L’Australie part en fumée dans l’indifférence de ses gouvernants

Tourisme, croissance économique ininterrompue, faune et flore, viticulture, surf… l’Australie continue à bercer le monde tel un pays de Cocagne. La réalité, implacable, est celle d’un pays continent ravagé par les flammes, terrassé par les inondations et qui suffoque dorénavant toute l’année. Ce désastre écologique s’explique en grande partie par le réchauffement climatique. Pourtant, le gouvernement national-libéral de Scott Morrison regarde ailleurs, dans la perspective des élections fédérales prévues courant 2019 où ces derniers restent placés derrière les travaillistes.


L’été vient de se terminer en Australie, laissant place à l’automne austral. Un été interminable qui a vu le pays afficher les pires sécheresses de son histoire, atteindre les températures les plus hautes jamais enregistrées et être dévasté par des inondations et des feux de forêts qui ont ravagé ses cultures et son bétail. Tout a commencé en septembre 2018 avec un épisode de sécheresse caniculaire qui s’est prolongé en janvier. Il a été le mois le plus chaud de l’histoire du pays, avec une moyenne de température au-dessus de 30°C. Des villes comme Adélaïde ou Port Augusta ont vu le thermomètre monter jusqu’à 49,5°C à l’ombre alors qu’à Marble Bar, dans l’Ouest, le thermomètre avait déjà atteint 49,3°C fin décembre.

https://www.dailymail.co.uk/news/article-6662871/Townsville-floods-crocodiles-driveways-residents-roofs-20-000-homes-flooded-tornado-monsoon.html
Inondations à Tonwsville dans le Queensland © DailyMail.co.uk Capture / DR

Les pires inondations en Australie depuis un siècle

Dans l’État du Queensland, situé au Nord-Est du pays, d’immenses feux de brousse, pourtant légions en raison de la sécheresse habituelle dans la région, sont devenus indomptables et ont ravagé l’État, obligeant des milliers de personnes à abandonner leurs habitations. Mais cela n’a pas semblé suffire puisque des inondations terribles un mois après, de l’ordre de deux à trois mètres de précipitations, ont provoqué la mort de 300 000 à 500 000 bovins.

95% de leur cheptel ont été tués par les inondations, où les bovins, englués dans la boue, n’ont pu se nourrir à temps

D’après le syndicat des exploitants agricoles du Queensland, « le secteur va mettre des décennies à s’en remettre », avec des dégâts chiffrés à plus de un milliard de dollars australiens. Pourtant, Scott Morrison, le nouveau Premier ministre libéral australien depuis août 2018, a annoncé seulement 1 million de dollars en aide aux comtés touchés à ce stade. Après les inondations, les carcasses de bovins ont été découvertes dans les cheptels alors que les températures redevenaient très élevées. Pour certains fermiers, c’est 95% de leur cheptel qui ont été tués par les inondations, où les bovins, englués dans la boue, n’ont pu se nourrir à temps malgré le transport par hélicoptère de foin.

Pour Michael Guerin, représentant du syndicat des agriculteurs, il s’agit de la pire catastrophe qui soit arrivée dans le Queensland. L’armée australienne a même été obligée d’intervenir dans certaines zones de l’État alors que des crocodiles ont pris place dans les rues inondées de Townsville. Dans une tentative d’appel au calme et à la prudence, la Première ministre travailliste du Queensland Annastacia Palaszczuk a déclaré que « ce n’est pas un événement qui survient tous les 20 ans, c’est un événement qui survient tous les 100 ans ». Pourtant habitués à avoir 2000 millimètres de précipitations dans cette zone de moussons, les habitants ont constaté qu’il est tombé en quatre jours l’équivalent d’une année de pluie. Ils ont surnommé ce phénomène « Big Wet » ou grosse humidité.

https://www.news.com.au/finance/economy/australian-economy/floodaffected-farmers-witness-entire-cattle-herds-wiped-out-by-catastrophic-deluge/news-story/f49ee8b2d5ed0cca27283afb45bf9477
Bovins tués. Capture / DR

Comme si cela ne suffisait pas, des millions de poissons ont été retrouvés morts dans le Sud-Est du pays le long du bassin hydrographique de Murray-Darling en raison de leur asphyxie par une bactérie mangeuse d’algues. Ce bassin, très exploité pour la culture du coton, concentre 40% des besoins de toute l’agriculture australienne. La très mauvaise gestion de l’eau par les autorités locales et nationales – la rivière traversant plusieurs États – en serait davantage la cause que la sécheresse, qui est une conséquence supplémentaire. De nombreuses vidéos ont été tournées pour montrer l’ampleur du désastre, épargnant l’odeur, qualifiée de « puanteur insoutenable » par les locaux.

