Podemos : la fin de « l’hypothèse populiste » ?

[Long format] La mise à l’écart d’Íñigo Errejón par Pablo Iglesias suite au dernier congrès de Podemos signe-t-elle la fin de « l’hypothèse populiste » originelle du parti ? Ce changement d’équipe annonce-t-il ce que nombre de commentateurs ont désigné comme un « virage à gauche » dans la stratégie discursive et politique de Podemos ? Nous publions ici un article écrit sur la base d’entretiens effectués avec des acteurs et des sympathisants du mouvement ; un article dont le format long permet de comprendre en profondeur les changements à l’oeuvre au sein de Podemos et les dissensions théoriques qui le déchirent mais qui se veut également être un parti pris face à l’actuelle ligne suivie par le parti et émet des doutes concernant les récents choix pris par Pablo Iglesias.

« Podemos choisit la radicalité ». C’est par ces mots que le quotidien espagnol El País a résumé les résultats du deuxième congrès de Podemos qui se tenait les 11 et 12 février derniers à Madrid, au Palacio Vistalegre1. Il y a encore quelques mois, il semblait clair que le parti politique Podemos était né avec l’ambition de créer un populisme. Populisme que ses fondateurs définissaient comme une logique politique refusant l‘axe droite-gauche, privilégiant la transversalité et abandonnant les vieux symboles de la gauche critique traditionnelle pour réussir à construire une nouvelle majorité sociale2. Cependant, depuis quelques semaines la presse, espagnole comme internationale, souligne la victoire de Pablo Iglesias et de sa « gauche de combat »3. Que s’est-il réellement joué lors de ce congrès? La victoire de la liste de Pablo Iglesias a-t-elle marqué la fin de « l’hypothèse populiste » initiale de Podemos?

Lorsqu’ils ont créé le parti, en janvier 2014, ses fondateurs ont voulu donner un nouveau souffle à la gauche espagnole en s’appuyant sur une hypothèse populiste. Une hypothèse car ils ont construit le raisonnement les menant à leur stratégie politique à partir d’une intuition : adopter une démarche populiste était le seul moyen pour une réelle force de gauche d’arriver au pouvoir en Espagne. Depuis sa création, l’hypothèse Podemos a dû muter, se transformer et réussir à allier ses identités plurielles (les différents courants qui coexistent au sein du parti). En octobre 2014, lors du premier congrès du parti, connu sous le nom de « Vistalegre I », les membres de Podemos avaient massivement voté en faveur de la liste défendant cette stratégie populiste initiale et avaient ainsi donné leur légitimité à la construction d’une machine de guerre électorale dans l’optique de remporter les élections générales de décembre 2015. Le deuxième congrès du parti réunissait pour la seconde fois, depuis sa création, les membres de Podemos pour décider du futur du parti.

Plutôt qu’un véritable congrès au cours duquel auraient dû être débattus les principaux défis auxquels Podemos est aujourd’hui confronté – stratégiques et organisationnels – le rassemblement s’est transformé en une arène de boxe dans laquelle s’est finalement jouée une lutte de pouvoir entre les deux principaux courants du parti, le courant « pabliste » contre le courant « errejóniste » ; représentés respectivement par la liste soutenue par le secrétaire général du parti, Pablo Iglesias et celle de l’ancien secrétaire politique, Íñigo Errejón. Le choix d’adopter, lors de ce congrès, une logique plébiscitaire, où se sont enchaînés de simples meetings politiques déguisés, n’a pas laissé de place aux débats de fond.

En plus de la déception de voir, de fait, ce congrès se transformer en un simple spectacle politique – pour lequel 9000 personnes se sont déplacées – les résultats qui en sont sortis signent, pour certains militants interrogés, la fin du Podemos originel. La victoire de la liste de Pablo Iglesias, majoritairement constituée d’anciens d’Izquierda Unida (IU), une coalition de gauche critique formée en 1986, représente pour une partie des membres du parti un revirement dans la logique podemiste, le retour d’une « vieille » gauche usée par ses symboles. Suite à ce congrès, Íñigo Errejón – « numéro deux » de Podemos jusqu’à peu – longtemps considéré comme le « cerveau » du parti et le stratège de Podemos, défenseur de l’importance de la transversalité et de la nécessité d’occuper la centralité de l’échiquier politique, a perdu ses postes de secrétaire politique et de porte-parole du groupe Unidos Podemos au Parlement, remplacé pour ce dernier par Irene Montero, ancienne cheffe de cabinet de Pablo Iglesias et figure « pabliste » de plus en plus mise en avant dans le parti.

Sur quels enjeux et questions les deux courants s’opposent-ils ? Ces différences ne correspondent-elles pas à de simples et classiques enjeux de pouvoir propres aux logiques partisanes ?

I. Bref retour sur les divisions entre « pablistes » et « errejónistes » : la question des alliances.

En octobre 2014, à l’occasion du premier congrès de Podemos, les commentateurs se sont employés à désigner deux courants coexistants au sein du parti, qui présentaient deux projets distincts : l’équipe des Anticapitalistes, supposément plus portée à gauche et l’équipe de Pablo Iglesias, plus populiste et « pragmatique ». La réalité est plus complexe et au sein même du pôle entourant Pablo Iglesias, cette tension entre deux âmes était déjà perceptible. Ainsi, on peut depuis longtemps dessiner autour de Pablo Iglesias deux courants. Un premier, notamment autour d’Irene Montero et Rafael Mayoral, héritiers d’une forte tradition de gauche, ayant longuement milité au Parti communiste d’Espagne, qui se révèle favorable à une union globale de la gauche, s’inspirant d’exemples étrangers : Le Front de gauche français, le Bloco de Esquerda portugais ou encore Syriza en Grèce. Face à eux, se trouve le secteur plus populiste, qui défend avant tout la transversalité et qui s’est structuré autour de la figure d’Íñigo Errejón et s’est ainsi vu qualifié de courant « errejóniste ».

Ces divisions ont longtemps été étouffées par la cohésion existant derrière la personne de Pablo Iglesias, ce dernier faisant figure de synthèse entre ces courants. En décembre 2015, Podemos obtient 20,7% des voix aux élections générales, seulement 300 000 voix de moins que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), l’homologue espagnol du PS. Ces résultats mènent à une situation inédite en Espagne : l’incapacité des différentes forces politiques à former un gouvernement. À l’aube des élections provoquées en juin 2016, face à l’absence de majorité au Congrès, se pose la question d’une possible alliance avec la gauche critique traditionnelle, Izquierda Unida. Ces débats viennent élargir les plaies ouvertes entre les deux courants et briser l’apparent consensus autour de Pablo Iglesias.

Ces distances politiques vont d’abord surgir après les élections de décembre où Podemos, fort d’un succès électoral et d’une entrée massive au Parlement, se voit néanmoins dans l’obligation de former des alliances avec le PSOE et d’autres partis pour construire une majorité alternative à Mariano Rajoy, candidat du parti conservateur de droite, le Parti populaire (PP). Pablo Iglesias choisit d’entamer les négociations de manière jugée abrupte par certains, proposant de soutenir le candidat socialiste à la présidence du gouvernement en se proposant comme vice-président du gouvernement et en demandant une répartition proportionnelle des ministères entre les formations. Le PSOE refuse et propose une alliance avec le parti centriste Ciudadanos, que Podemos rejette. S’il est difficile de connaître les réalités de ces négociations, le récit porté sur celles-ci constitue un des premiers enjeux entre les deux groupes. Ainsi on verra, dans les affrontements les plus récents, les « pablistes » accuser les « errejónistes » d’avoir voulu gouverner avec le PSOE coûte que coûte, quand ceux-ci s’en défendent mais estiment que les négociations menées par Pablo Iglesias ont participé à ancrer Podemos dans une certaine radicalité. À ce titre, Ángela Rodríguez, députée Podemos galicienne, nous confie à l’été 2016 : « Je pense que ne pas avoir réussi à se débarrasser de Rajoy nous a beaucoup coûté, que les Espagnols n’ont pas compris cette décision, n’ont pas compris pourquoi nous n’avons pas voulu gouverner avec le PSOE »4.

Izquierda-Unida-Garzon

Íñigo Errejón, Pablo Iglesias et Alberto Garzón (leader d’Izquierda Unida). Crédit photo : EFE (www.elespanol.com)

Entre décembre 2015 et juin 2016, les alliances internes commencent à se recomposer, le secrétaire à l’organisation Sergio Pascual, étiqueté « errejóniste », est démis de ses fonctions par Pablo Iglesias auquel il substitue Pablo Echenique, son ancien opposant lors du premier congrès. Cette mutation dans l’organisation facilitera un accord avec Izquierda Unida en vue des élections de juin 2016. Est notable sur cette période la restructuration des « camps » et l’étiquetage de ces camps comme un enjeu – enjeu d’identification, permettant l’inclusion ou l’exclusion par les acteurs politiques eux-mêmes dans l’un des deux camps. Dans un article récent, Luis Alegre, longtemps fidèle d’Iglesias et membre fondateur du parti critiquera d’ailleurs cette logique: « La stratégie qu’ils ont suivi est aussi simple qu’efficace : en premier lieu, accuser “d’errejóniste” n’importe quelle personne qui ne fait pas partie de son cercle fermé de confiance [de Pablo Iglesias], en deuxième lieu, défendre le fait que tous les Errejónistes doivent être en dehors de Podemos » 5.

Comment expliquer les choix pris par Pablo Iglesias? Alberto Amo, co-auteur de Podemos, la politique en mouvement et membre du Cercle Podemos Paris, explique que le contexte politique ayant changé depuis la création de Podemos, l’hypothèse populiste devait à nouveau muter et un rapprochement avec Izquierda Unida paraissait alors être une décision raisonnée en raison de ces récentes transformations : « Le résultat de ces élections [les élections de décembre 2015] a montré que Podemos avait un soutien électoral presque identique à celui du PSOE. À ce moment-là, Podemos a pu commencer à disputer à ce parti l’hégémonie de la gauche en Espagne, ce que des dirigeants comme Pablo Iglesias ont commencé à faire dès le lendemain des élections de décembre 2015 »6.

Julio Anguita

Pablo Iglesias et Julio Anguita (secrétaire général du PCE de 1988 à 1998). Crédit photo : Jairo Vargas (www.publico.es)

« Podemos a pu commencer à disputer l’hégémonie de la gauche en Espagne, ce que des dirigeants comme Pablo Iglesias ont commencé à faire dès le lendemain des élections de décembre 2015 »

Entre les deux élections et la constitution de ces deux courants, les militants et les électeurs commencent eux-mêmes à se positionner. Les enquêtés inscrits dans cette « logique de gauche », plus ancrée dans les identités politiques traditionnelles (des anciens d’IU, des militants de longue date souvent originaires de familles politisées), se révèlent, en mai 2016, enthousiastes à l’idée de voir enfin « toute la gauche » réunie pour la première fois en Espagne. Dans une conversation informelle précédant un entretien, l’un des enquêtés raconte l’émotion qu’il a ressenti en voyant les larmes de Pablo Iglesias le 13 mai 2016 qui rencontrait, lors d’un meeting de pré-campagne, Julio Anguita, secrétaire général du Parti communiste d’Espagne de 1988 à 1998, considéré comme une figure incontournable de la gauche critique7. Deux semaines avant cette rencontre, Pablo Iglesias rappelait, via Facebook, son engagement de toujours avec IU : « Ma “première” campagne était en 86, avec mon père candidat IU pour Soria. Félicitations avec tout mon respect #30AnsAvecIU »8. Au contraire, Iago, militant Podemos de 18 ans, étudiant en science politique, interrogé quelques jours avant l’annonce de l’alliance mise en place avec IU, se désole d’une telle possibilité et explique que cette alliance pourrait casser la stratégie de transversalité de Podemos, en remettant le vieil axe droite-gauche au cœur des discours et en s’éloignant ainsi de ce qui a constitué la base théorique de la création de Podemos9.

