Pacte mondial pour l’Environnement : quand la volonté politique méprise l’expertise environnementale

Eugen Bracht (1842–1921): Hoeschstahlwerk von Norden. Signiert. Datiert 1905. Rückseite betitelt. Öl/Lwd., 70 x 86 cm

Le projet du Pacte mondial pour l’Environnement est d’unifier le droit international de l’environnement. Ce n’est pas un autre traité, sur un problème environnemental donné, mais une uniformisation des principes juridiques environnementaux et/ou une unification des accords déjà existants afin de les rendre plus efficaces. Poussé par Laurent Fabius et Emmanuel Macron depuis 2017, il est actuellement discuté par les Etats membres de l’Assemblée Générale de l’ONU. Pour l’instant, il n’y a aucun accord sur les principes, ni sur la nature du Pacte. Si l’ambition est louable, les objectifs restent flous et la méthode utilisée par le gouvernement français fait abstraction de la société civile. Les négociations internationales, initiées dans l’urgence, sont donc peu précises et peu concluantes. Dans de telles conditions, on a du mal à voir comment le Pacte pourrait rendre plus efficace le droit international de l’environnement.

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En août 2016, Laurent Fabius lance, dans une tribune au « Monde », un appel pour un Pacte mondial pour l’Environnement. Quelques mois plus tard, le think tank Le Club des Juristes publie une proposition de 36 articles pour un Pacte mondial pour l’Environnement. Cette proposition est portée par Emmanuel Macron devant l’Assemblée Générale des Nations Unies et votée en mai 2018.

En janvier 2019, les premières consultations officielles se tiennent à Nairobi. Une majorité d’États se prononce en faveur d’un texte contraignant. D’autres émettent des doutes quant à l’efficacité d’un Pacte universel par rapport aux pactes et traités régionaux déjà existants – l’Équateur fait même part d’une crainte que le Pacte mondial ait un effet négatif sur ces derniers.

LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE FRANÇAISE : UNE VOLONTÉ SANS STRATÉGIE

Avec le soutien d’Emmanuel Macron, l’ancien ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius a su mobiliser un réseau capable de promulguer le Pacte sur la scène internationale. L’idée du Pacte a été popularisée dans les sphères les plus à même de lui donner corps dès sa première présentation, à la Sorbonne en juin 2017, devant Ban-Ki Moon, Anne Hidalgo, Laurence Tubiana, Manuel Pulgar-Vidal, Nicolas Hulot, Arnold Schwarzenegger et Mary Robinson.

La volonté de Laurent Fabius le pousse à utiliser ses ressources politiques, mais la démesure de son ambition l’empêche d’approfondir ce qu’il entreprend. Bien qu’il soit désormais président du Conseil Constitutionnel, il s’est illustré par les efforts déployés pour achever les missions qu’il s’était données au cours de son mandat au Ministère en tentant de jouer sur tous les fronts, du climat au statu quo israélo-palestinien. Ce remarquable investissement personnel clive avec son manque de temps et de ressources adéquates. Le Centre International du Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) avait envoyé personnellement à Laurent Fabius une proposition de 36 articles en janvier 2017. Cette proposition, fruit d’un travail réunissant des juristes en droit de l’environnement de plusieurs pays et précédant celle du Club des Juristes, n’a pas reçu de réponse de Laurent Fabius. Il aurait pourtant été simple de saisir cette opportunité pour mettre en contact le CIDCE et le Club des Juristes.

Emmanuel Macron a ensuite choisi de proposer le projet de Pacte à l’Assemblée Générale (AG)[1] plutôt que de le pousser à être examiné par la Commission des droits de l’homme ou le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). En préférant l’AG, Emmanuel Macron lance un processus à grande vitesse, certes, mais qui risque de se faire au détriment de la qualité. Le processus est dirigé par le Secrétariat Général et non par un organe de l’ONU spécialisé dans les questions environnementales. Aucune proposition n’a été déposée à l’ANUE (Association des Nations Unies pour l’Environnement) avant les premières consultations. Le PNUE est absent du processus. Ses ressources n’étant allouées qu’aux délégations étatiques, l’unité de la société civile du PNUE n’a pas pu se rendre à Nairobi – bien qu’elle possède une expertise qui permettrait de cerner plus rapidement les lacunes de droit international que les Etats ont l’ambition de combler grâce au Pacte.

Il revient donc aux États membres de mobiliser l’expertise en droit de l’environnement. Or, le Quai d’Orsay n’a pas émis d’appel à participation aux ONG françaises à propos du Pacte Mondial, et n’a pas proposé aux ONG scientifiques de faire partie de la délégation française à la session de Nairobi.