Les pires sécheresses de l’histoire du pays et un record de chaleur dans le Sud

https://www.buzzfeed.com/elfyscott/heres-why-a-million-fish-have-suddenly-died-in-an
Des millions de poissons tués par la bactérie mangeuse d’algues – fleuve Darling © BuzzFeed.News Capture / DR

Sur l’île de Tasmanie, une quarantaine d’incendies ont rasé pratiquement 190 000 hectares de forêts et de terres agricoles, soit l’équivalent de Paris, toute la petite couronne et le Val d’Oise réunis. D’un autre côté, les agriculteurs d’une partie des Nouvelles-Galles-du-Sud et de l’État de Victoria continuaient à se battre contre les immenses sécheresses de janvier. Dans le Sud-Est du pays, ce sont des milliers de chauve-souris et de chevaux sauvages qui ont été décimés par la sécheresse. Cette dernière a entraîné le déplacement massif des kangourous et des koalas vers les zones urbaines dans l’espoir de pouvoir s’abreuver.

Au début du mois de mars, ce sont dorénavant une dizaine de feux de forêts qui ont ravagé le sud de l’Australie. Les températures ne sont jamais réellement descendues, alors qu’est arrivé l’automne austral, puisqu’elles ont dépassé 40°C le premier week-end de mars. Le Bunyip State Park a été le plus touché en raison de la foudre qui a détruit plus de 6000 hectares en quelques heures malgré plus de 1000 pompiers mobilisés. Ces incendies ont provoqué, comme les inondations dans le Queensland, des déplacements de milliers de personnes hors de l’État de Victoria.

Le Premier ministre, ou ScotMo, comme le surnomment les Australiens, a imputé aux « conditions météorologiques » la cause de ces dévastations, se permettant de critiquer ceux qui tenteraient de politiser la question climatique comme le leader de l’opposition travailliste Bill Shorten. Il a toutefois considéré cette situation comme un « désastre écologique, un spectacle bouleversant » en parlant de la catastrophe de la rivière Darling.

Une prise de conscience tardive et limitée

Le développement de ces extrêmes climatiques est fortement corrélé au réchauffement climatique sur la planète. En Australie, les températures ont en moyenne augmenté de 1 degré ces 100 dernières années et la vague de chaleur de ce début 2019 semble n’être qu’un début. L’OCDE s’est alarmée de la situation puisque d’après l’Organisation, l’Australie n’atteindra pas son objectif de réduction des émissions de CO2 de 26% à 28% d’ici 2030 par rapport à 2005.

A la manière de la PPE en France, le gouvernement australien s’est doté de la NEG ou National energy guarantee. L’ancien Premier ministre, Malcom Turnbull, avait poussé pour qu’il y ait un rééquilibrage avec la réduction de la dépendance au charbon et le développement des énergies renouvelables tout en maintenant une croissance économique forte. Mais le gouvernement libéral a longtemps fait planer une éventuelle sortie de son pays de l’Accord de Paris après que Donald Trump l’ait fait pour les États-Unis. Scott Morrison ne s’est guère empressé de reprendre les objectifs affichés dans la NEG et a annoncé un plan de 1,26 milliards d’euros pour permettre aux agriculteurs et industries de moins dépendre des énergies fossiles, plan déjà jugé insuffisant par les associations environnementales et l’opposition.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/04/le-sud-de-l-australie-en-proie-a-de-violents-feux-de-foret_5431077_3244.html
Nuage de fumée pendant les incendies aux alentours de Melbourne © Le Monde Capture / DR

La question écologique est d’autant plus importante que d’après la Brookings Institution, l’Australie serait l’un des pays, avec ceux de l’OPEP, à voir son PIB reculer de 2% d’ici 2030 s’il respectait les engagements pris lors de la COP 21. Le pays verrait également une perte de 127 000 emplois et de 0,5% de la richesse des ménages. La très forte dépendance de l’Australie au charbon en tant que quatrième producteur mondial mais aussi premier exportateur mondial – 41,1 milliards d’euros -, et qui fournit 80% de l’électricité nationale, explique cette contraction du PIB, alors même que le charbon est responsable d’un tiers des émissions dans le pays. Toutefois, le rapport souligne qu’à long terme l’Australie a tout à gagner à rester dans les clous de l’Accord de Paris, les catastrophes climatiques pouvant avoir un coût encore supérieur.