II. Des différences théoriques et pratiques : « unir ceux qui pensent la même chose » ou « construire un peuple » ?

L’origine de la scission entre ces deux courants se trouve donc dans des questions principalement stratégiques : l’alliance avec IU et la question de pacte avec le PSOE. Le débat peut facilement tourner à la caricature : d’un côté, nous aurions un courant « radical », la « pureté idéologique », le retour aux rues, la lutte sociale; de l’autre, un courant « modéré » et réformiste. Cette caricature entre supposées radicalité « pabliste » et modération « errejóniste » est reprise par nombre de médias. Pourtant, dans la logique « errejóniste », la radicalité d’un projet ne se mesure pas au ton adopté dans les discours mais dans la transformation du réel. Pablo Bustinduy, député Podemos et chargé des relations internationales du parti, expliquait ainsi lors d’un entretien réalisé par Mediapart : « Dans l’hypothèse Podemos, depuis le départ, figure un élément fondamental : les idées se mesurent dans la réalité. Tenir un discours très radical, mais sans effet pour changer le réel, cela ne me paraît pas radical. C’est une radicalité avec laquelle cohabitent très bien les pouvoirs établis. Elle ne suppose aucune menace ».

Mais quelles sont réellement les différences théoriques qui séparent ces deux courants?

« Tenir un discours très radical, mais sans effet pour changer le réel, cela ne me paraît pas radical. C’est une radicalité avec laquelle cohabitent très bien les pouvoirs établis »

Des différences d’analyse : intérêts matériels contre performativité du discours?

En juin 2015, dans son article « Les faiblesses de l’hypothèse populiste et la construction d’un peuple en marche », Juan-Carlos Monedero, co-fondateur du parti et ancien secrétaire d’organisation, reproche à l’hypothèse « errejóniste » du populisme l’accent trop important porté sur la performativité du discours au détriment de l’analyse des conditions matérielles et reproche de fait à Podemos (dont la logique « errejóniste » est alors encore dominante au sein du parti) d’avoir délaissé les questions liées au travail et à la classe ouvrière, pourtant nécessaires pour récupérer une « unité populaire ». Pour Monedero, si la stratégie discursive défendue par Errejón est bel et bien nécessaire dans un premier temps, elle n’est qu’une phase. Il écrit ainsi : « baser la politique sur des théories éloignées du réel vide les contextes, construit des sectes de croyance qui ne prient que leurs commandants, comme des armées de soldats qui ne voient plus ou ne sentent plus rien mais évaluent seulement si tu as “compris ou non leurs théories et si, du coup, tu es “des nôtres. Et toutes les luttes qu’anticipaient notre rage disparaissent »10.

Vistalegre II

Juan-Carlos Monedero, Pablo Iglesias et Íñigo Errejón (Vistalegre I). Crédit photo : http://www.elconfidencialdigital.com.

Pourtant, la logique populiste, post-marxiste et post-essentialiste, qui est associée à Errejón, ne contredit pas l’existence « d’intérêts concrets » mais assure que « ces nécessités n’ont jamais de reflet direct et “naturel en politique »11. Errejón, s’appuyant sur les écrits d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, explique que la logique populiste qu’il défend ne considère pas le peuple comme une classe sociale mais comme un sujet qu’il s’agit de construire à travers le discours. Le discours est donc primordial puisqu’il ne commente pas la réalité : il crée lui-même la réalité et agit directement sur le réel. La politique est ainsi conçue comme un différend sur le sens des mots car, pour Errejón, « les mots sont des collines dans le champ de bataille de la politique » et « qui les domine a gagné la moitié de la guerre »12. Le terme de « discours » ne se réfère pas seulement au langage « mais aussi à l’ensemble des pratiques sociales qui donnent sens à notre monde dans un processus intrinsèquement ouvert et conflictuel »13. Pour être en mesure de conquérir le pouvoir, il ne s’agit pas de se constituer comme un simple sujet d’opposition, rejetant radicalement le sens commun de l’époque mais au contraire de se nourrir de ce dernier: de ce qui va de soi, des habitudes, des signifiants qui le composent, pour créer une nouvelle identité politique à laquelle une majorité puisse s’identifier. Autrement dit, ne pas s’enfermer dans des identités collectives de gauche critique qui se « socialisent dans la défaite »14.

Conflits autour du « sujet politique » à construire : à qui s’adresse-t-on?

Ce conflit théorique se matérialise notamment lorsqu’il s’agit de définir le sujet politique du changement (comprendre quel électorat viser). Le courant de Pablo Iglesias, auquel Monedero est associé, adopte dans ses discours un ton plus offensif. Ses interventions, se terminant par exemple toujours le poing levé, sont clairement associées dans l’imaginaire collectif à des discours de la gauche historique. Iglesias expliquait par exemple regretter son choix de s’être « déguisé » en « leader tranquille » pour la campagne de juin 201615. Pour les « errejónistes », ce type de discours, privilégiant l’offensivité, s’adresse à un électorat de gauche déjà acquis par Podemos. Il est contre-productif dans la mesure où il enferme le parti dans une identité contestataire et agressive prenant ainsi le risque d’effrayer une partie de l’électorat qui pourrait largement être séduit par le programme de Podemos mais ne votera pas pour le parti en raison du ton adopté.

Ce conflit théorique se matérialise notamment lorsqu’il s’agit de définir le sujet politique du changement. Les interventions de Pablo Iglesias sont clairement associées dans l’imaginaire collectif à des discours de la gauche historique. Le courant d’Íñigo Errejón préconise, au contraire, l’adoption d’un discours s’adressant au peuple dans son ensemble.

Au contraire, le courant « errejóniste » préconise l’adoption d’un discours s’adressant au peuple dans son ensemble (peuple qu’il s’agit justement de construire à travers ce discours). Jorge Lago, membre du Conseil citoyen de Podemos, nous expliquait ainsi lors d’un entretien effectué en avril 2016, à la Morada, siège social et culturel de Podemos: « Je suis de gauche au sens idéologique, c’est-à-dire ne pas croire au capitalisme, croire à l’égalité, ne pas croire en la propriété, ni à l’individualisme. Si on définit la gauche de cette façon, je suis de gauche. Le problème c’est que ce qui compte ce n’est pas ce que dit la science politique parce que la population ne lit habituellement pas la science politique. Ce qui compte, c’est comment tu réussis à faire en sorte que les gens croient à un projet politique et, à mon avis, ce n’est pas la peine d’utiliser ces mots clés de “gauche” et “droite”, ni de garder son identité de gauche »16.

Entre les élections générales de décembre 2015, auxquelles Podemos s’était présenté seul et celles de juin 2016, auxquelles Podemos et IU se sont présentés conjointement au sein de la coalition Unidos Podemos, le parti a perdu 1,1 million de voix. Les enquêtes post-électorales ont montré que les électeurs qui se considéraient plus modérés politiquement n’avaient pas accordé leurs votes à Podemos une deuxième fois. Les données du CIS (Centre de recherches sociologiques) montrent ainsi que Podemos a perdu des voix de la part de l’électorat qui se considère, sur un axe droite-gauche allant de 1 (le plus à gauche) à 10 (le plus à droite), proche de 4 mais qui considère que Podemos est plus radical, le positionnant environ à 2,5. Au contraire, les électeurs ayant voté à nouveau pour Podemos se considèrent plus à gauche (2,5) et place Podemos sur le même point de l’axe17.

Íñigo Errejón

Íñigo Errejón. Crédit photo : www.elconfidencialdigital.com.

En voulant séduire des électeurs plus « modérés » – ou plutôt en se tournant vers la centralité de l’échiquier politique – le courant « errejóniste » s’est attiré les critiques du courant « pabliste » qui considérait qu’Íñigo Errejón voulait transformer Podemos en un « PSOE 2.0 ». À ces critiques, Errejón répond de la manière suivante : « Je recommande aux personnes remplies de phraséologie révolutionnaire d’étudier tous les processus qui ont rendu une révolution victorieuse […] Ce ne sont pas des discours qui en appellent à une partie du peuple mais qui appelle au peuple entier […] La PAH [Plateforme des victimes du crédit hypothécaire] ne demandait pas aux gens s’ils étaient de droite ou de gauche, ils demandaient : “est-ce que ça te paraît juste qu’ils expulsent les gens de leur maison?” […] Je crois que c’est la seule ligne possible pour un Podemos capable de gagner, capable de construire une majorité ample, capable de récupérer les institutions pour les gens et cela n’est pas plus modéré, cela est beaucoup radical. Construire un peuple est beaucoup plus radical qu’unir ceux qui pensent la même chose »18.

« Construire un peuple est beaucoup plus radical qu’unir ceux qui pensent la même chose »

Dans un article paru en janvier 2017, Iolanda Mármol résume ces différences de la manière suivante : alors que les « pablistes » veulent avant tout « politiser la douleur » et « exprimer la rage du mal-être des classes les plus défavorisées », les « errejónistes » considèrent au contraire que l’espoir est la « véritable âme de Podemos », qu’il est contre-productif de « mystifier une rancoeur qui est légitime mais incapable de changer quoi que ce soit »19, mystifier cette rage condamne les organisations partisanes à la nostalgie et à une posture contestataire, les empêchant ainsi d’accéder au pouvoir et d’agir sur le réel.

III. Des logiques irréconciliables ?

Dans les faits, la plupart des électeurs et des militants, bien que se positionnant dans l’un des deux courants, reconnaissent que cette distinction entre « pablistes » et « errejónistes » est artificielle, que la caricature est facile et que les deux courants pourraient cohabiter au sein du parti (comme ce fut longtemps le cas). Pour la plupart des enquêtés ces deux logiques se complètent. Par exemple, concernant la position à adopter par Podemos qui est aujourd’hui une force d’opposition siégeant dans les institutions, les médias aiment caricaturer la chose de la sorte : Pablo Iglesias ne jurerait que par les mobilisations « de la rue », ne reconnaissant aucun pouvoir à l’opposition parlementaire, au contraire d’Íñigo Errejón qui mépriserait ces mouvements spontanés au profit du travail parlementaire, seule force capable de transformer le réel. La réalité est plus complexe et les deux logiques sont loin d’être incompatibles. Il existe bien un débat pour savoir où l’accent doit être prioritairement mis mais pour les deux leaders du parti, comme pour la plupart des enquêtés, il s’agirait d’avoir un « pied dans la rue » en s’appuyant sur les mouvements sociaux, tout en ayant un « pied dans les institutions » pour lutter contre les politiques conservatrices et néo-libérales du Parti populaire, actuellement au pouvoir.

La réalité est plus complexe et les deux logiques ne sont pas incompatibles. Pour les deux leaders du parti, il s’agirait d’avoir « un pied dans la rue » et « un pied dans les institutions ».

Les documents présentés à l’occasion de Vistalegre II par les différents courants révèlent précisément que les différences restent extrêmement modérées. Le programme, les objectifs, les prochaines étapes politiques et stratégiques coïncident : pour toutes les listes en compétition l’objectif est de redonner le pouvoir à « ceux du bas » en gagnant les élections générales en 2020 et d’avancer préalablement dans les communautés autonomes en 2019. Bien sûr, des points de divergence existent notamment sur l’analyse de l’électorat à séduire: alors que les documents de la liste d’Iglesias s’adressent aux « secteurs populaires et classes moyennes », la liste d’Errejón vise les « gens ordinaires » qu’elle oppose à la « caste privilégiée »20. Comme l’explique Julio Martínez-Cava, dans son article « La question des classes à Podemos. L’origine faussée d’un débat nécessaire », toutes les listes s’accordent in fine sur la nécessité « d’articuler les intérêts de ceux du bas” ». Il ajoute qu’un terrain d’entente aurait ainsi pu être trouvé sur le thème de la « composition du sujet du changement » si « il y avait eu les conditions d’un véritable débat et pas une simple instrumentalisation pour des primaires »21. Il pointe ainsi l’un des principaux problèmes du congrès. En transformant ce vote en plébiscite, les cadres de Podemos ont dépossédé les membres du parti du peu de voix qu’ils avaient – sans même d’ailleurs aborder sérieusement la question de l’avenir des Cercles, ces espaces citoyens créés à la naissance de Podemos, supposés gagner du pouvoir une fois la « machine de guerre » démantelée après les élections.

Dans ce contexte d’opposition, de plébiscite et d’absence de débats, permis par la structure même de l’organisation du congrès, les discours les plus récompensés en applaudissements ont été, sans surprise, les plus conformes aux marqueurs culturels du militantisme de gauche – Podemos semblant avoir consolidé un groupe d’activistes rassemblant des personnes à la fois ayant un passé militant mais aussi des nouveaux entrants en politique fédérés autour de la figure du secrétaire général. Cet enjeu d’identification au parti avait tenté d’être récupéré par le courant « errejóniste » qui a lancé, pendant la campagne, le slogan « Recuperar el morado » (« Récupérer le violet ») en référence à la couleur symbole et référent identitaire du parti. Mais le groupe militant est en majorité resté fidèle à Pablo Iglesias en lui offrant une majorité absolue au sein des organes du parti et en appuyant tous ses documents, lui offrant ainsi l’opportunité de choisir l’avenir qu’il comptait donner au parti.