À travers la COP21, le One Planet Summit et le Pacte, le gouvernement français prouve qu’il a compris l’urgence environnementale et qu’il est prêt à y répondre. Une quantité impressionnante de ressources est déployée. En 2017 et 2018, les première et deuxième éditions du One Planet Summit ont eu pour objectif de faciliter les échanges entre les mondes de la finance privée et publique autour d’une lutte contre le changement climatique. La troisième édition, qui vient de se tenir à Nairobi deux mois après la première session de discussions du Pacte, a mis l’accent sur l’intégration des Etats et sociétés d’Afrique dans cette lutte commune. Le Pacte mise quant à lui sur le droit international. La France promeut ainsi, sur la scène internationale, sa « politique environnementale ».

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Laurent Fabius, lors de l’investiture de François Hollande en tant que président de la République, le 15 mai 2012. © Cyclotron

Dans cette urgence diplomatique, le gouvernement oublie de consulter ceux dont le métier est de penser les stratégies de « sortie de la crise environnementale ». Il est pourtant en France des scientifiques, économistes, juristes, anthropologues et historiens de l’environnement qui seraient à même de penser ces stratégies. L’absence de consultations, qui rendraient cohérente la politique environnementale de la France, est d’autant plus regrettable que ceux-ci se portent volontaires avant même que l’État ne lance d’appel, comme le CIDCE, qui a envoyé une déléguée aux premières négociations de Nairobi.

NÉGOCIATIONS SANS CONCLUSIONS A NAIROBI

La forme du Pacte, ainsi que la question de savoir s’il devrait être contraignant ou non, ont été discutées avant qu’il y ait accords sur les principes du Pacte. Pour le Professeur de droit de l’environnement Michel Prieur, il s’agit d’une « catastrophe méthodologique »[2].

« Les lacunes du droit international de l’environnement et des instruments relatifs à l’environnement : vers un Pacte mondial ». Tel est le titre du rapport officiel produit par le groupe de travail de l’ONU en décembre 2018, signé par le Secrétaire Général et servant de base aux consultations de Nairobi de janvier. Entrer dans le problème par le prisme des failles du droit et des instruments existants devrait orienter les discussions vers une première étape : identifier le droit international de l’environnement et ses failles.

Les lacunes que le Pacte viendrait combler peuvent être normatives, institutionnelles ou applicationnelles. Les lacunes normatives témoignent de l’absence d’unité, au niveau international, entre différents principes. Certains principes, comme le droit de la nature, n’ont été formulés et juridicisés que dans certains pays : il s’agirait de les universaliser. D’autres principes – universels – sont interprétés différemment selon les pays, notamment car il n’existe pas d’institution supranationale compétente pour unifier ce droit. Le Pacte mondial est l’occasion de déterminer s’il manque des institutions pour augmenter l’efficacité du droit international. Enfin, les lacunes applicationnelles du droit de l’environnement sont liées à un manque de traités contraignants, ce qui ne rend pas systématique l’application de nombreux principes pourtant reconnus.

Quelle serait la plus-value d’un pacte mondial de l’environnement par rapport aux pactes régionaux qui existent actuellement ? Il est difficile d’avoir du recul sur la question, car aucun pacte proprement international n’a été passé à ce jour. Le droit international de l’environnement n’existe pas encore car il n’existe aujourd’hui aucun traité contraignant sur l’environnement incluant l’ensemble de la communauté internationale. En revanche, il existe un corpus de droits régionaux épars, passés entre différents pays et à différentes dates. L’ambition du Pacte mondial pour l’environnement est-elle de les regrouper ? Ou s’agit-il de faire advenir de nouveaux principes ? Faut-il universaliser les principes qui existent déjà dans les codes régionaux de l’environnement, ou bien faut-il en inventer de nouveaux ?

La conclusion du rapport officiel des négociations de Nairobi, signé par le Président de session, ressemble à tout sauf à une conclusion : « Il y a eu une absence d’accord, pour un instrument global, clarifiant les principes ». Cette phrase, qui ne définit ni l’ « instrument global » ni les « principes » dont il est question, est représentative du flou qui continue à régner autour du Pacte mondial après cette première session. Néanmoins, bien que la question n’ait pas été posée, 21 États se sont déjà prononcés formellement en faveur d’un pacte contraignant. Il reste à espérer que les prochaines sessions incluent les associations pertinentes de la société civile, et qu’à la volonté politique française s’ajoute enfin la mobilisation de l’expertise environnementale par le gouvernement.

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[1] Le pacte a été vote à 142 voix lors de la résolution A/72/L.51 du 10 Mai 2018

[2] Michel Prieur, 29/01/2019, intervention à la conférence Qu’attendre d’un Pacte Mondial pour l’Environnement ?, organisée par l’IDDRI et modérée par Lucien Chabason, { https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/conference/quattendre-dun-pacte-mondial-pour-lenvironnement}