Comment Trump est devenu favorable aux cryptomonnaies

Trump au congrès annuel du Bitcoin à Nashville. © Capture d’écran Bitcoin Magazine

Le ralliement de Donald Trump au monde des cryptomonnaies, où dominent les acteurs les plus réactionnaires et les plus stupides de l’industrie technologique, a transformé cette question en un enjeu électoral. Mais cela pourrait bien s’avérer être un faux pas. Par Dominik Leusder, traduction Alexandra Knez [1].

Si vous devez convaincre quelqu’un que quelque chose est de l’argent, il est presque certain que ce n’en est pas. Mais le monde des monnaies numériques et des actifs libellés en cryptomonnaies a connu une évolution marquée : leurs défenseurs ne semblent plus chercher à nous convaincre à propos de leur nouvelle et radicale alternative à ce qu’ils appellent presque ironiquement – et de manière presque imprécise – les monnaies « fiduciaires ».

Les lacunes de cette histoire ont toujours été évidentes. Tout d’abord, les cryptomonnaies n’ont jamais rien eu de particulièrement « nouveau » ou « radical » : le fantasme réactionnaire d’une monnaie apolitique a déjà une longue histoire. D’autre part, le statut de moyen d’échange des monnaies fiduciaires « politiques » (qu’il serait plus juste de décrire non pas comme des monnaies fiduciaires, mais comme des monnaies fondées sur le crédit, soutenues par d’innombrables obligations légales de paiement), en particulier celui des monnaies principales (le dollar, le yen, la livre sterling et l’euro), n’a jamais aussi peu été remis en question.

Pour le bitcoin et ses nombreux équivalents, c’est tout le contraire qui est devenu évident. Ce ne sont pas des moyens d’échange fiables en dehors des frontières de certaines dictatures d’Amérique centrale ; ce ne sont pas des instruments permettant de se prémunir contre l’inflation ; et leur valeur étant fortement influencée par les actifs financiers conventionnels et volatiles comme les actions (ainsi que par l’activité erratique des milliardaires sur les réseaux sociaux), ce ne sont décidément pas des réserves de valeur fiables. L’argument complémentaire, généralement évoqué par ceux qui reconnaissent ces défauts, selon lequel les technologies associées – notamment le système de registre de transactions connu sous le nom de « blockchain », qui n’est en réalité guère plus qu’une version glorifiée de Google Docs ou d’Excel – vont transformer notre relation avec l’argent, est également passé à l’arrière-plan. La consternation générale suscitée par les dommages environnementaux exorbitants associés au  « minage » de crypto-monnaies y est sans doute pour quelque chose.

Les crypto-monnaies se sont révélées être un instrument flagrant de spéculation financière et de fraude, et de surcroît très lucratif.

Au lieu de cela, les crypto-monnaies se sont révélées être un instrument flagrant de spéculation financière et de fraude, et de surcroît très lucratif. Loin d’éloigner la politique de l’argent et de décentraliser le pouvoir aux dépens de l’influence oligarchique, les crypto-monnaies sont devenues un vecteur de pouvoir et d’influence, non seulement pour les acteurs du marché financier – des traders professionnels et des gestionnaires de portefeuille jusqu’aux légions d’insupportables crypto-bros qui exhibent leurs gains dans les rues de Miami et de Los Angeles – mais aussi pour les puissants acteurs de l’industrie technologique qui souhaitent avoir une emprise sur la prise de décision politique. En conséquence, le secteur est devenu une arène importante de la contestation des élites. La campagne électorale en cours aux États-Unis est une parfaite illustration de cette évolution.

Les barons des cryptos craignent un tour de vis réglementaire

Les candidats démocrate et républicain sont tous deux intimement liés à l’industrie technologique californienne. Mais sous la présidence Biden, les Démocrates au pouvoir ont initié – bien qu’insuffisamment et tardivement – les premières réglementations applicables aux cryptos sur le modèle de celles qui existent dans l’industrie financière. Alors que la Securities and Exchange Commission (SEC), actuellement dirigée par Gary Gensler, un choix de Joe Biden, s’est avérée notoirement inefficace au cours de la dernière décennie pour limiter les excès (souvent frauduleux) de la haute finance, sa pugnacité à l’encontre des cryptos a surpris. Inquiets quant à la possibilité de continuer à réaliser d’énormes gains dans le monde peu réglementé des cryptomonnaies, les acteurs de la Silicon Valley ont mobilisé de nombreux acteurs clés derrière Donald Trump, en dépit des remarques initialement désobligeantes de l’ancien président au sujet du bitcoin.

Le catalyseur de ce processus semble avoir été le scandale autour de la faillite de la plateforme d’échange de crypto-monnaies et du fonds spéculatif FTX (dont l’ancien PDG, Sam Bankman-Fried, a récemment été condamné à vingt-cinq ans de prison) et le déploiement de moyens parlementaires et réglementaires (sous la houlette de Gensler et d’Elizabeth Warren) qui y ont contribué.