Dans ce contexte d’opposition, de plébiscite et d’absence de débats, permis par la structure même de l’organisation du congrès, les discours les plus récompensés en applaudissements ont été, sans surprise, les plus conformes aux marqueurs culturels du militantisme de gauche.

Quatre semaines se sont écoulées depuis Vistalegre II et le changement d’équipe a été acté. Le nouvel exécutif « pabliste » réserve aux autres courants des postes d’influence extrêmement limités. Le plupart des intellectuels et promoteurs de la ligne initiale du parti ont été demis de leurs fonctions et Pablo Iglesias et ses équipes ont repris la main sur les secteurs stratégiques du parti. Dernièrement, Jorge Lago, jusque-là à la tête de l’Instituto 25M, « think tank » s’occupant des activités de formation du parti, a été délogé au profit d’un membre de la liste d’Iglesias. Moins visible mais plus éclairant encore, les équipes s’occupant de la ligne et du discours du parti ont été entièrement renouvelées : Jorge Moruno, fidèle d’Errejón et jusque-là responsable argumentaire et discours, considéré comme le père de la ligne transversale de Podemos, a été remplacé par Pedro Honrubia, fidèle d’Iglesias. Les équipes responsables du discours sont désormais largement composées d’anciens membres d’Izquierda Unida. Enfin, l’acte le plus marquant a été la destitution d’Iñigo Errejón de son poste de porte-parole au Congrès des députés et la proposition faite à ce dernier d’être le candidat du parti en 2019 dans la Communauté de Madrid, ce qui semble être pour les « pablistes » un moyen d’offrir à Errejón des perspectives tout en l’éloignant des enjeux nationaux.


Irene-MonteroÍñigo Errejón, Irene Montero et Pablo Iglesias
(Vistalegre 2). Crédit photo : www.irispress.es.

D’une part, les choix de Pablo Iglesias valident les camps constitués au cours de l’année (consolidés par Vistalegre II) et signent le refus de faire fonctionner le parti de manière plus démocratique et plurielle. D’autre part, ces choix ont placé la production de la ligne politique et discursive aux mains de personnes socialisées au sein d’IU, ayant prouvé par le passé maîtriser la production d’un discours de gauche classique contestataire, que certains ont par exemple employé lors de la campagne d’IU en décembre 2015 (lorsque la coalition de gauche n’avait pas encore effectué d’alliance avec Podemos) qui s’est soldée, rappelons-le, par un échec pour la formation. Ces personnes font désormais partie des cercles de pouvoir au sein de Podemos et semblent disposées à reproduire ce type de discours au sein du parti.

« La politique n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison. Vous pouvez porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau, tout ça pendant que l’ennemi se rit de vous. Parce que le peuple, les travailleurs, préfèrent l’ennemi. Ils croient à ce qu’il dit. Ils le comprennent quand il parle. Vous pouvez demander à vos enfants d’écrire ça sur votre tombe : “il a toujours eu raison – mais personne ne le sut jamais »

En choisissant d’écarter les principales figures du courant « errejóniste » des organes de direction, au lieu de respecter une représentation proportionnelle des résultats (51% pour la liste d’Iglesias, 33% pour la liste d’Errejón, 13% pour la troisième liste Anticapitaliste), Pablo Iglesias a confirmé, au nom de « l’unité » de Podemos, ne vouloir laisser aucune place à la pluralité au sein du parti. Ces choix peuvent surprendre de la part d’un Pablo Iglesias qui déclarait lui-même, il y a quelques années de ça : « La politique n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison […] Vous pouvez porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau. Vous pouvez même porter un très très grand drapeau puis rentrer chez vous avec le drapeau, tout ça pendant que l’ennemi se rit de vous. Parce que le peuple, les travailleurs, préfèrent l’ennemi. Ils croient à ce qu’il dit. Ils le comprennent quand il parle […] Vous pouvez demander à vos enfants d’écrire ça sur votre tombe : “il a toujours eu raison – mais personne ne le sut jamais” »22. Iglesias a su convaincre 51% des membres de Podemos sur les 155 000 militants qui ont voté. Reste maintenant à savoir si ses récents choix confirmant ce que les médias désignent comme un « virage à gauche » ou la victoire de la « ligne dure » du parti conviendront aux 5 millions d’électeurs qui ont voté pour Podemos aux dernières élections générales et permettront d’en séduire de nouveaux pour atteindre l’objectif présenté à Vistalegre II : le « Plan 2020 », c’est-à-dire : « Vaincre le PP et gouverner l’Espagne ».

Laura Chazel et Théo Saint-Jalm

À propos des auteurs : Respectivement doctorante et étudiant en master en science politique, ayant étudié à l’Université Autonoma de Madrid et de l’Université Complutense de Madrid au cours de l’année 2015-2016, nous réalisons actuellement des travaux de recherche sur Podemos. Ces travaux sont basés sur des enquêtes de terrain, sur de nombreux entretiens et sur la participation à différentes campagnes électorales – à Madrid, à Barcelone et en Galice. Si la rédaction de cet article est liée à ces activités de recherche, il s’agit également d’un parti pris face à l’actuelle ligne suivie par le parti. Les lectures faites des fondements théoriques ayant permis l’ascension de Podemos nous amènent à penser que la ligne suivie par Pablo Iglesias et l’exclusion d’Íñigo Errejón du centre du parti mettent l’organisation dans une position de faiblesse. Cette approche sur les fondements théoriques nous a conduit à mettre de côté, dans cet article, le troisième courant de Podemos (anticapitaliste). Bien qu’il fédère toujours une petite portion des bases du parti, son apport théorique très classique n’a eu, en effet, qu’une influence marginale au sein de Podemos.

Notes :

1NC, “Espagne. Podemos choisit la radicalité”, El País traduit dans Courrier International, février 2017.

2Le terme « populisme » doit être utilisé avec précaution car il renvoie à plusieurs réalités. Dans cet article, lorsque nous nous référons au « populisme » nous le comprenons dans ces termes là : ils correspondent à la définition employée par Podemos à son origine.

3NC, “Espagne : en congrès, les militants de Podemos confortent Pablo Iglesias et sa gauche de combat”, France 24, février 2017.

4Entretien avec Ángela Rodríguez, députée Unidos Podemos, Pontevedra, 15 juillet 2016.

5Alegre Luis, “¿Qué está pasando en Podemos?”, www.eldiario.es, février 2017.

6Entretien avec Alberto Amo, co-auteur de Podemos, la politique en mouvement, Paris, 22 avril 2016. En partie disponible en ligne sur le site www.plateformecommune.org, novembre 2016.

7Meeting d’Unidos Podemos, Cordoue, 13 mai 2016. Disponible disponible en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=LmQ_3WODKOU.

8Statut Facebook de Pablo Iglesias du 28 avril 2016.

9Entretien avec Iago, étudiant en science politique, militant Podemos, Madrid, 26 avril 2014.

10Monedero Juan-Carlos, “Las debilidades de la hipotesis populista y la construcción de un pueblo en marcha”, Público, mai 2016.

11Errejón Íñigo, “Podemos a mitad de camino”, www.ctxt.es, 23 avril 2016 traduit de l’espagnol au français pour le site Ballast par Pablo Castaño Tierno, Luis Dapelo, Walden Dostoievski et Alexis Gales.

12Errejón Íñigo cité dans Torreblanca José Ignacio, Asaltar los cielos, Podemos o la politíca después de la crisis, Barcelone, Debate, 2015.

13Martínez-Cava Julio, “La cuestión de clase en Podemos. El origen viciado de un necesario debate”, www.sinpermiso.info, février 2017.

14Entretien avec Jorge Lago, Conseil citoyen de Podemos, Madrid, 27 avril 2016.

15Mármol Iolanda, “Iglesias y Errejón, las diez diferencias”, www.elperiodico.com, janvier 2017.

16Entretien avec Jorge Lago, Conseil citoyen de Podemos, Madrid, 27 avril 2016.

17Centre de recherches sociologiques (Centro de Investigaciones Sociologicas) : www.cis.es.

18Vidéo posté par Íñigo Errejón sur Facebook le 16 janvier 2017.

19Mármol Iolanda, “Iglesias y Errejón, las diez diferencias”, www.elperiodico.com, janvier 2017.

20Martínez-Cava Julio, “La cuestión de clase en Podemos. El origen viciado de un necesario debate”, www.sinpermiso.info, février 2017.

21Ibid.

22Pablo Iglesias traduit par Tatania Ventôse. Disponible en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=wVj4Avs5EUY.

Crédit photo de couverture : EFE (www.ara.cat)

Que retenir de Vistalegre II, le congrès de Podemos ?

Ce week-end avait lieu à Madrid le très attendu Vistalegre II, le deuxième congrès de Podemos. Les résultats du vote des inscrits ont renforcé le leadership de Pablo Iglesias sur l’organisation, au détriment de son numéro 2 Iñigo Errejón. Cet article revient sur cet événement fondamental dans l’histoire du jeune parti, le contexte dans lequel il s’est tenu et les enjeux qu’il dessine pour les années à venir. 

En octobre 2014, Podemos tenait son premier Congrès à Madrid, dans le Palacio Vistalegre. Après une percée inattendue lors des élections européennes du mois de mai, cette « assemblée citoyenne » avait pour but de fixer les contours de l’organisation, jusqu’alors présentée comme une plateforme citoyenne. Au terme de Vistalegre I, Podemos adoptait des structures caractéristiques d’un parti politique, afin de donner corps à une « machine de guerre électorale » destinée à remporter le scrutin décisif du 20 décembre 2015. C’est la liste de Pablo Iglesias, Claro que Podemos, qui s’était alors largement imposée face au secteur anticapitaliste. Le projet Claro que Podemos était incarné par 5 figures aujourd’hui considérées comme le « groupe promoteur » du parti : Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero, Luis Alegre, Carolina Bescansa… et Iñigo Errejón.

C’est dans un contexte bien différent que s’est déroulée la seconde assemblée citoyenne du parti, Vistalegre II, le week-end du 11 et 12 février 2017. Deux ans se sont écoulés depuis son premier congrès, et Podemos est désormais solidement installé dans le paysage politique espagnol. Face à un PSOE affaibli par son soutien indirect à l’investiture de Mariano Rajoy et par ses profondes contradictions internes, la formation dirigée par Pablo Iglesias tente d’apparaître comme la principale force d’opposition au Parti populaire au pouvoir. Les élections générales du 26 juin 2016 sont venues clôturer une séquence d’intense mobilisation électorale et ouvrir un nouveau cycle politique pour l’Espagne. Vistalegre II avait donc pour objet de repenser l’organisation et la stratégie de Podemos pour les années à venir.

Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, deux projets distincts

Cette seconde assemblée citoyenne de Podemos a vu se confronter deux principaux projets, adossés à deux personnalités : Pablo Iglesias, secrétaire général, et Iñigo Errejón, secrétaire politique et n°2 du parti.

Dans un précédent article, nous revenions sur les deux orientations stratégiques qui s’esquissaient depuis l’automne au sein de Podemos. Ces différentes options se sont depuis nettement affirmées au point de voir naître deux propositions et deux candidatures distinctes pour le renouvellement du conseil citoyen : Podemos para todas  pour Pablo Iglesias, Podemos recuperar la ilusión pour Iñigo Errejón.

A l’origine du désaccord entre Pablo Iglesias et Iñigo Errejón se trouve une divergence dans l’interprétation de la situation politique actuelle, perceptible à la lecture des documents proposés par les deux candidatures. Si les deux professeurs de sciences politiques ont été les architectes du diagnostic qui a présidé à la création de Podemos, à savoir la crise organique du régime de 1978 et l’ouverture d’une formidable fenêtre d’opportunité pour une alternative politique, leur appréciation de l’état présent du champ politique espagnol n’est pas la même.

Pour Pablo Iglesias, le gouvernement du Parti populaire, bien qu’il ne repose pas sur une majorité parlementaire, est en position de force. Il dispose d’amples prérogatives qui lui permettent d’ignorer le Parlement, et bénéficie de la duplicité du PSOE qui avalise la plupart de ses décisions. Le document politique du projet d’Iglesias décrit ainsi un « bloc de la restauration » composé du PP, du PSOE, et de Ciudadanos, prêt à tout pour verrouiller les mécanismes de la vieille politique et s’opposer à toute mesure progressiste. Selon Iñigo Errejón, le gouvernement espagnol est au contraire en situation de faiblesse, et le soutien indirect du PSOE à Mariano Rajoy révèle une extrême fragilisation du régime, favorable à Podemos.

