Oeufs contaminés : l’agrobusiness nous empoisonne !

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Sept pays européens sont (pour le moment) concernés par le scandale des œufs contaminés au Fipronil. Le 1er août 2017, l’organisme néerlandais chargé de la sécurité alimentaire et sanitaire a annoncé discrètement qu’une substance toxique a été détectée dans des œufs vendus à la consommation. Décryptage d’un nouveau scandale d’anthologie pour l’agrobusiness.  

Scandale estival sur les œufs

Peut-être comptaient-ils sur l’effet vacances pour étouffer le scandale dans l’œuf. Manque de chance, les associations et les médias relaient l’affaire. Après l’annonce néerlandaise, le ministère allemand de l’Agriculture confirme le 3 août, qu’au moins trois millions d’œufs contaminés ont été livrés et commercialisés en Allemagne. Le lendemain, la chaîne de supermarchés Aldi retire tous les œufs de ses 4 000 magasins implantés en Allemagne. En France, le ministère de l’Agriculture fait l’autruche et minimise les conséquences. Une enquête nationale est en cours chez et cinq entreprises ont été identifiées comme ayant importé des œufs contaminés. En France, d’après le ministère, “aucun œuf issu de cet élevage n’a été mis sur le marché”. Nous referait-on le coup de Tchernobyl et du nuage qui s’arrête à la frontière ? 

La vérité sur le Fipronil

Le pesticide en cause s’appelle le Fipronil. Les experts tombent d’accord sur sa faible toxicité, mais seulement sur les animaux à sang chaud (dont l’Homme) quand il est « présent dans l’enrobage de semences et utilisé dans de bonnes conditions ». On réalise à ce stade que l’on en ingère allègrement au quotidien, mais puisque l’on nous dit que tout va bien… Respirez.  Une controverse s’est pourtant développée dans les années 2000 quant à sa nocivité pour les abeilles et autres pollinisateurs. Depuis 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) considère qu’il présente “un risque aigu élevé” pour la survie des abeilles quand il est utilisé comme traitement des semences de maïs. Cette utilisation a donc été interdite en juillet 2013 par la Commission européenne. Si son usage est partiellement limité, il continue d’être utilisé comme insecticide, notamment contre les puces des animaux domestiques. Oui, c’est celui dont vous aspergez votre chat sous le nom-déposé « Frontline ». Utilisé également contre les termites, une étude réalisée en Inde a montré que le Fipronil persistait encore dans le sol 56 mois (oui, plus de quatre ans) après son application jusqu’à 30 cm de profondeur, et des résidus de Fipronil ont été retrouvés jusqu’à 60 cm de profondeur. Alors, rassurés ?

Cafouillage européen

Si l’affaire est révélée au grand public en août 2017, on réalise rapidement qu’elle couve depuis plusieurs mois. En Belgique, la première alerte est donnée à l’agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) le 2 juin, par un exploitant qui constate lui-même la présence de Fipronil dans ses œufs. L’Afsca lance une série de tests et d’investigations pour remonter à la source de la contamination. S’agit-il d’un problème d’alimentation ou d’un problème de traitement antiparasites ? Le lien avec une entreprise basée aux Pays-Bas est fait et la Belgique demande des comptes. La réponse n’arrive qu’un mois plus tard, le 13 juillet. Le gouvernement belge notifie ensuite la Commission européenne via un système d’alerte mis en place en cas de risque pour la santé des consommateurs le 20 juillet. Les Pays-Bas font de même le 26 juillet, et l’Allemagne le 31. Deux mois ont passé. Cerise sur le gâteau : le ministre belge de l’Agriculture annonce le 9 août que : “L’Afsca, […] s’est vue transmettre par hasard des informations internes, […] un rapport de l’agence néerlandaise (de la sécurité alimentaire) transmis à son ministre néerlandais […] qui fait état du constat de présence de Fipronil au niveau des œufs néerlandais dès la fin novembre 2016. » Le gouvernement néerlandais dément, les états se renvoient la responsabilité ; et vous réalisez que pendant tout ce temps vous vous êtes innocemment gavés de pâtes fraîches à la Carbonara et de crèmes aux œufs.

Le consommateur, dindon de la farce

Côté français, on nous apprend qu’un seul élevage est pour l’instant mis en cause, après avoir lui-même signalé l’utilisation du fameux Fipronil. Si les analyses qui y ont été menées se sont révélées positives, soyez bien sûrs qu’ « aucun œuf issu de cet élevage n’a été mis sur le marché », nous dit le ministère de l’Agriculture. Les expressions françaises sont nombreuses pour exprimer le fait que l’on nous prend pour des naïfs tout juste sortis de l’œuf.  Pour nous rassurer deux fois plus, le ministère s’engage même à ce que ces œufs soient « détruits ». Encore heureux, faut-il les remercier pour cela ?