Le scandale autour de la faillite de la plateforme d’échange de crypto-monnaies et du fonds spéculatif FTX dirigé par Sam Bankman-Fried semble avoir été le catalyseur de la volonté de régulation des démocrates.

La crainte d’une réponse réglementaire concertée de la part d’une nouvelle administration démocrate n’est pas le seul facteur qui mobilise ce contingent particulier de la droite californienne. Comme l’a récemment souligné la journaliste Lily Lynch dans le New Statesman, les barons du secteur technologique qui s’opposent à l’ingérence du gouvernement dans les cryptomonnaies considèrent également Kamala Harris comme la représentante d’une « crise des compétences » en politique. Celle-ci serait causée par l’adhésion de l’élite démocrate à la politique identitaire et sa prétendue déclinaison sur le lieu de travail, les politiques de « diversité, d’équité et d’inclusion » (DEI), dont Harris aurait d’une certaine manière été la bénéficiaire.

L’ampleur de ces événements ne devient que trop évidente. La nouvelle dynamique partisane dans le monde de la crypto-monnaie a fait entrer dans la mêlée plusieurs éminents milliardaires de droite du secteur de la technologie, dont les vastes ressources se déversent dans de nouveaux super PAC, les principaux véhicules de soutien aux campagnes politiques aux États-Unis. Parmi ces étranges personnages, on trouve d’éminents capital-risqueurs et doyens de la néo-droite, Peter Thiel et Marc Andreessen, des investisseurs et des entrepreneurs tels que David Sacks, Cathie Wood, Tyler et Cameron Winklevoss, le gestionnaire de fonds spéculatif et activiste Bill Ackman, ainsi qu’Elon Musk.

La volte-face de Trump sur la question n’a pas seulement absorbé leurs préoccupations dans le baratin républicain pseudo-libertaire habituel (la plateforme du Comité national républicain, sous prétexte de « défendre l’innovation », parle du « droit de miner du bitcoin » et du « droit à l’auto-détention d’actifs numériques » et du « droit à faire des transactions sans surveillance ni contrôle du gouvernement »), mais a automatiquement mêlé le bitcoin à des questions de sécurité nationale. Parmi les nombreuses questions abordées dans son interview troublante à Bloomberg, Trump a proclamé qu’il s’opposerait à toute tentative des Démocrates pour réglementer l’industrie afin d’éviter que la Chine ne prenne l’avantage « dans cette sphère ». Le fait que les monnaies numériques ne confère aucun avantage géopolitique ou que la Chine ait été pionnière dans la répression sévère de la spéculation sans entrave sur les cryptomonnaies, n’importe ni à Trump ni à l’électeur américain moyen, peu informé.

Le soutien de milliardaires fous : un boulet pour la campagne de Trump ?

Le fait que les élections américaines soient littéralement inondées d’argent est loin d’être nouveau. En fait, le système est conçu pour être particulièrement sensible à l’influence de groupes d’intérêts spéciaux bien financés et très motivés. Et si la poussée politique de l’aile droite du monde des crypto-technologies est un facteur nouveau, les dons ne peuvent mener une campagne que jusqu’à un certain point – surtout lorsque le camp adverse est tout aussi bien financé, entre autres, par de grandes entreprises technologiques.

De fait, la prédominance des milliardaires de droite du secteur technologique dans la campagne de Trump pourrait même s’avérer être un handicap. Cela devient plus clair si nous supposons que le choix de Trump pour la vice-présidence, le sénateur de l’Ohio J. D. Vance, un protégé de Peter Thiel, a été motivé moins par des considérations de guerre culturelle (l’auteur de Hillbilly Elegy étant un vétéran de ce théâtre) que par le désir de Trump d’apaiser et de gagner la confiance des personnalités de la Silicon Valley proches du monde des cryptomonnaies qui l’inondent aujourd’hui d’argent.

Si cette manne permettra certainement de mener une vaste campagne publicitaire (les efforts médiatiques relativement bricolés mais fructueux de Trump en 2016 l’ont prouvé), l’enthousiasme de la droite, qui avait initialement applaudi l’ascension de Vance, a récemment été refroidi. La campagne démocrate visant à dépeindre les républicains obsédés par les guerres culturelles comme « bizarres » a été facilitée non seulement par certaines des apparitions publiques de Vance, mais aussi par le simple fait que les protagonistes de l’aventure de la Silicon Valley sont eux-mêmes indéniablement et profondément bizarres.

Trump promet de ne pas réglementer l’industrie afin d’éviter que la Chine ne prenne l’avantage « dans cette sphère ». Le fait que les monnaies numériques ne confère aucun avantage géopolitique ou que la Chine ait été pionnière dans la répression sévère des cryptomonnaies, ne semble pas lui importer.