Il découle logiquement de ces divergences d’appréciation deux stratégies distinctes pour aborder le nouveau cycle politique, « l’entre-temps » (« mientras tanto ») cher au philosophe marxiste Manuel Sacristán. Les pablistes défendent un Podemos résolument engagé dans les luttes sociales, capable de renforcer sa connexion avec la société civile pour ne pas s’accommoder des couloirs feutrés du Parlement, où les marges de manœuvre sont étroites. Le parti doit dès lors s’insérer dans un bloc historique – avec Izquierda Unida et les mouvements sociaux – à même de mener l’opposition politique et sociale à la « triple alliance » PP-PSOE-C’s. Les errejonistes, de leur côté, estiment que l’heure n’est plus à la résistance. Il ne s’agit pas de « creuser des tranchées » et d’adopter une posture exclusivement contestataire, mais bien de transformer l’essai : Podemos doit s’élargir en cherchant à séduire « ceux qui manquent », et notamment les électeurs déçus du PSOE. Pour cela, le parti doit générer de la confiance et se montrer crédible, « être utile aujourd’hui pour gouverner demain », comme le suggère le document politique présenté par Iñigo Errejón.

La formulation de ces deux orientations s’accompagne de critiques réciproques. Les partisans de Pablo Iglesias accusent Iñigo Errejón de « normaliser » Podemos, de vouloir en faire un parti comme les autres sous prétexte de récupérer les voix socialistes. Les errejonistes s’inquiètent quant à eux de voir Pablo Iglesias flirter dangereusement avec les réflexes identitaires de la gauche radicale traditionnelle.

Podemos en proie à de vives tensions

A ces désaccords stratégiques viennent s’ajouter des tensions internes qui n’ont cessé de croître à l’approche du congrès. Si l’entente entre Iglesias et Errejón a longtemps été au cœur du dispositif politique de Podemos, leurs relations semblent s’être progressivement dégradées. Une crise interne à Podemos Madrid en mars 2016, qui a débouché sur la destitution du secrétaire à l’organisation Sergio Pascual, proche d’Iñigo Errejón, avait déjà semé la discorde au sein de la direction du parti. Des divergences sont ensuite apparues à l’été 2016, autour de l’alliance avec Izquierda Unida, qui suscite certaines réticences chez les errejonistes. La campagne lancée par ces derniers sur les réseaux sociaux quelques jours avant Vistalegre II, intitulée « Ni PSOE, ni IU, reprenons le violet », a d’ailleurs été interprétée comme un manque de respect par les dirigeants d’Izquierda Unida.

Les médias espagnols ont grandement contribué à la polarisation des débats et à leur personnalisation, en mettant en scène un duel fratricide entre le radical Iglesias et le modéré Errejón, entre le Podemos de la rue et le Podemos des institutions. Mais ces tensions ont été régulièrement alimentées par chacun des deux secteurs par des déclarations ou des accusations sur les réseaux sociaux, souvent au grand désarroi des sympathisants. A tel point que Pablo Iglesias, pendant les fêtes de fin d’année, s’est fendu d’un mot d’excuse à travers une vidéo adressée aux inscrits : « Pardonnez-moi, je sais que nous sommes en train de vous faire honte ».

L’opposition entre les errejonistes et les pablistes s’est matérialisée dans un premier temps lors du vote pour le choix des règles de Vistalegre II, au mois de décembre. La proposition de Pablo Iglesias l’avait alors emportée d’une très courte tête sur celle d’Iñigo Errejón – 41,6% des voix contre 39,1% -, le projet présenté par le secteur anticapitaliste arrivant en troisième position. Pablo Iglesias a perçu ce coude à coude comme un avertissement et n’a pas hésité par la suite à mettre son propre avenir dans la balance : si son projet n’obtenait pas la majorité au congrès, il démissionnerait de son poste de secrétaire général. Une manière de faire pression sur le camp errejoniste, qui souhaitait que l’orientation stratégique de Podemos soit modifiée tout en conservant Pablo Iglesias à sa tête. Quelques jours avant Vistalegre II, Iglesias laissait même planer le doute quant à son éventuelle démission de son poste de député. Une démarche plébiscitaire vivement critiquée par les partisans d’Iñigo Errejón.

Le point culminant de ces dissensions internes est intervenu dans les dix jours précédant le congrès. Dans une tribune publiée par le journal El diario, Luis Alegre, l’un des co-fondateurs de Podemos désormais en retrait, s’inquiétait des intentions de l’équipe de Pablo Iglesias: « je ne voulais pas me reprocher d’être resté muet alors que je voyais comment un groupe de conspirateurs était sur le point de prendre le contrôle de Podemos ». Dans sa ligne de mire, la nouvelle garde rapprochée du secrétaire général – Rafael Mayoral, Irene Montero et Juanma del Olmo – qu’il accuse de vouloir en finir avec les errejonistes par une « logique de persécution de l’ennemi interne qui rappelle les pires traditions de la gauche ».

Luis Alegre n’est pas le seul parmi les fondateurs de Podemos à être monté au créneau pour alerter des dangers de la division. C’est aussi le cas de Carolina Bescansa. Après que les trois courants en lice pour Vistalegre II ont échoué à trouver un accord pour présenter un projet commun, la secrétaire à l’analyse politique a annoncé qu’elle renonçait à présenter de nouveau sa candidature au conseil citoyen, tout comme le secrétaire à l’économie Nacho Alvarez. Une manière pour Carolina Bescansa de rejeter l’extrême polarisation des débats entre pablistes et errejonistes.

L’unité, un mot d’ordre omniprésent

C’est donc dans un contexte de tensions et d’incertitudes que Podemos s’est dirigé vers le deuxième congrès de son histoire. Du 4 au 11 février, les 456 000 inscrits étaient invités à voter en ligne pour plusieurs documents – politique, organisation, éthique et égalité – ainsi que pour le renouvellement du conseil citoyen et du secrétariat général.

Le week-end du 11 et 12 février, ce sont près de 9 000 personnes qui ont assisté à l’assemblée citoyenne dans le Palacio Vistalegre, au sud de Madrid. La journée du samedi était consacrée à la présentation des différents documents par chacune des équipes en lice – les pablistes, les errejonistes, les  anticapitalistes, et la candidature marginale de Podemos en equipo. Les orateurs se sont succédés à la tribune tandis que le public scandait d’intarissables « Unité ! Unité ! Unité ! ». C’est la présentation des documents politiques qui a retenu l’attention, du fait des interventions de Pablo Iglesias, d’Iñigo Errejón, puis de Miguel Urbán et Teresa Rodríguez pour les anticapitalistes.

Dans son allocution, Pablo Iglesias a détaillé l’analyse politique déterminant la stratégie qu’il appelle de ses vœux. A travers un discours habituel sur la « nouvelle Transition » en cours, Iglesias a affirmé « ne pas se reconnaître dans la géographie politique du Parlement » et en a profité pour glisser une critique aux errejonistes : « la transversalité n’a rien à voir avec ressembler à Ciudadanos ou au PSOE ».

 

Iñigo Errejón, plus prudent, s’est surtout employé à critiquer les adversaires politiques de Podemos en précisant « il n’est pas vrai qu’ils sont plus forts que jamais ». « A l’offensive de ceux d’en haut, on n’oppose pas l’unité des étiquettes, on oppose l’unité populaire », a-t-il expliqué.

Le discours le plus remarqué a été celui de Miguel Urbán, pour la candidature anticapitaliste. Son plaidoyer tonitruant en faveur de l’unité a soulevé le public de Vistalegre : « Ici il n’y a pas d’ennemis intérieurs, nous sommes des camarades, nous ennemis sont dehors, et ils sont puissants ! »

A la fermeture du vote en ligne, 155 275 inscrits avaient pris part à la consultation. Un record de participation pour une consultation interne à un parti politique en Espagne. Le dimanche matin, les résultats ont été annoncés par la presse, avant d’être présentés officiellement dans l’enceinte de Vistalegre aux alentours de 12h.

La candidature Podemos para todas portée par Pablo Iglesias a remporté plus de 50% des voix pour l’ensemble des documents soumis à la votation. Recuperar la ilusión, celle d’Iñigo Errejón,  a obtenu entre 33 et 35% des suffrages, tandis que le projet anticapitaliste en a recueilli environ 10%.

Avec 37 sièges sur les 62 à pourvoir, les membres de l’équipe de Pablo Iglesias occupent 60% du nouveau conseil citoyen. Les 23 élus de l’équipe d’Iñigo Errejón représentent 37% de celui-ci, les anticapitalistes 3% avec seulement 2 sièges.

La victoire de Pablo Iglesias est donc nette et plus marquée que ce qu’attendait la plupart des observateurs. Elle est confortée par sa réélection au poste de secrétaire général avec 89% des voix, face à son seul concurrent, Juan Moreno Yagüe, député au Parlement d’Andalousie et peu connu du grand public.

Sur la scène investie par les membres du nouveau conseil citoyen, Pablo Iglesias en a appelé à « l’unité et à l’humilité » pour « construire la justice sociale », « pour que les peuples de notre patrie récupèrent la souveraineté », ou encore pour « défendre les droits de l’homme face au fascisme qui arrive en Europe ». Son étreinte avec Iñigo Errejón au moment de monter sur scène a suscité une salve d’applaudissements, mais n’a pas dissipé les doutes quant au futur des errejonistes, dont les visages trahissaient une certaine tension lors de la proclamation des résultats.

Vistalegre II… Et après ?

Le document sur l’organisation du parti proposé par Pablo Iglesias, approuvé par une majorité d’inscrits, ne prévoyait pas de modifications substantielles en la matière. Alors que les deux candidatures minoritaires défendaient la nécessité d’accorder plus de pouvoir aux cercles, le projet d’Iglesias tend à reconduire la structure verticale adoptée à Vistalegre I. A tel point que certains observateurs s’inquiètent déjà de voir les promesses d’horizontalité renvoyées aux calendes grecques. « Les principales tendances voulaient plus de décentralisation, plus de pouvoir par le bas, plus de systèmes proportionnels, mais les bases ont voté plus de Pablo », écrit la journaliste Nuria Alabao dans la revue CTXT.

L’organigramme de Podemos devrait évoluer dans les prochains jours. Pablo Iglesias pourra s’appuyer sur la légitimité tirée de la consultation pour renforcer son contrôle sur la direction du parti, qui devrait être remodelée. Parmi les 10 membres du conseil citoyen ayant obtenu le plus de voix, 8 sont des proches d’Iglesias, seulement deux – dont Iñigo Errejón lui-même – appartiennent au courant errejoniste.

Le principal point d’interrogation au lendemain du congrès concerne l’avenir politique d’Iñigo Errejón. L’actuel numéro 2 du parti devrait vraisemblablement se voir retirer le poste de secrétaire politique. C’est d’ailleurs ce que sous-entendait Juan Carlos Monedero quelques heures après l’annonce des résultats : « Je l’ai toujours dit, il ne peut y avoir un secrétaire général et un secrétaire politique, parce que c’est la même chose ». Néanmoins, la plupart des cadres pablistes ont tenu à rassurer quant à la place de celui qui a été jusqu’ici l’architecte des campagnes électorales de Podemos. Pour Irene Montero, directrice de cabinet de Pablo Iglesias, Iñigo Errejón doit « continuer à jouer un rôle fondamental ». Manolo Monereo, nouvel entrant dans le conseil citoyen et figure intellectuelle de la gauche communiste, de même que le syndicaliste agricole et député Diego Cañamero, souhaiteraient le voir conserver son rôle de porte-parole au Congrès des députés. Pablo Iglesias avait quant à lui déjà donné son avis quelques jours auparavant, envisageant le moyen terme : selon lui, la personnalité et les talents d’Iñigo Errejón en feraient un candidat idéal pour succéder à Manuela Carmena à la mairie de Madrid…

Peut-on parler à propos de ces divisions d’une « crise de croissance », comme le suggère Carolina Bescansa ? Sans doute. La mobilisation électorale et l’horizon d’une victoire possible ont longtemps agi comme un ciment qui a fait tenir ensemble les différentes parties d’un ensemble hétérogène. Compte tenu du changement de cycle politique et du nouveau statut de Podemos, désormais présent dans les institutions à tous les niveaux, certaines clarifications semblaient inévitables. A Vistalegre II, c’est aussi un débat sur l’identité de Podemos qui s’est joué. Une identité forgée dans la tension constitutive entre le mouvement social et la représentation politique.

