Le populisme est-il devenu une norme en Europe ?

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De gauche à droite Jorge Lago, Boris Vallaud, Antoine Cargoet, Elsa Faucillon et Samuele Mazzolini.

Vous avez manqué notre Université d’été ? Retrouvez notre débat sur le populisme comme phénomène majeur en Europe. Nous recevions pour l’occasion Boris Vallaud (PS), Elsa Faucillon (PCF), Jorge Lago (Podemos) et Samuele Mazzolini (Senso Comune).

 

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Pierre Laurent : “Une marche du 5 mai réussie est une marche qui additionnerait toutes les forces”

Pierre Laurent à la fête de l’humanité de 2017. ©Ulysse Guttmann-Faure pour Le Vent Se Lève

Congrès extraordinaire en novembre prochain, grève à la SNCF, rapports avec la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et Génération·s de Benoît Hamon, stratégie pour les européennes : dans cet entretien, le secrétaire national du Parti Communiste Français, Pierre Laurent, fait le bilan de l’élection présidentielle et parle de ses ambitions pour l’avenir


LVSL – Le PCF connaîtra un congrès extraordinaire en novembre 2018, deux ans après le précédent, qui avait vu votre parti faire le choix du rassemblement, avant de décider de soutenir Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle de 2017 lors d’une consultation des militants. Pourquoi ce nouveau congrès ?

Il y a deux raisons à ce congrès. Les élections présidentielle et législatives ont changé en profondeur le paysage politique. Emmanuel Macron est parvenu à constituer une rupture dans le processus de recomposition politique du pays ; il a donné des ailes – comme on le voit avec l’offensive quasi quotidienne contre les droits sociaux  – aux forces libérales pour tenter de redonner le pays aux forces de la finance. Et pourtant, nous sommes convaincus que si le hold-up de Macron sur l’élection présidentielle a réussi, il ne témoigne pas d’une adhésion en profondeur du pays aux thèses libérales. Il y a donc bien, à la sortie de ces élections, une situation qui nous interroge. Pourquoi, alors qu’il y a tant de forces sociales, populaires, attachées à une issue progressiste à la crise sociale et politique du pays, ces forces ont été une nouvelle fois mises en échec et écartées du second tour présidentiel ? Nous pensons donc que la contre-offensive de ces forces doit être organisée.

“Emmanuel Macron a donné des ailes aux forces libérales pour tenter de redonner le pays aux forces de la finance. Et pourtant, nous sommes convaincus que si le hold-up de Macron sur l’élection présidentielle a réussi, il ne témoigne pas d’une adhésion en profondeur du pays aux thèses libérales.”

La deuxième raison, c’est que le Parti Communiste a besoin d’une relance politique de son projet ; il a besoin de faire un bilan critique des initiatives politiques qu’il a prises. Nous avons cherché, depuis la création du Front de Gauche en 2009, à ouvrir une perspective positive et renouvelée à gauche après la dérive que nous sentions inéluctable du Parti Socialiste vers les thèses sociales-libérales. Cette stratégie a marqué des points, mais elle a été traversée par des divisions et par l’impossibilité d’offrir une perspective gagnante majoritaire. Le PCF, qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon, a subi aux élections législatives un recul important, même si nous avons conservé un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour toutes ces raisons, nous pensons nécessaire d’effectuer une revue d’ensemble de notre stratégie, de notre bilan, de l’analyse de la situation française, européenne, mondiale qui est la nôtre, et de conduire des changements importants dont nous parlons depuis plusieurs années, et que nous devons aujourd’hui pousser beaucoup plus loin pour répondre à ces nouveaux défis politiques. Je souhaite que ce congrès ne soit pas seulement un congrès de bilan, mais un congrès d’initiatives politiques nouvelles pour les transformations du Parti Communiste, pour la relance de son projet politique, et pour de nouvelles innovations stratégiques qui répondent à la situation actuelle.

LVSL – Quelles sont les priorités de votre congrès ? Dans quel sens votre organisation doit-elle se réformer ?

Il y a trois grandes questions qui sont discutées. Premièrement, l’actualité de notre combat communiste. Nous pensons que la crise de civilisation dans laquelle est désormais entré le système capitaliste mondialisé le conduira à être incapable de faire face aux grands défis du monde contemporain au XXIème siècle. Il ne saura plus relever le défi des inégalités sociales dans notre pays et dans le monde, et non seulement il ne le relèvera pas, mais la poursuite des logiques capitalistes mondialisées actuelles, sous domination de la finance, va accroître ces inégalités, avec des déstabilisations croissantes, politiques et démocratiques.

Deuxièmement, ce système ne sera pas capable de répondre aux grands défis écologiques de notre période, ni à la lutte contre le réchauffement climatique, ni à une vision plus solidaire et plus respectueuse des biens communs de l’humanité, absolument nécessaire pour faire face à ces défis. Enfin, dans une période où les possibilités émancipatrices pourraient être très importantes, avec le niveau des connaissances atteint, avec la révolution numérique, avec un niveau de maîtrise potentiel par les travailleurs de la richesse de leur travail, le système capitaliste, lui, va livrer ces possibilités à la mainmise de multinationales de plus en plus puissantes, et on voit bien que le projet des GAFA n’est plus seulement un projet de domination économique, mais est un projet de contrôle social bien plus vaste et bien plus dangereux pour la démocratie. Nous considérons que face à ces enjeux-là, la réponse communiste, qui au fond est la recherche d’un dépassement des logiques capitalistes – c’est la vision anticipatrice de Karl Marx qui fonde ce mouvement – trouve aujourd’hui une très grande actualité. Mais cette actualité doit être réénoncée dans les conditions du XXIème siècle, à partir de défis qui sont en grande partie nouveaux. Le congrès doit donc être un congrès qui énonce avec beaucoup plus de force, de modernité et de clarté, le projet communiste que nous portons.

La deuxième question discutée par le congrès, c’est la réévaluation de nos stratégies de transformation révolutionnaire. Pour conduire ces stratégies, il ne faut pas d’abord des alliances électorales. Il faut d’abord un mouvement de lutte et d’appropriation de ces objectifs de transformation, un mouvement populaire le plus large possible. Comment donc conduire de nouvelles initiatives stratégiques, qui nécessitent des politiques unitaires, des politiques de rassemblement ? En favorisant, beaucoup plus que nous n’avons réussi à le faire, cet investissement populaire de la transformation sociale. Il faut donc réinventer les luttes, les pratiques politiques, et l’articulation de ces luttes populaires à de nouvelles constructions politiques unitaires, qui ne délaissent pas le mouvement populaire, et qui ne conduisent pas à la délégation de pouvoir vers les seules échéances électorales. C’est d’autant plus un défi que le système institutionnel actuel réduit de plus en plus la cristallisation des changements politiques à la seule élection présidentielle. Or, le mouvement de transformation sociale que nous visons ne peut pas se réduire seulement aux présidentielles. Il faut un mouvement beaucoup plus diversifié, beaucoup plus continu, qui intervient sur la question de la conquête des pouvoirs, à toutes les échelles – nationale, européenne, mondiale. La deuxième question est donc la réinvention stratégique, dans les conditions actuelles, de notre mission de changement.

“Le système capitaliste, lui, va livrer ces possibilités à la mainmise de multinationales de plus en plus puissantes, et on voit bien que le projet des GAFA n’est plus seulement un projet de domination économique, mais est un projet de contrôle social bien plus vaste et bien plus dangereux pour la démocratie.”

Enfin, nous avons besoin de procéder à des transformations du Parti Communiste pour porter beaucoup plus haut cette capacité transformatrice. Nous ne pensons absolument pas que le Parti Communiste soit dépassé, nous croyons dans l’avenir du Parti Communiste, et de formations politiques qui organisent l’intervention populaire. Mais nous avons plusieurs défis à relever de manière nouvelle.

D’abord, nous voulons devenir un mouvement beaucoup mieux organisé dans la proximité. Par exemple, dans le monde du travail qui s’est totalement transformé et qui va continuer de se transformer, la politique a été évacuée. Elle est monopolisée par le patronat et les forces libérales. Il faut donc refaire de la politique dans le travail, réintervenir dans le monde du travail. Le Parti Communiste a été un parti très organisé dans le monde de l’entreprise, qui ne l’est plus aujourd’hui, et c’est une question que nous devons repenser. Cette proximité doit être aussi une proximité beaucoup plus transversale sur des enjeux de société qui ne sont pas territoriaux, qu’on organiserait seulement à échelle locale, mais qui sont des modes d’intervention nouveaux sur les questions écologiques, sur les questions d’alimentation, sur les questions du pouvoir, des pouvoirs dans la société. Notre organisation ne peut donc être seulement une organisation verticale et territoriale. Elle doit être une organisation de réseaux thématiques, qui organise de manière transversale la créativité politique de milliers de citoyens et de militants.

Et puis enfin, nous croyons qu’il faut, tout en utilisant les nouveaux outils numériques, les utiliser au service de la créativité militante décentralisée, et pas au service de structures verticales.

Pierre Laurent à la fête de l’humanité 2017. ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

LVSL – Vous envisagez la création d’une plateforme numérique ?

Oui, je pense qu’il faut aller vers un parti plateforme, qui puisse être un parti de mouvement, un parti des mouvements. On oppose souvent « parti » et « mouvement ». Nous croyons à la nécessité des partis, c’est-à-dire d’espaces d’organisation citoyenne et populaire, mais il faut que les pratiques politiques que nous développons soient beaucoup plus ouvertes à la mobilité, à la transversalité, à l’inventivité militante et populaire. Nous avons donc beaucoup de changements à faire. Ces changements, nous les conduirons aussi avec un effort d’éducation populaire, de formation militante beaucoup plus important qu’avant, pour les militants mais aussi dans la société. Je pense qu’il y a un appétit d’appropriation des grandes questions contemporaines, des questions théoriques et des modes d’intervention militante.

LVSL – Sous quelle forme ? Envisagez-vous le retour des « écoles du Parti »  ?

Nous voulons redévelopper l’offre de formation du Parti Communiste. Il faut développer des modèles d’université populaire plus décentralisés, favoriser une rencontre nouvelle entre les milieux universitaires, les chercheurs, les intellectuels, et le monde militant. La revue que nous avons relancée (Cause Commune) est l’un des lieux de ces échanges, mais on veut démultiplier ces moyens-là. Nous travaillons à une refonte complète de la plateforme numérique du Parti.

LVSL – Vous avez parlé tout à l’heure des élections législatives. On observe un paradoxe, dans le sens où le PCF recule à échelle nationale, mais voit son nombre d’élus augmenter. Est-ce que le PCF est condamné à une forme de dénationalisation, et à la mutation en un parti de bastions ?

Pas du tout. Non seulement nous ne devons pas être condamné à cela, mais ce serait mortifère. Je pense qu’il faut au contraire renouveler notre ancrage de proximité, qui reste une des forces du Parti Communiste. A gauche aujourd’hui, le PCF est le parti qui a le plus d’adhérents, (plus de 100,000, 60,000 cotisants réguliers), et puis il y a autour de cette force militante des centaines de milliers de citoyens qui sont au contact de celle-ci. Cette force est vraiment organisée de manière décentralisée. Son ancrage principal est celui du terrain. Je pense qu’il faut au contraire conserver cela comme la prunelle de nos yeux, parce que je crois que la reconstruction d’une initiative militante et de luttes de transformations se mènera justement de plus en plus à partir de la créativité citoyenne et populaire. Donc cette dimension militante, cette présence sur l’ensemble du territoire, c’est quelque-chose que nous devons non seulement garder, mais continuer à développer. La réélection des députés communistes, des sénateurs communistes, présents au Sénat contre toutes les prévisions, est le témoignage que le savoir-faire militant dans cet ancrage de proximité reste l’un des atouts du Parti Communiste. Donc il faut le développer. Mais il faut le développer avec une plus grande efficacité dans la visibilité nationale de cette activité. Et donc nous avons besoin de penser cette initiative militante décentralisée plus en lien avec l’organisation de nos réseaux d’intervention nationaux, qui pour le Parti Communiste ne peuvent pas passer seulement par la présence nationale de quelques porte-paroles. Notre force centrale doit plutôt venir d’une effervescence d’idées, de propositions, de notre capacité à projeter sans cesse dans le débat public de la société des idées nouvelles sur la transformation sociale.

LVSL – Pour revenir sur cette thématique de la dénationalisation, on a pu entendre parmi vos militants que l’absence du PCF aux dernières élections présidentielles, échéance qui cristallise les enjeux politiques dans ce pays, a contribué à son effacement. Qu’en pensez-vous ?

C’est en grande partie vrai. Moi qui me suis prononcé dans le débat que nous avons eu pour le soutien à Jean-Luc Mélenchon, pour favoriser des dynamiques populaires de rassemblement dans la société, je constate avec d’autres que ce processus a effectivement un effet d’effacement de notre parole politique nationale. Dans une vie politique qui s’est outrageusement présidentialisée, cette question doit nécessairement être traitée. Comment résoudre ce problème de l’effacement de la parole politique nationale des communistes ? Est-ce que c’est par la présentation systématique d’un candidat à la présidentielle ? est-ce que ça passe par d’autres formes d’intervention dans la vie politique nationale ? Ce sont les questions que doit résoudre le congrès. Ce qui est certain, c’est que le Parti Communiste a vocation à présenter son projet politique dans toutes les grandes échéances, donc aussi l’élection présidentielle. Il y a donc une contradiction à résoudre qui n’a jamais été bien résolue, sur notre présence à l’élection présidentielle, dans un paysage où cette élection est devenue une échéance majeure. Il faut donc à la fois faire reculer la présidentialisation excessive des institutions, mais aussi des consciences, parce qu’il n’est pas sain que les forces sociales démocratiques, politiques, qui veulent transformer la société, se concentrent sur cette seule échéance. La conquête des pouvoirs par la société passe par bien d’autres luttes que la seule élection présidentielle. En même, temps, oui, il faut réfléchir de manière nouvelle à la présence du Parti Communiste dans cette échéance. Il faut organiser notre visibilité dans cette échéance sans nous faire aspirer par la logique présidentialiste. Je ne dis pas que la réponse est simple. Ce serait intéressant que le congrès du Parti Communiste travaille cette question de manière dialectique.