Non seulement leur préoccupation monomaniaque pour des questions de guerre culturelle toujours plus obscures ne parvient pas à résonner suffisamment au-delà des limites des podcasts et des réseaux sociaux, mais les excentricités de personnes comme Elon Musk (avec son acquisition erratique, sous l’influence apparente de la drogue et de son recent divorce, et sa mauvaise gestion de Twitter, désormais X), Peter Thiel (avec son comportement maladroit et en proie à la sueur sur scène, sans oublier son penchant avéré pour le recrutement de jeunes étudiants de Stanford destinés à le rajeunir grâce à leur don de sang) et Bill Ackman (avec sa déconfiture très médiatique à propos de la fraude universitaire de sa femme israélienne et des manifestations d’étudiants pour Gaza) semblent désormais indissociables de Vance et de ses efforts maladroits pour garder son sang-froid.

La tentative de Vance de raviver les guerres culturelles a été douchée par le choix de la campagne de Harris de ne pas faire campagne sur les questions d’identité (rendant ainsi impuissants les arguments « woke » ou « DEI » avancés contre l’ancien procureur Harris) et de choisir comme colistier le gouverneur du Minnesota Tim Walz, dont les pitreries d’ « homme blanc populaire mais progressiste » mettent encore plus en évidence le caractère faussement terre-à-terre et anti-élitistes de Vance. 

Il est encore trop tôt pour savoir si les Républicains sont en train de se regrouper ou s’ils sont en train de se mettre au pied du mur. Les contributions de Thiel et consorts permettent indéniablement de remplir les caisses de la campagne Trump. Mais il n’est pas certain que cela soit un atout – l’ancien président avait gagné en 2016 bien qu’Hillary Clinton ait dépensé beaucoup plus que lui. Il est indéniable que le rapprochement de Trump avec la section la plus régressive de l’industrie technologique est un pari. S’il porte ses fruits, il rapprochera du pouvoir l’un des secteurs les plus vénaux et improductifs du capitalisme américain ; mais s’il échoue, il pourrait donner aux Démocrates l’occasion de resserrer encore davantage l’étau réglementaire autour du cou de l’industrie technologique. Reste à savoir s’ils se saisiraient alors de cette opportunité.

[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.

Les cryptomonnaies, cheval de Troie de la pensée réactionnaire

© Kanchanara

L’intérêt pour le Bitcoin et les cryptomonnaies est directement lié à la crise de 2008 et aux multiples scandales financiers, qui ont affaibli la confiance dans l’ensemble du système politique et la plupart des institutions. En promettant qu’un simple algorithme puisse remplacer une banque centrale, les cryptomonnaies portent intrinsèquement une vision politique libertarienne, qui vise à détruire l’Etat. Une idéologie qui se marie à merveille avec le populisme de droite aux Etats-Unis explique la journaliste Nastasia Hadjadji, dans son livre No Crypto, Comment le bitcoin a envoûté la planète (Divergences, 2023). Extrait.

Au mois de février 2022, c’est dans les locaux de Ledger, fleuron français de la crypto [1], qu’Éric Zemmour dévoile les principaux axes de son programme numérique pour la campagne à l’élection présidentielle. Il répond à l’invitation de Pascal Gauthier, le président de Ledger, qui a alors lancé un appel à tous les candidats et candidates à l’élection présidentielle en leur offrant une tribune politique. Seuls Nicolas Dupont-Aignan, candidat de la droite souverainiste, Gaspard Koenig, candidat qui se réclame de la tradition libérale classique et Éric Zemmour se saisiront de l’occasion. Ce dernier ne manque pas une occasion de souligner son intérêt pour les cryptos, une industrie auréolée de son aura de «révolution» semblable à celle qu’Internet fut en son temps.

Le fait qu’un candidat national-populiste, avatar de la droite réactionnaire s’empare de ce sujet et soit accueilli à bras ouvert chez l’une des plus puissantes « licornes » françaises a de quoi surprendre. Après tout, ces start-up technologiques valorisées à plus d’un milliard de dollars sont la fierté du président Emmanuel Macron, elles incarnent son vœu de faire de la France une « start-up nation ». La présence d’Éric Zemmour dans les locaux de la licorne de la crypto n’est pourtant pas un accident. En dépit des discours qui tendent à ranger les cryptos dans le camp du « progrès », les racines idéologiques de cette industrie épousent parfaitement celles de la droite réactionnaire. Née de cette matrice politique, la crypto-industrie contribue aujourd’hui à relégitimer des idées et valeurs venues de l’extrême droite, tout en leur assurant une diffusion nouvelle grâce à un vernis technologique radical et «cool».