La nette victoire du projet de Pablo Iglesias semble indiquer la volonté d’une majorité d’inscrits d’arrimer Podemos à l’espace des mouvements sociaux et de maintenir une ligne sans concession à l’égard des deux partis de la « caste ». Le poids du leadership ne doit pas non plus être négligé, l’attachement à la figure de Pablo Iglesias et à ce qu’il représente dans la courte histoire du parti a sans aucun doute pesé sérieusement sur le résultat du scrutin.

Si les résultats d’Iñigo Errejón ne lui ont pas permis de disputer le contrôle du parti, son projet n’est pas marginal, il a été soutenu par plus d’un tiers des votants. La nouvelle direction devra composer avec la diversité des courants qui se sont clairement dessinés à Vistalegre. Reste à savoir si les injonctions à l’unité martelées tout au long du congrès par l’ensemble de ses protagonistes trouveront une traduction dans les actes. C’est là le premier défi qui attend Pablo Iglesias : dans un parti qui est parvenu à agglomérer en son sein des militants et des sympathisants de cultures politiques diverses, l’unité ne peut se faire dans l’uniformisation, elle doit passer par la reconnaissance de la pluralité, comme l’ont justement souligné Miguel Urbán et Iñigo Errejón.

Le second défi consistera à surmonter cet épisode d’exacerbation des tensions pour se recentrer sur l’essentiel. En affichant à l’excès ses dissensions internes, parfois même aux dépends du débat d’idées, Podemos s’est exposé aux attaques de ses adversaires, qui ont saisi l’occasion au vol pour dépeindre le parti comme une organisation nombriliste, détournée des préoccupations réelles des citoyens et finalement peu différente des formations politiques traditionnelles. Pour balayer ces critiques, Podemos devra démontrer de nouveau sa capacité à marquer le tempo de la vie politique espagnole, à imposer ses thèmes à l’agenda, à relayer les aspirations des victimes de la crise et à gagner en crédibilité par la politique municipale dans les « mairies du changement ».

Vistalegre II s’inscrit dans le premier acte de la guerre de positions engagée suite à la victoire de la droite conservatrice l’été dernier. Ce même week-end, le Parti populaire a réélu à sa tête Mariano Rajoy avec 95% des voix, au cours d’un congrès entaché de soupçons de fraude (business as usual). Le mois dernier, c’est Albert Rivera qui était reconduit à la présidence de Ciudadanos, qui en a profité pour assumer son orientation idéologique de centre-droit. Les statuts du parti faisaient jusqu’alors mention d’une identification à la social-démocratie, qui a maintenant disparu au profit d’une ligne « libérale-progressiste ».

Le panorama politique espagnol sera complété en juin prochain, avec les primaires du PSOE qui s’annoncent pour le moins intenses. Susana Díaz, qui gouverne l’Andalousie avec l’appui de Ciudadanos, incarnera l’aile droite du parti face à l’ancien dirigeant du Pays Basque Patxi López et au candidat malheureux des dernières élections Pedro Sánchez. Pedro Sánchez qui joue aujourd’hui la carte de la base militante, à laquelle il promet de « récupérer » le parti contre ceux qui ont livré sur un plateau le gouvernement au Parti populaire. Son objectif est tout indiqué : conserver ou recouvrer une part de l’électorat socialiste désabusée et tentée aujourd’hui de se tourner vers Podemos. Ces électeurs, ceux qui manquent à Podemos, et ceux que la stratégie d’Iñigo Errejón visait précisément à convaincre en priorité.

Crédit photos :

http://www.elconfidencial.com/espana/2017-02-12/asamblea-podemos-vistalegre-secretario-general-podemos-iglesias-unidad-humildad_1330268/

http://www.elespanol.com/espana/politica/20170131/190231649_0.html

http://www.eldiario.es/politica/Luis-Alegre-Pablo-Iglesias-Podemos_0_609289168.html

http://www.eldiario.es/politica/Miguel-Urban-fundador-Podemos-direccion_0_611739176.html

http://www.publico.es/politica/directo-asamblea-vistalegre-ii.html

http://www.ara.cat/es/Como-Errejon-inelegible-Fernandez-Diaz_0_1688831312.html

http://www.elconfidencial.com/multimedia/album/espana/2015-05-01/de-pablo-iglesias-a-la-manifestacion-de-los-sindicatos-asi-viven-las-fuerzas-politicas-el-1-de-mayo_786387#0

http://politica.elpais.com/politica/2017/01/28/actualidad/1485608197_357129.html

Comment Podemos a mis les drapeaux rouges au placard

A l’approche du prochain Congrès du parti prévu en février, les débats s’intensifient au sein de Podemos quant à la stratégie à adopter pour les années à venir. Cet article propose de s’extraire un moment de cette actualité brûlante pour revenir sur l’un des éléments qui a fait le succès de Podemos, sa stratégie de rupture avec les codes traditionnels de la gauche radicale.

Dans un article paru dans la prestigieuse New Left Review en mai-juin 2015, Pablo Iglesias dresse un portrait de Podemos et dépeint une formation politique qui a su renouveler le répertoire de la gauche radicale pour s’imposer dans le paysage politique espagnol. Au cœur du projet porté par Podemos, puisant à diverses sources théoriques, on trouve une prise de distance à l’égard des symboles et des références de la gauche traditionnelle jugés inopérants.

Un constat lucide : la défaite historique de la gauche

Toute opération de reconstruction politique du camp progressiste doit passer par un examen critique de la situation des gauches à l’entrée du XXIe siècle. C’est en substance le message délivré par Pablo Iglesias dans les premières lignes de son article pour la NLR. Le politiste espagnol cite l’historien britannique Perry Anderson : « Le seul point de départ concevable aujourd’hui pour une gauche réaliste consiste à prendre conscience de la défaite historique ».

Le constat qui préside à la création de Podemos est celui d’un effondrement concomitant des logiciels social-démocrate et communiste. La social-démocratie européenne, bercée dans les années 1990 par les théoriciens de la « Troisième voie », a abandonné tout projet d’émancipation collective pour adhérer au libéralisme économique. François Mitterrand en France, Felipe Gonzalez en Espagne, Gerard Schröder en Allemagne ou Tony Blair au Royaume-Uni incarnent à leur manière une gauche partie prenante de la globalisation financière et du processus de dérégulation des économies européennes.

Face à cette dilution de la social-démocratie dans le consensus néolibéral, la gauche radicale de tradition communiste s’est quant à elle retrouvée désarmée suite à la chute de l’Union soviétique et à la fragmentation du monde ouvrier. Son poids électoral s’est réduit considérablement, et l’ensemble de ses référentiels ont été disqualifiés symboliquement. Révolution et lutte de classes, deux concepts pourtant structurants au cours du XXe siècle, tendent aujourd’hui à être relégués dans la catégorie « folklore gauchisant ».

Machiavel contre Ned Stark

La pensée de Machiavel, source d'inspiration pour Pablo Iglesias
La pensée de Machiavel, source d’inspiration pour Pablo Iglesias

« J’ai la défaite tatouée dans mon ADN. Mon grand-oncle a été fusillé, mon grand-père a été condamné à mort et a passé cinq ans en prison, mon père a été en prison, mes grands-parents ont connu l’humiliation des perdants d’une guerre civile, ma mère a milité dans la clandestinité ». C’est par l’évocation de son histoire familiale, entrant elle-même en résonance avec les traumatismes d’une gauche espagnole marquée au fer rouge par la guerre civile et le franquisme, que Pablo Iglesias affiche fermement sa volonté de conjurer un cycle de défaites : « Je ne supporte pas de perdre. Avec plusieurs camarades, toute notre activité politique est consacrée à penser comment on peut gagner ».

Pablo Iglesias et les intellectuels à l’origine de Podemos subordonnent en effet l’ensemble de leurs réflexions à un impératif stratégique : la victoire électorale. Le secrétaire général de Podemos emprunte à Machiavel son éthique de l’efficacité politique : L’important en politique n’est pas tant de détenir la vérité ou de défendre les idées les plus justes, mais d’accéder au pouvoir pour les faire triompher, et ce par tous les moyens.

Les instigateurs de Podemos, inconditionnels adorateurs de la série Game of Thrones, n’hésitent pas à opposer la figure du prince machiavélien à celle de Ned Stark, qui perd sa tête à la fin de la première saison faute d’avoir su manier les codes du monde – particulièrement vicieux – qui l’entoure. Entre les lignes, le patriarche de la famille Stark, qui incarne la droiture morale et la justice, est ainsi subtilement comparé à la gauche radicale traditionnelle : malgré un diagnostic lucide sur les ravages du capitalisme néolibéral et des propositions légitimes pour y remédier, celle-ci se montre dramatiquement incapable de faire gagner ses vues.

Lors d’un discours devenu populaire sur les réseaux sociaux, Pablo Iglesias enfonce le clou avec ironie : « Tu peux porter un t-shirt avec la faucille et le marteau. Tu peux aussi porter un grand drapeau qui s’étale sur des mètres et des mètres, puis rentrer chez toi pendant que l’ennemi se moque de toi. Parce que le peuple, les travailleurs, le préfèrent lui. Ils le comprennent quand il parle, alors que toi ils ne te comprennent pas. Alors oui, peut-être que c’est toi qui a raison, et tu pourras demander à tes enfants d’inscrire sur ta tombe ‘il a toujours eu raison, bien que personne ne l’ait su’ »

Une gauche des drapeaux rouges condamnée à la marginalité

Si Pablo Iglesias se montre particulièrement critique à l’égard de la gauche radicale traditionnelle, c’est qu’il est lui-même issu de ses rangs et a pu constater de l’intérieur son incapacité à se renouveler. Il a longuement milité aux Jeunesses Communistes, dès l’âge de 14 ans. Très engagé au début des années 2000 dans la mouvance altermondialiste – à laquelle il consacre plusieurs travaux académiques, il a également travaillé en tant que conseiller en communication pour Izquierda Unida, assistant même son secrétaire général Cayo Lara lors de la campagne pour les élections générales de 2011.

Dans son article pour la New Left Review, il explique que la naissance de Podemos doit en réalité beaucoup à la fin de non-recevoir opposée par Izquierda Unida à sa proposition d’organiser des primaires citoyennes communes en vue des élections européennes. En lançant l’initiative Podemos en dehors des appareils déjà existants, Pablo Iglesias s’est doté d’amples marges de manœuvre pour opérer une distanciation à l’égard de la matrice stratégique de la gauche radicale. L’objectif est tout indiqué : sortir de la marginalité.

Comme le rappelle Alexis Gales dans un article de la revue Ballast, l’échelle gauche/droite est une construction historique et contingente, une carte mentale qui fournit des coordonnées pour se repérer dans la diversité des projets et des organisations politiques. Ce clivage fondateur est également à l’origine d’un ordre politique, qui répartit des positions sur un axe selon une logique tout sauf neutre : il assigne des étiquettes plus ou moins valorisantes, des brevets de respectabilité. Tout ce qui se rapproche du centre est tendanciellement associé à la modération et à la raison, tandis que tout ce qui se situe aux bornes de l’axe politique – aux « extrêmes » – est apparenté à l’excès.

L’assignation de la gauche radicale à un espace marginal sur l’échelle politique est renforcée par l’hégémonie culturelle du néolibéralisme. Le rapprochement idéologique du centre gauche et du centre droit sur la base d’un consensus libéral s’accompagne de procédés de délégitimation mécanique des projets alternatifs, englobés sous des qualificatifs dépréciatifs tels qu’« extrémistes » ou « populistes ». La gauche radicale est présentée comme l’héritière directe du communisme, donc de l’URSS, donc de Staline – ou dans une version contemporaine de l’épouvantail, de la Corée du Nord.

Lien
©Ahora Madrid

Pour Pablo Iglesias, la gauche commet une erreur fondamentale en acceptant la position assignée par ses adversaires. Face à ces logiques de disqualification, elle tend en effet à se replier sur elle-même, à mettre en avant son histoire et ses symboles comme une forme de résistance au mépris des puissants : « Ce n’est pas un groupe de gens qui chantent l’Internationale qui va transformer le pays. J’aimerais bien, parce que c’est de là que je viens moi aussi (…) L’obligation d’un révolutionnaire, c’est de gagner. Un révolutionnaire n’est pas appelé à protéger des symboles, une identité, ce n’est pas un curé qui cherche la catharsis collective dans une messe avec ses disciples », explique Iglesias. Les drapeaux rouges, la faucille et le marteau, les chants révolutionnaires, qui sont des marqueurs identitaires et des sources de gratification symbolique pour les militants conscients d’appartenir à une culture politique commune, constituent du pain bénit pour leurs adversaires qui n’ont qu’à s’en saisir pour les discréditer.