LVSL – Le grand événement politique de cette présidentielle, c’est l’irruption de la France Insoumise au détriment des deux forces qui structuraient jadis le champ progressiste anti-libéral, c’est-à-dire le Parti Communiste et le Parti Socialiste. Comment analysez-vous cette irruption de la France Insoumise ? Pensez-vous qu’elle est durable, qu’elle va devenir hégémonique ? Comment analysez-vous cette stratégie politique ?

Je pense qu’aucun des mouvements politiques qui s’est manifesté dans l’élection présidentielle de 2017 n’est installé durablement. Tout reste pour le moment encore très instable. Je crois que c’est vrai pour toutes les forces politiques. Ce que je pense de cette irruption, c’est deux choses. Je crois qu’on a connu dans les dix dernières années un déclin accéléré du Parti Socialiste – causé par sa dérive sociale-libérale – parce que la grande masse des électeurs de gauche ne se reconnaissait pas dans cette dérive. La chute de ce parti qui avait marqué la gauche depuis les années 80 a partiellement entraîné avec elle le discrédit de l’idée de « gauche ». Nous en avons subi les conséquences, parce que nous avons été un parti de la gauche, et bien malgré nous, bien que nous ayons construit le Front de Gauche précisément parce que nous ne voulions pas laisser la gauche aller à sa marginalisation. Nous avons donc apporté une réponse à cette question avec la création du Front de Gauche. Notre ambition était que ce Front de Gauche devienne la gauche nouvelle dont le pays avait besoin, débarrassée de ses débris sociaux-libéraux, ceux du Parti Socialiste. C’est ce qui nous a convaincu, après notre soutien en 2012 à Jean-Luc Mélenchon et malgré les désaccords qui avaient surgi, qu’il fallait aller au bout de cette logique de la présidentielle de 2017. Je continue à considérer que le résultat de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle est le résultat de cette dynamique collective, qui n’appartient pas uniquement à la France Insoumise. D’ailleurs les résultats, dès les élections législatives, sont différents.

“Cela ne disqualifie pas la « gauche », l’idée de « gauche » à mes yeux : la gauche comme point de repère face à la droite, comme expression politique de l’affrontement capital-travail, et comme point de repère dans l’espace républicain, la gauche étant le camp de la République démocratique et la droite subissant la tentation anti-républicaine autoritaire.”

Deuxièmement, je pense qu’il y a, en France comme en Europe et dans le monde, la montée de courants populistes et dégagistes, qui sont la conséquence de la crise démocratique dans laquelle le système capitaliste s’enfonce. La démocratie elle-même, ses institutions représentatives, sont discréditées par ces processus de plus en plus autoritaires des forces libérales. Le sentiment gagne qu’on ne changera pas les choses avec ce système démocratique, puisque malgré les alternances, c’est toujours le système libéral qui gagne. Cette crise démocratique profonde permet la réémergence de formes de droites radicalisées, autoritaires, fascistes ; elle conduit aussi, dans la gauche, à l’émergence de courants qui pensent que seule l’émergence de nouvelles formules politiques, loin des systèmes de représentation et des partis anciens, résoudra ces problèmes-là.

Il y a en Europe plusieurs mouvements qui émergent aux frontières de la gauche et d’autres mouvements aux tendances plus floues, des mouvements de ce type. Je pense que la France Insoumise a cristallisé une partie de ce courant-là, qui est un courant qui se détourne des repères traditionnels de la gauche, de la référence principale à l’affrontement entre le capital et le travail, et des repères qui ont fondé l’histoire de la gauche. Nous avons aujourd’hui une géographie des forces de gauche qui est tout à fait nouvelle, dans laquelle la structuration n’est plus principalement entre un courant social-démocrate et un courant communiste, mais entre des courants politiques plus divers : des courants communistes, un courant social-démocrate affaibli, mais aussi de nouveaux courants, qu’on nomme parfois « populistes », parfois « dégagistes »… Tout cela traduit au fond la recherche de nouveaux modèles politiques dans la crise démocratique. C’est un défi nouveau, et probablement le périmètre des alliances de ces forces, demain, ne ressemblera pas au périmètre qu’on a connu durant les décennies précédentes avec l’ « union de la gauche ». Ça ne disqualifie pas la « gauche », l’idée de « gauche » à mes yeux : la gauche comme point de repère face à la droite, comme expression politique de l’affrontement capital-travail, et comme point de repère dans l’espace républicain,. La gauche étant le camp de la République démocratique et la droite subissant la tentation anti-républicaine autoritaire. Mais cela signifie que nous allons probablement vers une représentation politique de cette gauche très différente de celle qu’on a connue jusque-là. Bien évidemment, cela interroge les pratiques du Parti Communiste.

Pierre Laurent à la fête de l’humanité 2017. ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

LVSL – Les élections européennes semblent être centrales dans l’agenda de votre prochain congrès. C’est aussi un point de clivage entre vous et Jean-Luc Mélenchon. D’une certaine façon, votre programme européen semble plus proche de celui de Benoît Hamon et de Génération·s. Envisagez-vous la possibilité d’une liste commune ?

Nous envisageons cette élection à partir de ses défis. Il y a un très grand besoin de transformation démocratique, sociale, à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Nous considérons que pour pouvoir engager des transformations profondes dans notre pays et dans d’autres pays européens, il faut mener le combat de transformation sociale à l’échelle européenne, et même à l’échelle mondiale. Notre première approche de cette question, c’est l’importance de cette échéance, que nous ne considérons pas comme une parenthèse dans laquelle devrait s’exprimer simplement l’opposition à Macron. Plus profondément, nous voulons aller à cette élection avec une ambition de conquête sur la possibilité de gagner dans toute l’Europe.

Deuxièmement, il y a le risque, dans cette situation que nous connaissons, que la scène européenne ne soit pas dominée par ces forces démocratiques qui chercheraient des issues sociales progressistes, mais par les forces de droite et d’extrême-droite. L’évolution politique d’un certain nombre de pays européens, à l’Est, mais aussi en Italie par exemple, rendent malheureusement cette perspective crédible. Il faut donc non pas se replier face à ces risques, mais au contraire aborder l’élection de manière offensive. Nous l’abordons donc avec une proposition de rassemblement la plus large possible des gauches en France, c’est-à-dire visant à redonner leur périmètre à toutes celles qui aujourd’hui souhaitent s’engager dans la lutte contre la réforme de la SNCF, ou contre l’attaque plus globale contre les services publics. Cette perspective est aujourd’hui difficile à réaliser, parce qu’on voit bien que par exemple, la France Insoumise souhaite aller à cette élection sous ses propres couleurs, et en portant un projet ambigu à nos yeux. Comme nous, ce mouvement porte la volonté de transformer très profondément la politique européenne ; mais contrairement à nous, il envisage le fait que l’on puisse se retirer de ce combat européen, en pensant que ne pouvant pas être gagné, on mènera la lutte à l’échelle nationale. Nous ne croyons pas à ce scénario ; la bataille européenne est inéluctable pour transformer aussi les politiques en France. Nous avons une discussion d’une autre nature avec Benoît Hamon et Yanis Varoufakis, avec qui il s’est rapproché en vue de ces élections. Nous avons un autre débat, sur le fait qu’il pourrait être tenté, à l’inverse, de privilégier une bataille qui ne s’enfermerait pas dans le cadre actuel de l’Union européenne. Mais nous discutons avec Benoît Hamon, ce que nous ne faisons pas avec la France Insoumise ; cela ne tient pas à notre offre politique.

LVSL – Avec le Parti Socialiste, envisagez-vous une discussion ?

Non. Il n’y a eu aucune discussion avec le PS durant la dernière période. Il maintient beaucoup d’ambiguïtés sur sa ligne. J’entends dire que Pierre Moscovici va être l’un des chefs de file du Parti Socialiste lors des élections européennes. Cela en dit long.

LVSL – La mobilisation actuelle semble dessiner de nouvelles convergences. On vous a notamment vu aux côtés de Benoît Hamon, de François Ruffin et d’Olivier Besancenot. Souhaitez-vous voir se former un nouveau front ?

Je pense que les démarches unitaires qui ont été entreprises ces dernières semaines sont plutôt réjouissantes et encourageantes. Quand se lèvent des mouvements sociaux importants, ils poussent dans le sens de cette unification politique. Il faut donc encourager ce mouvement, multiplier les occasions de ces rapprochements, d’abord pour les luttes en cours, c’est-à-dire avec l’objectif de faire gagner ces luttes en faisant reculer Macron sur la réforme de la SNCF. Mais aussi des victoires dans d’autres services publics, par exemple contre la privatisation des barrages hydrauliques. Pour aider à ce mouvement, on vient de proposer, comme nous l’avons fait, devant des barrages hydrauliques, de multiplier dans tout le pays les chaînes humaines qui symboliseraient la mise sous protection citoyenne des services publics, et de faire de ces chaînes humaines des occasions de rassemblement citoyen et populaire. Dans ces luttes, il faut construire à chaque fois que c’est possible des progrès vers une plateforme qui pourrait unir un nouveau front social et politique. Nous savons que ce chemin va prendre du temps à être parcouru. Il faut donc être tenace, y aller progressivement, saisir toutes les occasions d’avancer vers cela. Ce front ne trouvera pas forcément à chaque fois la traduction électorale que l’on pourrait souhaiter, mais il faut marquer des points à chaque fois que l’on peut le faire et progresser vers cet objectif. C’est comme cela que l’on pourra construire une possibilité d’alternative majoritaire au pouvoir de Macron.

LVSL – Dans la mobilisation actuelle, l’une des personnalités qui émerge particulièrement est François Ruffin. Il a obtenu un large soutien de la part des communistes lors des élections législatives. Est-il un point d’appui potentiel pour le PCF dans la recomposition en cours ?

On travaille bien avec François Ruffin, on l’a vu avec l’élection législative de la Somme, puisqu’on a dès le départ construit cette candidature avec lui. Je pense qu’il ne faut pas renouveler à chaque étape la même erreur, c’est-à-dire penser qu’à chaque fois qu’une personnalité s’affirme elle doit devenir le point de référence unique de ce rassemblement. Il faut en permanence garder en tête que la pluralité du rassemblement que nous avons à construire doit additionner toutes les forces. François Ruffin, avec la culture politique qui est la sienne, les nouvelles pratiques politiques qui sont les siennes, qu’il a expérimentées, a beaucoup à apporter à ce mouvement. Les communistes ont aussi beaucoup à apporter. Notre recette politique devrait être en permanence l’addition de ces cultures politiques, et pas la domination de l’une sur l’autre. C’est selon moi la recette gagnante. Je vois bien que c’est un débat qui ressurgit régulièrement, parce que dès qu’un rassemblement naît, on voudrait qu’il devienne uniforme.

“Nous pensons qu’une marche du 5 mai réussie est une marche qui additionnerait toutes les forces. Manifestement, à l’heure où nous parlons, les syndicats ne sont pas présents dans cette marche.”

Mais la pluralité reste l’une des dimensions centrales du mouvement à construire, avec bien sûr de la cohérence. Ce sont des conditions essentielles, surtout dans un pays comme le nôtre qui est un pays de grande culture politique et un pays dans lequel on est très attaché à sa liberté de penser. Beaucoup de cultures politiques, beaucoup de liberté de penser, cela produit nécessairement des mouvements démocratiques, des mouvements de transformation qui sont pluralistes. Tous les mouvements qui ont marqué l’histoire populaire et sociale du pays ont été marqués par cette diversité. Le Front Populaire, Mai 68, 1995… Ces mouvements ont mêlé culture ouvrière, culture populaire, cultures de transformation sociale… Il ne faut pas avoir peur de cette diversité, mais en faire une force.

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Pierre Laurent aux côtés de Benoît Hamon et de François Ruffin. ©Facebook de Pierre Laurent

LVSL – Serez-vous présent le 5 mai à la marche à laquelle François Ruffin a appelé ?

Nous sommes en train de discuter de cette question. Nous participons aux réunions unitaires qui en débattent. Nous pensons qu’une marche du 5 mai réussie est une marche qui additionnerait toutes les forces. Manifestement, à l’heure où nous parlons, les syndicats ne sont pas présents dans cette marche. Ils tiennent à leur agenda syndical, à commencer par la journée du 19 avril dont ils veulent faire une occasion d’élargissement du mouvement de lutte et de renforcer la convergence des luttes. Ils tiennent au 1er mai. Nous sommes donc favorables au principe d’un temps fort national, qui permettrait à des gens très engagés comme à des gens qui le sont moins de converger. Il faut créer pour cela les conditions d’une addition de toutes ces forces. Pour le moment elles ne sont pas réunies, nous y travaillons. Philippe Martinez vient de déclarer que la CGT n’y sera pas présente car le 1er mai est trop proche du 5 mai. Il faut donc poursuivre cette discussion. Nous tentons de verser au-delà des idées qui nourrissent ces processus d’élargissement – j’ai parlé de chaînes humaines, nous soumettons aussi l’idée d’une grande consultation populaire et citoyenne -. Nous cherchons la bonne formule, et nous sommes dans la discussion. Cet objectif n’est pas atteint pour le moment.