Aux États-Unis, la proximité entre l’industrie des cryptos et une frange extrême de la droite américaine, l’alt-right [2], est avérée. Dès 2017, Jordan Spencer, militant connu pour avoir forgé le terme d’« alternative right », déclare dans un tweet: « Le bitcoin est la monnaie de l’extrême droite ». Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump et théoricien populiste, est convaincu que Bitcoin peut servir à « catalyser une révolte populiste mondiale », ainsi qu’il l’affirmait dans une interview accordée à la chaîne CNBC en août 2019 [3]. L’informaticien d’extrême droite Curtis Yarvin, associé au courant de la néo-réaction (NRx), qualifié également de « Dark Enlightenment », en opposition à la philosophie des Lumières, a quant à lui lancé en 2019 sa blockchain baptisée Urbit [4]. Un projet soutenu par le milliardaire ultra-conservateur Peter Thiel, qui estime que les crypto-actifs sont des « technologies de droite » [5].

Loin d’être des objets « apolitiques », ainsi que le prétendent les promoteurs et promotrices de l’industrie, Bitcoin et les cryptos servent un projet politique qui tait son nom en se parant des atours de la modernité technologique et du progrès. Une partie de l’industrie feint de ne pas le voir, une majorité des utilisateurs et utilisatrices n’en a pas conscience, mais Bitcoin et les cryptos sont aujourd’hui un cheval de Troie pour des idées politiques et économiques réactionnaires. Le professeur américain David Golumbia a été le premier à souligner cette porosité avec les idées d’extrême droite dans un court essai fondateur sur les soubassements idéologiques des cryptos, The Politics of Bitcoin: Software as RightWing Extremism :

« La question est moins de savoir si le bitcoin suscite l’intérêt de personnes de droite que de souligner que Bitcoin et la blockchain relèvent d’un logiciel théorique de droite. Ces technologies contribuent à diffuser ces hypothèses comme si elles pouvaient être séparées du contexte dans lequel elles ont été générées. En l’absence d’une conscience claire de ce contexte, le bitcoin sert, comme une large partie de la rhétorique de droite, à répandre et à enraciner ces idées, en obscurcissant systématiquement leur origine et leur fonction sociale. »

La technologie blockchain s’ancre au sein d’une société fondée sur la défiance généralisée. Le recours à des procédés cryptographiques et algorithmiques est alors une réponse légitime pour pallier le manque de confiance entre les individus.

Il n’est pas anodin que l’explosion des technologies de la blockchain et des cryptos épouse aussi bien l’essor de la nouvelle pensée de droite radicale qui prospère depuis la crise économique de 2008. Cette industrie fournit en effet un terreau fertile à des idées aux relents antidémocratiques forgées dans le terreau de la pensée cyber-libertarienne. Dans la tête de ses concepteurs, la technologie blockchain s’ancre au sein d’une société fondée sur la défiance généralisée. Le recours à des procédés cryptographiques et algorithmiques est alors une réponse légitime pour pallier le manque de confiance entre les individus. Le totem de la « décentralisation » brandi comme une solution toute faite à tous les problèmes de nature économique ou sociale découle également de ce postulat de défiance généralisée. 

Ce logiciel de pensée tire un trait définitif sur toute forme d’organisation collective au nom d’une conception individualiste de la « liberté » farouchement opposée à toute forme de contrôle ou de supervision. La force politique de cette industrie tient dans sa capacité à implanter dans les esprits ce vocabulaire et ces concepts venus de la droite radicale conservatrice, tout en les naturalisant dans le débat public. Elle accompagne donc le renouveau du populisme de droite radicale en Europe, où des formations politiques réactionnaires s’imposent comme des forces politiques de premier plan, que l’on pense à la Hongrie de Viktor Orban, à l’Italie de Giorgia Meloni ou à la normalisation du Rassemblement national de Marine Le Pen comme force d’opposition en France.

Alors que les ferments d’une colère légitime contre les institutions financières gonflent depuis la crise de 2008 et à l’aube de cataclysmes sur les marchés d’actifs numériques de nature à stimuler l’explosion de cette bulle spéculative, le danger que représentent les cryptos est donc bel et bien de nature politique. Les esprits ont été formatés en amont. La colère qui ne manquera pas de naître des scandales et des pertes financières importantes qui en découlent pour la majorité des petits investisseurs ne se transformera donc probablement pas en un agir politique « de gauche », tourné vers la remise en question des hiérarchies sociales et politiques. Ce ressentiment né de la désillusion ne sera pas anticapitaliste, il risque au contraire d’ancrer un nihilisme financier déjà présent au sein des communautés d’amateurs de crypto-actifs.

Notes : 

[1] Ledger est une entreprise française fondée en 2014 qui propose des portefeuilles (wallets) physiques et des outils en ligne permettant le stockage, la sécurisation et la gestion des actifs numériques. L’entreprise est en très forte croissance. Fin 2022, 20 % des crypto-actifs mondiaux sont sécurisés par Ledger, selon les chiffres fournis par l’entreprise.