Occuper la centralité de l’échiquier politique

Pour les fondateurs de Podemos, il s’agit donc d’éviter tout ce qui est susceptible d’identifier le parti à la tradition communiste politiquement et symboliquement défaite. Finis donc les drapeaux rouges, définitivement rangés au placard. L’ambition est désormais d’occuper la « centralité de l’échiquier politique ». Le terme de « centralité » régulièrement employé par Pablo Iglesias n’a strictement rien à voir avec un centrisme idéologique qui réfuterait les clivages et piocherait à droite comme à gauche, contrairement à ce qui a parfois été avancé par des commentateurs espagnols. Il renvoie à l’idée d’occuper une place centrale – par opposition à marginale – dans le paysage politique : disputer à l’adversaire la fixation des termes du débat, quitte à accepter de s’aventurer sur son terrain pour mieux en subvertir les codes.

Un exemple de cette stratégie a été fourni par Pablo Iglesias lors de la visite du roi Felipe VI au Parlement européen en avril 2015. Alors que les eurodéputés étaient tous invités à saluer le roi d’une poignée de main, les élus d’Izquierda Unida, fidèles à leur tradition républicaine, ont décidé de boycotter la rencontre. Pablo Iglesias a quant à lui choisi d’y prendre part, mais pas de n’importe quelle manière. Dérogeant quelque peu au protocole, il s’est présenté devant les caméras muni d’un coffret des quatre saisons de Game of Thrones, qu’il a soigneusement offert au roi, arguant qu’elle lui fournirait les clés pour comprendre la crise politique espagnole. Tandis que personne n’a retenu l’absence d’Izquierda Unida, la démarche du leader de Podemos a fait les gros titres. Une manière pour le parti de trouver un équilibre entre l’attitude d’auto-exclusion d’Izquierda Unida et la déférence des partis traditionnels qui sacralisent la monarchie.

Cette bataille pour la centralité est cruciale. Elle vise à installer Podemos comme une figure incontournable du débat politique, à obliger les adversaires à se positionner par rapport à son discours et à ses thèmes de prédilection. Comme le souligne Juan Carlos Monedero, « La centralité, c’est en finir avec les pièges qui nous conduisent à nous battre pour des étiquettes ». Plutôt que de disputer au Parti socialiste le monopole de la « vraie gauche », il est préférable de renverser les coordonnées du jeu politique, de faire en sorte que la majorité des citoyens désorientés et frappés par la crise trouve une expression politique qui ne soit pas cantonnée aux marges.

Au-delà de l’axe gauche/droite, un nouveau récit politique

Occuper la centralité du paysage politique suppose de prendre conscience de l’exceptionnalité de la situation politique actuelle.  « Indépendamment de ce que nous sommes, les deux métaphores gauche et droite ne permettent pas d’impulser le changement dans nos sociétés » selon Iglesias.  Dans un contexte de brouillage des clivages idéologiques, lié à la convergence des partis sociaux-démocrates et des partis de droite traditionnels vers un « extrême-centre » libéral, apparait un vide qui peut être occupé par de nouvelles constructions politiques fort différentes les unes des autres : Marine Le Pen en France, Donald Trump aux Etats-Unis, le Mouvement 5 étoiles en Italie, Podemos en Espagne.

C’est ce que Pablo Iglesias comme Iñigo Errejón qualifient de « moment populiste » : alors que l’hégémonie néolibérale vacille et que le mécontentement populaire ne trouve pas de canalisation dans les partis existants, l’enjeu consiste à proposer de nouvelles identifications collectives susceptibles de séduire une majorité de citoyens au-delà des appartenances politiques traditionnelles. Au clivage gauche/droite, Podemos substitue l’opposition entre le peuple (« la gente » : les gens) et la caste, entre la démocratie et l’oligarchie. La formalisation de ces nouvelles lignes de fracture constitue le fondement d’une stratégie populiste directement inspirée des thèses d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe – sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article.

"Nous sommes pas de gauche, nous ne sommes pas de droite, nous sommes ceux d'en bas et nous venons chercher ceux d'en haut"
“Nous ne sommes pas de gauche, nous ne sommes pas non plus de droite, nous sommes ceux d’en bas et nous venons chercher ceux d’en haut”

Le pari réalisé par Podemos est d’articuler une diversité de demandes sociales autour de revendications « de sens commun » – la démocratie, la lutte contre la corruption, la défense des services publics et des droits sociaux. « Ce qui est certain, c’est qu’une grande majorité des citoyens subit la crise : les enfants sont obligés d’émigrer, tu perds ton travail, tu perds ta maison, on gèle ton salaire, on te restreint l’accès aux urgences, ta qualité de vie se dégrade (…) tous les gens décents ont ça en commun, on souhaite que personne ne soit expulsé de chez lui sans solution de relogement, que personne ne se retrouve sans chauffage en hiver, on ne veut pas des boulots de merde. L’appel à la centralité, c’est écarter ce qui nous sépare, pour prêter attention à toutes ces choses urgentes qui font qu’on est en train de perdre notre démocratie », résume Juan Carlos Monedero.

Ces revendications prennent forme dans un récit politique mobilisateur qui, là encore, contraste avec les référentiels habituellement maniés par la gauche radicale espagnole. Alors qu’Izquierda Unida fait de la IIIe République la matrice de son discours, Podemos – dont les initiateurs sont toutefois profondément républicains –  préfère centrer le sien sur l’amplification de la démocratie plutôt que de s’aventurer sur un champ de bataille qui, selon Pablo Iglesias, risquerait de les identifier à la gauche traditionnelle et de les éloigner d’une majorité de citoyens. Si les drapeaux républicains n’ont pas disparu des meetings de Podemos, la « question républicaine » chère à la gauche communiste est placée au second plan, au profit de la « question démocratique » jugée plus urgente.

Au cœur du récit politique de Podemos, on trouve ainsi une analyse de l’état de la démocratie espagnole : le « régime de 1978 », issu de la Transition démocratique, est à bout de souffle. Les institutions ont été confisquées aux citoyens par une caste qui gouverne en faveur d’une minorité de privilégiés. Face à cette crise de régime, le mouvement des Indignés surgi en 2011 (appelé « 15-M » en Espagne) signifie alors le début d’une « nouvelle Transition », vers une démocratie débarrassée de la corruption et de la mainmise des pouvoirs économiques. Pour schématiser, le 15-M remplace la République en tant que référence mobilisatrice. L’objectif affiché par Podemos est de transformer  l’indignation exprimée par les citoyens espagnols en changement politique. Pablo Iglesias pointe régulièrement l’existence d’une majorité sociale en décalage avec les élites au pouvoir, opposant à ces derniers  l’Espagne qui vient – Podemos est la première force politique chez les moins de 45 ans. Dans son discours prononcé à l’occasion de l’investiture de Mariano Rajoy en octobre 2016, il s’adressait au chef du gouvernement en ces termes : « Permettez-moi de vous dire que votre attitude fera de cette législature un épilogue ».

Podemos et Izquierda Unida, des relations complexes 

Quelques jours auparavant, lors du premier vote d’investiture, Pablo Iglesias démarrait son discours au Congrès par un vibrant hommage aux Brigades internationales, ces « combattants de la liberté et de la démocratie » venus prêter main forte aux Républicains espagnols en 1936. Signe parmi d’autres – comme ses références notables au mouvement ouvrier dans plusieurs discours de campagne – que le secrétaire général de Podemos reste malgré tout profondément attaché à l’histoire de la gauche espagnole.

Lien
Pablo Iglesias et Alberto Garzon ©Podemos

Les relations entre Podemos et Izquierda Unida sont d’ailleurs plus complexes qu’il n’y parait. Dans les premiers mois d’existence du parti, Pablo Iglesias a dû essuyer de vives critiques de la part de dirigeants communistes qui lui reprochaient de masquer un projet ambigu derrière une opération de dépoussiérage marketing. Cayo Lara, coordinateur fédéral d’IU jusqu’en juin 2016, accusait ainsi Podemos de « vendre du vent ». En juin 2015, Pablo Iglesias se montrait à son tour très dur à l’égard de la « vieille gauche », fustigeant la figure du « gauchiste aigri », qui se complaît dans la « culture de la défaite » et préfère « se contenter de ses 5% et de son drapeau rouge ». Les rapports entre les deux formations se sont néanmoins grandement améliorés, sous l’impulsion du nouveau coordinateur fédéral d’IU, le jeune Alberto Garzón qui n’a jamais caché son amitié avec Pablo Iglesias. Au mois de mai 2016, les deux leaders officialisaient ainsi la candidature commune de Podemos et d’Izquierda Unida aux élections générales du 26 juin, sous l’étiquette Unidos Podemos.

Pablo Iglesias a aussi pu compter sur le soutien ostensible de certains poids lourds de la gauche communiste, comme Manolo Monereo ou Julio Anguita, leader emblématique d’IU dans les années 1990. L’apparition surprise de ce dernier lors d’un meeting de Pablo Iglesias à Cordoue a fait figure d’un véritable passage de flambeau : « C’est l’année 1977, Pablo », murmurait-il au secrétaire général de Podemos, en référence aux débuts de la Transition démocratique  et à l’ouverture d’un nouveau cycle politique pour le pays.

Revenir sur la manière dont Podemos s’est détaché des symboles de la gauche radicale permet de mieux comprendre la teneur de débats actuels au sein du parti. Le rapprochement avec Izquierda Unida, qui ne fait pas l’unanimité, est l’un des nombreux objets de discussion. Les proches d’Iñigo Errejón, partisans d’une ligne populiste résolument transversale, s’inquiètent de voir Pablo Iglesias possiblement renouer avec les réflexes identitaires d’une gauche traditionnelle dont il a pourtant théorisé l’inefficacité.

 

Crédit photos :

http://www.rtve.es/alacarta/videos/los-desayunos-de-tve/desayunos-tve-pablo-iglesias-secretario-general-podemos/3181994/ 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Machiavel

http://www.slate.fr/story/98821/gauche-radicale-laclau

https://elmundodeloslocos.wordpress.com/2015/02/13/monedero-al-espia-desde-su-escondite-en-el-metro-si-asumo-algun-cargo-sera-porque-me-doblen-el-brazo/

 

Podemos, entre Gramsci et Hillary – Rencontre avec Christophe Barret

Rencontre avec Christophe Barret, historien et auteur de l’ouvrage Podemos, pour une autre Europe, sorti aux éditions du Cerf en novembre 2015. Au programme, les contradictions internes de la coalition Unidos Podemos, les rapports de ses composantes à l’Union Européenne et la très complexe question catalane.


LVSL – Vous êtes l’auteur du remarqué Podemos, pour une autre Europe, sorti aux éditions du Cerf en novembre 2015. Vous expliquiez, dans cet ouvrage, la façon dont le mouvement populiste Podemos a émergé sur la scène politique espagnole. Fruit d’une synergie complexe entre le mouvement des indignés, le département de sciences politiques de l’université complutense de Madrid, et d’autres mouvements sociaux, Podemos s’était donné pour objectif la fameuse « guerre éclair » censée aboutir à la prise du pouvoir. Depuis, deux élections ont eu lieu et la coalition Unidos Podemos n’a pas réussi le sorpasso (i.e dépasser le PSOE), Mariano Rajoy a été réélu à la tête du gouvernement grâce à l’abstention du PSOE, et de nouvelles élections sont donc exclues. Qu’est-ce qui, selon vous, a empêché Unidos Podemos de dépasser le PSOE ?

Christophe Barret – En juin dernier, très clairement : les électeurs. Le taux de participation aux législatives d’alors était plus faible qu’à celles de décembre 2015. Les électeurs de Podemos sont ceux qui se sont le plus facilement démobilisés. L’alliance avec Izquierda Unida (IU), qui a donc donné naissance à Unidos Podemos, a pu en surprendre plus d’un. Jusqu’alors, Podemos avait construit sa renommée sur le neuf que représente le discours populiste de gauche. Ce dernier vise à « construire un peuple » – comme le disent Chantal Mouffe et Íñigo Errejón, le numéro deux de Podemos.