LVSL – Jean-Luc Mélenchon considérait en septembre que les luttes syndicales n’aboutissaient pas parce qu’il existait une division entre le politique et le syndical. Il considère aujourd’hui que la condition du recul du gouvernement, c’est que cette division cesse. Qu’en pensez-vous ?

Les causes sont multiples. Au moment des ordonnances Macron, nous étions encore très proche des élections présidentielles. Le niveau de rejet de la politique de Macron n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. La prise de conscience s’est faite au cours des mois qui ont suivi, au moment du budget, quand la dimension « président des riches » a commencé à émerger dans la conscience populaire. Cela s’est accentué avec la multiplication des réformes anti-sociales et les attaques contre les services publics. A l’automne, le principal obstacle a été l’échec de l’élargissement du mouvement, pas seulement à cause du manque d’unité, mais aussi parce que le mécontentement que nous connaissons n’était pas encore là. La prise de conscience de la nature profondément anti-sociale, autoritaire, du pouvoir, est beaucoup plus partagée dans le pays aujourd’hui. Il y a donc beaucoup plus de catégories sociales qui entrent dans l’action : des travailleurs du secteur privé, les étudiants, les salariés de différents services publics… Cela favorise l’unité d’action, parce que la pression populaire se fait plus grande. On voit donc des secteurs dans lesquels cette unité n’existait pas à l’automne exister et tenir. Elle favorise donc l’unité politique, parce que ce que nous avons réussi à faire ces dernières semaines avec Olivier Besancenot, Benoît Hamon, la France Insoumise et d’autres, nous ne réussissions pas à le faire à l’automne. Il y a donc aujourd’hui des conditions qui sont meilleures. Mais la clef est dans un mouvement populaire qui peut encore beaucoup grandir dans l’action et dans les grèves, et de réponse unitaire des organisations syndicales et des organisations politiques. Enfin, n’oublions pas une leçon de l’histoire : les grands mouvements ne sont jamais décidés par un mot d’ordre. Ils sont l’agrégation de facteurs multiples, qui à un moment donné se généralisent sans que personne n’ait appuyé sur un bouton. Nous travaillons à la généralisation de cette contestation. Il faut additionner tous ces critères-là.

 

Propos recueillis par  Lenny Benbara

Crédit photo Une et entretien : Ulysse GUTTMANN-FAURE pour LVSL

“Le populisme fleurit là où on masque la lutte des classes” – Entretien avec Guillaume Roubaud-Quashie

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Guillaume Roubaud Quashie, directeur de la revue Cause Commune

Directeur de la revue Cause Commune, Guillaume Roubaud-Quashie est membre de la direction du PCF. A ce titre, il a dirigé l’organisation de la dernière université d’été du parti, lors de laquelle le populisme est entré au coeur des débats.

Vous êtes directeur de la revue Cause Commune, éditée par le PCF et auparavant intitulée La Revue du projet. Pourquoi ce changement de nom ? S’agit-il, aussi, d’un changement de projet ?

Plus que d’un changement de nom, il s’agit d’un changement de perspective. La Revue du Projet, comme son nom l’indique, portait essentiellement sur la question du projet du Parti communiste. Mais ce dont le Parti communiste a besoin va au-delà : c’est de faire davantage parti, c’est-à-dire, de mettre davantage en coordination les différentes forces, les différences expériences pratiques, théoriques et politiques. Et pour mettre en coordination ce qui reste sans doute la première force militante du pays, cela demande un peu d’organisation. De ce point de vue, la revue a un objectif de convergence. Pourquoi une revue pour le Parti communiste ? Pour offrir aux communistes la possibilité de savoir ce qui se fait, ce qui se travaille, ce qui se cherche. Pour permettre aux communistes de participer mieux et davantage. C’est pourquoi nous considérons que Cause Commune est une revue d’action politique. Nous traitons aussi des problématiques plus immédiates. Par exemple, dans notre premier numéro, nous nous sommes intéressés à la façon de constituer un collectif de défense de La Poste.

Il y a donc un changement de perspective important. Il s’agit plus d’une nouvelle revue que d’une simple version 2.0 de la précédente. Nous abordons les questions d’organisation, les questions électorales et la vie politique en général. On y ajoute donc une dimension plus concrète. Vous savez, le Parti communiste produit beaucoup de choses – et c’est une de ses forces –, mais le niveau de lecture peut parfois être faible. La raison en est que les communistes, confrontés à un temps limité et à une pléiade de possibilités de lectures, finissent parfois par faire le choix de l’abstention. L’idée, ici, est de leur dire qu’en dehors de l’Humanité qui a une autre fonction et une autre périodicité, Cause Commune entend traiter le large spectre des sujets communistes. À cela, s’ajoute un objectif de mise en mouvement et de formation des militants, tout en conservant à la revue un caractère très ouvert.

Le nom, Cause commune, vient du fait que nous affirmons qu’il faut plus de parti et non moins de parti, qu’il faut plus de mise en commun. Notre rôle est d’être un des acteurs de cette mise en commun. C’est une perspective qui est, en un sens, opposée à celles qui prennent acte de la vie en lignes parallèles des luttes émancipatrices voire la théorisent. Nous croyons qu’il faut au contraire faire cause commune.

Votre revue a pour but explicite de s’adresser aux adhérents du PCF et d’animer la vie démocratique et intellectuelle du parti. Comment expliquez-vous ce choix spécifiquement interne ? N’avez-vous pas peur de négliger l’extérieur et que cela implique un cloisonnement intellectuel ? On reproche souvent aux partis d’être repliés sur eux-mêmes…

Le Parti communiste est évidemment celui qui est le plus accusé d’être une espèce de secte absolument repliée sur elle-même. C’est une légende bien connue. Il suffit pourtant de lire l’Humanité, « le journal de Jean Jaurès », qui n’est pas l’organe du Parti communiste, même s’il y a des liens et des proximités. S’il y a un journal qui est largement ouvert au-delà des communistes, c’est bien celui-ci. Donc il n’y avait pas de raison de fond de faire une espèce de version mensuelle de l’Humanité. Il faut soutenir et développer ce journal et, en même temps, ce qui manquait, c’était justement cet outil qui permet d’utiliser la richesse de ce parti. C’est là la mission propre de Cause commune, sans esprit de secte : la revue reste pleinement ouverte à tous les lecteurs !

Vous avez organisé l’Université d’été du PCF dont nous avons rendu compte dans nos colonnes. Parmi les thèmes qui ont suscité le débat, il y a eu la question du populisme, à laquelle nous ne sommes pas insensibles à LVSL comme l’illustre notre dossier sur les gauches espagnoles. Le populisme, comme méthode politique, est largement critiqué au PCF. Pouvez-vous revenir sur ces critiques et leurs fondements ?

Le débat est en cours au PCF et je ne veux pas fermer des portes à l’heure où notre congrès entend les ouvrir en grand, donnant pleinement la parole et la main aux dizaines de milliers d’adhérents communistes. Je n’exprime donc ici qu’un point de vue personnel, tel qu’il est pour l’instant stabilisé avant le large débat collectif qui s’annonce. Je sais les réflexions plurielles et mon camarade Alain Hayot qui a beaucoup écrit sur le sujet, a sans doute un autre regard, par exemple. Pour moi, il y a deux questions. Le populisme est présenté comme la grande forme de proposition alternative importante. Et il ne faut pas prendre ça de haut puisque la force qui présente cette option politique comme une alternative – la France insoumise – est la principale force progressiste du moment.

La première question, c’est celle du populisme tout court. C’est un mot très employé et dont le contenu n’est pas toujours très clairement défini. En réalité, ce mot a une étrange histoire qui renvoie à des moments très différents. Le premier moment lexical du populisme renvoie au socialisme agraire russe, les Narodniki, qui n’a rien à voir du tout avec ce qu’on appelle « populisme » aujourd’hui : c’est eux qui ont introduit les textes de Marx en Russie ; c’est avec eux que Lénine polémique… Le second moment renvoie à une expression progressiste plus vague : le populiste est celui qui est favorable au peuple. Après tout, c’est ce que dit le mot, étymologiquement parlant, et tout le monde est à même de l’entendre ainsi sans être un éminent latiniste. C’est pourquoi il y avait le prix populiste, ce prix littéraire qui était remis à des auteurs progressistes qui parlaient du peuple et pas uniquement de héros de la bourgeoisie.

Et puis, il y a le moment qui commence dans les dernières décennies du XXe siècle. C’est le moment Pierre-André Taguieff qui vient relancer cette espèce de conception du populisme qui consiste à dire qu’il n’y a plus de lecture gauche-droite, mais une lecture de type cercle de la raison, au centre (libéraux de gauche, libéraux de droite, etc.), versus les fous à lier, de part et d’autre de cet axe central. Il s’agit, en quelque sorte, du décalque, en politique, de la lecture sociale insiders versus outsiders. Ce dernier modèle sociologique dont l’essor est d’ailleurs contemporain de celui du « populisme » façon Taguieff prétend ainsi qu’il n’y a plus de classes car la société a été confrontée à une gigantesque « moyennisation » ; ne reste plus que les insiders (ouvriers, cadres, patrons…) d’une part et les outsiders, vrais miséreux qui, seuls, ont droit à quelque (maigre…) charitable intervention. Je ne développe pas, mais la simultanéité n’est jamais fortuite aimait à rappeler le grand historien Ernest Labrousse… Bref, avec le populisme de Taguieff, c’est-à-dire le populisme, tel qu’il est repris par la grande masse des journalistes et des hommes politiques : soit vous êtes au milieu, entre personnes raisonnables qui acceptent l’économie de marché, soit vous êtes dans la catégorie des déments indifférenciés, celle des populistes.

 

“Vous dénoncez les exilés fiscaux ? Populiste ! Vous attaquez les grands média ? Populiste ! Vous notez les proximités entre le monde de la finance et celui des dirigeants politiques des grandes formations ? Populiste ! Accepter la notion, c’est accepter de voir invalidé tout discours de classe.”

 

Pour ma part, je trouve cette conception dangereuse et inopérante. D’un simple point de vue descriptif, mettre Marine Le Pen et Hugo Chavez dans la même catégorie politique, ce n’est pas un progrès de la pensée politique.. Il s’agit de pensées profondément différentes, donc forger un mot qui explique qu’il s’agit de la même chose, c’est une régression au plan intellectuel. Cela ne permet pas de mieux nommer et comprendre les choses ; au contraire, cela crée de la confusion. Plus profondément, cette dernière est dangereuse puisque cela consiste à dire que tout ce qui est une alternative à la situation actuelle, tout ce qui conteste le dogme libéral relève de ce terme qu’est le populisme. Pire, si le populisme est cette catégorie infâmante désignée à caractériser ceux qui opposent « le peuple » aux « élites » alors qu’il n’y aurait, bien sûr, que des individus dans la grande compétition libre, comment ne pas voir combien cette notion forgée par des libéraux invalide immédiatement toute option de lutte des classes ? Comment penser que ce n’est pas aussi un des objectifs de cette théorisation ? Vous dénoncez les exilés fiscaux ? Populiste ! Vous attaquez les grands média ? Populiste ! Vous notez les proximités entre le monde de la finance et celui des dirigeants politiques des grandes formations ? Populiste ! Accepter la notion, c’est accepter de voir invalidé tout discours de classe.

Gérard Mauger a raison selon moi quand il dit dans son intervention, que le populisme, c’est une forme d’« insulte polie », une façon de discréditer. Par ailleurs, lisez Taguieff, pour lui, le populisme, c’est d’abord un « style ». Personnellement, je ne classe pas les forces politiques en fonction de leur style, mais en fonction des objectifs qu’ils nourrissent. Le style est secondaire. J’ajoute que c’est faire un beau cadeau à la droite et à son extrême. Puisque l’extrême droite, en n’étant pas qualifiée comme telle, devenant « populisme », n’est plus le prolongement de la droite, c’est mettre des digues absolues entre Eric Ciotti et Marine Le Pen ; le premier étant censé appartenir au monde raisonnable central et la seconde relever de la catégorie distincte et sans rapport du « populisme ». Beau cadeau de respectabilité à la droite au moment même où elle court après son extrême… Ensuite, renoncer à qualifier l’extrême droite en usant du mot de droite et du mot d’extrême pour lui privilégier la notion de « populisme », c’est lui retirer deux fardeaux (personne n’est « extrême » ; le discrédit de la droite parmi les couches populaires reste large) et lui offrir le peuple (tout le monde entend bien « peuple » dans « populisme », sans agrégation de lettres classiques !). Bref, je sais que ce point de vue n’est pas celui de tous mais, à mes yeux, cette notion est une régression et un danger. Le débat se poursuivra car il n’est pas question de le trancher ici !