[2] Ctrl-Alt-Delete : An Antifascist report on the Alternative Right (Kersplebedeb Publishing 2017), Matthew N. Lyons

[3] «Steve Bannon on the Trade Wars, the Democratic Primary, Crypto and More», CNBC, 2 août 2019.

[4] Curtis Yarvin utilise le pseudonyme de Mencius Moldbug pour rédiger sa prose réactionnaire sur son blog Unqualified Reservations.org Parmi ses obsessions, on trouve la détestation des démocraties libérales, qu’il entend dépasser pour faire advenir un monde de gouvernance algorithmique à l’échelle de micronations.

[5] Sonia Mann, «Peter Thiel Says, “Crypto Is Libertarian, A.I. Is Communist.” What the Heck Does That Mean? », Inc.com, février 2018.

No Crypto, Comment le bitcoin a envoûté la planète. Nastasia Hadjadji, Editions Divergences, 2023.

« La concurrence, c’est pour les losers » : Peter Thiel, le libertarien qui défend les monopoles

Peter Thiel © Gage Skidmore

Il n’est pas aussi riche que Jeff Bezos, ni aussi populaire qu’Elon Musk, et c’est encore moins une icône comme Bill Gates, mais il est le plus intéressant des magnats de la Silicon Valley tant il incarne la nouvelle idéologie des maîtres de la tech. Celui qui veut émanciper les capitalistes de « l’exploitation qu’ils subissent de la part des travailleurs », est un libertarien et un monarchiste auto-proclamé. Ce pourfendeur de l’État tire la plus grande partie de sa fortune de Palantir, dont la capitalisation boursière a explosé grâce… à des investissements de la CIA. Cet homme, c’est Peter Thiel. Article du journaliste Marco d’Eramo publié par la New Left Review, traduit par Albane le Cabec.

Allemand de naissance, américain et sud-africain par son parcours, il pèse, selon le magazine Forbes, 4,2 milliards de dollars. Et contrairement à ses pairs, il a une licence de philosophie et un doctorat en droit dont il use à outrance pour jouir d’une posture d’intellectuel. Dans sa publication la plus ambitieuse, The Straussian Moment, parue en 2004, il esquisse une sorte de Geistes Weltgeschichte à la lumière du 11 septembre et fait étalage de sa culture en citant de nombreux auteurs – Oswald Spengler, Carl Schmitt, Leo Strauss, Pierre Manent, Roberto Calasso… ou encore Machiavel, Montaigne, Hobbes, Locke, Hegel, Nietzsche et Kojève.

« L’idéal moteur de PayPal était de créer une nouvelle monnaie mondiale, libre de tout contrôle gouvernemental, qui signerait la fin de la souveraineté monétaire. »

Depuis ses années universitaires, Thiel, qui est un grand admirateur de Reagan, s’est amusé à soutenir des positions toujours plus conservatrices. Selon son biographe Max Chafkin, Thiel estime que « la gauche traditionnelle a accepté les communistes tandis que les conservateurs ont refusé de s’associer avec des membres de l’extrême droite… Thiel souhaitait que les conservateurs s’inspirent davantage de la gauche. »

S’inscrivant à Stanford, la plus réactionnaire des universités d’élite, Thiel a consacré la plupart de son temps à dénoncer ce qu’il considérait comme le progressisme endémique de l’institution. Il co-fonde alors la Stanford Review avec la bénédiction du gourou conservateur Irving Kristol et le soutien financier de la Fondation Olin, une entité-clé dans le financement et l’organisation de la contre-offensive néolibérale aux Etats-Unis.

Il milite également contre le multiculturalisme, le « politiquement correct » et l’homosexualité. Sans surprise, le comité de rédaction de son journal était composé exclusivement d’hommes (à ce jour, une seule femme a été rédactrice-en-chef ; elle a ensuite travaillé pour la secrétaire à l’éducation de Donald Trump : il s’agit de la milliardaire ultraconservatrice Betsy DeVos).

Des thèses réactionnaires à PayPal

Concernant les droits des LGBT, la revue affirmait que « le vrai fléau était l’homophobie-phobie, c’est-à-dire la peur d’être qualifié d’homophobe… Le préjugé anti-gay devrait par ailleurs être rebaptisé “miso-sodomie” – la haine du sexe anal – afin d’insister sur le caractère “déviant” de cette orientation sexuelle ». Selon The Economist, un article de la revue a même défendu un étudiant en droit, Keith Rabois, qui a décidé de tester les limites de la liberté d’expression sur le campus en se tenant devant la résidence d’un enseignant et en criant « Pédé ! Pédé ! J’espère que tu mourras du SIDA ! ».