Il s’agit d’opposer les classes populaires aux élites jugées proches de l’oligarchie et à se défaire de ce qui fait perdre, depuis longtemps, la gauche de la gauche : par exemple les luttes d’appareil – que nous connaissons parfaitement, en France ! – ou l’usage de symboles jugés surannés en matière de marketing politique, comme par exemple le drapeau rouge, celui de la IIde République espagnole ou encore l’Internationale… Autant de choses auxquelles le jeune chef d’IU Alberto Garzón n’est pas prêt de renoncer.

Cet automne, ce sont tout simplement les barons du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), menés notamment par Javier Fernández, qui ont ont sabordé la tentative de Pedro Sánchez de proposer une alternative à la portugaise. Ils avaient leurs raisons, sur lesquelles on peut revenir.

LVSL – On sait que deux tendances idéologiques s’affrontent aujourd’hui à l’intérieur de Podemos. La première, autour d’Íñigo Errejón, privilégie une stratégie discursive de long terme qui a pour but d’asseoir la centralité de Podemos et d’éviter le bon vieux clivage droite-gauche. La seconde, autour de Pablo Iglesias, a été à l’origine de la stratégie de coalition avec Izquierda Unida, de manière à dépasser le PSOE à court terme. Pouvez-vous revenir sur ces débats qui animent le mouvement depuis plusieurs mois ?

C.B. – Pour faire simple, et même un peu caricatural, on peut dire qu’il existe deux tendances : la populiste, aussi appelée « errejoniste », et la communiste, dite « pabliste » (car proche de Pablo Iglesias). Ces deux tendances se sont récemment opposées, pour le contrôle de la puissante fédération de Madrid. La seconde s’est imposée. Et l’on peut parier que ce sera encore elle qui s’imposera lors du prochain congrès de Podemos – le second, seulement, de son histoire –, au printemps prochain.

Les médias, ceux qui ont juré la perte de Podemos, usent et abusent de cette opposition. Ils distinguent les « gentils » errejonistes, avec qui on pourrait s’allier, et les « méchants » pablistes, jugés trop radicaux. Mais, dans les faits, Pablo Iglesias et Íñigo Errejón sont encore très loin de la rupture intellectuelle. Leur débat est aussi vieux que le parti, lui-même. Dans mon livre, je raconte, par exemple, comment il a déjà abouti à la mise à l’écart toute relative du troisième intellectuel du mouvement, Juan Carlos Monedero.

Aujourd’hui, bien-sûr, l’alliance avec IU relance tout. Alberto Garzón, lui-même, a voulu récemment enfoncer le clou. « Je ne suis pas d’accord avec les thèses d’Errejón », a-t-il même dit dans un entretien accordé à El País[1]. Il s’y déclare « critique (…) avec le discours et la stratégie politique du populisme de gauche. C’est une stratégie qui dit que, pour toucher aux gens, il faut modérer le discours ». Un document préparatoire au plan stratégique pour 2016-2017 d’IU, indique également que « les disputes organiques au sein des mouvements et partis alliés » importent moins que « le projet politique » défendu par lesdites organisations[2]. Poussant un brin la provocation, le jeune Garzón est aussi allé jusqu’à comparer la démarche d’Errejón à l’euro-communisme promu naguère par Santiago Carillo. Le débat n’est donc pas prêt de s’éteindre.

LVSL – Maintenant que le moment des élections est passé et que la crise interne du PSOE fait rage, quel va être le selon vous le comportement de Podemos dans la « guerre de position » qui s’installe ? Pensez vous que le mouvement va réussir à apparaître comme étant « l’opposition officielle » ?

C.B. – Si l’on en croit les derniers sondages qui le place à nouveau devant le PSOE, un avenir radieux s’offre à Podemos. Ces enquêtes pourraient faire pâlir de jalousie un Jean-Luc Mélenchon qui tente d’imiter Podemos, avec la « France insoumise ». Mais le parti de Pablo Iglesias, en interne, doit faire face à trois grands chantiers. Le premier est relatif à la nature des liens à tisser avec le PSOE, dont l’établissement est soumis à de nombreux aléas.  Le second touche à l’organisation territoriale du mouvement, car un compromis n’a toujours pas été trouvé, depuis le congrès fondateur de Vistalegre, entre « horizontalité » et « verticalité ». Le troisième concerne la connexion avec les mouvements sociaux, dont le nombre a diminué au cours des dernières années – contrairement à certaines idées reçues.

Malgré tout, les dirigeants du parti peuvent compter sur la détermination des militants. Chez les plus engagés, elle est intacte. Pablo Echenique, en charge de l’organisation, mobilise ainsi les troupes par différentes initiatives. Sans que l’on sache, toutefois si elle tiennent davantage de la politique de proximité, de l’action sociale ou encore de vagues tentatives d’auto-gestion.

Si l’on veut rester dans le domaine de la métaphore guerrière, disons que la conquête risque d’être difficile. Pablo Iglesias a récemment reconnu que les déplacements de voix d’un scrutin à l’autre, désormais, ne se comptent désormais plus par million. « Le PSOE va résister, ce n’est pas le PASOK », a-t-il même constaté[3]. Surtout, on voit mal comment Podemos pourrait continuer à siphonner les voix du PSOE. En effet, les enquêtes montrent aussi une rupture générationnelle et idéologique entre électeurs du PSOE – plus âgés, et parmi lesquels on trouve un très fort pourcentage de personnes résolues à ne jamais voter pour Pablo Iglesias – et de Podemos. La chose est inquiétante.

LVSL – On sait que l’Espagne est sous l’étroite surveillance budgétaire de la Commission Européenne, et que le nouveau gouvernement de Mariano Rajoy va devoir appliquer des mesures d’austérité pour corriger la trajectoire budgétaire de l’Espagne. De son côté Podemos maintient l’ambiguïté vis à vis de l’UE et du fonctionnement de l’euro. Pensez-vous que le positionnement actuel du mouvement est tenable alors que son allié, le Parti Communiste Espagnol (PCE), est sorti du bois et se positionne aujourd’hui ouvertement en faveur d’une sortie de l’euro ?

C.B. – Le positionnement est tenable tant que la position du PCE ne sera pas majoritaire au sein d’IU. Il n’en est qu’une composante. Et le très radical Alberto Garzón, pourtant économiste de formation, est des plus timorés en matière de politique monétaire. Il reconnaît, certes, que l’impossibilité de l’Espagne de pouvoir procéder à une dévaluation monétaire la conduit à la dévaluation salariale, et au maintien d’une distribution internationale du travail qui désavantage son pays. Celui-ci subit un modèle productif caractérisé privilégiant faible valeur ajoutée.

Curieusement, Alberto Garzón n’en conclut pas qu’il faille quitter l’euro. D’après lui « sortir de l’euro ne nous rapprochera pas plus du socialisme»[4]. La phrase est stupéfiante ! Curieusement, Iglesias, Errejón et Garzón sont d’accord pour garder l’euro. Ils avancent l’argument selon lequelle une politique alternative à l’austérité est techniquement possible au sein de l’euro-zone. Il semble qu’ils n’aient jamais entendu parler de Frédéric Lordon. Leur aveuglement est peut-être dû au vieux fonds européiste des Espagnols qui associent encore, avec raison, leur adhésion à l’Union européenne aux plus belles années de leur croissance économique. Mais il est surprenant que des marxistes patentés comme eux prêtent aussi peu d’importance aux questions économiques !

LVSL – Le destin de Podemos semble paradoxalement lié à la façon dont va se dénouer la crise interne du PSOE. Que va-t-il arriver au parti de Javier Fernández et de la puissante baronne andalouse Susana Díaz?

C.B. – Pour ces deux dirigeants, aussi, la prochaine épreuve du feu sera aussi un congrès. Le PSOE doit  organiser le sien au printemps et élire un nouveau secrétaire général. La présidente de l’exécutif andalou part comme favorite. Son objectif affiché est de « réconcilier » le parti. Elle affiche, aussi, une franche hostilité à Podemos. Javier Fernández est à la tête d’une direction provisoire, considérée par tous comme telle.

Pedro Sánchez, qui avait été le premier secrétaire général élu directement par les militants, en 2011, risque d’être un concurrent sérieux pour la Martine Aubry du sud. Son objectif est de « reconstruire » le parti, après les blessures laissées par son débarquement. Il vise une trajectoire à la Corbyn. Il mise sur la base, contre l’appareil. Le tour d’Espagne qu’il a entamé  lui permet de faire, presque partout, salle comble. Le destin de Podemos, pour ce qui est des perspectives d’entrer dans un gouvernement à moyen ou à long terme, est donc bien lié, en effet, à ce qui se joue au PSOE.

Dans la perspectives de négociations à venir, un atout de taille reste dans la manche de Pablo Iglesias : le fait qu’au Pays-Basque et qu’en Catalogne son parti ait déjà pasokisé le PSOE.

LVSL – La question catalane crispe le spectre politique espagnol. Carles Puigdemont, président de la Generalitat, a d’ores et déjà annoncé un référendum sur l’indépendance en septembre 2017. La voie de l’unilatéralité semble donc se dessiner en l’absence d’accord avec Madrid. Podemos est favorable à l’idée d’un référendum d’autodétermination, position dont il tire une grande popularité en Catalogne. Ce qui, paradoxalement, le rend dépendant des suffrages catalans qui viendraient à manquer dans le cas d’une indépendance. Comment pensez-vous que la question catalane va impacter la scène politique espagnole les prochains mois ? La coalition Unidos Podemos est-elle exposée au risque d’une tentative d’indépendance unilatérale ?

C.B. – La crise catalane sera, en effet, à la une de l’actualité. Car la situation est bloquée, entre un Mariano Rajoy qui joue la carte du tout judiciaire, et des Catalans proclamant à qui veut l’entendre, que le conflit qui les oppose à Madrid est avant tout politique. Une récente manifestation a réuni plus de 80 000 personnes dans les rues de Barcelone. Il s’agissait de soutenir les élus locaux qui promeuvent la tenue de ce référendum jugé illégal par le Tribunal constitutionnel de Madrid. L’avertissement de ces électeurs est clair, y compris pour Podemos. Mais la situation est terriblement compliquée.

Le clivage « pro » ou « anti » indépendance traverse tous les partis. On trouve de simples souverainistes, des indépendantistes et des fédéralistes dans tous les partis de la gauche catalane. Ainsi, la très populaire maire de Barcelone et fidèle alliée de Podemos, Ada Colau, marche sur des œufs. Elle ne soutient le processus impulsé par Puigdemont qu’à titre personnel. Elle se garde bien d’organiser une consultation sur le sujet dans sa bonne ville, malgré ce qui était, un temps, projeté.

Xavier Domènech, porte-parole et député d’En Comú Podem, la branche catalane de Podemos, ne s’est pas encore prononcé sur la nature des liens devant exister entre son parti et le mouvement qu’entend créer Ada Colau et auquel il désire être allié. Peut-être, aussi, parce qu’au sein d’Unidos Podemos, l’alliance entre Podemos et IU, les choses ne sont pas toujours claires, non plus.

La situation est, à tous égards, très tendue.

Crédits photos : Presentacion de Podemos : intervencion completa. 16.01-2014 Madrid (Youtube). Auteur : PODEMOS

[1]             Cf. El País du 25/11/2016. Consultable en ligne : http://politica.elpais.com/politica/2016/11/24/actualidad/1480011497_610254.html

[2]             Le Plan de acción de Izquierda unida (2016-2017) est consultable en ligne : http://www.izquierda-unida.es/sites/default/files/doc/Plan_de_Accion-IU-2016_2017.pdf

[3]             Constat fait, il est vrai, avant l’exclusion de Pedro Sánchez des instances dirigeantes du PSOE.

[4]             Entretien avec Salvador López Arnal, disponible en ligne : http://www.elviejotopo.com/articulo/organizacion-unidad-y-lucha-una-conversacion-con-alberto-garzon/

Quel avenir pour l’hypothèse Podemos ?

Lien
©Ahora Madrid

Podemos en transitionSuite à l’investiture de Mariano Rajoy (Parti populaire, droite) le 29 octobre 2016, c’est un cycle d’intense mobilisation électorale qui  prend fin et une nouvelle page qui s’ouvre pour Podemos. Cet article revient sur les nouveaux défis qui attendent le parti et sur les débats qui le traversent. 

