces contraintes bout à bout en y intégrant des paramètres économiques et d’observer les résultats. C’est à cette tâche de synthèse que s’attellent des modèles technico-économiques proposés par différentes études. Parmi ces études, citons les premiers travaux de l’ADEME (Mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations, 2016) [13], les travaux de Jean-Marc Jancovici (100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche?, 2017) [14], le scénario de l’association Négawatt (2017) [15] la dernière étude du CIRED [16] ou bien le tout récent rapport conjoint de RTE et de l’Agence Internationale de l’Energie concernant les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050 [17].

Les apports de la modélisation technico-économique

Toutes ces études tentent d’assurer l’équilibre offre/demande du réseau à chaque pas de temps (1h en général) et regardent quelles hypothèses permettent d’assurer cet équilibre. Les différences se situent généralement dans le choix des hypothèses technologiques et de leur évolution (coût de production, facteur de charge, disponibilité des gisements de vent). Pour le cas français, un des points critiques est celui de l’évaluation du coût de l’électricité nucléaire, qui fait l’objet de nombreuses expertises et contre-expertises [18].

Il existe actuellement un consensus scientifique sur la possibilité d’intégrer une part très importante d’énergies renouvelables dans le mix électrique à l’horizon 2050. Toutefois, cela implique un développement important des sources de flexibilité, telles que le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, l’utilisation de centrales de pointe ou encore celle des réseaux de transports frontaliers. Techniquement le 100% EnR semble donc réalisable.

L’incertitude porte plutôt sur l’évaluation des coûts et la comparaison entre différents choix de mix. L’évaluation des coûts sur plusieurs décennies est un exercice périlleux car elle dépend par exemple de l’évolution du prix des technologies, ou encore de celle des matières premières. Cette évaluation dépend aussi des coûts liés au nucléaire, à la gestion de la fin de vie des centrales. Certaines études, à l’image de celle du CIRED affirment que le développement d’un système 100% EnR peut se faire sans surcoût additionnel.

Un bon article de synthèse, écrit par Emmanuel Pont, compare le modèle de Jean-Marc Jancovici et celui du CIRED et apporte des éclairages plus précis sur les choix des hypothèses et les limites de chaque étude [19].

Impact des énergies renouvelables sur la biodiversité, les sols et les paysages

Les énergies renouvelables, au même titre que n’importe quelle activité humaine, ne sont pas neutres vis-à-vis de l’environnement. Celles-ci peuvent avoir des effets sur la biodiversité, les sols ou encore les paysages. Par exemple, certaines installations renouvelables peuvent entraîner la dégradation ou l’altération de milieux naturels ou la modification de certains paramètres environnementaux. Les impacts physiques ou chimiques sur les sols existent aussi, notamment lors des phases d’extraction. Le développement de certaines énergies renouvelables peut contribuer à l’artificialisation des sols. La présence d’énergies renouvelables (PV, éolien, barrages) entraîne des modifications du paysage, pousse à repenser l’aménagement de certains territoires et occasionne des problèmes d’acceptabilité par les citoyens. Une étude récente de l’ADEME [20], publiée en aout 2020 a recensé les études tentant d’évaluer ces impacts en termes de biodiversité, de dégradation des sols ou encore des paysages. 

Les impacts sur la biodiversité sont les plus documentés. Les éoliennes par exemple peuvent entraîner des blessures et augmenter la mortalité de certains oiseaux. Le bruit peut perturber la faune locale. La phase d’installation peut elle aussi être nocive pour l’écosystème local. Par ailleurs, les développeurs sont tenus d’être très attentif au cours de la phase d’excavation, susceptible d’affecter l’environnement alentour et la biodiversité. Toutefois, les études concluent globalement à des impacts faibles. Les impacts sur les paysages ont eux aussi été bien analysés. Ils soulèvent les questions d’acceptabilité et poussent à revoir certaines politiques d’aménagement local. En ce qui concerne l’impact sur les sols, le constat est plus mitigé. L’artificialisation des sols est souvent qualifiée de négligeable notamment en ce qui concerne l’éolien terrestre. Il est nul pour le photovoltaïque sur bâti. La grande interrogation porte sur les impacts des phases d’extraction des matériaux. Le rapport de l’ADEME souligne que cet impact est très peu étudié.

Tout de même, l’électrification croissante de nos sociétés (voitures électriques, périphériques connectés, etc.) va entraîner, afin de réduire notre utilisation d’énergies fossiles, une augmentation de la consommation de certains métaux, à l’image de l’aluminium, du nickel ou du cuivre. Leur extraction massive va probablement entraîner des impacts environnementaux non négligeables, en particulier si l’extraction a lieu dans des pays peu regardants à propos des normes environnementales.

Un enjeu au moins autant politique que technique

Pour conclure, la trajectoire française d’évolution du mix électrique verra augmenter la part des énergies renouvelables. Leur intégration soulève des interrogations en termes de stabilité du réseau et de coûts. Plusieurs études montrent que la transition vers un système 100% renouvelable semble techniquement réalisable mais celles-ci s’appuient sur de nombreuses hypothèses d’évolution des technologies et de comportements qui peuvent parfois être remises en cause. Par ailleurs, la visibilité sur les enjeux en matière de ressources est encore très limitée. De nombreux points mériteraient des approfondissements, que ce soient les avantages et faiblesses de chaque technologie ou leur mise en commun au sein du réseau français. 

Après avoir eu un aperçu global des enjeux de l’avenir de notre système électrique et de l’intégration des énergies renouvelables, rappelons que ce système hautement technique qu’est le réseau électrique s’inscrit au cœur d’une société et de politiques humaines. Les choix d’évolution du système énergétique français ne sont jamais politiquement neutres. Par exemple, le positionnement sur la question nucléaire est crucial dans le paysage politique français. Le choix du mode de gestion économique de production et de distribution l’est lui aussi à l’heure où le projet Hercule de démantèlement d’EDF est au cœur de l’actualité. De même, les interactions entre politique industrielle nationale, taxe carbone aux frontières et développement de l’énergie sont un enjeu majeur des années à venir. La question énergétique reste avant tout une question politique mêlant sécurité d’approvisionnement, prix abordables et politique industrielle. Nous reviendrons sur les principaux enjeux politiques de l’évolution du système électrique français dans un prochain article. 

Bibliographie

[1] [2] https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

[3] ADEME ; Bilan Gaz à Effets de Serre, Mix électrique France continentale, https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?moyenne_par_pays.htm

[4] ASN (Agence de Sureté Nucléaire), Réexamens périodiques et poursuite de fonctionnement d’une installation nucléaire en France

[4 bis] EDF, Communiqué du 29 octobre 2020, https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/edf-reajuste-le-cout-du-programme-grand-carenage

[5] Programmation Pluriannuelle de l’Energie, Ministère de la transition Ecologique

[5bis] Commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable, novembre 2020, http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/Developpement_durable/Essentiel_Transition_energetique.pdf

[6] RTE (Réseau de Transport d’électricité), https://www.rte-france.com/acteur-majeur-europe-electricite/les-interconnexions-service-europe-electricite-solidaire

[7] Connaissance de l’énergie, fiche sur le réglage de la fréquence https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/reglage_de_la_frequence.pdf

[8] FOCKEN et al., Short-term prediction of the aggregated power output of wind farms—a statistical analysis of the reduction of the prediction error by spatial smoothing effects, Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics, Volume 90, Issue 3, March 2002, Pages 231-246

[9] RTE, Schéma de développement décennal du réseau, https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/Sch%C3%A9ma%20d%C3%A9cennal%20de%20d%C3%A9veloppement%20de%20r%C3%A9seau%202019%20-%20Synth%C3%A8se.pdf

[10] Fraunhofer Institut, https://energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=DE

[11] Connaissance des énergies, fiche sur les STEP, https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydroelectricite-stations-de-transfert-d-energie-par-pompage-step

[12] DENA, Agence allemande de l’énergie

[13] ADEME, Mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations

[14] https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/100-renouvelable-pour-pas-plus-cher-fastoche/

[15] Negawatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050.pdf

[16] CIRED, How Sensitive are Optimal Fully Renewable Power Systems to Technology Cost Uncertainty? Behrang ShirizadehQuentin PerrierPhilippe Quirion

[17] RTE/AIE : étude sur les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050, janvier 2021, https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050

[18] Cour des Comptes, Les coûts de la filière électronucléaire (2012), la filière EPR (2020)

[19] Emmanuel Pont, https://medium.com/enquetes-ecosophiques/jancovici-100-renouvelable-1a820334496e[20] ADEME, état de l’art des impacts des énergies renouvelables sur la biodiversité, les sols et les paysages, et des moyens d’évaluation de ces impacts, août 2020

Impact sanitaire de Fukushima : une désinformation suspecte

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Credit: Greg Webb / AIEA

Un an seulement après la catastrophe de Fukushima, Jean-Marc Jancovici déclarait qu’« il n’y a plus de raison sanitaire d’empêcher le retour des populations évacuées à Fukushima, qui, au final, n’aura fait aucun mort par irradiation. » Depuis, chez les partisans de l’énergie atomique, la fausse information d’un accident nucléaire aux conséquences sanitaires quasi-nulles a gagné du terrain, notamment sur Youtube.


La chaîne Youtube Le Réveilleur diffuse des informations sur le nombre de victimes de la catastrophe de Fukushima. Dans deux vidéos, le  vulgarisateur scientifique dresse un bilan sanitaire prématuré de l’accident nucléaire de 2011 sur la base d’éléments contestables. En mai 2019, Rodolphe Meyer – alias Le Réveilleur – publie en effet sur sa chaine Youtube deux vidéos[1] en partie consacrées à l’impact sanitaire de l’accident de Fukushima au Japon.

En 8 minutes chrono, le youtubeur science entend dresser un bilan des travaux disponibles sur un sujet controversé. Pourtant, bien que le vidéaste qualifie son propre travail de « sourcé, s’appuyant sur l’analyse d’éléments scientifiques disponibles »[2], s’agissant du nombre de victimes consécutif à une exposition aux rayonnements ionisants après l’accident nucléaire de 2011, aucune étude épidémiologique de long terme n’est à ce jour disponible, et pour cause.

Bilan sanitaire définitif 8 ans après l’accident : un non-sens scientifique ?

Dans les instances de radioprotection, il existe un consensus sur l’étalon temporel pour mesurer les conséquences sanitaires d’une exposition aux rayonnements ionisants. En dessous d’un certain seuil, il est communément admis qu’après qu’une personne a reçu une dose de radioactivité, il existe un temps de latence avant de pouvoir observer les premiers signes cliniques de la plupart des maladies radio-induites. Lorsqu’il s’agit des leucémies, on estime par exemple qu’il existe une période de latence pouvant aller jusqu’à 20 ans[3]. Dans le cas de nombreux cancers solides[4], le délai varie de 10 à 40 ans.[5] Le Réveilleur ne dispose donc d’aucune étude statistique longitudinale (cohorte) suffisamment longue pour affirmer comme il le fait qu’« à Fukushima, les effets sanitaires sont et seront extrêmement faibles et ne feront aucun mort détectable. »[6]

Dans la même vidéo, le youtubeur affirme paradoxalement que certains « cancers peuvent apparaître plusieurs décennies après. » De ce point de vue, les retours d’expérience de l’après-Tchernobyl montrent que certains types de cancers comme celui de la thyroïde peuvent survenir plus rapidement après une exposition à l’iode-131, mais que là encore, ils peuvent se déclencher jusqu’à 10 ans après l’exposition à cet isotope radiotoxique libéré lors d’un accident nucléaire.

Pourtant, le vidéaste affirme qu’à Fukushima, « le suivi des cancers de la thyroïde qui auraient pu se manifester depuis 2011 n’a montré aucune augmentation de ces cancers. »[7] Cette allégation contredit les données disponibles dans le Registre du cancer Japonais, qui écrit que « dans la préfecture de Fukushima, des biopsies de la thyroïde ont révélé des cellules cancéreuses chez 205 enfants » et que « 167 de ces enfants ont dû être opérés en raison du développement extrêmement rapide de la tumeur, de la présence de métastases ou de la menace sur des organes vitaux »[8].  Selon IPPNW[9], « la répartition géographique des cas de cancers de la thyroïde chez les enfants coïncide avec le degré de contamination à l’iode radioactif-131 dans les différentes régions de la préfecture de Fukushima. »[10]

Bien que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) affirme que « la fréquence élevée de nodules tumoraux thyroïdiens est liée à l’effet du dépistage plutôt qu’à un effet des rayonnements ionisants », « l’incidence annuelle multipliée par un facteur 15 dans la préfecture de Fukushima » qu’il relève pose question. Deux mois avant que le youtubeur ne mette sa vidéo en ligne, l’établissement public français conclut donc de son côté qu’à Fukushima, « il est encore prématuré de se prononcer sur une éventuelle augmentation des cancers de la thyroïde consécutive à l’accident ».[11]

De son côté, Le Réveilleur déclare qu’ « on ne peut pas attribuer un cancer aux rayonnements ionisants », traduisant en fait la difficulté à convertir des liens de corrélation en liens de causalité, et donc d’isoler une cause spécifique au développement d’un cancer. En 2011, des chercheurs du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) signent néanmoins une avancée majeure, en prouvant un lien de causalité irréfutable entre les retombées de Tchernobyl en Ukraine et en Biélorussie, et de nombreux cas de cancers de la thyroïde. « Ils ont ainsi pu mettre notamment en évidence une signature de 106 gènes permettant de classer les tumeurs radio-induites de la thyroïde développées par les enfants vivant à proximité de la centrale de Tchernobyl au moment de l’explosion. »[12]

Hormis une focale sur les cancers de la thyroïde, Le Réveilleur concentre l’attention des internautes sur le taux de mortalité suite à l’accident, au détriment du taux de morbidité. Avec ce cadrage préalable, le youtubeur néglige les complications dont certaines personnes sont victimes, sans en mourir, en tout cas pas immédiatement : cancers, leucémies, maladies cardiovasculaires, glaucomes, effets tératogènes, etc.[13]

Fukushima et le mythe du « zéro mort »

Dans ses deux vidéos, Rodolphe Meyer déclare que « le nombre de morts pouvant être alloués de façon statistiquement significative à une surexposition aux rayonnements ionisants est aujourd’hui de zéro et le restera probablement ». Pour soutenir cette assertion, le vidéaste se base non pas sur des études épidémiologiques, mais plus vraisemblablement sur les modélisations théoriques retenues par l’UNSCEAR[14]. Pour tenter de mieux appréhender les doses de radiations individuelles reçues depuis l’accident, cet organe se base sur « l’expérience de l’étude des survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki »[15]. Il ne s’intéresse donc qu’à l’irradiation externe forte et ponctuelle, et pas à la contamination interne, faible et chronique. L’autre lacune de ces tentatives d’estimation des doses reçues est le « taux de réponse au questionnaire relativement faible »[16].