La seconde question renvoie évidemment aux conceptions de Chantal Mouffe autour du « populisme de gauche ». Au départ, Mélenchon expliquait aux journalistes qui lui collaient cette étiquette populiste : si le populisme, c’est dénoncer les collusions, etc., etc., alors qu’on me taxe de populiste. Néanmoins, il le faisait sur le mode de la récusation et de la provocation. Aujourd’hui, sa position a changé puisqu’il assume cette stratégie « populiste de gauche » théorisée au départ par la philosophe belge. La tâche se complique ainsi et il faut faire la différence entre le populisme taguieffien des journalistes quand ils parlent de Marine Le Pen (… et de Mélenchon) et le populisme de Mouffe. Pour ce qui est de Chantal Mouffe, il s’agit d’un projet théorique qui est plus solide que ce que fait Taguieff. Annie Collovald refuse d’ailleurs de parler de concept pour le populisme de Taguieff, et considère que c’est à peine une notion qui frise l’inconsistance. C’est ce qu’elle explique dans un ouvrage qui selon moi reste fondamental, Le populisme du FN, un dangereux contresens [2004].

 

“Le populisme nait donc d’une recherche de renouveau de la pensée social-démocrate, quand d’autres vont inventer, avec Giddens et Blair, la « troisième voie ».”

 

Chez Mouffe, et en réalité chez Laclau, on est face à une réponse, dans le domaine de la social-démocratie, élaborée dans la panade des années 1980. Période au cours de laquelle toutes les grandes conceptions social-démocrates traditionnelles sont mises en difficulté, sans parler bien évidemment de la situation des socialismes réels qui étaient par ailleurs combattus par la social-démocratie. Les amis de Mouffe et de Laclau, depuis longtemps en opposition aux communistes, ne vont bien sûr pas se rapprocher des communistes soviétiques dans les années 1980, au moment même où triomphe la grasse gérontocratie brejnévienne et post-brejnévienne où le système soviétique montre toutes ses limites et son inefficience. Le populisme nait donc d’une recherche de renouveau de la pensée social-démocrate, quand d’autres vont inventer, avec Giddens et Blair, la « troisième voie ».

Quels problèmes cela pose pour nous ? D’abord, la question de classe est complètement explosée. Dans la pensée de Chantal Mouffe, c’est clair, net, et précis : il n’y a pas de classe en soi, mais des discours des acteurs. Il s’agit d’un postmodernisme caractéristique de la pensée des années 1980, pensée d’ailleurs très datée : il n’y a pas de réalité mais d’indépassables discours. Il n’y a pas d’intérêt objectif de classe ; d’où l’importance accordée au mot plus vague de « peuple ». Est-ce un progrès ou une régression ? Nous considérons que la question de classe est une question centrale ; elle l’est même nettement plus aujourd’hui qu’hier. Il suffit d’ouvrir les yeux sur les évolutions du capitalisme contemporain. On est ramenés aux socialismes utopiques que Karl Marx combattait. C’est amusant de voir aujourd’hui le beau film de Raoul Peck, Le Jeune Karl Marx, qui évoque ces débats avec tous ces socialistes rêvant en dehors du monde de classe…

Deuxièmement, l’horizon des communistes reste un horizon universaliste qui pose le communisme comme objectif. Cet horizon est complètement absent chez Mouffe pour qui il faut trouver une manière de gérer les dérives du capitalisme et les antagonismes dans ce qu’elle appelle un cadre « agonistique » (un cadre de combats, de tensions, de conflits – agôn, en grec). Puisque pour elle, les conflits sont inépuisables et penser les abolir serait contraire à l’anthropologie profonde, selon sa lecture de la « nature humaine » qui se revendique de Freud. Tout cela me semble poser plus de problèmes que cela n’en résout… Dire qu’on renonce à l’objectif de dépassement des conflits de classe, au moment où le capitalisme est de plus en plus inefficient et criminel, me paraît être inopérant et négatif. Donc même si la proposition de théorique de Mouffe est intéressante – au sein de la social-démocratie, elle refuse la capitulation pure et simple façon Blair et Schröder et permet ainsi que se mènent bien des combats communs –, elle débouche sur un horizon limité. Il s’agirait de renoncer au communisme au moment même où le capitalisme ne parvient clairement plus à répondre aux possibilités de développement de l’humanité. L’humanité a les ressources et les savoirs pour répondre aux grands défis (faim, santé, logement, culture, développement durable…) mais le capitalisme, parce qu’il vise le profit étroit et maximal de quelques-uns, tourne le dos à ces perspectives et approche le monde de l’abîme.

Pourtant, lorsque Pierre Laurent écrit un ouvrage intitulé 99%, il oppose un « eux » et un « nous », qui va plus loin que la simple classe traditionnellement révolutionnaire aux yeux des marxistes – le prolétariat. Bref, il fait lui aussi du populisme, non ?

Absolument pas, ici, on est dans la logique qui est celle de l’alliance de classe, qui est une logique que le PCF a souvent adoptée. Thorez faisait déjà cela dans les années 1930 ; ce n’est pas du populisme. D’ailleurs, une des lectures bien connues des communistes de ces années là est Ce que sont les amis du peuple de Lénine dans lequel il détruit les populistes russes. Donc non, ce n’est pas du populisme, c’est l’idée, déjà développée par Lénine, selon laquelle il est possible de faire des alliances avec d’autres classes, loin du « solo funèbre » de la classe ouvrière.

Pierre Laurent part d’une analyse du capitalisme contemporain qui ne profite plus qu’à une toute petite minorité. Il ne profite même pas aux petits entrepreneurs. Donc certes, il y a les salariés tout court, qui représentent une très large majorité des travailleurs, mais il y a aussi les petits patrons, qui sont insérés dans des chaînes de donneurs d’ordre qui font d’eux des quasi-salariés, puisqu’ils sont dominés par de grandes entreprises. Ils pâtissent donc aussi du système capitaliste. Ajoutons l’ubérisation et sa masse d’auto-entrepreneurs et on comprend pourquoi Pierre Laurent a raison d’élargir l’horizon au-delà de la seule classe définie par la place dans les rapports de production.

Mais en termes de méthode il y a une convergence, sur l’idée d’opposer le « eux » de la petite minorité et le « nous » du reste de la population…

Sur le « eux » et le « nous », entendonsnous bien. C’est une expression largement utilisée avant Mouffe, par exemple chez le chercheur britannique Richard Hoggart dans La Culture du pauvre. Pierre Bourdieu diffuse cet essai qui popularise cette dichotomie entre un « eux » et un « nous » dans les sciences sociales. Hoggart ne se définissait pas pour autant comme populiste, donc cette idée du « eux » et du « nous » n’est pas une marque déposée du populisme.

Un des éléments qui a cristallisé les oppositions est l’utilisation du terme « gauche ». Il est évident qu’analytiquement, la gauche existe. Mais est-il nécessaire, après le quinquennat de François Hollande, et le discrédit qui porte sur cette étiquette, d’utiliser le terme « gauche » ? Ainsi que le dit Iñigo Errejon dans LVSL, la bataille politique ne devient-elle pas, dès lors, une bataille pour l’étiquette ?

C’est une question très importante et l’entretien d’I. Errejon est très intéressant. Dans les forces de gauche, beaucoup raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » (ce qui était, est et sera, etc.). Or, il est certain, et ça tout le monde le sait, que le positionnement de la population par rapport à l’étiquette « gauche » s’est largement détérioré, même si beaucoup d’acteurs politiques se sont aveuglés là-dessus. Ces derniers sont restés attachés à ce signifiant (le mot « gauche »), alors qu’il avait un signifié (le contenu, le sens) de moins en moins clair dans le pays. D’ailleurs, « l’existence analytique » de la gauche dont vous parlez mériterait peut-être d’être interrogée. C’est un peu une manie de métaphysicien que de rattacher des contenus définitifs à ce mot « gauche » alors que ce terme recouvre des contenus très variables. Il est vrai que lorsque le PCF est la principale force de gauche, celui-ci opère une redéfinition du mot « gauche », le dotant d’un solide et indubitable contenu de classe. François Mitterrand, verbalement, laisse faire un certain temps et l’opération lexicale des communistes connait un certain succès, bien au-delà de ses rangs. Ces combats d’hier ont toujours une efficace aujourd’hui : voyez combien il a été difficile pour François Hollande d’être considéré comme « de gauche » au vu de la politique qu’il menait. Ça lui a coûté très cher.

 

“Je crois donc qu’il faut avoir un point de vue dialectique sur le sujet. Il faut toujours se référer à la gauche, puisque cela veut encore dire quelque chose de fort pour beaucoup de gens, mais il faut éviter d’utiliser ce terme seul et sans contenu explicite puisqu’il est aujourd’hui associé négativement à des expériences libérales comme celle de François Hollande.”

 

Après le LEM, j’ai proposé des éléments d’analyse de cette difficile question dans feu La Revue du projet (dossier « Quatre essais sur la gauche », La Revue du projet, n°50, octobre 2015). Sauf qu’en même temps, ce qui a moins été vu, c’est que le PCF a moins de pouvoir de définition qu’avant sur le contenu du mot « gauche », et donc que la force subversive de cette étiquette s’est érodée. Les expériences sociallibérales ont petit à petit vidé de son sens ce terme pour une partie notable de la population, sans faire disparaître son contenu passé pour une autre.

Je crois donc qu’il faut avoir un point de vue dialectique sur le sujet. Il faut toujours se référer à la gauche, puisque cela veut encore dire quelque chose de fort pour beaucoup de gens, mais il faut éviter d’utiliser ce terme seul et sans contenu explicite puisqu’il est aujourd’hui associé négativement à des expériences libérales comme celle de François Hollande. La proposition de la France insoumise, de LREM voire du FN de ne pas se situer clairement par rapport à ce terme consistait à essayer d’aller récupérer ces gens pour qui le mot gauche est un mot perdu, associé à des expériences négatives et à des conceptions politiciennes de la politique. Il s’agissait aussi de composer avec le rejet du clivage gauche-droite, qui est devenu un repoussoir pour beaucoup de monde.

Continuer à utiliser le terme « gauche » comme si de rien n’était impliquerait alors de s’adresser uniquement à ceux à qui le mot parle, mais s’aliéner le reste de ceux pour qui il ne veut plus rien dire. Je crois donc que la solution consiste à utiliser cette notion avec modération, mais surtout, insister sur les contenus. Plutôt que de dire seulement « nous sommes pour une politique de gauche », qui est un discours abstrait et qui n’est pas compris par tous, il est sans doute préférable d’expliquer que « nous sommes pour l’augmentation des salaires, les droits des salariés, les services publics, etc. » voire « Nous sommes pour une politique de gauche, c’est-à-dire pour l’augmentation des salaires… ».

L’un des reproches régulièrement adressés au populisme repose sur la place des affects en politique. Ceux qui se revendiquent du populisme affirment qu’il est nécessaire de prendre en compte les affects et l’esthétique lorsque l’on construit un discours et un programme, et de ne pas s’appuyer uniquement sur la raison, c’est-à-dire sur la véridicité des idées et des discours. Est-ce pour vous de la démagogie ? Doit-on refuser les affects en politique ?

Non, bien évidemment que non. Avec la politique, il y a forcément des dimensions affectives et esthétiques qu’il faut prendre en compte. Et il faut reconnaître, de ce point de vue, que la France insoumise a réfléchi à ces questions et a fait des choses intelligentes et plutôt fortes. Quel est le point de désaccord ? Revenons à Mouffe. Elle est dans une relation postmoderne dans lequel l’horizon rationnel se dissout. Le problème, ce n’est pas juste d’intégrer la dimension affective, c’est de renoncer à la dimension rationnelle. Personnellement, je veux bien qu’on utilise toutes les armes de communication à notre disposition, mais toujours avec une finalité rationnelle et avec un primat rationnel. Ce n’est pas le cas chez Mouffe, chez qui les discours flottent sans lien avec le réel.

 

“L’affect est une contrainte nécessaire, et non un objectif en soi, si l’on veut que le peuple soit acteur, et qu’on ne se limite pas à vouloir emporter les foules grâce à un leader charismatique…”

 

Portrait de Lénine ©Wikimédia commons

Utiliser les affects n’est donc pas problématique en soi ; tout le monde utilise les affects. Là où les choses deviennent plus dangereuses, c’est lorsqu’on considère qu’on doit patauger dans ces affects et s’y soumettre. Il faut au contraire avoir en permanence l’objectif de les dépasser très vite. Il est primordial d’amener au maximum vers une large réflexion rationnelle. L’affect est une contrainte nécessaire, et non un objectif en soi, si l’on veut que le peuple soit acteur, et qu’on ne se limite pas à vouloir emporter les foules grâce à un leader charismatique… qui est par ailleurs mortel. L’horizon du communisme ne consiste pas à être guidé par des bergers éloquents, mais à avoir un peuple acteur et conscient. Et puisque nous sommes en plein centenaire, faut-il rappeler la perspective de Lénine ? “C’est à l’action révolutionnaire consciente que les bolchéviks appellent le prolétariat.”

Précisément, sur cette figure du leader charismatique, on peut avoir le sentiment que le PCF est un peu traumatisé par son passé stalinien et la façon dont des figures ont pu faire l’objet d’un culte. À tel point que le parti semble être dans le refus de cette fonction tribunicienne. Faut-il s’en tenir au « ni dieu, ni César, ni tribun » de l’Internationale ou faut-il être capable de penser la nécessité des médiations et la façon dont un individu est capable d’incarner quelque chose à un moment donné, et d’exercer une fonction de traduction des demandes politiques dans le champ politique ?