Celui-ci allait d’ailleurs devenir l’un des partenaires de business les plus proches de Thiel… Le milliardaire co-écrit ensuite The Diversity Myth: Multiculturalism and the Politics of Intolerance at Stanford (1995), publié par un think-tank d’extrême droite, l’Independent Institute, et financé une nouvelle fois par la Fondation Olin. En redoutable joueur d’échecs, Thiel a déjà compris que pour mener efficacement la bataille des idées, il fallait un financement adéquat. Il s’est plaint que « seul un diplômé de Stanford sur quatre soit millionnaire » – preuve ultime, à ses yeux, de l’inutilité du programme universitaire traditionnel…

Après une brève carrière d’avocat et de négociant en produits dérivés au Credit Suisse, Thiel retourne en Californie en 1998 et créé son propre fonds d’investissement, Thiel Capital Management, avec 1 million de dollars levés grâce aux « amis et à la famille ». Tous les biographies du milliardaire passent avec une étonnante pudeur sur cet épisode pour cacher ce que chacun sait : le premier million est toujours le plus dur. Le tournant se produit en 1999, lorsque Thiel fonde PayPal avec un groupe d’amis, parmi lesquels Max Levchin, un cryptographe d’origine ukrainienne qui a imaginé l’algorithme de base du système de paiement en ligne.

Cette entreprise revendiquait une motivation idéologique : « l’idéal moteur de PayPal était de créer une nouvelle monnaie mondiale, libre de tout contrôle gouvernemental, qui signerait la fin de la souveraineté monétaire ». Sur une photo qui est ensuite devenue célèbre, on peut voir une bande de jeunes audacieux habillés en gangsters italo-américains de l’époque de la prohibition. Six d’entre eux sont devenus milliardaires ; trois ont eu un passé dans l’Afrique du Sud de l’apartheid – Thiel, Musk et Roelof Botha, directeur financier de PayPal, plus tard associé du fonds d’investissement Sequoia. Mais Thiel et Musk allaient développer une relation difficile – le premier allait démettre le second de ses fonctions de PDG de PayPal alors qu’il était en pleine lune de miel…

Thiel a gagné 55 millions de dollars avec PayPal en 2002, le propulsant dans le monde du capital-risque. La liste des entreprises dans lesquelles il a investi est longue : Airbnb, Asana, LinkedIn, Lyft, Spotify, Twilio, Yelp et Zynga. Il fait sa renommée en tant que capitaliste clairvoyant en 2004 lorsqu’il donne 500 000 $ à Mark Zuckerberg en échange de 10,2 % des actions de Facebook. Cet investissement lui a rapporté plus d’un milliard de dollars. Mais s’il avait participé à la recapitalisation de Facebook, il possèderait désormais 60 milliards de dollars.

À la croisée du libertarianisme et de l’apologie des monopoles

Enchaînant les erreurs, il refuse également d’investir dans Tesla et YouTube en 2004 (tous deux fondés par d’anciens membres de la mafia PayPal). Et lorsque Musk sollicite des fonds pour développer les voitures électriques de Tesla quelques années plus tard, Thiel laisse de nouveau passer l’opportunité – un choix coûteux, étant donné que la capitalisation a dépassé 2 milliards de dollars en 2010 et a culminé à 1 061 milliards de dollars en 2021, soit une croissance de 50 000 %. Musk attribuait le refus de Thiel à des raisons idéologiques, ce dernier « n’adhèrerait pas au truc du changement climatique ».

Ce défenseur libertarien de la monarchie absolue n’hésite pas non plus à gagner de l’argent grâce à la surveillance de masse. En 2003, il fonde Palantir, une société spécialisée dans l’analyse de données, et reçoit immédiatement un financement du fonds d’investissement de la CIA In-Q-Tel

Mais alors, où Thiel investit-il ? Entre 2004 et 2014, il a activement exposé sa vision du monde lors de conférences. D’abord dans des articles pour le Wall Street Journal ; puis en publiant The Straussian Moment et des essais comme « The Education of a Libertarian » (2009) pour le Cato Institute, un groupe de réflexion financé par les frères Koch, « The End of the Future » pour la National Review ainsi que Zero to One: Notes on Startups, or How to Build the Future (2014).

Da manière tout à fait attendue, Thiel se présente souvent lui-même et ses alliés comme des victimes. Les riches sont harcelés par les pauvres. Et comme tout réactionnaire, il dénonce la décadence : le monde connaîtrait un déclin culturel, « allant de l’effondrement de l’art et de la littérature après 1945 au doux totalitarisme du politiquement correct dans les médias et le monde universitaire, en passant par les mondes sordides de la télé-réalité et du divertissement populaire ».