Mais le plus gros obstacle à l’établissement d’un bilan sanitaire complet reste sans doute le manque de visibilité sur l’évolution de l’état de santé des travailleurs qui interviennent sur le site nucléaire depuis 2011. En effet, il est impossible de savoir si la Tokyo electric power company (Tepco) a mis et continuera de mettre en place un suivi médical fiable. Personne ne sait non plus le détail des doses effectivement reçues par les travailleurs exposés. Par ce manque de transparence de l’exploitant, il est impossible de savoir si l’état de santé des milliers de personnes qui sont intervenues ou interviendront sur la centrale accidentée japonaise est normal et le restera sur le long terme.

Dans le cadre du programme de suivi sanitaire Fukushima Health Management Survey mis en place par l’Université de Médecine de Fukushima, il existe bel et bien des études sur l’état de santé général des civils évacués. Mais ces contrôles mélangent simples « questionnaires » et tests médicaux plus ou moins poussés[17]. Autre faiblesse de ces analyses déjà limitées aux seuls habitants de Fukushima : elles se caractérisent par un taux de participation des personnes extrêmement bas, qui diminue encore d’année en année. Seulement trois ans après l’accident, ce taux avait déjà chuté à 16 %, et « avec le temps, les personnes se présentent de moins en moins pour réaliser leur bilan médical ». [18]

Les leçons de Tchernobyl

À titre de comparaison, du point de vue sanitaire, l’après-Tchernobyl est édifiant. Les statistiques médicales biélorusses et ukrainiennes révèlent une dégradation spectaculaire et continue de l’état de santé des populations touchées par les retombées de l’accident de Tchernobyl en 1986[19]. Bien que les organismes onusiens comme l’UNSCEAR ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS) refusent d’accréditer l’hypothèse que les faibles doses de radioactivité ingérées depuis l’accident de Tchernobyl puissent en être la cause, aucune étude scientifique ne permet par exemple d’expliquer la proportion anormalement élevée d’avortements thérapeutiques : entre 2000 et 2011, 30 à 50 % du nombre des grossesses dans le district contaminé de Stolyn, pourtant situé à 220 kilomètres de Tchernobyl.[20]

Car l’autre biais utilisé par Le Réveilleur est celui qui consiste à focaliser l’attention des spectateurs exclusivement sur les cancers thyroïdiens. Pourtant, les chiffres médicaux de certains territoires d’Ukraine et de Biélorussie indiquent une augmentation de l’instabilité génomique héréditaire après Tchernobyl. Certaines mutations génétiques des brins d’ADN d’une personne se transmettent de génération en génération, sans que l’on constate d’amélioration des désordres génétiques antérieurs, ni que la descendance ait été elle-même exposée aux radiations. Par exemple, dans certaines localités, le taux de malformations invalidantes va croissant : un doublement durant les 20 premières années suivant 1986, comme publié par Dmitri Lazjuk, le responsable de ce dossier en Biélorussie en 2006[21]. Une des hypothèses serait la mutation des cellules germinales des parents induites par l’irradiation, et transmises à l’enfant.[22] Il est donc encore trop tôt pour affirmer que ces modifications n’auront pas d’impact sanitaire sur les générations futures.

Autre affirmation problématique du youtubeur : « La peur du nucléaire a fait plus de dégâts que les rayonnements tant craints. » Le vidéaste résume en fait ici un argument bien connu des promoteurs de l’atome comme l’AIEA[23], l’agence chargée d’ « encourager et de faciliter, dans le monde entier, le développement et l’utilisation pratique de l’énergie atomique »[24]. Après Tchernobyl, ce genre d’institution développe l’idée qu’une partie des problèmes sanitaires rencontrés par les personnes qui vivent dans des territoires contaminés serait psychosomatique. Pour résumer, les leucémies, les cancers ou l‘arythmie seraient en fait le résultat du stress induit par la peur – injustifiée – des radiations. Le Réveilleur finit par conclure que « la désinformation tue ».

Mais à Tchernobyl, cet argument ne tient pas, dès lors qu’on observe des mutations génétiques chez certains animaux vivant autour du lieu de l’explosion, comme les hirondelles[25]. Ces petits oiseaux ne sont pas sensibles aux discours anxiogènes sur la radioactivité. En 2012, Jean-Marc Jancovici livre pourtant une affirmation du même ordre, lorsqu’il déclare que « du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite ». Et de conclure qu’à Tchernobyl, « le niveau de radioactivité est désormais sans effet sur les écosystèmes environnants. »[26]

Au Japon, la radioactivité qui dure

Au Japon, l’état d’urgence nucléaire n’a toujours pas été levé, et autour de la centrale de Fukushima Daiichi, des dizaines de millions de tonnes de déchets radioactifs sont encore entreposées (principalement de l’eau, des débris et de la terre). De nouveaux rejets radioactifs pourraient encore se produire ces prochaines années, du fait des opérations de refroidissement et de récupération des trois coriums radioactifs, puis du relargage des milliards de litres d’eau contaminée dans l’atmosphère ou dans l’Océan Pacifique. De plus, de nouveaux risques de rejets sont prévisibles, au moment du démantèlement des trois réacteurs accidentés, ou lorsque les assemblages de combustibles entreposés dans les piscines de désactivation seront retirés.

Par ailleurs, les opérations pour retirer ces combustibles neufs et usés entreposés dans les piscines 1, 2 et 3 prennent beaucoup plus de temps que prévu, à cause de problèmes techniques et des trop fortes radiations. Si ces piscines étaient brutalement privées de moyens de refroidissement, les milliers de tonnes de matières radioactives immergées[27] dans les bassins provoqueraient une nouvelle fois des rejets toxiques dans l’environnement. En 2011, de « très hauts niveaux de radiation »[28] avaient déjà été enregistrés dans l’enceinte des bâtiments abritant les piscines de refroidissement des réacteurs 3 et 4, des suites d’une baisse du niveau d’eau dans les bassins.

Il ne faut pas négliger non plus le risque de sur-accident autour de la centrale nucléaire japonaise. En octobre 2019, la zone a par exemple été frappée par un puissant typhon, faisant planer la menace d’une nouvelle dispersion incontrôlable de radioéléments : les fortes précipitations ont lessivé les sols et les vents violents ont soulevé la poussière, transportant la radioactivité au gré des courants marins, de l’érosion et des rafales de vent. Pire, d’énormes sacs de terre contaminée ont été emportés par une rivière en crue[29]. Sans oublier que la façade maritime Est du Japon reste fortement soumise à des risques sismiques et des tsunamis.

Autre motif d’inquiétude : le réacteur 3 de la centrale nucléaire. Il contenait un cœur constitué de MOX[30]. Plus radioactif et plus chaud que les combustibles d’oxyde d’uranium pur[31], le MOX contient du plutonium, qui reste dangereux pendant 24 000 ans. Actuellement, ce combustible a fondu et creusé le radier[32] sous la cuve du réacteur, sans que l’exploitant Tepco ne soit encore parvenu à identifier où il se situe précisément. Au total, les trois cœurs de réacteurs qui ont fondu et percé les cuves pèseraient 880 tonnes.[33]

De la même manière, si les autorités ont mis en place des dispositifs plus ou moins efficaces pour piéger les infiltrations d’eau radioactive, décaper les sols et laver les bâtiments, les travaux de décontamination des vastes forêts polluées au césium-137 patinent, faute d’accès suffisant pour les engins de chantier. Pourtant, ces zones boisées représentent 75 % des surfaces touchées par les retombées radioactives de l’accident nucléaire.[34] Si un feu venait à se déclencher – comme cela s’est produit dans la « forêt rousse » autour de Tchernobyl en 2016 – une nouvelle dispersion de particules radioactives se produirait mécaniquement. Il subsiste donc d’importants risques radiologiques.

Mais au-delà du rayon d’évacuation de 20 kilomètres, l’analyse de la cartographie de la contamination radioactive réalisée par Minna-no-data Site – une base de données compilant les mesures de la radioactivité effectuées par un réseau de laboratoires indépendants japonais – révèle une contamination « tachetée » de l’archipel : on constate des hotspots radioactifs particulièrement préoccupants[35], d’autant qu’aucune mesure de santé publique n’est prise dans ces zones.

Particulièrement dangereuses, des microbilles de césium-137 et césium-134 – facilement ingérables par le nez ou la bouche – ont par ailleurs été retrouvées à 230 kilomètres de la centrale nucléaire accidentée. Selon Olivier Masson de l’IRSN, « d’un point de vue scientifique, les conséquences radiologiques de l’inhalation de césium vont devoir être réévaluées, à la lumière de la découverte de ces particules dont la solubilité est très faible. » [36]

Enfin, il est probable que les habitants dont les autorités nippones organisent progressivement le retour en zone radioactive consomment pendant de longues périodes des denrées alimentaires contaminées. Dans la préfecture rurale de Fukushima et ses alentours, l’agriculture vivrière, l’élevage, la pêche, mais aussi la chasse et la cueillette, sont des sources d’alimentation quotidiennes. Du lait, de la viande, des champignons, du thé,[37] des algues, des crustacés ou des poissons[38] sont régulièrement mesurés avec des taux de radioactivité supérieurs aux limites admissibles, et ce même dans les eaux territoriales ou dans des zones relativement éloignées de la centrale nucléaire accidentée. Dans les territoires faiblement touchés d’Ukraine et de Biélorussie, c’est bien l’ingestion de nourriture contaminée qui est pointée du doigt comme une problématique sanitaire de très long terme.[39]

Dans ses deux vidéos qui adoptent le ton d’une recension de l’état de la recherche neutre et objective, Le Réveilleur développe en fait une analyse partielle, partiale, et entachée de multiples biais. Le « youtubeur science » présente au spectateur un bilan sanitaire incomplet parce que prématuré. Mais comment expliquer ce parti-pris ?

Le Réveilleur : youtubeur vulgarisation ou influenceur ?

S’il confie s’être « vite rendu compte que les problèmes environnementaux avaient plus besoin de réponses économiques, politiques et culturelles que de connaissances scientifiques plus approfondies »[40], lorsqu’il aborde la thématique du nucléaire, Le Réveilleur fait l’impasse sur de nombreux débats liés à l’impact sanitaire des accidents nucléaires. Pourtant, dans ce domaine plus qu’ailleurs, la vérité scientifique n’est pas une matière inerte : elle est le fruit de luttes symboliques pour la revendication du monopole à dire le vrai. Les consensus sont sans cesse remodelés par les jeux de pouvoir et les enjeux économiques liés au développement commercial de la filière électronucléaire mondiale organisée en lobby.

Dans la description disponible sous ses deux vidéos traitant de Fukushima, on peut lire les remerciements de Rodolphe Meyer à un confrère : « Merci à Tristan Kamin qui m’a aidé sur quelques points techniques et a relu mon script. Je vous encourage à le suivre, il fait de la vulgarisation sur le nucléaire. »[41] Sur les dix vidéos qu’il consacre à la thématique du nucléaire, neuf comportent ce message de remerciement, quand la dixième puise ses sources entre autres de la Word Nuclear Association, un puissant lobby nucléaire international. Mais qui est ce Tristan Kamin ?

Dans cette présentation qu’il fait de son relecteur préféré, Rodolphe Meyer fait un amalgame entre « vulgarisateur » et « influenceur ». En effet, en plus d’être ingénieur sûreté, Tristan Kamin  est un contributeur de la Revue générale nucléaire, une brochure annuelle éditée par la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN), un groupe de pression pro-nucléaire français. Il collabore également avec deux médias connus et reconnus pour leur ligne éditoriale pro-nucléaire : L’Energeek et Atlantico.

De plus, Tristan Kamin est membre du conseil d’administration des Voix du nucléaire, « une association d’employés et sympathisants de la filière nucléaire »,  qui travaille à « restaurer la confiance des populations dans l’énergie nucléaire »[42]. Membre actif de ce lobby pro-nucléaire, Tristan Kamin affiche comme un trophée ses « 32 000 tweets »[43]. C’est que, avec l’acharnement d’un moine copiste, ce redoutable « influenceur »[44] spécialiste des réseaux sociaux a fait profession de la critique systématique et massive des contenus hostiles au nucléaire. Sur Twitter, ce boulimique du tweet pro-nucléaire produit un travail de fourmi pour torpiller les publications critiques envers le nucléaire et dans le même temps promouvoir l’énergie atomique.