Le mouvement ouvrier a toujours eu des figures de proue, bien avant Staline. Il y avait des bustes de Jaurès dès son vivant. L’idée que Staline a inventé le culte de la personnalité, que celui-ci relève de la pure importation est complètement absurde et ne résiste pas à l’analyse. La figure tribunicienne est pour nous une limite, parce qu’on quitte le domaine rationnel pour renforcer le domaine affectif. Quand ce n’est plus un objectif politique qu’on soutient mais une personnalité, quand le peuple troque son esprit critique contre l’adoration d’une figure humaine (et donc faillible…), il y a toujours danger. Cette limite a bien évidemment une force puisqu’elle permet aussi d’entrainer les individus vers un but commun. Gramsci disait “Il est inévitable que la révolution, pour les grandes masses, se synthétise dans quelques noms qui semblent exprimer toutes les aspirations et le sentiment douloureux des masses opprimées […]. Pour la plus grande partie des masses […], ces noms deviennent presque un mythe religieux. Il y a là une force qu’il ne faut pas détruire.” Encore une fois, il s’agit d’une contrainte, et non d’un objectif. Reste que, la présence d’un tribun peut aider, et il n’y a pas besoin de remonter si loin que ça. Une figure comme Georges Marchais – mon ami Gérard Streiff y revient un peu dans sa belle petite biographie – a bien sûr pu, un temps, incarner et rendre visible l’option communiste.

 

“Pourquoi est-ce que Georges Marchais, aussi, avait cette puissance d’évocation et d’entrainement ? Parce qu’il s’agissait d’un ouvrier d’une famille populaire.”

Crédits Photo
Antonio Gramsci, intellectuel communiste et fondateur du PCI.

 

Aujourd’hui, les responsables communistes sont confrontés à cette question de l’incarnation. Et Pierre Laurent, de ce point de vue, a eu raison de signaler qu’il est important de poser la question sociale et ce à quoi renvoie l’incarnation. Pourquoi est-ce que Georges Marchais, aussi, avait cette puissance d’évocation et d’entrainement ? Parce qu’il s’agissait d’un ouvrier d’une famille populaire. Cela joue beaucoup, même si ce n’est pas tout. Même chose pour Maurice Thorez, qui était au départ mineur, et qui était capable d’argumenter et de vaincre des technocrates de la bourgeoisie. C’est important, parce que cela opère en creux la démonstration que les travailleurs, si profondément méprisés, sont capables, en travaillant, d’avoir les ressources pour diriger le pays. Cela envoie un signal important, puisque l’objectif des communistes est bien de faire parvenir cette large classe laborieuse au pouvoir, ce qui implique qu’elle sente bien qu’elle en est capable et que le mépris que la bourgeoisie lui voue est infondé. C’est un objectif essentiel lorsqu’on voit à quel point les incapables qui gèrent ce monde sont en train de l’envoyer dans le mur.

Pierre Laurent a donc expliqué qu’il nous fallait davantage cet objectif jusque dans la direction du Parti, en donnant une forte place aux diverses facettes du large spectre du salariat. Je suis parfaitement d’accord avec lui : je crois que nous avons à travailler vite et fort sur cet enjeu. Aucun des autres grands partis ou « mouvements » ne semble s’en préoccuper lorsqu’on observe que leurs dirigeants sont presque tous issus de CSP+. Le problème dans le pays est qu’il y a des millions d’ouvriers et d’employés, et qu’ils sont très peu représentés en politique aux échelons de direction. C’est une situation qui nous préoccupe, nous, et qui ne peut pas durer.

Parmi la bataille de tranchée intellectuelle que se livrent marxistes orthodoxes et populistes post-marxistes, Gramsci fait figure de point nodal. Les intellectuels populistes s’appuient largement sur le concept de sens commun développé par Gramsci et sur l’idée qu’il est nécessaire de construire une hégémonie nationale-populaire. Mais les marxistes reprochent à ceux-ci de vider la pensée de Gramsci de son contenu de classe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Gramsci a écrit beaucoup, mais assez peu en réalité, et sur de nombreux sujets. Ses réceptions sont très nombreuses, très variées et très contradictoires. Parmi les usages fréquents de Gramsci, et qui vont contre ses textes, il y a l’idée qu’il serait un marxiste… antimarxiste ! C’est-à-dire, un marxiste qui relègue les questions économiques au second plan. Ce n’est pas du tout ce que dit Gramsci, mais c’est l’usage de masse. C’est la camelote soi-disant gramscienne qu’on nous refile souvent.

Selon celle-ci, Gramsci aurait compris l’importance des questions culturelles alors que les marxistes ne les prenaient pas en compte. Ça, c’est le « gramscisme pour les nuls ». Donc effectivement, les « populistes », Alain de Benoist et d’autres, piochent dans Gramsci ce qui leur permet de se dire qu’on peut s’occuper d’autres questions que les questions de classe. C’est un usage alibi de Gramsci.

C’est une erreur profonde, puisque Gramsci réfléchit dans un cadre marxiste et qu’il prend en compte les questions économiques qui restent déterminantes en dernière instance. L’usage qui est fait de Gramsci par les populistes est donc un usage assez banal qui s’arrête à la crème du capuccino pour bazarder le café, comme le font tous les libéraux.

Par ailleurs, il est reproché à des intellectuels comme Chantal Mouffe ou Iñigo Errejon leur excès de constructivisme et la dimension postmoderne de leur analyse lorsqu’ils parlent de construire un peuple. Il s’agit pour eux de dire qu’il n’y a pas de pour soi déjà là – ni d’en soi, du moins pour Chantal Mouffe –, que c’est aux acteurs politiques, par leurs pratiques discursives, d’élaborer ce sujet politique pour soi. Marx ne faisait-il pas déjà la même analyse lorsqu’il distinguait le prolétariat en soi et le prolétariat pour soi ?

Mais justement non, parce que ce n’est pas seulement dans la « pratique discursive » que l’on construit les sujets politiques, mais par la lutte, et cela n’existe guère dans le référentiel populiste qui met en avant les discours. Comment est-ce que les gens se mettent en mouvement ? Bien sûr, les discours ont leur importance, mais cela n’est pas l’essentiel…

Mais précisément, le terme de pratique discursive ne renvoie pas uniquement aux discours, mais à toutes les actions qui ont un effet symbolique…

Historiquement, on a fait une distinction entre ce qui relève du discours et de la parole, et à l’inverse, des choses concrètes. Cette distinction est utile et pertinente, notamment en matière politique. Pourquoi ? Parce que la politique, lorsqu’elle se met en place, est d’abord une affaire de discours. Par là même, cela met à distance les couches populaires dont le métier et la formation ne tournent pas de manière centrale autour de l’usage des mots, des bons mots, des belles formules… D’où, à l’inverse, la présence de nombreux avocats en politique La grande majorité du peuple n’a évidemment pas appris la rhétorique, ce qui la place d’emblée dans une situation d’infériorité et de délégation visàvis de ceux qui « parlent bien ».

Chantal Mouffe en conférence ©Columbia GSAPP

Donc, lorsque l’on s’intéresse au salariat, il est très important de distinguer ce qui relève du discursif et ce qui relève de l’expérience concrète. Les personnes et les consciences ne se mettent pas en mouvement par une simple démonstration, comme dans les rêveries du socialisme utopique et le gauchisme où l’on vient avec son petit plan rationnel qu’il suffit d’exposer et le socialisme se fait comme deux et deux font quatre. Une des grandes leçons de Marx en la matière remet à sa place la force du verbe. En effet, c’est à travers les luttes, et notamment les luttes victorieuses, que l’on met en mouvement le grand nombre.

 

“Lisez donc les discours de Maurice Thorez ou de Jacques Duclos, ce n’est ni Sarkozy ni O’Petit ! Néanmoins, plus que le verbe, c’est l’action qui est la plus déterminante. Il faut faire la démonstration que l’action collective marche.”

 

Revenons à Cause Commune. Pourquoi fait-on un dossier sur la façon dont on peut sauver le bureau de poste proche de chez soi ? Parce que le fond du problème, et de ce qu’a été le déclin du PCF (années 1980-1990-début des années 2000), c’est lorsque vous avez une démonstration concrète de l’impuissance et de l’inutilité de l’action collective. Le déclin du PCF n’a pas eu lieu de la façon dont certains fabienologues [les spécialistes de la place du Colonel Fabien, là où siège le PCF, ndlr] le disent. Pour eux, il provient de décisions du comité central (« Le 4 avril 1983… », « le 3 avril 1987 », « le 1er août 1978, lorsque Georges rentre de la chasse… »). Ces explications sont superficielles et ne vont pas au cœur du problème. Je vais vous donner un exemple. À la fin des années 1970, il y a une grande marche des sidérurgistes, qui sont beaucoup mieux organisés que le reste du salariat. La masse des gens est moins organisée et observe l’action des sidérurgistes, très impliqués et qui bénéficient d’un fort soutien syndical et politique. Or cette action échoue malgré leur lutte acharnée. Cela entraine des conséquences immédiates, incomparables à la force des discours et des résolutions de Georges, Charles ou que sais-je. Les gens se disent « si on lutte, on perd, donc autant que je me débrouille tout seul » et « c’est inutile de monter un syndicat dans ma petite entreprise où il n’y en a pas, puisque même les sidérurgistes, si organisés, se font laminer ». Cela révèle toute la puissance de l’expérience. La vérité du déclin du PCF est celle-là : l’expérience concrète de l’inefficacité de l’action collective qui conduit au repli des individus sur leur sort personnel.

Certes, le verbe est important, et il est aussi apprécié par les couches populaires qui apprécient le bon mot et la belle phrase. D’ailleurs, c’est l’honneur du Parti communiste de n’avoir jamais été démagogue et de n’avoir jamais « parlé mal » pour « faire peuple ». Au contraire, nous avons toujours eu à cœur de nous exprimer de la façon la plus belle et la plus noble possible. Lisez donc les discours de Maurice Thorez ou de Jacques Duclos, ce n’est ni Sarkozy ni O’Petit ! Néanmoins, plus que le verbe, c’est l’action qui est la plus déterminante. Il faut faire la démonstration que l’action collective marche. Plus encore, il faut faire faire aux gens l’expérience que l’action collective est efficace. Parce que cela réamorce des pompes essentielles pour l’emporter politiquement. Je me réjouis des 19,5% obtenus par Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, mais ils ne suffisent pas, on n’ira pas au bout simplement avec ça et la puissance du verbe.

Par ailleurs, chez Marx, ce n’est pas le verbe qui permet de passer d’un prolétariat en soi à un prolétariat pour soi. C’est justement par les luttes et les relations dialectiques que le prolétariat entretient avec les autres classes qu’il prend conscience de lui-même. Aujourd’hui, on a un problème de conscience de classe, et il est de taille. Celle-ci a reculé très fortement au profit d’autres grilles « eux/nous » comme les délirantes mais ascendantes grilles raciales. Cependant, plutôt que d’être dans la nostalgie du « c’était mieux avant », il faut se poser fermement la question de savoir comment il est possible de reconstruire une conscience de classe. Nous devons amplifier ce travail mais vous pouvez compter sur les communistes pour le mener.

 

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL

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Roger Gauvrit

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La souveraineté populaire est l’enjeu de ce siècle – Entretien avec Roland Weyl

Docteur en droit et avocat depuis 1939, Roland Weyl est doyen du barreau de Paris. Il est aussi premier vice-président de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD) dont il est membre depuis 1946, année de son adhésion au PCF.


LVSL – Vous êtes membre du Mouvement de la paix et de l’Association internationale des juristes démocrates, que vous inspire, à l’aune de votre engagement et votre expérience, l’état actuel des relations internationales ?  

Roland Weyl – C’est très simple : Le monde donne le spectacle d’un abominable chaos, livré aux rapports de force entre puissances, avec les pires dangers.

Pourtant, à l’épreuve des tragédies des deux guerres mondiales, les puissances s’étaient accordées pour instituer une légalité internationale qui mette la guerre hors la loi. C’est la Charte des Nations Unies adoptée en 1945 au motif magnifiquement énoncé dans son préambule : «  Nous peuples des  Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui par deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’Humanité d’indicibles souffrances … avons décidé d’unir nos efforts ». Et la Charte crée l’ONU pour que les peuples y unissent leurs efforts par le moyen de leurs États.

Seulement elle n’a donné aux peuples que le pouvoir politique et non le pouvoir économique que les États soumis aux puissances financières leur avaient réservé par les Accords de Bretton Woods qui ont créé le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, et qui confisquent leurs États aux peuples pour en faire leurs instruments de pouvoir, marginalisant l’ONU ou même la détournant pour en faire leur instrument de gouvernance mondiale.

Et l’on se trouve comme avant 1945, comme s’il n’y avait pas de légalité internationale.

LVSL – Vous attachez une grande importance à la Charte des Nations-Unies. Alors que l’ONU semble souvent impuissante, pourquoi celle-ci peut-elle toujours être un outil au service de la paix ?  

RW – L’outil existe et la question n’est pas d’en faire un autre, ou de changer celui-là car il serait semblablement confisqué ; Il n’y a pas d’alternative au combat des peuples pour exercer le pouvoir qui leur est confié et l’arracher à ceux qui le leur prennent ; Mais pour cela, il faut d’abord qu’ils le sachent et le rôle des médias est ici essentiel. Or ils entretiennent l’idée conforme aux vœux et besoins du capitalisme mondialisé d’une gouvernance mondiale (verticale) sur les peuples au lieu d’une concertation inter-nationale (horizontale) des peuples. D’où notre responsabilité dans la bataille de l’information.