La cause ? La démocratie, et plus particulièrement son extension aux femmes et aux pauvres (notons l’association entre les deux). Il écrit : « Les années 1920 ont été la dernière décennie de l’histoire américaine au cours de laquelle on pouvait être véritablement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, la forte augmentation des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux électorats notoirement défavorables aux libertariens – ont transformé la notion de “démocratie capitaliste” en une oxymore. »

Selon lui, l’élargissement de l’électorat aurait entravé les progrès technologiques et scientifiques qui par le passé permettaient de généraliser une certaine qualité de vie, même à ceux qui ne la méritaient pas. Depuis les années 1970 – à l’exception de l’industrie technologique – les progrès stagnent. Aucune grande innovation n’aurait d’ailleurs été enregistrée dans les transports, l’énergie ou même la médecine. Thiel conclut que le progrès est « rare » dans l’histoire humaine. Il propose néanmoins une solution, celle de revenir à un régime monarchique ; selon lui toujours, les grandes inventions de l’histoire auraient été produites par des entreprises fonctionnant comme des monarchies absolues ou des monopoles.

Thiel s’est principalement consacré à vanter les vertus communes de la monarchie et du monopole en ces termes : « Les entrepreneurs en situation de monopole peuvent se permettre de penser à autre chose qu’à gagner de l’argent ; les non-monopolistes ne le peuvent pas. Dans une concurrence parfaite, une entreprise est tellement concentrée sur les marges à court-terme qu’elle n’a pas de vision d’avenir. La seule chose qui peut permettre à une entreprise de transcender la lutte quotidienne brutale pour sa survie, ce sont les profits monopolistiques ». Dans une intervention pour le Wall Street Journal qui caractérise bien sa pensée, il soutient que « la concurrence, c’est pour les losers », car elle produit des copies ou des améliorations de ce qui existe déjà, mais jamais de véritable nouveauté » – un fait qui l’amène à affirmer qu’« en fait, le capitalisme et la concurrence sont antithétiques ».

Vitupérer contre l’État, faire fortune grâce à la CIA

Il semble presque vain de noter les incohérences logiques de ces arguments. Thiel soutient que le progrès est rare dans l’histoire humaine bien que les monarchies absolues aient été la norme. De même, les monopoles ne viennent pas de nulle part mais surviennent précisément lorsqu’une entreprise bat ses concurrents. On pourrait en fait dire que, dans un marché non régulé, le monopole est un résultat inévitable de la concurrence puisque la concurrence implique des gagnants et des perdants, et à mesure que le gagnant remporte de plus en plus de succès, il devient plus facile pour lui de dominer. C’est pourquoi, dans les débuts du capitalisme de chaque pays, on voit émerger des monopoles. C’est pour éviter leur formation que les États ont toujours mis en place des lois anti-trust car les monopoles cessent d’innover et tendent à se suffire de la rente générée dès qu’ils s’établissent.

Si néanmoins on accordait un semblant de crédit à cette bouillie théorique, on verrait à l’oeuvre une contradiction encore plus fondamentale – entre l’apologie du libertarianisme et d’une forme de monarchie. La liberté pour un très petit nombre, l’esclavage pour la grande majorité ? Beaucoup ont disserté de l’influence de Nietzsche sur Thiel, mais c’est peut-être à Max Stirner qu’il faut en revenir – référence prisée d’une partie des élites de la Silicon Valley. Ce n’est pas pour rien que « l’Unique » ou « l’Ego » de Stirner est défini par « sa propriété », et cet Unique peut utiliser n’importe quel moyen pour maximiser son pouvoir. Pour le philosophe, la libre concurrence est une limitation de la liberté, étant donné qu’elle ne peut être assurée que par un État qui restreint la liberté des individus.

Mais pourquoi dénoncer la tyrannie de l’État et défendre ensuite la monarchie absolue ? Pour résoudre cette contradiction, il faut comprendre Stirner et sa notion d’« instrumentalité absolue de chaque position ». L’Unique peut tout utiliser si cela lui est utile. Si l’on voulait absolument justifier les incohérences et contradictions de Thiel, il faudrait puiser à la source de l’individualisme extrême et nihiliste d’un Stirner.

La manifestation la plus frappante de cette contradiction permanente réside dans l’obsession de Thiel pour le dénigrement de Stanford et de l’enseignement supérieur en général (finançant même, en grande pompe, une fondation pour les étudiants qui ont abandonné l’université pour fonder leur propre startup – avec des résultats extrêmement limités) alors qu’il a ensuite payé pour enseigner dans cette même université. Cette position d’enseignant lui a même permis de publier un livre qui a tiré son succès de sa publication par la marque de Stanford bien que le nombre réel d’exemplaires vendus reste incertain (un million, un million et demi, voire trois millions selon diverses allégations, mais le nombre réel pourrait être bien inférieur).