Avec l’aide et la relecture de cette personne au parti-pris assumé, on comprend mieux pourquoi les vidéos de Rodolphe Meyer à propos de l’énergie nucléaire sont si souvent favorables à l’industrie qui l’exploite. Dans le cas précis du bilan sanitaire de la catastrophe de Fukushima, on comprend aussi pourquoi le youtubeur mobilise certaines sources et pas d’autres. On comprend, enfin, de quelle manière il minimise le nombre de victimes passées et à venir. Certains acteurs de la filière nucléaire ne s’y trompent pas : ils sont friands des vidéos du Réveilleur sur le sujet, partagent régulièrement ses contenus et l’interviewent volontiers. C’est par exemple le cas de la SFEN ou de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) [45].

À Tchernobyl comme à Fukushima, le refus des institutions onusiennes de suivre les maladies non-reconnues comme résultantes d’une contamination interne chronique à faible dose, sur les liquidateurs ou sur les résidents des territoires contaminés, fonctionne comme un véritable trou noir.  En matière de radioprotection, si les normes internationales ont décrété que le risque pour la santé est proportionnel à la dose reçue, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) conclut néanmoins que « toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique » et qu’« il n’y a pas de seuil de dose en dessous duquel il n’y a aucun effet ».[46]

Relayée par des personnes comme Jean-Marc Jancovici ou Le Réveilleur, l’affirmation « zéro mort à cause de la radioactivité à Fukushima » est une fausse information. Qui plus est parce neuf ans après les multiples rejets radioactifs dans l’environnement, la situation au Japon n’est toujours pas stabilisée.

Par Julien Baldassarra, membre du Réseau Sortir du Nucléaire.

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=utyT8Z4qEaA

[2] https://reporterre.net/Le-Reveilleur-n-a-pas-ete-paye-par-l-Andra

[3] http://nucleaire.force-ouvriere.org/IMG/pdf/tude_verger.pdf

[4] Selon l’Institut National du Cancer, les tumeurs solides cancéreuses, comme les carcinomes ou les sarcomes, repérables par un amas de cellules localisé, se distinguent des cancers des cellules sanguines, comme les leucémies, dont les cellules cancéreuses circulant dans le sang ou la lymphe sont dispersées dans l’organisme. La majorité des cancers sont des tumeurs solides.

[5] https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/pdf/1990/01/rad19901p19.pdf

[6] https://www.youtube.com/watch?v=smGve9f6kpQ

[7] https://www.youtube.com/watch?v=utyT8Z4qEaA

[8] https://www.asso-malades-thyroide.fr/wordpress/index.php/2019/03/12/fukushima-un-risque-de-cancer-de-la-thyroide-multiplie-par-15/

[9] International Physicians fot the Prevention of Nuclear War

[10] https://www.asso-malades-thyroide.fr/wordpress/index.php/2019/03/12/fukushima-un-risque-de-cancer-de-la-thyroide-multiplie-par-15/

[11] https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-NI_Fukushima-2019-sante_201903.pdf

[12] http://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/sante-sciences-du-vivant/tumeurs-radioinduites-ont-elles-signature-particuliere.aspx

[13] Les silences de Tchernobyl : L’avenir contaminé, Galia Ackerman, Guillaume Grandazzi, Frédérick Lemarchand, Broché, 2006

[14] Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants

[15] https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-NI_Fukushima-2019-sante_201903.pdf

[16]https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-NI_Fukushima-2019-sante_201903.pdf

[17] https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-NI_Fukushima-2019-sante_201903.pdf

[18] https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-NI_Fukushima-2019-sante_201903.pdf

[19] http://enfants-tchernobyl-belarus.org/virtubook/chernobylnyas/

[20] http://enfants-tchernobyl-belarus.org/virtubook/bulletin-03-2018/#p=2

[21] http://enfants-tchernobyl-belarus.org/virtubook/chernobylnyas/

[22] https://fr.wikipedia.org/wiki/Irradiation_professionnelle

[23] Agence internationale de l’énergie atomique

[24] https://www.iaea.org/sites/default/files/statute_fr.pdf

[25] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1994720/

[26] https://reporterre.net/Jean-Marc-Jancovici-Fukushima-aura-surtout-ete-un-probleme-mediatique-majeur

[27] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/fukushima-debut-d-une-nouvelle-operation-delicate_132983

[28] https://www.laradioactivite.com/site/pages/Fukushima.htm

[29] https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Japon-sept-ans-tsunami-Fukushima-frappee-typhon-Hagibis-2019-10-16-1201054626

[30] MOX est l’abréviation de « Mélange d’oxydes » car le combustible MOX contient du dioxyde de plutonium et du dioxyde d’uranium.

[31] https://www.laradioactivite.com/site/pages/laradioactivitedumox.htm

[32] Plateforme de béton située sous la cuve du réacteur et censé confiner le combustible fondu de l’environnement sous-terrain en cas l’accident.

[33] https://www.liberation.fr/planete/2017/02/03/japon-pic-de-radiation-et-trou-beant-dans-les-entrailles-de-fukushima_1546005

[34] https://www.larecherche.fr/environnement/fukushima-une-d%C3%A9contamination-difficile

[35] https://en.minnanods.net/soil/

[36] https://www.lemonde.fr/energies/article/2016/07/06/l-accident-de-fukushima-a-disperse-des-billes-de-cesium-radioactif-jusqu-a-tokyo_4964380_1653054.html

[37] https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/08/13/fukushima-des-champignons-interdits-a-la-consommation_1559450_3244.html

[38] https://www.maxisciences.com/catastrophe-nucleaire-au-japon/japon-les-produits-de-la-mer-contamines-au-large-de-fukushima_art14848.html

[39] https://www.lefigaro.fr/sciences/2016/04/26/01008-20160426ARTFIG00202-tchernobyl-le-principal-danger-vient-des-aliments-contamines.php

[40] https://www.lereveilleur.com/qui-suis-je/

[41] https://www.youtube.com/watch?v=utyT8Z4qEaA

[42] https://www.voix-du-nucleaire.org/notre-association/

[43] https://www.voix-du-nucleaire.org/conseil-administration/

[44] https://www.voix-du-nucleaire.org/conseil-administration/

[45] https://www.andra.fr/node/1258

[46] La radioprotection, les nouvelles recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR 60, 1991) ibidem p. 3-9

Pourquoi les Occidentaux ont du mal à comprendre les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud

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©The Presidential Press and Information Office

Kim Jong-un serrant la main de Donald Trump : en un instant on basculait, dans la grammaire trumpienne, du « Rocket Man » au « Brave Man ». L’idylle, on l’a vu, fut de courte durée, et la Corée du Nord n’a pas tardé à redevenir le régime honni qu’il était aux yeux des États-Unis. Dans les médias français, c’est une analyse manichéenne et monocausale qui domine : les échecs diplomatiques du régime nord-coréen seraient uniquement imputables à sa soif de pouvoir et à son irrationalité. Afin d’en saisir tous les enjeux, il importe de revenir sur la spécificité de la relation entre les deux Corées et sur leurs déterminants géopolitiques et historiques complexes. 


Comment expliquer cette difficulté à comprendre les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ? Le primat donné en Asie de l’Est à la Chine et au Japon peut constituer un élément d’explication – la péninsule coréenne étant peu ou prou considérée comme un hybride sino-japonais. La médiatisation des aspects les plus folkloriques de la dictature nord-coréenne, vendeuse auprès des opinions publiques, explique également pourquoi l’histoire des Corées est fréquemment caricaturée et simplifiée. Pour en comprendre la spécificité, il convient de remonter à la déchirure originelle entre les deux Corées, sous la Guerre froide.

Sous la guerre de Corée, Pyongyang a été rasée à 80 %, et Séoul à 65 %. Malgré la faible place que lui accorde la mémoire collective en Occident, cette guerre constitue l’un des conflits les plus meurtriers qu’ait connu le XXème siècle.

La Corée sacrifiée sur l’autel des enjeux de Guerre froide

Une offensive du Nord, le 25 juin 1953, fit basculer l’entière péninsule coréenne dans une guerre qui allait durer près de trois ans. Une guerre sans vainqueur ni traité de paix, consacrant le divorce des Coréens. Pour ces derniers, cet événement comporte un air de déjà-vu, comme si l’histoire aimait à se répéter. Naguère les Mongols, puis les Japonais, et enfin les Soviétiques et les Américains sous la Guerre froide : l’influence étrangère structure l’histoire des deux pays, jadis unis.

La guerre de Corée, qui laisse derrière elle des millions de morts, rejaillit inlassablement dans les consciences contemporaines. Au Nord, le spectre d’une invasion hante sans relâche les esprits et explique pour partie les réactions paranoïaques et irrationnelles du gouvernement. Au Sud, elle rend difficile, sur le court terme, la construction d’un État-nation moderne et démocratique unifié avec le Nord.

Ce processus débute dès 1910, le 29 août, jour de l’humiliation nationale (gukchi il) avec l’annexion de la Corée par le Japon. Après 1945, les États-Unis sont propulsés suite à la défaite du Japon comme un acteur majeur de la région. David Cumin, dans un article de la revue Hérodote, Retour sur la guerre de Corée, paru en 2011, montre précisément que les dispositions de la conférence de Moscou devaient amener à l’indépendance de la Corée, puis à la construction d’un État démocratique ; il n’en fut rien : le dissensus soviéto-americain bloqua toute procédure allant en ce sens. L’occupation militaire du Sud par les États-Unis et du Nord par les Soviétiques retirait aux Coréens toute forme d’autonomie dans la prise de décision quant à l’organisation politique de leur pays. Quand l’Assemblée générale des Nations unies demande l’organisation d’élections dans toute la Corée, l’URSS refuse l’accès dans sa zone à la Commission temporaire des Nations unies pour la Corée. La République de Corée est finalement proclamée au Sud, avec Syngman Rhee comme chef d’État – anti-communiste radical, pro-américain résolu et partisan d’une réunification des deux Corées par tous les moyens, y compris par la force. De son côté, l’URSS poursuit la mise en place d’un gouvernement provisoire au Nord, et la République démocratique et populaire de Corée est proclamée dans la foulée. À sa tête, Kim il-sung.

Les deux camps, bien avant 1950, se livrent à des arrestations massives, des exécutions arbitraires, des massacres d’opposants politiques. Comme le montre l’officier et historien Ivan Cadeau, dans La guerre de Corée. 1950-1953 publié en 2016, de graves carences d’appréciation de la situation sont de mise, pendant de nombreuses années, chez les chercheurs occidentaux. Les représentations manichéennes des rapports entre la Corée du Nord et la Corée du Sud prévalaient déjà largement, avant même le déclenchement des hostilités.

Kim il-Sung se trouvait à la tête d’un pays plus industriel, plus développé, plus apte à la guerre : Staline, à l’inverse des Américains, ne craignait pas la possibilité d’une guerre, et aida massivement le Nord. Ce qui ne signifie en rien, comme le souligne Ivan Cadeau, que les Américains étaient dupes. La péninsule n’était simplement pas une priorité stratégique de l’état-major américain au début de la Guerre froide. Dans un discours prononcé le 12 janvier 1950 devant le National Press Club, le Secrétaire d’État des États-Unis, Dean Acheson, délimite le périmètre défensif des États-Unis au Pacifique. Il ne cite aucunement la Corée, puisqu’il se borne à énoncer une ligne qui va des Îles Aléoutiennes jusqu’au Japon, puis de ce dernier aux Philippines. La Maison Blanche était sans aucun doute au courant des ambitions de Seegham Ree quant à ses désirs de réunifier la Corée, d’où la volonté américaine de ne pas armer en conséquence les troupes sud-coréennes. Dès 1949, au Nord, la décision de réunifier la Corée par la force est déjà prise et le Sud adopte rapidement la même approche. Bien avant le 25 juin 1950 qui déclenche la Guerre de Corée, de violents engagements ont lieu au 38ème parallèle, des deux côtés.

Dans cette guerre, initialement réticents, les Américains ne furent pas moins impliqués que les Soviétiques, au point qu’Ivan Cadeau la qualifie de « guerre américaine ». Si ce sont les Nations unies qui s’opposent aux forces sino-coréennes, c’est bien la Maison Blanche qui définit les stratégies politiques et militaires du Sud. Les commandants en chef des forces de l’ONU sont tous américains, et n’obéissent finalement qu’au président des États-Unis, ainsi qu’au Comité des chefs d’état major ; il faut rappeler qu’à cette époque, l’Union soviétique était absente du Conseil de sécurité de l’ONU, et la Chine y était représentée par l’État taïwanais, dirigé par Tchang Kaï-Chek. Entre 1950 et 1953, près de 1,8 millions de soldats américains combattent en Corée. Les États-Unis dépensent 50 milliards de dollars pour financer la guerre. Défensive à ses débuts, la guerre devient offensive lorsque l’armée nord-coréenne est repoussée au Nord du 38ème parallèle, et que les troupes sud-coréennes, appuyées par les bombardiers américains, envahissent le Nord et se dirigent vers Pyongyang.

C’est en Corée que les troupes américaines expérimentent l’arme qui entachera plus tard sa réputation au Viêt-Nam : le napalm. Le déversement de 30 000 tonnes de napalm sur la Corée du Nord par l’armée américaine constitue un traumatisme durable, et fait apparaître à nombre de Nord-Coréens la nécessité d’une sanctuarisation de leur territoire. Il est difficile de prendre en considération les relations entre les deux Corées, ainsi que la diplomatie nord-coréenne, sans prendre en compte cette donnée.