LVSL – La question de la souveraineté populaire et nationale semble au cœur de votre engagement, comme avocat anticolonialiste d’abord, mais aussi plus tard en opposition à la construction européenne libérale. Le concept de souveraineté fait parfois débat à gauche. À l’heure où il semble être redécouvert, pourriez vous nous dire pourquoi il vous apparaît essentiel ?  

RW – J’ai récemment commis un petit livre édité par les Éditions de l’Humanité sous le titre Droit, pouvoir, citoyenneté, où j’insiste sur le fait que dans tous les domaines de toute organisation sociale est fondamentale l’alternative entre pouvoir d’en haut et pouvoir d’en bas, c’est à dire le pouvoir citoyen.

La « démocratie » n’est pas seulement un catalogue de libertés, c’est la définition d’un pouvoir, celui du peuple (du grec ancien « demou », du peuple, « kratos », le pouvoir) ; Quand la bourgeoisie a confisqué pour elle la Révolution de 1789, toute la bataille du 19è siècle (en 1848 comme en 1851 et surtout en 1871) a été pour donner son contenu de souveraineté populaire (souveraineté du peuple) à la démocratie. Et c’est plus que jamais l’enjeu contemporain, quand on veut substituer aux partis politiques, qui sont les structures par lesquelles s’organisent dans leur diversité les instruments de la souveraineté populaire, des mouvements populistes qui consistent à demander au peuple de suivre un chef auquel ils délèguent leur pouvoir dont l’origine populaire fournit une apparence de caution.

Lorsque la Charte des Nations Unies fonde le droit international sur la souveraineté des peuples, parce que ce sont eux les principales victimes des guerres, elle porte la souveraineté populaire au rang de valeur universelle. Et la souveraineté nationale est la définition de la souveraineté populaire en prenant en compte qu’il n’y a pas un peuple mondial mais des peuples différents, chacun ayant seul le droit de gérer ses affaires sur son territoire et dans ses relations avec les autres, dans une obligation de respect mutuel et un intérêt à la coopération, ce qui est le contraire du nationalisme qui les oppose les uns aux autres.

C’est pourquoi on ne doit pas parler de citoyenneté mondiale – qui renverrait à une gouvernance mondiale dans laquelle chacun ne serait qu’un individu, alors que l’un des premiers droits de l’Homme est le droit de l’individu aux droits de son peuple – mais de la part internationale de l’exercice de la citoyenneté nationale. 

LVSL – Vous avez publié avec votre épouse, Monique Weyl, Se libérer de Maastricht pour une Europe des Peuples en 1999. On peut dire que vos critiques de l’époque à l’égard de L’Union Européenne étaient en avance. À cet égard, le Non au traité constitutionnel de 2005 et son contournement par le traité de Lisbonne ont fait office de révélateurs. Comment vous positionneriez-vous aujourd’hui sur la question d’une sortie ou d’un changement des institutions européennes actuelles ?  

RW – C’est très simple : Cela renvoie à l’alternative entre pouvoir d’en haut et pouvoir d’en bas et aussi à celle entre le vertical et l’horizontal.

Pour briser la possibilité par les peuples de résister par leurs États à la soumission à la loi de la jungle du libéralisme économique, l’Union Européenne est conçue comme un pouvoir supérieur, qui impose à l’État le respect de la « concurrence libre et non faussée », au détriment de nos services publics, de nos choix budgétaires, etc… En cela elle est contraire au droit international institué par la Charte qui repose sur le droit absolu des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Il ne s’agit pas d’ignorer l’appartenance européenne, mais d’y substituer au vertical l’horizontal, et le modèle existe : c’est tout simplement l’Acte final de la Conférence d’Helsinki de 1975 qui avait été signé par tous les chefs d’État, dont Giscard d’Estaing et Brejnev, et qui comportait 3 corbeilles de coopération entre tous les peuples d’Europe par leurs États : dans le domaine du désarmement et des mesures de confiance mutuelle, des Droits de l’Homme et des échanges à ce sujet, et d’accords commerciaux. Cela n’est jamais passé dans la réalité pour des raisons que l’on peut comprendre, Mais ce qui était possible au temps où l’Europe était coupée en deux devrait l’être à plus forte raison aujourd’hui, et d’ailleurs des esprits avisés parlent d’un « Helsinki 2 ».

LVSL – Historiquement d’ailleurs le PCF a longtemps été à l’avant garde de la contestation d’une construction européenne d’inspiration fédéraliste et libérale comme l’a illustré la campagne victorieuse contre la Communauté Européenne de Défense (CED) dans les années 1950. Aujourd’hui, l’UE tente de se relancer par le retour à un projet de défense commune. Quelle est donc votre appréciation sur ce sujet ? 

RW – D’abord, puisqu’à été évoquée la campagne contre la CED, je voudrais souligner combien elle et son résultat ont une valeur de référence que je cite souvent car elle illustre à la fois le rôle des partis et la nature du pouvoir citoyen, qui ne consiste pas à élire des députés pour leur donner le pouvoir mais pour l’exercer en permanence par leur intermédiaire ;

C’est en 1952 qu’a été lancé le projet d’une Communauté Européenne de Défense. Le PCF (avec les Gaullistes de gauche) a mené une campagne considérable de réunions et de pétitions. Cela a été facilité par le fait que la constitution de la 4è, quoi qu’on en prétende, a été la plus démocratique, comme d’ailleurs le fonctionnement de l’Assemblée qui était saisie longtemps à l’avance et travaillait publiquement.

Quand la ratification est venue devant l’Assemblée, il y avait une majorité pour, mais pendant les 3 jours de débats, il y a eu devant l’assemblée Nationale une queue de délégations porteuses des pétitions de leur village ou de leur atelier, et qui demandaient à parler à leur député, et la majorité a basculé et la CED a été rejetée.

Il ne doit pas y avoir d’Europe de la Défense, parce que chaque peuple doit être le seul maître de sa sécurité. D’ailleurs la Charte des Nations Unies exclut toute défense préventive parce qu’on sait trop comment des agressions peuvent avoir pris comme prétexte une craintre d’etre attaqué. Et nous ne pouvons pas être liés par l’obligation d’épouser des querelles qui ne seraient pas les notres. De plus cela remplacerait le droit inter-national par un droit inter-continental.

D’ailleurs ce ne serait qu’un remake de l’OTAN avec l’alibi que ce serait sans les Etats-Unis. Mais l’OTAN est illégale et pas seulement en raison de la présence des Etats-Unis. Comme rappelé ci-dessus, la Charte interdit le recours à la force dans les relations internationales et réserve au seul Conseil de Sécurité le droit de recourir à la force et seulement pour maintenir (par des interpositions) ou rétablir la paix. L’OTAN est donc ce que serait une bande armée dans un pays, et une force européenne le serait également .

LVSL – Vous avez adhéré au PCF en 1946 et traversé des périodes très différentes. Autant dire que vous devez avoir des anecdotes à raconter sur celui-ci ! Qu’est ce qui à motivé un engagement aussi constant ? Alors que la gauche semble aujourd’hui en pleine recomposition, quel rôle souhaitez vous voir le PCF tenir dans la prochaine période ?   

RW – J’aurais peut-être beaucoup d’anecdotes, mais je m’en tiendrai à deux questions : pourquoi j’ai choisi d’être communiste, et pourquoi je le suis plus que jamais.

Mon adhésion a été l’aboutissement logique d’un long cheminement commencé dès mon enfance : avec un père de formation républicaine de gauche, sans engagement politique mais de gauche comme anti-droite, et dans la mouvance de pensée de ce que représentait dans les années 1900 Camille Pelletan, radical-socialiste du courant « pas d’ennemis à gauche ». Une famille judiciaire d’où découlait une exigence d’universalité de la justice, donc incluant la justice sociale, le tout nourri d’un culte de 1789.

En même temps une éducation de fierté nationale (en dépit du colonialisme), nourri par l’anti-germanisme d’une origine alsacienne après les guerres de 70 et 14-18 mais aussi contre la domination US ; avec cela une mère qui après la première guerre mondiale était obsédée de paix et m’en avait nourri ; en 1934 au lycée, sous la menace de l’exemple allemand, la participation aux pugilats dans la cour de récréation contre  les « Action Française » et les « Croix de feu » , puis la joie du Front Populaire ; puis la découverte de l’internationalisme aux Auberges de la Jeunesse,  une modeste activité de résistance hors les communistes mais à leur coté, et surtout, à la libération, les communistes porteurs du programme du CNR et le rejet de la compromission de tous les autres avec n’importe qui pour faire alliance contre les communistes.

Rien ne peut mieux le résumer que la citation commune de Vaillant-Couturier et d’Aragon: « nous continuons la France », et la conscience, qui fut celle de tant d’intellectuels, de ce que le Parti était le porteur de l’alternative de civilisation.

Et si je suis resté communiste plus que jamais c’est que l’alternative demeure, et que le PCF par toute son histoire en est le poteur. Certes, ce n’a jamais été sans des accrocs, mais selon l’adage « errare humanum est », se tromper est humain et rien n’est aussi redoutable que le dogme de l’infaillibilité.

L’un des plus sérieux avatars a été récemment la crise de la « mutation », tendant à une social-démocratisation, comme l’a vérifié l’évolution ultérieure de son initiateur. Mais la solution n’était pas de quitter le navire, avec des dispersions groupusculaires, mais de faire son possible chacun à sa mesure, pour aider à en reprendre et redresser la barre. Ce dont le PCF est le porteur, dans la continuité de son histoire, terreau fertile de son avenir et des responsabilités qui lui incombe, c’est l’unité de la lutte de classes avec la démocratie et une mise en cohérence entre souveraineté nationale et internationalisme…

Enfin, la vérification de la nécessité du PCF est la façon dont les médias aujourd’hui l’ignorent et l’occultent. C’est la meilleure preuve de ce qu’il est gênant, et donc de son importance.

Les mouvements qui sont restés sur une addition de forces ont tous échoué – Entretien avec Eric Coquerel

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Eric Coquerel et Jean-Luc Mélenchon

Eric Coquerel est député de la 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis et coordinateur du Parti de gauche avec Danielle Simonnet. Proche de Jean-Luc Mélenchon, il a d’abord été à la LCR, avant de passer par le MRC et de fonder le MARS, puis de participer à la création du Parti de gauche. Nous avons souhaité l’interroger sur sa trajectoire ; sur la recomposition en cours et le futur de la France insoumise et du PG ; et sur les rapports avec les autres partis de gauche.

 

Votre parcours est un peu différent de celui des autres cadres de la France Insoumise. Vous êtes passé par le MRC de Chevènement. Pouvez-vous revenir sur cette période ?

Mon passage au MRC a été court dans le temps. J’ai passé deux ans dans l’espace chevènementiste. Mais je dois dire que le poids de ce passage dans mon parcours est incomparablement plus fort que cela. Pour aller vite, au départ j’étais à la LCR, ce qui est encore plus paradoxal, puisque dans les années 80/90, lorsque vous prononciez le mot « République », vous y étiez globalement proche d’une collaboration de classe. Je n’exagère pas tant que ça.

A l’époque, la LCR voulait créer un grand parti de « l’avant-garde large ». L’idée consistait à regrouper tous ceux qui voulaient rompre avec le système, sans regarder si ce sont de purs révolutionnaires ou si ce sont des réformateurs radicaux. L’idée qu’une recomposition était nécessaire était donc déjà présente.

Cette ligne-là est battue en 1998. La LCR opère un tournant et repart dans une alliance avec Lutte Ouvrière. Mais pendant toute cette période des années 90, lorsque la LCR essaye de s’ouvrir, Chevènement représente une possibilité d’alliance. Tout simplement parce que le MDC [Mouvement des Citoyens, ndlr] se crée sur une rupture, plus précisément sur la question de la guerre du Golfe, ce qui n’est pas rien pour la gauche, et puis sur une rupture économique vis-à-vis de la politique suivie par le gouvernement socialiste. En conséquence, nous étions plusieurs à discuter avec eux. Progressivement, avec d’autres camarades d’un courant de la Ligue animé par François Morvan, nous avons glissé vers l’idée que la République était encore une source d’émancipation possible, et qu’elle posait la question de la souveraineté populaire, qui elle-même posait le cadre premier de la souveraineté populaire qu’était l’État-nation. Veiller à lui conserver une définition politique et non ethnique, restait un enjeu important surtout avec la montée du FN.

Personnellement, j’ai été gagné à ça. Cela fait que quelque part, ma décision de m’engager dans la campagne de Chevènement aux présidentielles était déjà dans mon esprit auparavant. Le seul problème réside dans le fait que Chevènement était passé entre temps à l’idée des républicains des deux rives. C’est sur cette base que j’ai rompu après les Présidentielles de 2002 et un an à la direction du MRC, en créant le MARS, Mouvement pour une alternative républicaine et sociale. Ça m’a permis en 2005 de rencontrer Jean-Luc, que je ne connaissais pas avant. Lui a découvert qu’il y avait des républicains dans cette gauche mouvementiste et moi j’ai découvert qu’il y avait des républicains chez les socialistes. Mais c’est vrai que j’ai un parcours différent du reste du PG, dont beaucoup venaient du PS. Ce n’est pas la même histoire.

