« Pardon Youtube » démonte le lobbyisme à visage humain

Plus efficace qu’un numéro de Cash Investigation, le film « Pardon Youtube » dévoile les dessous d’une opération de communication soigneusement orchestrée et démonte habilement les mécanismes d’une censure à peine masquée.

En septembre 2016, la blogueuse Laetitia Nadji était contactée par Youtube pour interviewer le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, avec deux autres youtubeurs européens.  Peu après l’interview en question, Laetitia révélait avoir subi des pressions de la part de Youtube et de Google pour éviter de poser au cours de l’entretien certaines questions jugées sensibles. Des questions qu’elle s’est tout de même risquée à aborder  : Tafta, poids des lobbies, Luxleaks, tout y passe, la youtubeuse allant même jusqu’à comparer son interlocuteur à un « braqueur de banques ».

Les coulisses d’un plan de com’

Le film « Pardon Youtube », publié au beau milieu des vacances de Noël et sous-titré « comment on a hacké Google et la Commission européenne », révèle les coulisses de cette surprenante entreprise. On suit pendant une heure les aventures de Laetitia et de son complice Raj – aka “Autodisciple”, qui se mue en caméraman et en assistant pour l’occasion.

 La youtubeuse, qui anime la chaîne lifestyle « Le Corps La Maison L’Esprit », est peu portée sur les questions politiques. Pour préparer cet entretien haut en couleur avec l’homme fort de l’Union européenne, elle décide de s’entourer de Ludo, Xavier et Stéphane de la très populaire chaîne Osons Causer, qui  vont l’épauler dans la rédaction des questions brûlantes. L’objectif ? Profiter de l’occasion offerte par Youtube pour bousculer le Président de la Commission européenne. Un « David contre Goliath dans la vraie vie », résume Ludo.

Laetitia nous embarque dans ses  pérégrinations bruxelloises, de la découverte de sa spatieuse chambre d’hôtel aux répétitions tendues de l’interview, en passant par les dîners offerts par Google. On découvre rapidement que l’exercice est en réalité une opération de promotion élaborée par la Commission Européenne et Youtube pour égayer l’image de Jean-Claude Juncker, souvent dépeint comme un austère technocrate.

On lui avait assuré qu’elle pourrait poser ses questions comme bon lui semble. Pourtant, Laetitia prend vite conscience de la gêne des organisateurs lorsqu’elle évoque son souhait d’aborder le traité transatlantique ou le scandale d’évasion fiscale impliquant le Luxembourg, dont Jean-Claude Juncker a été Premier ministre pendant plus de 18 ans.

Éclairer les rouages d’une censure qui ne dit pas son nom 

A plusieurs reprises, la caméra de Raj immortalise des dialogues entre Laetitia et un responsable de Google visiblement embarrassé,  qui tente tant bien que mal de lui faire comprendre que ses questions sont très « touchy », qu’elle devrait peut-être songer à les remanier. Toujours sur un ton cordial. Jusqu’à ce que les pressions se fassent plus explicites à l’approche de l’interview : «  Pense bien aux conséquences de cette question… », « Tu vas pas te mettre et la Commission, et Youtube, et tous les gens qui croient en toi à dos. Enfin sauf si tu veux pas faire long feu sur Youtube mais… »

La caméra cachée de Raj amène notre regard au plus près des pratiques de lobbying qui ont cours auprès des institutions européennes, et dévoile les mécanismes d’une censure souvent plus subtile et plus diffuse qu’on ne pourrait le croire. C’est bien là la force du film : ces pratiques – qui ne sont un secret pour personne – y sont incarnées par des acteurs en situation, matérialisées par des dialogues. Les rapports humains y tiennent toute leur place. « Le fait qu’ils m’invitent, qu’ils me payent des trucs, c’est hyper difficile pour moi de pas aller dans leur sens », explique Laetitia à ses complices d’Osons Causer. Ce à quoi Stéphane répond « Les lobbyistes, ça fait partie de leur taf d’être des gens sympa ». Un lobbyisme à visage humain en somme.

Au cours du film, la youtubeuse en vient parfois à s’interroger, à douter : faut-il aller jusqu’au bout ? Peut-on aller à l’encontre de ces personnes avec qui l’on a partagé des repas, des discussions, des instants de sociabilité ?

Un film bienvenu, qui invite à réfléchir sur l’influence des lobbys auprès de l’Union européenne, mais aussi sur nos propres réactions une fois pris dans une configuration de rapports de pouvoir qui nous dépasse. Aurions-nous eu suffisamment de cran, à la place de Laetitia, pour ne pas renoncer ?

Quoi qu’il en soit, la conclusion de Ludo résume bien l’état d’esprit du film : « à cinq couillons, on a un petit peu mis en difficulté la boite la plus puissante du monde ». Si la sociologie est bien un sport de combat,  « Pardon Youtube » a effectivement frappé fort.

La bande-annonce :

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