L’armistice n’est signé que le 27 juillet 1953, à Panmunjom. The Forgotten War, comme la nomment certains journaux américains, aura laissé derrière elle des millions de morts. Dans son ouvrage sur la Guerre de Corée, Ivan Cadeau dresse un bilan saisissant. Ainsi, les pertes de l’armée américaine sont de l’ordre de 33500, et on compte des centaines de milliers de blessés. La Corée du Sud a perdu un demi-million d’hommes. Enfin, la Corée du Nord enregistre plus de 520 000 tués, et la Chine, plus d’un million et demi de volontaires. Cette guerre est bien évidemment un gouffre économique puisque nombre de villes ont été dévastées. A titre d’exemple, Pyongyang a été rasée à 80 %, Séoul à 65 %. La guerre de Corée, malgré la faible place que lui accorde la mémoire collective en Occident, constitue l’un des conflits les plus meurtriers qu’ait connu le XXème siècle.

Démocratie désenchantée et monarchie nucléarisée

Près de soixante-dix ans plus tard, la situation est méconnaissable. La mutation qu’a connu la Corée du Sud à l’aube des années quatre-vingt l’a poussée dans les nations les plus développées au monde, dynamisée par ses chaebols – les 9 conglomérats industriels, dont Samsung et LG. La Corée du Sud a vu naître en son sein une société civile développée et une vie politique dynamique – que l’on se souvienne du Choi Gate, qui a révélé les conflits d’intérêt au sommet de l’État coréen, et de la réaction de la population, qui a conduit à la destitution de Park en décembre 2017. La vitalité de son économie n’est plus à établir, même si son taux de croissance ne s’élève qu’à 3,1 %, alors qu’il avoisinait les 6% il y a dix ans.

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Les protestations contre Park Geun-hye à Séoul fin novembre 2016. ©Jjw

Le Nord, jadis plus industriel, plus riche, a rejoint le bloc socialiste, avant de perdre dans les années 90 ce qui faisait sa richesse. S’il a longtemps été dopé par ce bloc, Moscou et Pékin ont raidement abandonné la petite monarchie du Nord à la fin de la Guerre froide. Modèle pour les pays du Tiers-Monde dans les années 60 et 70, le pays s’effondre jusqu’à connaître la famine après la chute du mur (1995-1997). Cette famine, qui a causé jusqu’à la mort de deux millions de Nord-Coréens, est tout autant le produit des structures économiques sous-développées de la Corée du Nord que des sanctions imposées à l’initiative de Washington. Nombre de Nord-Coréens l’inscrivent dans la continuité de la Guerre de Corée et des souffrances endurées durant ce conflit par les civils.

 « Doté d’une doctrine claire ( Juche ), la Corée du Nord n’est pas un pays régi par des dirigeants irrationnels. Kim Jong-Un est hanté par l’idée d’une invasion étrangère – en provenance des États-Unis, mais aussi de la Chine – et voit dans le nucléaire le moyen de s’en prémunir »

Aujourd’hui, la Corée du Nord reste en proie à d’immenses difficultés économiques et sociales. La malnutrition continue de toucher une grande partie de la population – environ 40%, selon l’historien et politologue Barthélémy Courmont, qui s’appuie sur les travaux de Camille Laporte. – L’aide au développement en Corée du Nord, sorti en 2012. Kim Jong-un apparaît comme un réformateur, tâchant de moderniser l’économie de son pays : s’appuyant sur la politique du byong jin, il compte développer le nucléaire et l’économie. Dans ce sens, force est de constater que la Corée du Nord de 2019 est loin d’être celle des années 90. Si les campagnes restent sous développées, concentrant la pauvreté, il a fait de Pyongyang une métropole des sciences et de la technologie, véritable laboratoire d’expérimentations économiques et sociales.

Bien sûr, le dirigeant de Corée du Nord n’abandonne pas ce qui constitue l’ADN de sa politique depuis Kim il-Sung : l’autosuffisance économique (charip), l’autonomie militaire (chawi), regroupées dans le chaju : la volonté claire d’une indépendance politique, accompagnée de l’égalité diplomatique et de l’intégrité territoriale. On aurait tort de sous-estimer la cohérence et la rationalité de la doctrine (juche) qui régit les actions politiques du régime nord-coréen. Kim Jong-un, hanté par une histoire qu’il croit faite uniquement d’agressions étrangères, voit dans le nucléaire le seul moyen de sanctuariser son pays et de prémunir sa population d’une invasion. Invasion américaine, bien sûr, mais aussi potentiellement chinoise, bourreau historique de la Corée, et voisin à bien des égards imposant pour la Corée du Nord : l’immensité de son territoire et son statut de puissance mondiale agissent comme de perpétuels avertissements pour les Coréens. Rognant chaque jour sur l’indépendance nord-coréenne, la Chine tente par ailleurs d’influer sur l’identité nord-coréenne ; c’est ce que laisse à penser Maurizio Riotto, professeur de langue et de littérature coréenne à l’université des études de Naples (La péninsule coréenne et son avenir, dans la revue Outre-terre) insistant notamment sur les manœuvres des milieux universitaires chinois qui, depuis les années 90, initient une mobilisation visant à délégitimer le passé de Koguryŏ, ancien royaume se trouvant dans une partie de l’actuelle Corée du Nord. Kim Jong-un se méfie de son voisin ; à cet égard, l’élimination du numéro 2 du régime Kim Jong-nam, proche de la Chine, est un lourd signal envoyé à Xi Jinping.

Dès les années 60, le régime de Corée du Nord tente de mettre la main sur l’arme nucléaire avec l’aide des soviétiques. Cette alliance se matérialise par un traité d’assistance mutuelle, et la livraison d’un premier réacteur nucléaire. S’ensuit une partie de cache-cache, au cours de laquelle la Corée du Nord n’a cherché qu’à gagner du temps. Si en 1985 elle signe le traité de non-prolifération nucléaire, elle refuse par la suite toute inspection. En 1993, après la découverte de plutonium, des pourparlers sont émis ; l’accord du KEDO fixe pour conditions l’abandon du programme nucléaire militaire et la livraison de réacteurs civils. Les années Bush compromettent l’application de ce traité : inscrivant la Corée du Nord dans l’axe du mal, George W. Bush se refuse à toute négociation. Les années 2002 et 2003 marquent un regain de tensions, avec le développement secret de l’enrichissement d’uranium et la reprise du programme nucléaire, ainsi qu’une nouvelle sortie du TNP. Cette menace du développement du nucléaire rend les relations entre les deux Corées conflictuelle, tout comme le gouffre qui sépare la nature des deux régimes. Ce dernier trait constitue d’ailleurs un élément constant de la stratégie de politique intérieure des deux gouvernements, cherchant par tous les moyens à se démarquer l’un de l’autre.

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La ville de Pyongyang. © Uri Tours

Les errements de la diplomatie

Parmi toutes les stratégies utilisées par le gouvernement américain, aucune n’a réellement fonctionné, ni pour faire tomber le régime nord-coréen, ni pour le pousser vers la voie de la dénucléarisation. Les sanctions, panacée devant faire tomber un régime sanguinaire, ont au contraire fourni une justification idéologique au gouvernement. Pire, comme le montre le rapport de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de septembre 2017 intitulé Le régime de sanctions à l’encontre de la Corée du Nord, elles ont contribué à l’apparition d’une famine dans les années 90, à l’origine de deux millions de morts.

Ces mêmes sanctions sont par ailleurs biens souvent contournées par le biais du bureau 39. Ce dernier, véritable colonne vertébrale du régime, agit comme une banque qui permet de financer le programme nucléaire. Il gère plusieurs milliers de sociétés qui opèrent à l’étranger, rapportant à lui seul la moitié du produit intérieur brut de la Corée du Nord. Il y aurait ainsi plus de 150 000 travailleurs à l’étranger, en Mongolie et en Russie. 75% de leur salaire serait confisqué par le régime.

La Corée du Nord adopte donc une stratégie souvent fine, qui lui permet d’arriver à ses fins. Pendant ce temps, les chancelleries du monde entier sont aux abois. Le comportement des présidents américains ne brille souvent pas par sa subtilité, donnant du grain à moudre à la propagande du régime. Bien avant Trump, Clinton avait menacé en juin 1994 la Corée du Nord de destruction, avant de provoquer des soldats nord-coréens dans la zone démilitarisée. Sur la question des relations avec la Corée du Nord, la France est alignée sur les États-Unis. Elle n’a toujours pas reconnu la Corée du Nord – elle est la seule dans l’Union européenne avec l’Estonie – et a voté les sanctions envers le régime des Kim. Dans le même temps, une centaine de pays ont reconnu le Nord, dont la Chine et la Thaïlande, et des délégations nord-coréennes siègent à l’ONU et à l’Unesco.

Des espoirs fragiles

L’histoire est parfois déconcertante et donne lieu à des scènes qui laissent poindre une lueur d’espoir. Les rencontres entre M.Trump, et M.Kim Jong-un, ou entre M.Kim Jong-un et M.Moon en 2018 sont de cet ordre. Le président américain s’affichait alors à Singapour le 12 juin, avec son homologue nord-coréen, avec un brin de sympathie, tandis que ce dernier évoquait la perspective d’une dénucléarisation de la péninsule. Une réussite diplomatique d’une rare ampleur pour le dirigeant nord-coréen, qui rencontrait un président américain pour la première fois de l’histoire du régime.

«  soulever la question du nucléaire pour les américains – lorsqu’on connaît les déterminants géopolitiques qui ont poussé le gouvernement du Nord à rechercher l’arme nucléaire, hanté par le spectre d’une invasion – ne constitue-t-il pas un prétexte, une volonté de ne pas négocier ? »

Enfin, l’opiniâtreté de M.Moon, le président de la Corée du Sud, allait à rebours de l’attitude de Mme Park, insistant sur l’unité du peuple Coréen, leur langue et leur culture commune. Dans une époque marquée par le primat de l’image, l’ancien conseiller des présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun a privilégié une mesure concrète : la possibilité d’une réouverture en 2019 de la liaison ferroviaire entre Pyongyang et Séoul, confirmée par la venue de délégations des deux Corées le mercredi 26 décembre 2018 à Kaesong, et l’ouverture d’un bureau des liaisons, le 14 septembre 2018, permettant de communiquer 24h sur 24 avec le Nord. M. Moon s’est aussi attelé à désamorcer le nationalisme coréen, à l’heure où il fait florès dans toute la région. Moon parvient à rétablir la confiance avec son voisin nord-coréen après des années tourmentées, symbolisées par l’attitude diplomatique du conservateur Lee Myung Bak, au pouvoir en 2008.

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La rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un en juin 2018. ©Dan Scavino Jr

La confédération, à défaut de la réunification ?

Depuis, aucune mesure concrète n’a été prise par le gouvernement des États-Unis ou de Corée du Nord, et leur relation reste marquée de la même acrimonie qui la caractérise depuis les années 50. Un nouveau sommet a eu lieu fin février 2019, au Viêt-Nam, entre les chefs d’États coréens et des États-Unis. Ces derniers y ont renouvelé la demande d’une dénucléarisation vérifiable de la Corée du Nord. Mais soulever la question du nucléaire, dans les circonstances que l’on sait – lorsqu’on connaît l’histoire traumatique de la Corée, les déterminants géopolitiques qui ont poussé le gouvernement du Nord à rechercher l’arme nucléaire, la psychologie des dirigeants, hantés par le spectre d’une invasion – ne constitue-t-il pas un prétexte, une volonté de ne pas négocier ? Une chose est certaine : la menace nord-coréenne permet à la première puissance du monde de rester militairement active en Corée du Sud. À l’heure ou la Chine connaît une expansion sans commune mesure, la Corée du Nord est un alibi qui permet aux États-Unis de justifier leur entreprise de militarisation de la région. Chez les théoriciens néoconservateurs, on se prépare à la guerre : « nous irons à la guerre dans la mer de Chine méridionale d’ici cinq à dix ans. […] Il n’y a aucun doute là-dessus », déclarait Steve Bannon au Guardian en 2016. Une dénucléarisation que le régime nord-coréen, à n’en pas douter, n’acceptera de toutes manières jamais.

Quant à la réunification politique, elle est une chimère qui hante la péninsule, et qui n’a pas fini de faire rêver la vieille génération coréenne – la jeunesse y étant plus indifférente. Les grands – Chine, États-Unis, Russie, Japon – mus par la realpolitik, s’en méfient fortement, eu égard aux précieux intérêts géostratégiques qu’ils protègent dans cette région. Les différences culturelles et linguistiques s’accroissent jour après jour entre les deux Corées, ne facilitant pas l’hypothèse d’une réunification. Et pourtant, une identité proprement coréenne survit, au Nord comme au Sud.

Aujourd’hui plus que jamais, à défaut d’une réunification, l’idée d’une confédération fait son chemin. Déjà évoquée lors du sommet inter-coréen de juin 2000, elle serait une aubaine pour la Corée du Sud qui profiterait d’une main d’œuvre disciplinée et formée, et d’une population souhaitant plus que jamais consommer. Fortune aussi pour le Nord également ? à condition que cette confédération ne soit pas mise en place d’une manière qui donnerait au Sud de profiter de l’asymétrie en termes de développement des deux Corées. La baleine et la crevette, dit le proverbe coréen. Et si les Corées en venaient à donner du grain à moudre à la Chine et aux États-Unis ? Au Nord comme au Sud, on s’agace de la place croissante d’alliés encombrants, comme l’illustrent les vives critiques contre le déploiement du Terminal high altitude area defense (Thaad), le bouclier antimissile américainla présence américaine demeurant très contestée au Sud, depuis le départ. Cela constituerait un renversement spectaculaire de la situation – à condition que les antagonismes extra-péninsulaires l’emportent sur l’antagonisme intra-coréen.

L’avenir de l’éolien français n’est-il que du vent ?