Après la victoire du Non au référendum de 2005, vous avez cherché à obtenir une unité politique du Non de gauche. Au Parti de Gauche, vous étiez secrétaire national aux relations extérieures et unitaires. Alors que la France Insoumise semble devenir la voix politique de l’opposition grâce à sa stratégie populiste, comment envisagez-vous les rapports avec les autres composantes de la gauche au Parlement et pour les élections intermédiaires ?

C’est simple. Si à un moment donné, il y a un cadre de batailles communes, on les mènera. Par exemple, nous venons de faire un recours constitutionnel avec le PC et le PS. En tout cas, une chose est sûre : la recomposition actuelle ne passe pas par le « rassemblement de la gauche » ni même par le rassemblement de toutes les forces de que nous avons appelé l’autre gauche. C’est une stratégie que j’ai essayé de mettre en œuvre : j’étais présent à la création du Front de Gauche, j’en ai été une des chevilles ouvrières. Mais force est de constater que la direction du PC ayant toujours refusé l’adhésion directe, le front de Gauche est resté un cartel de partis. Il en est mort. Pourtant, en 2010, après les premières victoires, Marie-Georges [Buffet] s’est dit aussi qu’il fallait permettre l’adhésion directe. En conséquence, elle a proposé à une convention du PC le statut des « amis du Front de Gauche », et elle a été battue. En 2012, nous n’avons jamais pu développer des cadres d’adhésion directe. Nous n’avons donc pas pu profiter de la campagne de 2012 pour créer un mouvement de masse à la base. Le PCF, fin 2012, n’a eu de cesse de vouloir rééquilibrer le Front de Gauche, c’est-à-dire de diminuer l’impact de Jean-Luc. Il fallait ce rééquilibrage pour que le PC puisse rester maître de ses choix tactiques, y compris les possibles alliances avec le PS comme on l’a vu dans le cadre des municipales.

Nous avons donc été enfermés dans un cartel de partis. C’est du moins l’analyse que j’ai faite. C’est pourquoi, dans le texte de congrès du PG, notre résolution rompt avec la priorité donnée au rassemblement de l’autre gauche au profit d’un mouvement citoyen. Notre objectif aujourd’hui est le même, c’est un objectif de recomposition historique, dont seul l’outil change. Et justement, il y a de nouveaux courants qui arrivent. Le courant d’origine de la LCR, qui est la Gauche anticapitaliste, composante essentielle de Ensemble, songe à rejoindre France Insoumise mais aussi le POI [Parti ouvrier indépendant). Il y a des écologistes avec Coronado (Ecologie Sociale) qui ont déjà rejoint, l’espace politique de FI. A notre université d’été je note la présence de beaucoup d’invités venus d’horizons très divers tel Gilles Poux, maire PC de la Courneuve, ou le député européen socialiste Emmanuel Maurel. il y avait aussi des syndicalistes, des militants associatifs. Il n’y a qu’à voir aussi la diversité de notre groupe parlementaire, entre Ruffin, des gens d’Ensemble, une communiste comme Bénédicte Taurine, des gens qui viennent du PG, etc. C’est pourquoi je considère que je continue mon travail unitaire, sauf que cela part d’abord de la volonté de fédérer le peuple.

Est-ce votre pratique politique qui vous a poussé à dépasser cette rhétorique de rassemblement de la gauche, ou bien est-ce un ensemble de lectures théoriques, sur le populisme – on parle beaucoup de Mouffe, de Laclau, etc. – qui ont eu une influence sur ce tournant ?

Oui, des expériences comme Podemos et celles des pays d’Amérique latine ont pu avoir une importance. Ce n’est pas pour rien que nous avons invité Rafael Correa qui a incarné en Equateur la révolution citoyenne et l’Assemblée constituante. En Amérique latine, il s’est agit de forces qui se battent pour gouverner, pour prendre le pouvoir. Ils ont contribué à créer une brèche décisive dans le néo-libéralisme dominateur depuis les années 80. Ensuite, cela a touché l’Europe avec Syriza, d’avant 2015,  Die Linke et Podemos. La caractéristique commune est que ce sont des mouvements qui créent une homogénéité et qui ne sont pas seulement une addition de forces. Les mouvements qui sont restés sur une addition de forces ont tous échoué.

De plus, il y a un degré de rupture fondamental avec les cadres politiques organisés du XXème siècle. Cela qui fait que nous sommes obligés de créer ex-nihilo une nouvelle force. Soit on la construit comme le Front de Gauche, en partant d’un cartel de partis que l’on tente de transformer en mouvement plus homogène, ce qui a raté ; soit on crée un mouvement comme France Insoumise, qui met justement en préalable le principe de l’adhésion directe, et dans lequel des partis peuvent venir, ce qui inverse le problème. En conséquence, on se nourrit les uns des autres. Je pense néanmoins que c’est le moment où Podemos fait 20% qui a commencé à nous conforter dans cette idée. C’est aussi ce type d’événement qui provoque une émulation. Le résultat de Jean-Luc Mélenchon en 2017 est à son tour source d’émulation pour Podemos

 

La France Insoumise (FI) est une organisation de campagne. Les prochaines élections n’auront lieu que dans 2 ans. Comment envisagez-vous la structuration du mouvement ? Le Parti de Gauche (PG), que vous codirigez avec Danielle Simonnet, doit-il s’y fondre ou garder sa place dans l’espace politique ? La France Insoumise doit-elle se structurer en déclinaisons départementales comme un parti politique pour préparer les élections intermédiaires ou doit-elle rester une organisation mouvementiste ?

Je crois que le premier rôle du Parti de Gauche est d’être le meilleur ouvrier et le meilleur outil du développement de la France insoumise. Le PG a une particularité : il a été créé avec l’idée de permettre que se développent les conditions mêmes de son dépassement. Nous ne nous sommes jamais vécus comme le centre de la recomposition globale. Nous sommes nés avec le Front de Gauche, avec sa stratégie qui a eu l’échec que l’on a connu, mais qui a quand même produit des effets positifs. De la même manière, c’est toujours satisfaisant pour un parti de voir que ses résolutions de congrès, notamment celles de juillet 2015, qui appellent à la composition d’un mouvement citoyen – et c’est exactement ce qu’on est en train de faire –, se concrétisent à une échelle de masse et à une échelle concrète.

Donc le premier rôle du PG, il est celui-là. Il s’agit de veiller à ce que LFI se développe dans cet esprit. C’est ce qui justifie qu’il ne disparaisse pas. La question se posera peut-être un jour, mais pour l’instant, nous avons l’humilité de penser que nous sommes véritablement utiles, parce que nous sommes organisés, par département, parce que nous disposons d’une organisation, nous avons de quoi aider LFI. Nous sommes des bâtisseurs, des constructeurs, et c’est nécessaire dès lors que nous le faisons en toute transparence !

Après, à partir du moment où LFI n’est pas un parti, elle n’a pour le moment pas vocation à réagir sur tout. Le mouvement n’a pas une instance de direction permanente, représentative, qui permette, quels que soit les thèmes, de réagir sur l’ensemble des sujets qui se posent. Donc par moment, par des mécanismes de subsidiarité, le PG peut avoir à intervenir quand la France insoumise ne le fait pas. Le PG a aussi pour vocation de continuer à travailler et à diffuser les parties de son programme qui ne sont pas, ou pas reprises tel quel, par FI mais qu’il juge fondamental pour l’avenir : ainsi le PG veut rester plus que jamais le parti de l’écosocialisme ou de la méthode plan A / plan B pour l’UE.

Troisième chose, nous constituons un niveau de formation utile puisque faire un mouvement ne signifie pas pour autant « Du passé, faisons table rase ». Nous avons une histoire, nous sommes les héritiers du mouvement ouvrier et de combats républicains, socialistes, internationalistes profondément renouvelé par la préoccupation climatique. Nous sommes des « passeurs » et nous devons l’assumer.

Tout ça fait que la dissolution du PG n’est pas d’actualité. De plus, ça serait le signal que LFI est devenu un parti. Puisque si l’on se dissout, cela veut dire qu’un autre parti est né, et que cela vaut le coup de se dissoudre dedans.

Or, nous ne voulons pas faire de la FI un parti. D’abord, parce que nous pensons qu’avoir un espace de recomposition de masse capable de fédérer le peuple, et capable d’implication citoyenne, cela veut dire que son objectif n’est pas de réunir des dizaines de milliers de personnes, mais des centaines de milliers voire des millions de personnes. Ce n’est pas l’objectif que peut se donner aujourd’hui un mouvement basé sur une forme parti classique.

Cependant, il y a de la place pour un mouvement qui permette à des gens de militer chaque semaine s’ils le veulent dans des groupes d’appui, et puis à d’autres de n’agir que quatre jours dans l’année, de signer des pétitions, et qui n’ont pas envie d’en faire plus pour le moment. Un mouvement qui respecte les degrés et les modes d’activité de chacun, et qui n’empêche pas que toutes ces personnes puissent participer à construire ce mouvement pour qu’il dirige le pays.

Cette recomposition se fait déjà sur la décomposition des forces progressistes du XXème siècle. Je crois que les partis socio-démocrates ne se remettront pas de ce qui est en train de leur arriver. Ils ont longtemps tenu en restant la force du « vote utile » pour laquelle vous votiez,  même avec une pince sur le nez, pour battre la droite ou l’extrême-droite. C’est fini.

Il s’agit d’un phénomène européen, voire mondial. La tendance est à la minoration des partis socialistes face aux forces à vocation majoritaire qui émergent. En tout cas je pense que c’est un mouvement irréversible, pour la bonne raison que le rôle de la social-démocratie n’a plus d’utilité à partir du moment où de force du compromis entre le capital et le travail elle a penché vers le social-libéralisme, donc une force du système. Je ne connais qu’un cas où la mutation depuis l’intérieur d’un parti social-démocrate, c’est le Labour Party de Corbyn, et encore en le subvertissant de l’intérieur.

Il y a donc un espace à largement inventer. Ce nouvel espace a pour vocation à transcender l’habituel rôle attribué à un parti politique : il est à la fois politique, social, et citoyen. Il ne remplace évidemment pas les syndicats, et a fortiori n’est pas en concurrence avec eux, mais il repousse les frontières habituelles d’un parti. Voilà pourquoi pour laquelle on appelle à se mobiliser le 23 septembre contre le coup d’État social et la Loi Travail. Nous soutenons les syndicats lors de leurs journées d’action, mais nous pensons aussi que nous avons notre partition à initier, parce que nous disposons de notre propre capacité de mobilisation qui s’appuie sur les caractéristiques du mouvement que l’on a créé.

Ce ne peut donc être un parti, dumoins à moyen terme. Ensuite, il y a une série de question sur la forme que doit prendre le mouvement. Car pour être un mouvement pérenne, à terme, il faut bien avoir des méthodes de représentativité. Mais pour le moment, le premier objectif n’est pas de se tourner ver lui même mais vers le peuple, en faire un mouvement de masse tourné vers l’action car c’est ce que la situation exige.

Pour en revenir à la temporalité politique actuelle, on a un budget d’austérité en prévision, des coupes dans les contrats aidés, une baisse des APL, la Loi Travail, la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage, la hausse de la CSG, etc. Comment analysez-vous la volonté d’Emmanuel Macron de mener une offensive sociale dès le début de son mandat alors que l’année 2016 a montré la franche opposition des Français à cette libéralisation du marché du travail ? Compte-t-il sur la léthargie du peuple Français ou est-ce de la méconnaissance de l’état du pays ?

Emmanuel Macron, et beaucoup de ceux qu’il a placé au affaires, sont des membres organiques de l’oligarchie financière. Le rapport dialectique entre le monde de la finance et Macron est direct. Ce dernier fait la politique de la finance mais pas au sens idéologique du terme, pas comme ce qu’ont fait les libéraux depuis des années, pensant que leurs solutions étaient les bonnes pour relancer l’économie. Avec lui, ce sont des intérêts directs qui sont traduits dans les politiques mises en place, ce sont ceux du Medef.

Ce qu’il met en place est donc la politique qu’il a été chargé de défendre. Il a été élu pour cela et il est l’homme du système pour cela. Cela aurait du être Juppé, c’est lui. Il est à la fois idéologiquement et matériellement l’homme-lige de cette politique. C’est d’ailleurs sa faiblesse. Sa politique n’a pas de majorité populaire. Il a été élu pour battre Marine Le Pen pas sur son programme. Pire il n’a pas de base sociale. Quand vous faire une politique en faveur des hyper riches ça se voit mais les hyper riches c’est une base sociale très limitée qui ne vous donne aucune majorité.  Il a beau en avoir une massive à l’assemblée, composée à 94% de chefs d’entreprise ou de cadres dirigeants et de professions libérales, elle ne traduit pas la situation et l’état d’esprit du pays. Voilà qui explique la chute de popularité de Macron. Cee pays n’a pas sombré dans le libéralisme, il était majoritairement opposé à la loi El Khomri, et il l’est maintenant aux ordonnances du gouvernement.

Justement, la CGT et SUD organisent une journée de grève et de manifestation le 12 septembre. La France Insoumise appelle donc à un rassemblement populaire le 23 septembre. Alors que la rentrée promet d’être explosive sur le front social, comment envisagez-vous le rôle de la France Insoumise et de son groupe parlementaire dans les mois qui viennent ?