Le ministère souligne par ailleurs que la toxicité de ce produit est « peu élevée », d’autant qu’il n’est présent qu’à l’état de traces, suivant les constats de l’OMS qui le juge “modérément toxique”. Peut-on faire confiance aux autorités quand on sait que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), sous-financée et dépendante de donateurs privés, avait fait l’objet de vives critiques suite à ses prises de positions sur le Glyphosate ? En mars 2015, le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) de l’OMS avait jugé le risque pour la santé humaine “probable” en cas de très forte exposition. Puis, le 16 mai 2016, estimait qu’il était “peu probable” que l’exposition alimentaire au Glyphosate soit cancérogène pour finalement classer le produit comme « cancérogène probable » en 2017. Ces hésitations n’ont par ailleurs pas empêché les deux agences européennes (celle des produits chimiques et celles de la sécurité des aliments) de considérer que le Glyphosate n’est ni cancérogène ni mutagène, ouvrant la porte à une nouvelle autorisation de commercialisation en Europe de celui-ci, et ce pour 10 années supplémentaires. Ces grandes agences et organismes ne sont-elles pas devenues les pantins des lobbyistes [1] de l’industrie agroalimentaire ?

Les ovoproduits : moins chers et plus pratiques

Le problème c’est le système dans son ensemble. A savoir la production intensive d’œufs consommés par millions en Europe sous toutes leurs formes. Ainsi que la multiplication des étapes de fabrication et d’intermédiaires : éleveurs, grossistes, casseries, usines diverses, grande distribution, etc. Notamment pour alimenter les besoins de la chaîne des ovoproduits, c’est-à-dire la base tous les produits transformés vendus dans nos rayons de supermarchés. Pâtisseries, glaces, plats cuisinés… Les ovoproduits sont partout. Chaque Français consomme ainsi en moyenne 216 œufs par an, dont 40% sous forme d’ovoproduits, d’après les chiffres du Conseil national pour la promotion de l’œuf. En 2013, quelque 290 000 tonnes d’ovoproduits ont étés fabriqués en France par une soixantaine d’industriels, selon France AgriMer. Et leur utilisation s’est fortement accrue ces dernières années. Pourquoi ? Car ils seraient bien plus simples d’utilisation pour les professionnels. Meilleur stockage et une conservation plus longue des produits, quoi de plus merveilleux pour la grande distribution !

Par ailleurs, on peut se demander pourquoi acheter des œufs dans d’autres pays alors que la France est la première productrice d’œufs de consommation dans l’Union européenne ? L’argument économique est mis en avant par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) : “Les usines s’approvisionnent en priorité dans les pays du nord de l’Europe, essentiellement la Belgique et les Pays-Bas, car ils coûtent moins cher” [2], explique Christine Lambert, présidente. On touche du doigt l’absurde du ” jeu naturel de l’offre et la demande”. Si la France produit suffisamment pour subvenir à sa consommation, le grand déménagement permanent des produits est ridicule, surtout pour une économie de 2 centimes par œuf au détriment de la santé des citoyens. Si la production ne suffit pas, alors peut-être faut-il questionner notre consommation excessive ? Ce scandale n’est pas le premier du genre. N’est-il pas temps d’arrêter le massacre ? Relocaliser des productions de qualité semble plus que jamais une priorité. 

L’agrobusiness nous empoisonne

Tout ce cinéma a vite fait de faire oublier au consommateur que le problème n’est pas le degré de toxicité élevé ou non de tel ou tel produit, mais leur utilisation tout court dans nos circuits alimentaires. Pourquoi diable utiliser un produit pareil ? Ce que les autorités évitent de vous expliquer, c’est que ce produit est utilisé dans l’agroalimentaire pour traiter les invasions de poux rouges dans les élevages de volailles. Hors, si toutes les poules peuvent y être sujettes, les conditions d’élevage en cages (promiscuité, saleté, nombre de poules) favorisent leur développement.L’élevage en batterie est réglementé en Union Européenne depuis 2012. Pourtant, en 2015 en France, sur 47 millions de poules pondeuses, 32 millions sont en cages.[3] En élevage intensif, on compte 13 poules au mètre carré. Chaque poule dispose donc de moins d’espace que la taille de votre écran d’ordinateur. Cette proximité accentue les invasions d’insectes mais provoque également des maladies.  A commencer par la grippe aviaire, qui oblige à abattre régulièrement des milliers de bêtes. Le député écologiste belge Jean-Marc Nollet affirme avoir reçu “le témoignage d’un éleveur de poules belge qui a été démarché dès le mois de janvier 2017 par une entreprise hollandaise qui vendait un produit antiparasitaire soi-disant miracle”.[4] Plus il y a de virus et d’insectes, plus on vend de traitements. L’industrie pharmaceutique n’aurait-elle pas elle aussi des intérêts à ce que l’élevage intensif perdure ?

Ainsi, sont fabriqués des hectolitres d’ovoproduits issus de la production d’élevages intensifs, aromatisés aux pesticides-miracles dont l’utilisation fait la joie (et le compte en banque) de l’industrie pharmaceutique. Et qui empoisonnent jusqu’à la glace à l’italienne que vous savourez au bord de l’eau, par une chaude après-midi d’août.


[1] Pour en savoir plus, voir le documentaire d’Arte “L’OMS dans les griffes des lobbyistes”

[2] Crise des oeufs contaminés, les ovoproduits dans le collimateurLe Parisien, 8 août 2017

[3] Plongée dans l’univers sordide des élevages en batterie de poules pondeuses, Le Monde, 17 septembre 2014

[4] Oeufs contaminés, les lourdes accusations d’un député belge, Le Parisien, 9 août 2017

Crédits photos : ©Buecherwurm_65. Licence : CC0 Creative Commons.


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