Wikipedia

Coup sur coup, la France vient de voir plusieurs projets autour de l’énergie éolienne se développer sur son territoire. Siemens-Gamesa va déposer un permis de construire pour la production d’éoliennes en mer au Havre tandis que la Commission européenne a autorisé la création de fermes éoliennes au large de Belle-Île et de Groix dans le Morbihan ainsi que trois autres fermes en Méditerranée. Total, de son côté, s’est lancée avec deux partenaires étrangers dans la bataille de l’appel d’offres lancé par l’État pour le parc éolien au large de Dunkerque. Face à la major du pétrole, les français EDF et Engie, l’anglo-néerlandais Shell et le suédois Vattenfall sont sur les rangs pour une décision au courant de l’année 2019. Ce développement des projets tous azimuts marque-t-il enfin l’avènement de cette énergie renouvelable dans une France encore très dépendante de la filière nucléaire ?


Lors de la présentation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) le 27 novembre 2018, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « Nous concentrons nos efforts sur le développement des énergies renouvelables les plus compétitives. Et parce que nous veillons au pouvoir d’achat des Français, nous serons exigeants avec les professionnels sur la baisse des coûts ». Ce volontarisme, également exprimé par François de Rugy, le ministre de la Transition écologique et solidaire, se montre avec l’engagement du gouvernement à ce que le premier parc éolien en mer, porté par EDF Énergies Nouvelles au large de Saint-Nazaire, soit mis en service durant le quinquennat. « La montée en puissance des énergies renouvelables en France est inéluctable » a répété M. Macron.

On entend de plus en plus parler d’énergies renouvelables (ENR) sans que pour autant on sache toujours bien les définir. Les ENR correspondent aux énergies qui sont produites par des ressources primaires inépuisables, à savoir le vent, l’eau et l’ensoleillement. En France, en 2017, 16,7% de la production totale de l’énergie provenait des énergies renouvelables contre 71,6% pour le nucléaire et 10,3% par des moyens thermiques que sont les hydrocarbures et le charbon. L’éolien a participé à 4,5% de la production totale de l’énergie en France en 2017, ce qui en fait le quatrième producteur européen. Une marge reste cependant, puisque selon l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le territoire français est le deuxième producteur européen potentiel derrière le Royaume-Uni mais devant l’Allemagne, l’Espagne ou le Danemark.

Une énergie renouvelable par le soleil et le vent

Contrairement à la croyance populaire, l’énergie éolienne provient d’abord de l’énergie solaire qui créée les vents par les différences de température et pression qu’elle entraîne à la surface de la Terre. La force de Coriolis, énergie cinétique de la Terre qui tourne sur elle-même, actionne aussi des vents. On estime de 1 à 2% la part de l’énergie solaire convertie en énergie éolienne de manière naturelle. Généralement, toutefois, l’énergie éolienne utilise la force du vent qui est renouvelable et inépuisable. Les éoliennes peuvent être terrestres, comme on le voit dans les Hauts-de-France ou dans le Grand-Est – 57% de la production totale en France – mais également offshore, sur la mer comme au Danemark.

Une éolienne présente l’avantage de fonctionner et produire de l’électricité en moyenne 90 % du temps.

Une éolienne produit donc de l’électricité grâce au vent qui met en mouvement un rotor, permettant sa transformation en énergie. La vitesse de rotation entraînée par le mouvement des pales est accélérée par un multiplicateur. Cette énergie mécanique est ensuite transmise au générateur. Un transformateur situé à l’intérieur du mât élève la tension du courant électrique produit par l’alternateur, pour qu’il puisse être transporté dans les lignes à moyenne tension du réseau électrique. Un parc éolien est constitué de plusieurs éoliennes espacées de plusieurs centaines de mètres et connectées entre elles par un réseau interne souterrain et raccordées au réseau public. Pour pouvoir démarrer, une éolienne nécessite une vitesse de vent minimale d’environ 10 à 15 km/h. Pour des questions de sécurité, l’éolienne s’arrête automatiquement de fonctionner lorsque le vent dépasse 90 km/h. La vitesse optimale est de 50 km/h.

Même si elle ne fonctionne pas en permanence à pleine puissance, une éolienne fonctionne et produit de l’électricité en moyenne 90% du temps. En pratique, une éolienne produit quatre fois plus d’énergie si la pale est deux fois plus grande et huit fois plus si la vitesse du vent double. La densité de l’air entre également en jeu : une éolienne produit 3% de plus d’électricité si, pour une même vitesse de vent, l’air est plus froid de 10°C. La puissance éolienne dépend ainsi principalement de l’intensité du vent et de ses variations.

L’avantage de l’énergie éolienne est qu’elle est donc renouvelable mais également décarbonnée en phase d’exploitation. Les terrains où les éoliennes sont installées restent toujours exploitables pour les activités industrielles et agricoles. Implantées localement, les éoliennes peuvent permettre de répondre à des besoins électriques de masse comme à des besoins domestiques limités.

De nombreux détracteurs du développement de l’éolien

Les détracteurs de l’éolien, nombreux en France, continuent de souligner que cette énergie dépend de la puissance et de la régularité du vent, que c’est une source d’énergie intermittente, que les zones de développement sont limitées et qu’elles peuvent susciter des conflits d’usages d’ordre environnemental comme les nuisances visuelles et sonores. Ces conflits sont d’ailleurs la cause principale des nombreux recours lancés contre les projets éoliens terrestres – 50% des projets attaqués entre 2012 et 2014 avec un retard de 3 à 5 ans, tout comme l’éolien en mer où les pécheurs se mobilisent en Normandie à Courseulles-sur-Mer, avec succès auprès de la population, contre des projets offshores en mer.

Les projets de parcs éoliens en France ont été pour moitié attaqués en justice entre 2012 et 2014.

La critique récurrente concerne l’impact sur la protection de la nature, la question des nuisances sonores mais également l’intégration des éoliennes dans le paysage. S’agissant de la nature et de la faune, les oiseaux et les chauves-souris sont les animaux les plus sensibles à l’implantation d’éoliennes. Selon une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de juin 2017, le taux de mortalité des oiseaux varie en fonction de la configuration du parc – entre 0,3 et 18,3 individus par an et par éolienne. Les facteurs déterminants de cette mortalité sont la proximité avec les zones de protection spéciales (ZPS, qui font partie du réseau Natura 2000) et la sensibilité des migrateurs nocturnes à la présence d’éoliennes. Pour comprendre et réduire au maximum ces impacts, la LPO, les professionnels du secteur et des organismes publics comme l’ADEME œuvrent à travers la réalisation d’études sur le sujet et la prévention auprès des développeurs de projet.

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Parc éolien offshore © Alan O’Neill

En mer, les travaux d’installation des éoliennes (forage, battage de pieux, etc.) émettent des sons qui peuvent perturber la faune marine. Cela peut occasionner de réels problèmes car les mammifères marins s’orientent grâce à des échos sonores. Une autre approche consiste à imposer un contrôle pour qu’aucun mammifère ne pénètre dans la zone de travaux. Si cela arrive, les travaux sont alors interrompus temporairement. Il faut noter toutefois qu’il existe en mer des opérations plus bruyantes que l’installation d’éoliennes, comme les relevés sismiques sous-marins, le passage de navires commerciaux ou les essais sonar de la marine. Ces différentes activités ne sont pas régulées de la même façon, voire pas régulées du tout.

Sur terre, les émissions sonores des éoliennes sont très réglementées et les plaintes des riverains sont rares. L’acoustique des sites éoliens est réglementée par la réglementation ICPE ou Installation classée pour la protection de l’environnement, applicable depuis le 1er janvier 2012 à l’ensemble des parcs français. Les textes fixent en effet un seuil de niveau ambiant à 35 décibels (dB) dans les zones à émergences réglementées, ainsi que les valeurs maximales admissibles lorsque ce seuil est dépassé. Ces valeurs sont de 5 dB le jour et de 3 dB la nuit – entre 22 h et 7 h du matin. Cela signifie que lorsque le niveau de bruit ambiant dépasse 35 dB, la différence entre le bruit résiduel et le bruit ambiant ne doit pas dépasser 5 dB supplémentaires la journée et 3 dB la nuit. Si le niveau de bruit ambiant est inférieur à 35 dB, la mesure ne s’applique pas.

L’Anses (Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) renforce le dispositif de sûreté en préconisant trois mesures : « renforcer l’information des riverains lors de l’implantation de parcs éoliens ; systématiser les contrôles des émissions sonores des éoliennes avant et après leur mise en service et poursuivre les recherches sur les relations entre santé et expositions aux infrasons et basses fréquences sonores ». Un rapport de mars 2017 de l’autorité tend à rassurer puisque, selon l’Anses, « aucun dépassement n’a été attesté pour les seuils d’audibilité dans les domaines des infrasons et des basses fréquences » sur les parcs éoliens existants en France depuis le début des années 2000. L’autorité ajoute : « Les connaissances actuelles ne justifient ni de modifier les valeurs d’exposition au bruit existantes, ni d’introduire des limites spécifiques aux infrasons et basses fréquences sonores ».

Leurs détracteurs estiment que les éoliennes participent à la défiguration du paysage sur terre et en mer.

La dernière critique importante, si ce n’est peut-être la plus répandue, concerne l’intégration dans le paysage des éoliennes. Précisons d’emblée que l’esthétique et l’intégration des éoliennes dans le paysage sont des questions subjectives qui divisent l’opinion où revient la question du NimbyNot in my backyard ou « Pas dans mon arrière-cour ». En France, la réglementation est parmi l’une des plus strictes d’Europe. Ainsi, les lois Grenelle de 2009 et 2010 ont notamment prévu des permis de construire obligatoires pour les éoliennes de plus de 12 mètres, une enquête publique pour celles de plus de 50 mètres, un minimum de 5 éoliennes par parc, une étude d’impact, l’installation des éoliennes de plus de 50 mètres à plus de 500 mètres des zones d’habitation. Les parcs doivent également se situer dans des zones favorables déterminées par des schémas régionaux éoliens. Ces schémas prennent en compte la protection des paysages, des monuments historiques ainsi que des sites remarquables ou protégés, situés à proximité des éoliennes. Les développeurs de projets éoliens font parfois appel à des paysagistes pour déterminer la meilleure implantation, en concertation avec les riverains. En 2015, la fédération d’industriels France Énergie Éolienne (FEE) a commandé une consultation au cabinet d’études CSA auprès de riverains de parcs éoliens en France. L’échantillon a porté sur 508 personnes, représentatives de la population française, résidant dans une commune située à moins de 1 000 mètres d’un parc éolien. Avant la réalisation du parc, les riverains étaient partagés entre indifférence et confiance à l’égard de cette implantation près de chez eux. Ils disent avoir manqué d’informations sur le projet (seuls 38% des habitants disent avoir reçu l’information nécessaire avant la construction du parc éolien). En revanche, une fois les éoliennes implantées et en fonctionnement les avis changent et sont plus positifs.

Paradoxalement, un problème plus durable n’est guère évoqué en amont. Une éolienne a une existence de vie d’environ vingt ans. On parle ici du cycle de vie de l’éolienne. Or, le démantèlement de la partie aérienne d’une éolienne coûte environ 30 000 euros par MW de puissance installée, soit 60 000 euros pour une éolienne de 2 MW. La plupart des exploitants, notamment les municipalités, seraient mal préparés à financer ce démantèlement. Une solution serait de vendre ces équipements à l’étranger pour récupérer le coût des travaux. Certains pays, notamment la Russie et divers États d’Europe de l’Est et du Maghreb rachètent de vieilles éoliennes pour leurs propres besoins. Mais le marché demeure limité et des problèmes environnementaux se posent dans ces pays si le démantèlement est mal réalisé.

Renouvelable mais non recyclable à la fin de sa vie

Même si le financement du démantèlement peut être assuré à terme, que faire de tous les matériaux récupérés ? Les parties métalliques, en acier ou en cuivre, se recyclent aisément. Mais il n’en va pas de même des pales, habituellement composées d’un mélange de fibre de verre et de fibre de carbone, liées à l’aide de résine de polyester. On ne sait pas séparer et recycler ces matériaux, qui pourraient s’accumuler au rythme de 16 000 tonnes par année à partir de 2021. Même leur combustion est à exclure, car les résidus obstruent les filtres des incinérateurs.

La question des socles de béton est aussi problématique. Dans le cas d’une grande éolienne, ils peuvent faire jusqu’à 20 mètres de profondeur et représenter 3 000 tonnes de béton armé. Leur présence est un enjeu environnemental, car l’obstacle qu’ils forment permet souvent à plusieurs niveaux de la nappe phréatique, normalement séparés, de se mélanger. En Allemagne, le droit du bâtiment prévoit leur démolition complète. Mais cela serait rarement le cas en réalité, en raison des coûts de centaines de milliers d’euros liés à cette mesure. Une pratique plus courante, et officiellement tolérée, serait de les démanteler sur les deux ou trois premiers mètres, voire sur un seul, puis de les recouvrir de terre. Nous ne parlons pas là du bilan carbone du béton, responsable de quelques 5% des émissions de GES au niveau mondial. En somme, les éoliennes vieillissantes sont un nouvel enjeu, qui pose des problèmes de gestion du mix électrique, de finances et d’utilisation des matériaux récupérés. Il faudrait sans doute songer à forcer les exploitants à mieux provisionner la fin de vie de leur produit.