L’augmentation de la préoccupation environnementale, liée aux catastrophes climatiques à répétition font peser un risque sur le gouvernement libéral de perdre les élections fédérales qui doivent avoir lieu dans le courant de l’année 2019. Les nationaux-libéraux ont en effet supprimé la taxe carbone mise en place par les travaillistes dès leur arrivée au pouvoir en 2013. L’Australie est en 2019 l’un des pays au monde qui émet le plus de CO2 par rapport à sa population totale.

Alors que le gouvernement actuel ne semble pas prendre la mesure de l’urgence, un juge du tribunal des affaires foncières et environnementales de Nouvelles-Galles-du-Sud a rejeté le projet de mine de charbon à ciel ouvert de Rocky Hill en raison du risque environnemental que faisait peser la mine. Le projet minier Carmichael est lui aussi attaqué. Les principales banques d’Australie ont également refusé de financer un projet de mine au large de la grande barrière de corail.

Paradoxalement, une autre mesure, saluée partout dans le monde, a suscité de nombreuses réserves au sein du gouvernement libéral-national, notamment celle du ministre des Ressources naturelles Matt Canavan et dans les milieux industriels économiques. Glencore, le géant suisse du minerai a décidé de ne plus augmenter sa production et d’arrêter l’achat d’entreprises dans le secteur. Enfin, la Chine, en représailles à la fermeture de la 5G par le gouvernement australien à Huawei et ZTE, a décidé de restreindre les arrivées de charbon en Chine, bien qu’elle ait indiqué que c’était dans une « volonté de protéger l’environnement ».

Les questions environnementales sont l’un des principaux enjeux pour les élections fédérales selon les Australiens.

Les excellents résultats économiques présentés par le Treasurer Josh Frydenberg – équivalent du ministre des Finances – pour l’année 2018 et les perspectives favorables de 2019, avec un taux de chômage à 5% et des baisses d’impôt ont été occultés progressivement par les questions environnementales pour les élections et ce d’autant plus que la croissance australienne a surtout été tirée par la hausse des matières premières, au premier chef le charbon.

L’immigration au cœur des préoccupations des nationaux-libéraux

La politique très ferme en matière migratoire conduite par Scott Morrison, plus à droite que son prédécesseur, qui consiste à renvoyer automatiquement les bateaux vers l’Indonésie, peut être le dernier moyen pour le gouvernement actuel de se maintenir aux élections. Lorsqu’il fut ministre de l’Immigration de 2013 à 2015, il avait appliqué une tolérance zéro avec l’opération Frontières souveraines. De plus en plus d’Australiens expriment ainsi un ressehttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Scott_Morrison_2014.jpgntiment envers l’arrivée des réfugiés lorsqu’ils ne sont pas placés dans des centres de rétention en Papouasie ou à Nauru, dans des conditions exécrables qui ont déjà valu à l’Australie de nombreuses condamnations par les ONG.

Cela ne sera toutefois peut-être pas suffisant pour Scott Morrison, chrétien évangélique hostile au mariage gay, légalisé l’an dernier, qui avait été nommé Premier ministre suite au putsch réussi contre Malcom Turnbull en août 2018. Ce dernier souhaitait en effet inscrire dans la loi un objectif de réduction des émissions. Mais le Parti travailliste n’est pas non plus exempt de critiques. Si Bill Shorten et son parti souhaitent que 50% de l’électricité produite soit faite à partir des énergies renouvelables d’ici 2030, ils persistent également, dans une bonne part pour des raisons électoralistes, à soutenir l’industrie minière. À croire qu’à terme, les responsables politiques australiens souhaitent gouverner un pays décimé de sa faune, de sa flore mais également de ses habitants qui ne pourront plus y vivre.


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