Cette impulsion séparatiste motive son investissement dans Space X avec Elon Musk : Thiel est beaucoup plus emballé par l’idée de s’isoler dans l’espace que par « le truc du changement climatique ».

Ce défenseur libertarien de la monarchie absolue n’hésite pas non plus à gagner de l’argent grâce à la surveillance de masse. En 2003, il fonde Palantir, une société spécialisée dans l’analyse de données, et reçoit immédiatement un financement du fonds d’investissement de la CIA In-Q-Tel. Contradiction ? Dans The Straussian Moment, alors qu’il fondait Palantir, Thiel écrivait : « Au lieu des Nations Unies, remplies de débats parlementaires interminables et peu concluants qui ressemblent à des contes shakespeariens racontés par des idiots, nous devrions considérer Echelon, la coordination secrète des services de renseignement mondiaux, comme la voie décisive vers une Pax Americana véritablement mondiale », Echelon étant le mécanisme de surveillance planétaire le plus intrusif jamais conçu dans l’histoire de l’humanité.

Les Lumières sombres

Palantir n’a décollé qu’en 2011 grâce à une rumeur selon laquelle l’entreprise avait « aidé à tuer Oussama ». Dès lors, les contrats se multiplient et la police allemande recherche même ses services qui comprennent non seulement des logiciels mais aussi la main-d’œuvre pour les utiliser. Paradoxe de la rentabilité capitaliste, Palantir est évalué à 17,6 milliards de dollars – sans jamais générer de profits – et constitue aujourd’hui la part la plus importante de la fortune de Thiel. D’un côté, le milliardaire gagne son argent en aidant l’État à espionner les gens ; de l’autre, il promeut le Bitcoin et les crypto-monnaies comme instruments d’émancipation de la tyrannie des États. Ce n’est pas qu’une question d’incohérence ou de contradiction, c’est du cynisme pur et simple. Même son image d’idéologue « à contre-courant » est cynique, le but étant de se présenter comme une minorité opprimée, un outsider, un anticonformiste – un anticonformiste qui veut devenir riche et puissant. Même la défense du monopole s’inscrit parfaitement dans l’air du temps : pensez à la réhabilitation du monopole par les néolibéraux, véritable « révolution du droit des sociétés » menée par Henry Manne.

Certes, cette absence totale de scrupules rappelle l’attitude de l’Übermensch nietzschéen pour qui tout est permis. En particulier, la jérémiade de Thiel contre le politiquement correct fait écho à la lamentation de Nietzsche dans De la généalogie de la morale à propos de la révolte de la morale des esclaves : « plus l’homme supérieur est liquidé, plus la moralité de l’homme ordinaire sort victorieuse ». Son désir est de mener une sécession permanente de la plèbe et du patriciat comme cela s’est produit dans la Rome antique. C’est ainsi qu’il faut interpréter son acquisition d’un domaine de presque 200 hectares en Nouvelle-Zélande et le financement de Seasteading, un projet de communauté autosuffisante en marge des eaux internationales qui, après s’être heurté au principe de réalité, est devenu un projet à 25000 kilomètres de la côte avant d’être totalement abandonné. Cette impulsion séparatiste motive son investissement dans Space X avec Elon Musk : Thiel est beaucoup plus emballé par l’idée de s’isoler dans l’espace que par « le truc du changement climatique ».

Où mène cette quête assoiffée de pouvoir ? Da façon caricaturale, Thiel rappelle ces personnages de fiction immensément riche dont la peur de la mort est la motivation centrale. Dans Le Septième Sceau de Bergman, sorti en 1957, un chevalier joue sa dernière partie d’échecs contre la mort. Ce joueur d’échecs accompli pense que la mort n’est « rien d’autre qu’un bug dans l’ensemble des fonctionnalités de l’humanité, et qu’il peut s’en sortir ». C’est pourquoi il jette des sacs d’argent dans des entreprises telles qu’Halcyon Molecular, Emerald Therapeutics, Unity Biotechnology et Methuselah Foundation, finançant des start-up qui promettent d’allonger la vie au-delà de 120 ans ou le remède définitif contre la maladie d’Alzheimer. Et si tout cela ne fonctionne pas, il est prêt à geler son cerveau et à attendre sa réincarnation une fois que la technologie le rendra possible. Comme lui, Thiel n’est pas le seul milliardaire à espérer déjouer la mort ; Jeff Bezos et Larry Page financent tous deux la Alcor Life Extension Foundation « qui a gelé les corps et les cerveaux depuis 1970 ».

Le mépris que Thiel nourrit envers le reste de l’humanité semble presque équivalent à celui qu’il entretient pour le genre féminin. L’infini à la portée des capitalistes de la tech, l’enfer comme le seul avenir pour le troupeau. Le nom qui a été inventé pour cette nouvelle manifestation du capitalisme mondial semble plus approprié que jamais : les lumières sombres (dark enlightenment).