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Construction d’un parc éolien ©Pxhere

Sébastien Lecornu a rendu les conclusions du groupe de travail sur l’énergie éolienne installé en octobre dernier le 18 janvier 2019, et a suggéré cette disposition. Le secrétaire d’État à la Transition écologique a présenté dix propositions « pour accélérer la concrétisation des projets et améliorer leur acceptabilité au niveau local ». Avec ces mesures, le gouvernement entend donner aux porteurs de projets les moyens de diviser par deux le délai de construction des parcs d’éoliennes terrestres. Celui-ci est actuellement de sept à neuf ans, explique le ministère. Cette accélération doit servir « l’ambition de doubler la capacité de production issue de l’éolien terrestre entre 2016 et 2023 ». Le secrétaire d’État précise que « les mesures dévoilées aujourd’hui sont le fruit d’un consensus entre tous les acteurs impliqués dans le secteur éolien », ce que n’ont pas manqué de souligner France Énergie Éolienne et le Syndicat des énergies renouvelables qui ont « salué » les mesures prises.

L’énergie éolienne ne cesse d’être de plus en plus compétitive.

L’éolien ne présente, dès lors, pas forcément d’obstacles rationnels à son développement comparé à d’autres production d’énergie. L’énergie éolienne présente l’avantage d’être parmi l’une des plus compétitives – 66 € le MWh et devrait atteindre d’ici 2028 55 € le MWh, contre 59,8 € le MWh pour le nucléaire en 2013 d’après un rapport de la Cour des comptes. Le mégawatt (MW) correspond à un million de watts. Le watt est l’unité internationale de mesure de la puissance et le mégawatt est fréquemment utilisé en production électrique.

Un rapport coûts-avantages favorable à l’éolien

En matière économique, les chiffres de l’Observatoire de l’éolien de France Énergie Éolienne indiquent qu’au 31 décembre 2016, la filière éolienne comptait 800 sociétés actives dans le secteur et 15 870 emplois sur le territoire français. C’est une augmentation de 9,6 % de l’emploi dans le secteur par rapport à 2015, soit 1400 emplois créés par rapport à 2014. L’augmentation de l’emploi dans le secteur éolien représente 26,8% et plus de 3 300 emplois créés. De plus, le marché de l’éolien a pesé en 2016 pour 4,5 milliards d’euros. Cette augmentation va de pair avec la croissance du parc éolien prévu par la loi de Transition énergétique pour une croissance verte ou loi Royal adoptée en août 2015 et réaffirmée par la PPE puisqu’il existe 1653 installations au 31 décembre 2017 et qu’il est prévu de passer en 2023 entre 21 800 et 26 000 MW ; jusqu’à atteindre un parc de 14 200 à 15 500 éoliennes en 2028 avec une production moyenne de 35 000 MW – ou 35 GW.

Les éoliennes produisent en moyenne trois fois moins de CO2 que le photovoltaïque et autant que le nucléaire en phase d’exploitation.

Pour donner un ordre de grandeur, en France, une éolienne de 2 MW permet en moyenne d’alimenter en électricité environ 900 foyers. En comparaison, un réacteur nucléaire français a une puissance installée comprise entre 900 MW et 1450 MW. Précisons toutefois que cette comparaison à une limite car il est important de noter qu’un MW de puissance éolienne installée produit moins d’électricité qu’un MW installé dans une centrale nucléaire. De fait, une éolienne ne fonctionne que si le vent est assez fort.

Une énergie parmi l’une des plus décarbonées

Le dernier argument qui pourrait convaincre les plus sceptiques est l’impact environnemental que représente l’énergie éolienne. Les éoliennes émettent environ 12,7 d’équivalent CO2 selon l’ADEME pour produire un kWh électrique ce qui en fait l’une des énergies les plus décarbonées avec l’hydroélectricité et… le nucléaire. Cet impact environnemental moindre par rapport à d’autres énergies renouvelables comme le photovoltaïque ne semble toutefois pas convaincre le gouvernement d’afficher une ambition plus forte en la matière pour produire plus durablement de l’électricité. Ce dernier, avec la PPE, s’est certes engagé à ce que le mix énergétique voit la part du nucléaire passer de 70% à 50%, et à la progression de 16% à 40% de la part des énergies renouvelables. Néanmoins, beaucoup d’associations environnementalistes ont souligné que le gouvernement n’allait pas assez loin et restait trop en faveur de la trajectoire prévue par EDF, numéro un mondial de l’électricité.

Un réel changement de trajectoire qui reste à prouver

L’État lui aussi souhaite-t-il réellement changer de trajectoire ? Le jeudi 28 février 2019, l’ensemble des élus de Normandie, que ce soit Hervé Morin, le président du Conseil régional ou encore le député communiste Sébastien Jumel ont encouragé lors du salon Nucléopolis à Caen le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy – qui vient d’être reconduit à son poste pour quatre ans supplémentaires par le gouvernement français et Emmanuel Macron – à pousser pour la création de deux réacteurs EPR à Penly. La décision appartient à l’État, qui tranchera en faveur ou contre ce projet en 2021. On serait tenté de penser que l’État, qui détient encore 83% du capital de l’entreprise, pourrait appuyer ce projet si l’EPR de Flamanville se révèle être finalement un succès après sa probable mise en service en 2020.

https://ifpnews.com/coverage/french-president-hails-irans-role-fighting-terror-mideast/
Emmanuel Macron ©IFP

EDF a, de son côté, pris depuis longtemps la trajectoire des énergies renouvelables en devançant l’État via sa filiale EDF Énergies Nouvelles où le développement de l’éolien en France et d’une manière générale des ENR est l’une des stratégies opérées par le groupe pour diversifier son mix de production énergétique, actuellement très dépendant de la filière nucléaire.

Si certains élus ont tendance à encore concevoir le rôle du nucléaire comme prépondérant pour assurer l’indépendance énergétique de la France, le grand débat national peut peut-être également remettre en question certaines trajectoires prévues par la PPE. Le 25 janvier 2019, la PPE a été présentée dans son intégralité et est en cours de discussion avec les agences environnementales dans l’attente du décret d’application. Or, les réminiscences liées à la taxe carbone ou à l’augmentation du tarif de l’électricité de 6% au printemps prévue par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourraient remettre en question certains axes prévus par la PPE. Déjà, la fermeture des centrales thermiques à charbon prévue pour 2022 ne semble plus à l’ordre du jour. Ces considérations conjoncturelles ne doivent pourtant pas oublier l’urgence structurelle de modifier en profondeur nos moyens de production d’énergie en France. L’éolien, en tant qu’énergie renouvelable ne doit être sacrifié à l’autel de logiques économiques d’arrière-garde. Gageons qu’en la matière, le « Make out planet great again » d’Emmanuel Macron ne soit pas du vent.

Veillée d’armes au Cachemire

Narendra Modi © India Times

14 février 2019, un camion rempli d’explosifs tue 49 paramilitaires indiens dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde. Très vite, l’attentat est revendiqué par Jaish-e-Mohammed, dont le chef, Masood Azhar, opère en toute quiétude depuis le Pakistan. L’Inde réagit coup pour coup. Le 26 février, un raid de 12 Mirage 2000 cible un centre d’entraînement djihadiste situé au-delà de la frontière indo-pakistanaise. 350 terroristes sont neutralisés. Dès lors, cet attentat agit comme un révélateur du jeu géopolitique qui met aux prises les grandes puissances mondiales dans la région. Récit. 


Rapidement, les premières mesures de rétorsion sont prises par l’Inde, qui assure détenir « des preuves irréfutables » de la complicité pakistanaise dans l’attentat. Le Pakistan perd son statut de nation la plus favorisée et les droits de douane indiens augmentent de 20% pour Islamabad. La machine diplomatique indienne se met en ordre de marche pour cibler la République islamique et l’isoler sur le plan international. Les Etats-Unis, quant à eux, demandent au Pakistan de « cesser immédiatement de soutenir et de prêter refuge à tous les mouvements terroristes actifs sur son sol ».

Puis viennent les représailles militaires. Comme en 2016, lorsqu’une attaque terroriste avait fait 18 morts dans un camp militaire indien, le Premier Ministre, Narendra Modi, envoie les Mirage 2000 cibler les camps d’entraînement des groupes terroristes qui opèrent depuis le Pakistan. L’Inde se prépare à la réponse du Pakistan. La surveillance à la frontière est renforcée. Médias et réseaux sociaux laissent paraître un soutien unanime des Indiens, à travers le mot-dièse #Indiastrikesback.

Pendant ce temps, la traque s’organise. Le 17 février, 23 hommes soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat sont arrêtés. Le lendemain, deux terroristes présumés sont abattus par l’armée indienne, dans un raid qui cause deux victimes civiles et 4 parmi les militaires indiens. Abdul Gazi, cerveau présumé de cette attaque, est éliminé par les forces de sécurité indienne. Ce dernier avait fait ses classes de terroriste islamiste auprès des Talibans en Afghanistan.

LE CACHEMIRE, ENJEU DE PUISSANCE POUR L’INDE ET LE PAKISTAN

Depuis 1947, attentats terroristes et guerres conventionnelles ont rythmé la vie des populations de la vallée du Cachemire. Toutes furent gagnées par l’Inde. Toutes donnent des frissons aux puissances de la région, eu égard au fait que les deux nations sont nucléarisées. Pourtant, depuis 1947, rien n’a changé, ou presque. L’Inde contrôle les deux tiers du Cachemire, tandis que le Pakistan administre le tiers restant. Dominé militairement, le Pakistan est régulièrement accusé de soutenir des groupes terroristes pour déstabiliser le seul état indien majoritairement musulman tandis que le gouvernement indien est accusé de remettre en cause les droits de l’homme et de laisser les mains libres aux forces armées indiennes pour maintenir l’ordre dans le Jammu et Cachemire.

En Inde, comme en Afghanistan, le Pakistan est accusé de financer des activités terroristes pour déstabiliser ses voisins. L’Inter-Services Intelligence, véritable État dans l’État, aurait pour rôle d’apporter un soutien logistique et financier aux groupes terroristes dans le Cachemire et en Afghanistan. Par ailleurs, le gouvernement pakistanais est accusé de tolérer l’existence de camps, ayant pour fonction d’assurer une base arrière et des centres d’entraînement pour les terroristes opérant ensuite en Afghanistan et dans la vallée du Cachemire.

Selon l’Inde, le Pakistan utilise donc les groupes terroristes qu’il protège et finance pour déstabiliser la partie du Cachemire administrée par l’Inde et remettre en cause la souveraineté indienne dans la région. A ce titre, le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammad est particulièrement actif. En septembre 2016 déjà, il a revendiqué l’assaut contre la caserne d’Uri, au cours duquel 18 militaires indiens perdirent la vie. Le même groupe est responsable de l’attentat du 14 février dernier.

Le Pakistan se défend de telles accusations. On doit d’ailleurs à la vérité de reconnaître que le Pakistan a entrepris, depuis l’arrivée au pouvoir de Nawaz Sharif, une lutte plus affirmée contre les groupes terroristes qui opèrent sur son territoire. Ici encore, le nouveau Premier Ministre pakistanais, Imran Khan, a déclaré : « Si vous avez des preuves fermes de l’implication de Pakistanais dans cet attentat, je peux vous assurer que j’ordonnerai une enquête contre eux. Car ces terroristes sont aussi les ennemis du Pakistan, ils agissent contre nos intérêts ».

Le groupe Jaish-e-Mohammad est effectivement interdit au Pakistan depuis 2002. Pourtant, le chef de ce groupe terroriste, Masood Azhar, y vit sans être inquiété par les autorités. Par ailleurs, sous la pression du Pakistan, la Chine a empêché l’inscription du chef djihadiste sur la liste noire des terroristes reconnus par l’ONU en 2017.

L’Inde, elle, a mis en place une législation d’exception pour lutter contre le terrorisme. A cet égard, l’Armed Forces (Special Powers) Act donne de larges pouvoirs aux forces armées pour neutraliser les terroristes mais également pour perquisitionner et détenir qui que ce soit dans la région. Les associations de défense des droits de l’homme ciblent cette législation comme étant responsable de viols des droits humains dans la vallée du Cachemire.

La population du Jammu et Cachemire, seul Etat indien majoritairement musulman, est donc prise en tenaille entre un gouvernement pakistanais qui finance des groupes terroristes qui meurtrissent régulièrement l’Etat, et l’armée indienne qui recourt à une législation d’exception, lui donnant une grande liberté d’action pour maintenir l’ordre.

LE GRAND JEU DES PUISSANCES MONDIALES EN ASIE

L’avenir du monde se joue dans cette région stratégique, entre trois États-puissances : l’Inde, la Chine et les Etats-Unis.

D’un côté, le Pakistan, doté de l’arme nucléaire, joue de sa relation stratégique avec l’Arabie Saoudite et la Chine pour garantir sa sécurité et son développement économique. De l’autre l’Inde, nation nucléaire par ailleurs, jouit de sa supériorité militaire, du soutien de plus en plus affirmé des Etats-Unis et de sa position centrale dans la région pour dominer son dangereux voisin et contenir l’avancée de la Chine dans son pré carré, l’océan indien.

Islamabad noue donc des liens forts avec la Chine, qui prévoit d’investir 46 milliards de dollars dans la construction d’un corridor économique partant du Xinjiang chinois et allant jusqu’au port Pakistanais de Gwadar, de façon à garantir un accès au golfe persique, à la mer d’Arabie et à l’océan indien.

Le corridor économique sino-pakistanais.  ©Javedpk05

Cela lui permettrait d’ouvrir une route commerciale en direction de l’Asie centrale, du Moyen-orient et de l’Europe, sans passer par l’unique voie d’accès – jusqu’à présent -, le détroit de Malacca, aux abords duquel l’Inde a renforcé son contingent militaire par le biais de son implantation sur les îles Andaman et Nicobar.  En outre, une bretelle du corridor devrait rejoindre l’Afghanistan, dont les ressources minières intéressent la Chine.