On voit bien qu’il compte sur la division des forces syndicales, qu’il a entretenu, et sur la résignation.  Après plusieurs mobilisations massives qui n’ont rien donné, les gens se diront peut-être : « C’est injuste mais qu’est-ce qu’on y peut ? ». Voilà pourquoi chacun doit apporter sa contribution, sa pierre à l’édifice. La notre c’est initier le 23 septembre contre le coup d’état social. Nous avons en quelque sorte cette responsabilité. Face à Macron, une force qui a rassemblé 7 millions de voix, qui a montré aux législatives qu’elle était une force de 2ème tour, potentiellement majoritaire, ne peut rester sans rien faire. Nous devons assumer d’être la force d’opposition principale à Macron. On peut bloquer sa politique. Nous prenons nos responsabilités. L’inverse serait une faute vis à vis du peuple.

Bien sûr, il s’agit de mettre cette mobilisation au service de tout le monde. Ce n’est pas une manif FI, cela sera la manif de ceux qui refusent la politique d’Emmanuel Macron et la Loi Travail. Cela se veut complémentaire, convergent avec les appels des syndicats que nous soutenons : le 12 comme le 21 et ceux qui viendront ensuite. Ce sont des vagues successives contre le môle gouvernemental

Pour nous, en tant que parlementaires, c’est dans la rue, dans nos circonscriptions, et dans l’Assemblée que ce bras de fer va se jouer.

En novembre prochain, la France Insoumise organisera sa convention. La dernière avait pour objectif d’entériner le programme l’Avenir en Commun. Cette fois, quel en sera l’objet ? Quelle forme prendra-t-elle ? S’agira-t-il d’élire une équipe dirigeante ? De voter sur une stratégie d’action ou des stratégies d’alliance ?

L’objectif de la FI est de créer un mouvement de masse. A l’évidence, nous n’en sommes pas là, nous ne sommes pas encore capables d’organiser des millions de personnes. Se posent donc des problèmes de structuration de ce mouvement, à une échelle pour l’instant où nous sommes des dizaines de milliers actifs sur le territoire et des centaines de milliers de soutiens sur Internet, ce qui est déjà remarquable pour un mouvement aussi jeune.

Partons donc du principe que nous avons le droit d’expérimenter, que nous avons le droit d’apprendre à marcher en marchant, puisque nous avons le temps. Nous avons déjà des caractéristiques qui d’habitude sont celles que doit résoudre un parti lorsqu’il se crée. Quand le PG s’est créé, la première question qu’on s’est posée était : « comment va-t-on adapter notre programme ? » Là on l’a, le programme. La base d’adhésion c’est le programme.

Deuxièmement nous avons la stratégie de la Révolution citoyenne, par les urnes. Et troisièmement, nous avons l’idée que peu importe la décision que nous prendrons, cela ne peut pas être un cartel car il faut l’implication citoyenne de tous. Nous disposons déjà de tout cela, donc nous ne sommes pas pressés. Par ailleurs, nous avons hérité d’espaces centraux qui ont une certaine légitimité pour appeler à des initiatives. L’espace politique qui regroupe des partis et courants soutenant la dynamique FI mais aussi désormais l’existence d’un groupe parlementaire. C’est une chose vraiment nouvelle. Nous pouvons imaginer que prochainement nous disposerons d’un espace qui regroupe l’ensemble des livrets thématiques : une espèce de conseil scientifique. De plus, nous avons à la base des groupes d’appui. C’est pourquoi, un jour, inévitablement il faudra se demander comment structurer un peu plus tout cela. La convention doit permettre de commencer à y réfléchir. Nous avons le temps d’y réfléchir et d’expérimenter car nous sommes face à quelque chose de nouveau. Nous n’avions jamais fait cela.

Lors de la session extraordinaire, votre objectif était de faire émerger des contradictions au sein du groupe LREM. Vous avez réussi à faire voter un amendement contre l’avis du gouvernement lors du débat sur la loi de confiance dans la vie publique. Les méthodes autoritaires du gouvernement, du président de l’Assemblée et du président du groupe LREM ont braqué l’Assemblée. Avec l’appui du mouvement social, pensez-vous sérieusement fissurer un groupe parlementaire composé, pour l’essentiel, d’individus qui doivent tout à Jupiter-Macron ?

Ce que je crois, c’est que nous pouvons le déstabiliser. Marginalement, il est peut-être possible de provoquer un phénomène de fronde. Il faut bien considérer que leur groupe parlement est une énorme masse. Ils sont seulement une trentaine à intervenir, 10% seulement, ce qui veut dire que les autres se posent encore beaucoup de questions. On sait par exemple que sur la loi Travail certains ne sont pas venus voter. Donc il y a des lignes de fracture chez eux et il faut qu’on les agrandisse.

Peut-être que nous pouvons déclencher un groupe de frondeurs. Mais quand nous nous adressons à eux et plus globalement à l’assemblée, nous essayons de parler au pays. Nous essayons de déstabiliser sa majorité comme ça, et je pense que celle-ci est très fragile. C’est quand même une première d’avoir une majorité si écrasante, à l’intérieur de laquelle il y en a beaucoup qui se demandent s’ils ne vont pas revenir à la vie privée dans les mois à venir. Je n’ai jamais vu ça ! Donc si Macron rentre dans un mouvement de tempête avec des mobilisations, comment vont-ils réagir…

Par exemple, je ne sais pas comment un député LREM, qui n’a jamais fait de politique, va réagir lorsqu’il aura une manifestation devant sa permanence comme cela arrive. Comment va-t-il faire ? Je ne parle pas d’une manifestation violente, je parle juste d’une pression, d’un mécontentement populaire. Parce que maintenant, beaucoup sont encore dans le monde de Oui-Oui. Beaucoup n’ont même pas vu les gens qui se sont abstenus massivement. Ils ont juste vu les résultats et le fait qu’ils avaient été élus comme dans un conte de fées. Donc quand ils vont être confrontés à la réalité des mobilisations sociales, cela risque d’être intéressant.

On a remarqué que dans la séquence parlementaire qui s’est écoulée, vous avez mis en scène une rhétorique d’opposition, dont vous avez quasiment le monopole, ce qui est un acquis en soi. Mais est-ce suffisant ? Ne gagneriez-vous pas à incarner une rhétorique davantage instituante, voire un ordre alternatif face au désordre macronien ?

Les médias retiennent nos coups d’éclat, mais entre ces coups d’éclat, nous avons fait énormément d’interventions très pédagogiques. Lorsque nous avons voulu faire passer un amendement pour faire sauter le verrou de Bercy, nous avons été jusqu’à voir Les Républicains pour le déposer. Donc le fait d’avoir un groupe est un atout, malgré sa taille, malgré le fait qu’il soit vécu sur la latéralité physique comme l’extrême-gauche de l’Assemblée. Si nous réussissons à lui donner une centralité dans les débats, nous y gagnons. D’autant plus que les autres sont traversés par des contradictions. Les LR ont pu dire tout ce qu’ils voulaient, ils se sont abstenus sur le vote de confiance. Les socialistes se sont abstenus, cinq ont voté contre, trois pour… En plus le FN est complètement inaudible et aphone. Il ne dit rien.

Il faut donc continuer à développer le fait que nous avons des solutions lorsque nous intervenons. Il faut montrer que le programme dont nous disposions, et qui n’était pas loin d’arriver au second tour, était applicable et préférable à celui du gouvernement. C’était vrai, cela reste encore plus vrai. Je pense que nous sommes est dans un monde très instable. Si Macron est rejeté pour les réformes qu’il devait appliquer, franchement, je ne vois pas quelle autre alternative il y a sur le fond. Ce n’est pas la droite qui va être une alternative à Macron. À moins de vouloir faire encore pire. Nous revendiquons notre rôle d’opposant sans faille mais aussi d’un alternative capable de gouverner le pays dès l’occasion nous en sera donnée.

 

Entretien réalisé par Léo Rosell et Lenny Benbara

 

Crédits Photo : http://www.eric-coquerel.fr/sites/default/files/eric-coquerel-006.jpg

Université d’été : le PCF veut affronter l’avenir

Avec plus de 1100 participants, l’édition 2017 de l’université d’été du PCF s’est tenue du 25 au 27 août à Angers. Un nombre non-négligeable après une séquence électorale difficile.

Sourire au PCF. « C’est un succès inédit, cela fait plus de 15 ans que l’on organise des universités d’été et nous n’avions jamais rencontré un succès aussi massif » se réjouit Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de l’université d’été.

Salle plénière de l’université d’été

LVSL était un des rares médias à couvrir l’événement dont il faut reconnaître le succès numérique. La séquence des présidentielles semble avoir coûté cher à la visibilité du parti au profit de La France Insoumise. Ensuite, les législatives ont clairement acté la rupture des ex-partenaires. L’université d’été est donc aussi l’occasion d’une réflexion des communistes sur la période que traverse leur parti.

« On a vécu une année très contrastée, entre le bon score du candidat que nous avons soutenu à la présidentielle et son refus de l’unité aux législatives où les résultats ont été les pires de notre histoire, en dépit du fait que nous ayons augmenté le nombre de nos députés ».

Signe de cette rupture consommée, la France Insoumise, qui tenait son rendez vous d’été en même temps à Marseille, n’a pas envoyé de représentant à Angers. Pour Pierre Laurent, secrétaire national du Parti, c’est « un manque de respect déplorable ».

Réaffirmation de l’identité communiste

La volonté de reconquête et de renouvellement du parti semble se traduire par un réinvestissement de thèmes qui font son identité. Beaucoup jugent en son sein que le délaissement de marqueurs et d’idées proprement communistes ont participé à l’effacement de la visibilité politique du parti. Parmi eux, André Chassaigne, chef de file des députés communistes à l’Assemblée semble avoir une formule toute trouvée : « Comme dans le sport, on aura franchi une étape quand les communistes joueront leur propre basket, leur propre jeu, pas celui des autres ».

Le programme de l’université comme le discours de Pierre Laurent ont cherché à mettre à l’agenda cette volonté d’allier l’originalité du discours du PCF sur ses fondements marxistes à une indispensable adaptation aux changements de la vie politique du pays. Le secrétaire national du parti a ainsi appelé à une « révolution démocratique contre le capital ». À l’approche d’une rentrée militante contre la « Loi travail XXL » Pierre Laurent cherche à remobiliser ses troupes en marquant un passage à l’offensive : « il n’y a pas meilleurs que les communistes quand il s’agit de résister, mais nous sommes aussi des conquérants ».

Critiques du “populisme de gauche”

André Chassaigne lors de la présentation de son livre “Et maintenant monsieur le Président ?”

S’inscrivant dans ce mouvement de réaffirmation, le rejet de l’hypothèse du populisme de gauche a pris une place importante lors de ces journées. Deux conférences, de Gérard Mauger, chercheur au CNRS et de Jean Quétier, professeur de philosophie à l’université de Strasbourg, étaient consacrées à l’analyse critique de cette notion. Pour ce dernier, le populisme de gauche de Chantal Mouffe opérerait une lecture post-moderne de Gramsci en vidant son analyse de son contenu de classe, pour ne s’accaparer que sa réflexion stratégique. L’approche relativiste que propose la méthode populiste, axée sur une analyse discursive plutôt que classiste, si elle est efficace dans la compétition politique, s’opposerait donc à l’universalisme de la pensée marxiste.

« Le communisme n’est pas soluble dans le populisme de gauche » a ainsi affirmé Pierre Laurent à la tribune. Un message qui vise à se distinguer de la France Insoumise.

Pour autant Guillaume Roubaud-Quashie tempère : « Sur le populisme il n’y avait pas de volonté agressive, le monde ne se résume pas à la FI, mais il faut analyser ce phénomène qui reçoit un écho important. C’est une notion qui propose de reconfigurer la politique et il n’est pas certain que nous ayons à y gagner comme communistes. Mais avant de la rejeter nous devons prendre le temps de la comprendre, c’est une démarche de compréhension ».

Le renouveau du parti en perspective

Au banquet, plus de 1000 personnes.

L’engouement rencontré par l’université d’été doit marquer le départ de la séquence amorcée par le parti vers son renouvellement. Processus qui est censé culminer avec un congrès extraordinaire en 2018. Selon le secrétaire national « L’heure est venue de notre propre révolution politique. Il faut changer tout ce qui doit l’être ». Un pari ambitieux mais nécessaire si le parti veut retrouver de la visibilité.

S’il veut exister comme force positive et autonome dans le paysage politique français, le PCF est mis face à la nécessité de trouver les moyens d’affirmer la singularité de son projet. Cette tâche ne sera pas évidente dans la mesure où la concurrence avec la France Insoumise fait rage et où cette dernière a la volonté de prendre le leadership de la contestation sociale.

« On ne peut pas reprocher à certains de vouloir se développer au détriment d’autres forces politiques, mais nous ne sommes pas dans la même optique » explique Guillaume Roubaud-Quashie, « nous avons un objectif de civilisation qui n’est pas le populisme de gauche et qui est autrement plus vaste : le communisme. C’est le projet du siècle car il n’est pas certain que la planète ait le luxe de survire à un siècle de capitalisme de plus. La France a besoin d’un parti communiste comme force politique forte et organisée mais nous continuons de tendre la main ».

Le Parti devra néanmoins affronter l’épreuve des sénatoriales lors desquelles l’existence de son groupe est mis en danger. Un enjeu politique majeur pour Pierre Laurent qui a déclaré que seul le PCF serait en mesure de former un groupe de gauche au Sénat face à l’éclatement des socialistes. Le secrétaire national a jugé que si la haute chambre devait se vider d’élus de gauche cela laisserait les mains libres au Président de la République pour modifier la Constitution à sa guise sans passer par la voie référendaire.

 

(Vidéo du PCF)