Les deux pays ont également signé des programmes de coopération militaire notamment dans le domaine nucléaire, mais également pour ce qui concerne les avions de combat.

L’Afghanistan est une pièce centrale des enjeux d’influence dans la région : il donne accès aux ressources minières de l’Asie centrale. C’est la raison pour laquelle la Chine aimerait étendre le corridor sino-pakistanais en direction de l’Afghanistan. Or, un tel mouvement suppose une normalisation des relations afghano-pakistanaises, empêchée par le fait que le Pakistan constitue une base de repli et d’entraînement pour les Talibans. Les négociations entre Pakistanais et Afghans ont échoué sur un point : le Pakistan refuse que les factions djihadistes qui refusent de négocier avec Kaboul soient neutralisées. L’Inde, alliée historique de l’Afghanistan, continue de soutenir Kaboul. Elle compte s’appuyer sur le partenariat stratégique qu’elle a avec l’Iran, qui lui assure une partie de son approvisionnement en gaz et pétrole, pour moderniser le port de Chabahar. Ce dernier lui permettrait d’accéder à l’Afghanistan sans passer par le Pakistan, d’avoir un accès direct en Asie centrale et, par là même, de désenclaver son allié afghan. Par ailleurs, l’Inde a financé le nouveau parlement afghan. Elle livre également des hélicoptères de combat à l’armée afghane, ce qui lui permet de lutter plus efficacement contre les Talibans.

Avec l’Arabie Saoudite, la relation bât de l’aile. Le Pakistan a du mal à se positionner vis-à-vis de la politique d’affrontement frontal que l’Arabie Saoudite a engagé à l’égard de l’Iran. D’un côté, le Pakistan doit beaucoup à son allié sunnite : l’Arabie Saoudite fournit de larges liquidités pour permettre au Pakistan de financer son développement économique et ses écoles coraniques, la minorité pakistanaise qui sert de main d’oeuvre bon marché dans les pays du Golfe assure des transferts financiers importants vers le Pakistan, tandis que l’ancien Premier Ministre Pakistanais, Nawaz Sharif, a été libéré des geôles du général Musharraf grâce à l’aide saoudienne.

Cependant, le Pakistan se refuse à s’engager, de trop près, dans la politique anti-iranienne de l’Arabie Saoudite. Elle a refusé son soutien aux Saoudiens dans leur guerre anti-chiite au Yémen et exprime des réserves vis-à-vis de la coalition formée par Mohammed Ben Salman unissant 34 pays sunnites “contre le terrorisme”. Sharif avait même envisagé la finalisation du gazoduc Pakistan-Iran, avant que le gouvernement américain ne fasse preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis du régime des Mollahs et ne rétablisse les sanctions économiques.

Officiellement, cette réserve est liée à la volonté pakistanaise de ne pas diviser le monde musulman. Cependant, les fragilités intérieures de l’Etat pakistanais comptent, tout autant, dans cette position modérée.  En effet, les forces de sécurité pakistanaises ont fort à faire avec le groupe terroriste sunnite Lashkar-e-Jhangvi qui cible régulièrement la minorité chiite du pays.

De son côté, l’Inde cherche à se doter d’alliés et d’une puissance économique, géopolitique et militaire à même de contenir l’avancée de la Chine dans la région. En effet, la stratégie des nouvelles routes de la soie, mise en avant par la Chine, encourage l’Inde à s’affirmer comme une puissance régionale de premier plan. Les nouvelles routes de la soie, vaste projet d’établissement de routes commerciales alternatives, et contrôlées par la Chine, pour relier l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie du Sud-Est au géant asiatique passent par des territoires pakistanais revendiqués par l’Inde.

La stratégie du collier de perle, vaste réseau de bases militaires et de facilités portuaires mis en place par la Chine en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien, inquiète également l’Inde. L’énumération des facilités portuaires et militaires chinoises peut paraître inquiétante : base navale de Yulin (île d’Hainan); bases aériennes dans l’archipel des Parecels et Spratleys, annexés de fait par la Chine; construction d’un gazoduc et d’un oléoduc pour alimenter la Chine en gaz et pétrole birman; implantation dans le port de Gwadar (Pakistan), concession centenaire sur le port d’Hambantota (Sri Lanka), implantations dans le port bangladeshi de Chittagong et dans le port birman de Kyauk Phyu, ouverture de la première base militaire chinoise à l’étranger, au niveau de port de Djibouti. L’objectif de la Chine est assez clair : contrôler la Mer de Chine méridionale par laquelle passe la majorité de son approvisionnement en hydrocarbure, isoler l’Inde dans l’océan Indien et maîtriser les routes maritimes de la Mer de Chine méridionale jusqu’au détroit de Bab-el-Mandeb.

La Chine pousse également son avantage dans l’Himalaya, où elle a des contentieux avec l’Inde. Par conséquent, l’Inde renforce sa présence dans l’Himalaya à travers une modernisation de ses infrastructures et la création d’une force d’intervention de montagne armée de 40 000 soldats.

De son côté, l’Inde a renforcé ses capacités navales et d’aviation de combat à travers la commande de 36 rafales à la France et de 6 sous-marins de classe Scorpène à Naval Group. Malgré les mises en garde américaines, elle a également commandé les systèmes de défense sol-air S 400 au gouvernement russe. Elle tente par ailleurs de renforcer ses facilités portuaires à travers des accords avec les Seychelles et l’île Maurice, qui offrent des ports d’attache pour l’Indian Navy. L’Inde a enfin noué un partenariat stratégique avec la France, puissance asiatique qui s’ignore. L’Inde a désormais accès aux bases navales françaises dans l’océan Indien. La France bénéficie, en effet, d’une capacité de déploiement importante dans l’espace indo-pacifique à travers ses bases militaires à Djibouti, aux Emirats Arabes Unis, à Mayotte, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française. 25% de sa ZEE se situe dans l’Océan Indien et 67% de sa ZEE est située dans l’Océan Pacifique.

En outre, l’Inde bénéficie du soutien de plus en plus appuyé des Etats-Unis. Elle participe, notamment, au dialogue quadrilatéral de sécurité, réunissant les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, qui vient de commander 12 sous-marins de classe Barracuda à la France. Ces 4 nations souhaitent contenir l’avancée de la Chine en Mer de Chine méridionale et dans l’Océan Indien. Elles mettent en oeuvre des exercices militaires communs, tandis que l’OTAN met en place des opérations de promotion de la liberté de navigation. L’effet final recherché ? Le respect de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, régulièrement enfreinte par la Chine. Dans cette région, l’enjeu reste le contrôle des routes maritimes entre la Chine et ses alliés d’une part, et l’Inde, les Etats-Unis et leurs alliés d’autre part.

INDE – PAKISTAN : UNE COHABITATION IMPOSSIBLE ?

On ne peut considérer cette affrontement indo-pakistanais sans s’intéresser aux contextes politiques intérieurs de ces deux pays.

L’Inde, État laïc, est portée depuis quelques années par le souffle du nationalisme hindou. Le Premier Ministre Indien, Narendra Modi, en est l’expression.  Ce dernier est issu de la famille politique nationaliste hindoue, unie par l’idéologie Hindutva. Cette famille politique, à l’opposée des congressistes, considère que la Mata Bharat (Mère Inde) doit aboutir au Ram Rajya, société utopique hindoue, et voue aux gémonies les “anti-nationaux” qui considèrent que l’Inde est un creuset de civilisation, où l’Hindouisme a sa place au même titre que l’Islam. L’année 2019 est celle des élections générales pour l’Inde. Narendra Modi tente donc de s’affirmer comme un leader nationaliste, en opposition au Pakistan pour obtenir la faveur des électeurs indiens, comme en témoigne le soutien, presque unanime, qu’il a reçu après les frappes chirurgicales contre son voisin, matérialisé par le mot-dièse #IndiaStrikesBack.

De son côté, le gouvernement pakistanais est toujours prisonnier de l’influence des militaires et de l’idéologie constitutive de l’identité pakistanaise. La naissance du Pakistan provient de la volonté de la Ligue Musulmane de constituer un État musulman, par opposition au Parti du Congrès qui souhaitait une Inde rassemblée. La partition de l’Inde, en 1947, a donné lieu à la migration de 10 millions d’Indiens, les uns, musulmans, migrant vers le Pakistan, et les autres, hindous, se dirigeant vers l’Inde. Ces migrations ont donné lieu à de nombreuses émeutes communautaires et à des viols de masse.

Les militaires s’érigent en gardiens du temple. Jusqu’ici, ils refusent de céder quoi que ce soit sur la revendication d’un Cachemire pakistanais. Issu des milieux d’affaires, Nawaz Sharif avait tenté d’opérer un rapprochement, sans succès. Seule maigre consolation pour les partisans de la paix : l’accord de transport commercial entre l’Afghanistan et le Pakistan qui donne aux camions afghans le droit de rejoindre l’Inde, mais n’autorise pas le trajet retour, et, a fortiori, le trajet de camions indiens vers l’Afghanistan.

A l’heure où ces lignes sont écrites, la tension monte à la frontière indo-pakistanaise. La supériorité militaire indienne conduira probablement le Pakistan a éviter une guerre conventionnelle. Il n’en demeure pas moins que les deux pays sont embarqués dans des systèmes d’alliance et des intérêts géopolitiques radicalement opposés. A n’en pas douter, l’Asie constitue le champ où se jouera la bataille pour l’hégémonie mondiale.

Plan Climat : Ce que Hulot fait, Macron le défait

©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

#MakeFranceGreatAgain. Emmanuel Macron a lancé un vaste plan de communication suite à la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris. Habile façon de verdir son image. Mais à l’image de l’invitation incohérente de Trump au 14 juillet, après l’avoir raillé copieusement, pour l’environnement c’est “faites ce que je dis, pas ce je fais”. Une semaine seulement après sa capitulation face à l’Europe sur les perturbateurs endocriniens, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire vient de rendre public un Plan Climat – Horizon 2040. Ce Plan Climat « n’est pas une fin en soi », mais une « colonne vertébrale à laquelle on pourra ajouter des vertèbres ». Et il va falloir en ajouter plus d’une ! En clair, rien ne va (ou presque).

De belles intentions pour le climat

Ce plan climat annonce un cap pour la France de neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’une action européenne pour engager d’autres pays autour de cet objectif. Viser la neutralité carbone est plus ambitieux que la volonté de simplement diviser par quatre les émissions de Gaz à Effet de Serre. L’objectif annoncé est de « trouver un équilibre entre les émissions de GES de l’homme et la capacité des écosystèmes à les absorber ». Vaste programme, mais qui ne précise rien de sa mise en œuvre concrète. D’autant qu’il ne s’agira pas, sur ce principe, de remettre en question nos modes de consommation et de production, mais bien d’investir encore plus dans le système libéral de “compensation carbone”.

Dans cette droite ligne s’inscrit l’idée d’aligner le prix du diesel sur celui de l’essence. Nicolas Hulot vise à terme l’interdiction de la vente des voitures diesel et essence d’ici à 2040. Et entre temps on continue à polluer, c’est bien cela ? Interdire leur « vente » n’empêchera pas l’utilisation des 38 millions de véhicules qui fonctionnent pour une durée indéterminée qui ira bien au-delà de 2040. Et quelle quantité astronomique de métaux et terres rares pour renouveler le parc automobile faudra-t-il ? La solution n’est elle pas “moins de voitures” tout simplement ?

Les effets du changement climatique sont bien réels et l’urgence est vitale. Si l’on souhaite réellement freiner la crise écologique, c’est à l’ère exigeante du post-pétrole et du post-nucléaire qu’il faut passer de manière urgente et radicale. Le Plan Climat détaillé par N. Hulot ne fait pourtant aucunement mention concrète de la fermeture des centrales nucléaires. Il a a posteriori précisé ce lundi 10 juillet qu’il allait étudier la situation de 17 réacteurs. Est-ce que Monsieur Le Ministre a été mis au courant ? Et d’ajouter qu’il s’agit de “planifier” la transition, à juste titre, quand la France Insoumise faisait se dresser les barricades anti-soviétiques par ce terme il y a quelques mois à peine.

Le plan de développement des énergies renouvelables sera quant à lui présenté d’ici un an. Sont annoncées la fermeture des centrales à charbon, et  la sortie des hydrocarbures promises par Emmanuel Macron. Un projet de loi sera présenté à l’automne pour interdire les nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures, y compris les gaz et pétrole de schiste, ainsi que le non-renouvellement des concessions d’exploitation existantes. Les gisements d’énergies fossiles exploités aujourd’hui étant amenés à se tarir, « mécaniquement, en 2040, il en sera terminé » de la production d’hydrocarbures en France. Nous irons donc chercher les hydrocarbures ailleurs. Révolution écologique au-revoir.

Ce que l’on peut appeler simple feuille de route, prévoit également de travailler sur la thématique logement. Le gouvernement projette la rénovation d’ici à 2025 des 8 millions de passoires énergétiques. Le ministre a confirmé un financement de 4 milliards d’euros pour ce chantier. Les audits énergétiques obligatoires et payants dans le cadre du programme « Habiter mieux » pour les ménages modestes seront rendus gratuits.  Bon point décerné pour la décision de mise en place d’un « contrat de transition énergétique » pour les salariés des secteurs fragilisés par les politiques de la transition écologique. Mais reste à surveiller la qualité de cet accompagnement… Encore une fois, il s’agit, plutôt que de faire de belles promesses, de prendre le mal à la racine. Pas la peine de prétendre lutter contre la précarité énergétique et les effets de la transition énergétique sur l’emploi, si c’est pour démanteler en silence le code du travail.

Qui cachent une série de renoncements et d’échecs

Ce plan climat est un peu l’arbre qui cache la forêt… des renoncements. Une conférence de presse en grande pompe pourrait nous donner l’impression que ce gouvernement est écologiste. Mais il faut bien se garder de penser que ces belles promesses seront toutes réalisées. L’interdiction des nouvelles exploitations d’hydrocarbures et du non-renouvellement des permis en vigueur serait un grand pas. Mais cela signifie qu’il n’est pas question de remettre en cause les permis en cause. Ne nous fâchons pas avec les entreprises ! Pas touche donc aux 54 permis de recherche actifs et aux 130 demandes de permis de recherche (chiffres au 1er juillet 2015). Et depuis cette date, le Ministère de l’Intérieur ne communique d’ailleurs plus les chiffres…. Les intentions de réforme du code minier ont jusque ici échoué. Ainsi, pour l’heure, il est impossible de refuser des demandes de titres miniers en cas de conséquence grave pour l’environnement. Pire, l’actuel Président de la République a répété durant la campagne son intention de développer des mines responsables grâce à la refonte de ce code minier. Quoi de plus mensonger et absurde que des “mines responsables” ? De manière générale, la charte de l’environnement met sur le même plan l’intérêt environnemental et l’intérêt économique (notamment la question de l’emploi). On vous laisser deviner qui l’emporte le plus souvent.

Autre limite de l’action ministérielle, et qui a de quoi nous faire redescendre sur terre : les perturbateurs endocriniens.  Il y a quelques jours, le gouvernement avait accepté la définition au rabais des perturbateurs endocriniens imposée par la Commission Européenne compromise avec les lobbies industriels. Jusque-là, la France avait résisté en votant contre les 5 précédentes propositions de la Commission. Il a suffit d’un changement de pouvoir pour que les lobbies de l’industrie chimique aient raison des illusions naïves de Nicolas Hulot. Et de l’intérêt hypocrite du gouvernement actuel pour ces thématiques. A partir de maintenant, il faudrait redoubler d’effort pour prouver le niveau de risque de ces perturbateurs endocriniens, les exigences ayant été rehaussées. Ce qui, inévitablement, retardera, voir empêchera l’interdiction de nombreux produits contenant des perturbateurs endocriniens.

Énième recul malgré une promesse de campagne, la taxe sur les transactions financières européennes, promise par Emmanuel Macron. Le plan climat énoncé par N. Hulot fait l’impasse sur la solidarité climatique alors qu’elle est la clé de voûte de la lutte contre le réchauffement climatique. Selon la plateforme MakeFranceGreenAgain, une telle taxe pourrait rapporter 22 milliards d’euros chaque année. Ces financements considérables peuvent aider les pays les plus vulnérables à mener la bataille contre les changements climatiques. C’est donc un aspect incontournable pour maintenir la dynamique de l’accord de Paris à l’échelle internationale. Pourtant, lors du Conseil européen qui s’est tenu les 22 et 23 juin, M. Macron a opéré un nouveau revirement en remettant en question sa volonté de conclure cette taxe cet été, à cause du Brexit. Les lobbies financiers continuent de s’opposer à la taxation des transactions financières. Cette mesure est pourtant soutenue par une large partie de l’opinion publique. Au vu de son parcours, comment ne pas imaginer qu’Emmanuel Macron se fasse souffler les réponses à l’oreille par le monde obscur de la finance ?

Où sont les mesures concrètes ?

De nombreuses intentions restent vagues. Nicolas Hulot va convoquer courant juillet 2017 les “Etats-généraux de l’Agriculture et de l’alimentation”. Cinq axes seront discutés, entre autres les pratiques de consommation alimentaire et la réduction des quantités d’engrais. Mais aussi un plan d’action pour la protection des sols, la lutte contre leur artificialisation (bétonisation) et la souveraineté alimentaire. Nicolas Hulot prévoit également des « Assises de la mobilité » pour plancher sur l’enjeu majeur des transports. Il annonce par ailleurs un gel des grands projets tant que la loi Mobilité qui découlera des ces Assises ne sera pas adoptée. Cela ne signifie pas pour autant d’engagement immédiat sur l’arrêt des infrastructures routières et aéroportuaires nocives. D’autant que la Loi sur les cars Macron constitue un antécédent grave en matière de pollution et de non-sens écologique. Qui croire ? Le ministre de la transition écologique, a été interrogé sur le projet de méga-centre commercial et de loisirs Europacity. Ce projet prévoit la bétonisation de 300 hectares de terres agricoles très fertiles sur le triangle de Gonesse (Val-d’Oise). Nicolas Hulot à répondu que « cette gourmandise à artificialiser nos sols est incompatible avec nos objectifs. Nous devons garder en tête un objectif de zéro artificialisation nette des sols et cesser d’avoir la folie des grandeurs ». Discutons, discutons. L’on verra bien dans quelle mesure les lobbies de l’industrie agro-alimentaire et du BTP acquiesceront. Et qui de Nicolas Hulot ou bien d’Emmanuel Macron aura le dernier mot.

En clair, où sont les mesures concrètes face à l’urgence climatique ? Attac pointe le silence du texte sur les traités internationaux de libre-échange (Ceta, Tafta, Jefta), soutenus par Emmanuel Macron et son gouvernement. Ces traités vont pourtant à l’encontre de considérations écologiques, et sont les symboles même de la globalisation sauvage du monde. Souffler le chaud et le froid. Donner à croire qu’un semblant de démocratie réside en son sein en développant des argumentaires et des faits qui s’opposent. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Voilà bien des incohérences. Alors, ce gouvernement est-il réellement écologiste ? Sans doute, mais à la mode Macron : en même temps néolibéral « progressiste » et écologiste défenseur de la planète. Comment cela est-il possible ? Vous avez 4 heures.

Crédit photo : ©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

 

Ségolène Royal retarde (encore) la fermeture de Fessenheim

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© Florival fr 

Le mélodrame continue ! S.Royal vient de signer un décret actant la fermeture de la plus vieille centrale de France – implantée sur une faille sismique – lors de la mise en service de l’EPR de Flamanville, prévu au mieux en 2019 (rappelons que l’EPR devait être mis en service en …2012). Une décision dangereuse au vu des nombreux incidents et de l’état vétuste de la centrale. Son application au-delà du quinquennat ouvre d’ailleurs la possibilité pour la prochaine majorité d’abroger le décret. Retour sur l’histoire de l’une des (nombreuses) promesses non tenues par F.Hollande et le PS. 

Cela fait 5 ans que F.Hollande ballade les 2200 salariés liés directement ou indirectement au site. L’avenir des salariés de la région oscille en fonction des humeurs du monarque et de ralliements politiciens plus ou moins indignes. Une précarité qui ruine la vie des gens. Lors du débat d’entre-deux-tours, F.Hollande promet la fermeture de Fessenheim. En septembre 2012, il précise qu’elle fermera fin 2016, une promesse qu’il répète en 2013. En 2015, dans une interview au Parisien, il concède que la fermeture prendra plus de temps que prévu car la construction de l’EPR de Flamanville a pris du retard. En avril 2016, il assure que les discussions sont en cours entre l’Etat et EDF sans préciser de date. C’est finalement EDF qui emportera la décision en obtenant que la fermeture de la centrale soit liée à la mise en service de l’EPR, prévue à l’horizon 2019. Voilà un beau résumé du quinquennat : une politique de gribouille, conçue à  la petite semaine au détriment de la vie des salariés et de la sécurité nationale.

La plus vieille centrale de France installée sur une faille sismique 

Si ce n’est pas la seule qui pose problème, la centrale de Fessenheim est la plus inquiétante. C’est la plus vieille centrale de France : elle a été mise en service en 1978, il y a presque 40 ans. Or, comme le rappelle l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :  la fatigue mécanique, l’usure, la corrosion, le vieillissement thermique ou dû à l’irradiation risquent d’amoindrir peu à peu leurs performances, avec des conséquences sur la sûreté […] La poursuite de l’exploitation des 34 réacteurs de 900 MWe [ceux mis en service entre 1978 et 1988 ndlr] au-delà de 40 ans n’est pas acquise à ce jour.

https://www.actu-environnement.com/ae/news/centrale-fessenheim-france-risque-sismique-NKM-japon-12149.php4
Les centrales nucléaires françaises soumises à un risque sismique
© ASN et le ministère de l’Ecologie

Par ailleurs, les standards de sécurité de la centrale ne sont pas ceux des autres centrales, plus jeunes : « Par exemple, l’enceinte de confinement, destinée à empêcher les dégagements de matière radioactive dans l’environnement en cas d’accident grave, est constituée d’une seule paroi, alors qu’il y a normalement une double enveloppe », dénonce André Hatz, porte-parole de l’association Stop Fessenheim. Une étude commandée par le ministère de l’Environnement du Bade-Wurtemberg publiée en 2012 et mise à jour en 2015 montre que Fessenheim ne répond pas aux critères de sûreté allemands et que, si elle était implantée en Allemagne, elle serait fermée. Pour ne rien arranger à  l’affaire, la centrale est implantée sur une faille sismique et située en contrebas du canal d’Alsace, à 30 km de l’aéroport international de Bâle.

Des incidents réguliers 

Les rapports de l’ASN sont également très inquiétants. Selon ceux-ci, entre janvier 2014 et mars 2015, 18 pannes ou problèmes significatifs ont eu lieu. “ En 2015, une tuyauterie s’est rompue dans la salle des machines. Elle a été réactivée sans autorisation préalable de l’ASN, puis a cédé une seconde fois devant les inspecteurs du gendarme nucléaire, déversant 100 m3 d’eau et touchant les boitiers électriques” rappelle André Harz. Dans une lettre du 12 mars 2015, l’ASN dénonce un « manque de rigueur dans le processus de traitement des écarts et la prise en compte du retour d’expérience ». Charlotte Mijeon – du réseau Sortir du nucléaire ajoute : “ces incidents sont très inquiétants parce qu’ils sont souvent dus à une conjonction de facteurs, et révèlent une quantité de dysfonctionnements qui concernent non seulement le vieillissement des installations et leur mauvais entretien, mais aussi la désorganisation du personnel, la non-transmission de connaissances et la disparition de ce qu’EDF appelle la culture de sûreté”.  D’autant plus qu’EDF minimise les incidents. L’entreprise a-t-elle conscience du risque ou bien la culture du profit l’emporte-t-elle sur la “culture de sûreté”?

La menace est si sérieuse que l’ASN a fait fermer le second réacteur de la centrale en juin dernier. L’ASN a, par la suite, découvert des défauts dans la cuve de l’EPR (vous savez, ce qui doit remplacer la centrale de Fessenheim. Rassurant non ?). Areva a dû rouvrir ses archives, ce qui a permis à l’ASN d’y trouver des dossiers barrés différents de ceux remis à l’autorité, dont neuf dossiers concernent les réacteurs de Fessenheim. “Nous considérons qu’un seul dossier pose réellement problème dans cette centrale”, explique à Reporterre Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN. Il concerne l’un des générateurs de vapeur du réacteur n° 2. L’extrémité du lingot ayant servi à fabriquer une pièce, qui est par nature de moins bonne qualité, aurait dû être retirée à l’usine comme cela se fait habituellement. Cela n’a pas été le cas, ce qui entraîne des incertitudes concernant la résistance mécanique de l’équipement vis-à-vis du risque de rupture brutale. » L’entreprise doit prouver la fiabilité des équipements pour relancer le réacteur. Les dégâts sont si importants que l’on envisage une réouverture au plus tôt au 31 mars 2017.

L’EPR de Flamanville, une irresponsable fuite en avant vers le nucléaire 

Il y a donc urgence et au lieu de tergiverser, l’Etat devrait fermer la centrale et  proposer des solutions aux salariés dont le pays aura besoin pour démanteler la centrale et pour assurer le développement d’énergies renouvelables. L’Etat pourrait même en profiter pour sortir les travailleurs du nucléaire de la précarité, notamment ceux qui travaillent pour un sous-traitant.  Or, comme le précise le Président de département du Haut-Rhin , le délégué interministériel à la fermeture de Fessenheim ne l’a rencontré qu’une seule fois sans rien lui proposer en termes d’indemnisation des territoires et de reconversion des travailleurs (alors qu’EDF va récupérer plus de 400 millions auxquels s’ajoutera une part variable versable jusqu’en 2041 !).

Conditionner la fermeture de Fessenheim à la mise en service de l’EPR de Flamanville est une folie ! D’abord parce que le projet relève de la catastrophe industrielle. Initialement prévu pour 2012, l’EPR ne sera pas livré avant 2019. Son coût est passé de 3,4 milliards à 10 milliards d’euros ! Pour un projet similaire en Grande-Bretagne, le directeur financier d’EDF a démissionné. Dans un récent rapport, la Cour des Comptes a estimé que le grand carénage, c’est-à-dire la rénovation du parc nucléaire coûterait 100 milliards d’euros. Avec les dangers que le nucléaire comprend, il est plus judicieux d’engager la sortie du nucléaire en suivant la stratégie de l’association Négawatt qui a établi un scénario de sortie du nucléaire et de passage aux 100% d’énergies renouvelables à l’horizon 2050.

Sources : https://reporterre.net/Fessenheim-cinq-questions-sur-un-projet-de-fermeture

https://reporterre.net/EDF-accepte-l-indemnisation-de-l-Etat-pour-fermer-Fessenheim-Les-elus-locaux

Crédits:

© Florival fr https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2010_06_04_Centrale_nucléaire_de_Fessenheim2.jpg 

© ASN et le ministère de l’Ecologie https://www.actu-environnement.com/ae/news/centrale-fessenheim-france-risque-sismique-NKM-japon-12149.php4

 

Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

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Montage par ©GuillaumeTC

Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

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