En novembre dernier, les comédiens Facu Díaz et Miguel Maldonado recevaient Pablo Iglesias dans leur émission « No te metas en política ». Ils pointaient avec humour l’intensité prise ces dernières semaines par les débats internes à Podemos : « Vous avez démarré Podemos à l’arrache, en courant et en faisant vos lacets en même temps, comme le disait Iñigo [Errejón]. Et maintenant, ça y est, vous avez enlevé vos chaussures et vous vous les balancez les uns sur les autres. Comment ça se passe ? ». Le renouvellement des directions régionales en Andalousie et dans la Communauté de Madrid, au début du mois de novembre, a largement contribué à médiatiser la confrontation entre des options divergentes au sein de Podemos quant à la stratégie à adopter pour l’avenir du parti. Les médias espagnols se sont évertués à polariser la controverse autour de deux camps distincts : les « pablistes », partisans de la ligne défendue par l’actuel secrétaire général Pablo Iglesias, et les « errejonistes », soutiens de l’orientation préconisée par Iñigo Errejón, secrétaire politique et n°2 de Podemos. Ces discussions interviennent alors que s’ouvre une nouvelle phase de l’histoire d’une jeune formation qui a rebattu les cartes du jeu politique espagnol.

D’un cycle à l’autre : guerre de mouvement et guerre de position

Podemos est né en janvier 2014, à l’initiative d’un groupe d’universitaires pour la plupart issus de l’université Complutense de Madrid, de militants influents de la gauche anticapitaliste et d’activistes engagés dans divers collectifs (Juventud Sin Futuro, Plataforma de Afectados por la Hipoteca, Marea Verde, etc.). L’objectif de ses fondateurs était de concevoir une plateforme citoyenne participative pour « convertir l’indignation en changement politique ». Il s’agissait de donner une voix aux victimes de la crise économique et de traduire politiquement les revendications portées en 2011 par le mouvement des indignés (plus connu en Espagne comme le « mouvement 15-M »). En s’appuyant sur la visibilité médiatique du professeur de sciences politiques Pablo Iglesias, habitué des plateaux télévisés de La Sexta, c’est un Podemos encore en chantier qui se lance à l’assaut des élections européennes. Le 25 mai 2014, la jeune formation obtient 5 sièges d’eurodéputés, s’imposant comme la surprise du scrutin, et signe son entrée fracassante sur la scène politique espagnole. L’ambition est désormais clairement affichée : s’engouffrer dans la fenêtre d’opportunité ouverte par la crise organique du « régime de 1978 », renverser l’échiquier politique et remporter les élections générales prévues pour la fin 2015.

Fort de cette organisation structurée et de l’éclosion d’une multitude de cercles sur l’ensemble du territoire espagnol, Podemos aborde alors une longue course d’endurance électorale. Entre les élections européennes de mai 2014 et les élections autonomiques en Galice et au Pays Basque en septembre 2016, le parti prend part à pas moins de 7 grandes consultations. Ce cycle d’intense mobilisation électorale conduit les membres de Podemos à mener campagne en permanence alors que les bases du parti sont encore en phase de construction, ce que résume la formule d’Iñigo Errejón reprise plus haut par Facu Díaz : « correr y atarse los cordones al mismo tiempo » (« courir et attacher ses lacets en même temps »). Les forces sont tout entières concentrées sur l’objectif central : la victoire électorale.

Aux élections générales du 20 décembre 2015, point culminant de ce cycle de mobilisation, Podemos obtient 20,68% des voix et 69 sièges au Congrès des députés – qui en compte 350 – derrière le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). L’absence d’une majorité clairement établie, et le choix du socialiste Pedro Sánchez d’un pacte minoritaire avec les centristes libéraux de Ciudadanos précipitent l’organisation de nouvelles élections générales. Podemos s’engage une fois de plus dans une campagne mouvementée et forme une coalition avec Izquierda Unida (gauche radicale) sous le nom de Unidos Podemos. Au soir du 26 juin 2016, Unidos Podemos recueille 21,10% des suffrages et se maintient en troisième position avec 71 députés. Toutefois, la coalition perd plus d’un million de voix par rapport à la somme des suffrages obtenus par Podemos et Izquierda Unida en décembre 2015, ce qui ne manque pas d’interroger au sein du parti.

resultado-elecciones-620x349
Résultats des élections générales du 26 juin 2016, rapportés aux résultats des élections de 2015 et 2011.

Les résultats laissent un goût amer. Podemos est certes parvenu à ébranler un bipartisme ancré depuis près de quarante ans dans le paysage politique espagnol, mais le parti n’a pas atteint son objectif de remporter les élections générales, ni même celui de supplanter le PSOE dans les urnes. La phase électorale qui aura profondément marqué les deux premières années d’existence de Podemos se clôture symboliquement par l’investiture de Mariano Rajoy (PP) le 29 octobre 2016, grâce au soutien de Ciudadanos et à l’abstention du PSOE. La déception est d’autant plus grande que les espérances suscitées étaient hautes. Podemos a manié avec habileté le répertoire discursif de l’espoir et de la victoire à portée de main, et se retrouve confronté à la désillusion provoquée par un résultat insatisfaisant. C’est la fin d’un cycle et une nouvelle page qui s’ouvre pour la formation, qui doit désormais repenser son organisation et sa stratégie pour les temps à venir.

Le champ politique espagnol a connu une rapide et profonde recomposition ces deux dernières années. Mais les préférences partisanes pourraient maintenant se stabiliser et les équilibres politiques évoluer plus lentement. Dorénavant, Podemos doit à la fois consolider sa base militante et électorale tout en engageant un travail de longue haleine pour attirer de nouveaux soutiens. Finie la « guerre de mouvement », place désormais à la « guerre de position », pour reprendre le vocabulaire gramscien employé par les leaders du parti. C’est précisément sur les termes de cette guerre de position que divergent les opinions au sein du parti, qui doit aujourd’hui faire face à quatre principaux défis.

De nouveaux enjeux

Le premier défi dans les mois à venir consistera à horizontaliser l’organisation en accordant plus de place aux cercles, qui en constituent l’unité de base. Le modèle relativement vertical adopté au Congrès fondateur de Vistalegre se justifiait par un impératif d’efficacité dans le cadre de la compétition électorale. L’horizon désormais dégagé, il semble maintenant possible d’envisager une revitalisation de la démocratie interne. L’idée de donner un nouvel élan à Podemos par l’implication de ses cercles militants fait aujourd’hui l’unanimité parmi ses différents secteurs. En témoigne la campagne « Active ton cercle », lancée en août dernier pour actualiser la carte des cercles présents sur le territoire. Reste à savoir désormais quels instruments de participation seront mis en place pour faire des cercles des protagonistes à part entière de la « politisation du quotidien », selon l’expression de Ramón Espinar. En octobre, Podemos a lancé l’initiative « Hacemos », qui s’oriente dans ce sens : 200 000 euros – une cagnotte formée par une partie des salaires des élus – seront distribués aux cercles et aux conseils citoyens municipaux pour développer des projets sociaux à l’échelle locale.

La politique municipale dans les « mairies du changement » constitue le deuxième enjeu crucial des prochaines années pour Podemos. Aux élections municipales de mai 2015, des coalitions soutenues par Podemos ont remporté les mairies de plusieurs grandes villes du pays, parmi lesquelles Madrid, Barcelone, Cadix, Saragosse ou encore La Corogne. L’épreuve du pouvoir à l’échelle locale n’est pas sans risques : le parti y perd sa virginité politique, et ses adversaires scrutent à la loupe le moindre faux pas. Par ailleurs, le contexte d’austérité budgétaire se répercute inévitablement à l’échelle municipale et réduit les marges de manœuvre. Ces « mairies du changement » peuvent néanmoins constituer des vitrines pour Podemos qui ne manque pas de mettre en avant leur bonne gestion. En une année d’exercice, la mairie de Madrid dirigée par l’ancienne juge antifranquiste Manuela Carmena a ainsi réduit la dette municipale de 38%.

L’adoption d’un nouveau modèle territorial est également l’une des principales tâches inscrites à l’agenda du parti. Teresa Rodríguez, figure de proue du courant anticapitaliste et secrétaire générale de Podemos en Andalousie, a fait part en novembre de sa volonté de constituer un Podemos Andalucía en autonomie vis-à-vis des organes centraux de la formation. Cette décision va dans le sens d’un processus de décentralisation déjà amorcé en Galice et en Catalogne, où Podemos est dilué dans des coalitions plus larges – respectivement En Marea et En Comú Podem. La décentralisation de Podemos, qui semble également faire consensus parmi les différents secteurs, devrait être concrétisée lors du prochain Congrès du parti annoncé pour le début de l’année 2017. L’objectif est double : faire coïncider l’organisation à la réalité plurinationale de l’Espagne régulièrement mise en avant par Podemos ; adapter les stratégies politiques aux contextes locaux pour mieux prendre en compte les enjeux spécifiques à chaque communauté autonome.

 

Enfin, c’est plus largement la stratégie à adopter pour faire de Podemos le principal parti d’opposition au Parti Populaire qui est au cœur des discussions. C’est sur ce point que s’expriment les divergences les plus fortes et que se confrontent notamment les orientations de Pablo Iglesias et d’Iñigo Errejón. En soutenant l’investiture de Mariano Rajoy quelques mois après avoir signé un pacte de gouvernement avec les socialistes, Ciudadanos et son leader Albert Rivera ont une fois de plus démontré l’ambiguïté de leur positionnement politique et ont perdu en crédibilité. Quant au PSOE, c’est plongé dans une profonde crise interne qu’il s’est abstenu pour laisser gouverner la droite conservatrice. Podemos semble donc disposer d’une légitimité et de marges de manœuvres suffisantes pour se positionner comme « premier parti d’opposition ». Mais les deux principales figures de Podemos proposent deux options stratégiques différentes – mais pas nécessairement incompatibles – pour mener la guerre de position face aux politiques d’austérité du nouveau gouvernement Rajoy. Pour le résumer de manière schématique, Pablo Iglesias défend l’idée d’un Podemos ancré dans les luttes sociales et soucieux de développer un discours d’opposition radicale à l’oligarchie, tandis qu’Iñigo Errejón considère que la priorité réside dans l’élaboration d’un projet politique alternatif et transversal capable de séduire une majorité de citoyens.

Pablo Iglesias : opposition sociale et pouvoir populaire

Lors de l’université d’été de Podemos en septembre 2016, Pablo Iglesias est monté au créneau face aux proches d’Iñigo Errejón qui considèrent que l’alliance avec Izquierda Unida a pu leur porter préjudice dans les urnes. Le secrétaire général estime qu’il n’en est rien, et valorise tout au contraire le rapprochement avec les autres formations de gauche radicale. Il appelle surtout à tisser des liens avec les mouvements sociaux au sein d’un espace commun pour donner corps à un nouveau « bloc historique », selon l’expression d’Antonio Gramsci.

Cette stratégie est exposée avec clarté dans un article publié par le journal Público, le 21 novembre. Pablo Iglesias y développe d’abord une analyse des limites du travail parlementaire. Il signale que Podemos doit faire face à une « triple alliance PP-PSOE-C’s » au sein du Congrès et que le gouvernement est en mesure d’opposer son veto à toute initiative des députés qui affecterait le budget. Il pointe ainsi l’impuissance parlementaire et le risque de normalisation que court Podemos en se centrant sur le travail institutionnel. Selon lui, Podemos doit s’atteler à construire une « opposition sociale » capable de reprendre la « grammaire politique » du mouvement des Indignés et des collectifs qui en sont issus, en insistant sur la dichotomie entre « les gens » et « les privilégiés ». « Nous avons besoin d’une organisation plus décentralisée, qui construise un mouvement populaire et des contre-pouvoirs sociaux en mettant son poids institutionnel au service de la société civile », explique-t-il.

Le secrétaire général peut ici s’appuyer sur la sociologie militante de Podemos, qui compte parmi ses rangs de nombreux citoyens combinant leur engagement partisan à d’autres formes d’activisme dans des associations ou des mouvements sociaux. La présence de ces militants multi-positionnés peut constituer un atout pour « creuser des tranchées dans la société civile », comme le revendique Iglesias, toujours dans cette lecture gramscienne de la guerre de position. Podemos doit donc investir pleinement le champ des luttes sociales pour réaffirmer sa singularité vis à vis de forces politiques traditionnelles engluées dans les débats parlementaires.

Ces dernières semaines ont vu Pablo Iglesias joindre les actes à la parole. Le 19 novembre, le secrétaire général prenait part à une manifestation devant le siège de l’entreprise Gas Natural Fenosa pour dénoncer la précarité énergétique. Le 2 décembre, il participait à un rassemblement devant le siège du Parti Populaire, convoqué par le syndicat Commissions Ouvrières en soutien aux travailleurs de Coca Cola. Il n’hésite pas non plus à substituer à la traditionnelle devise de Podemos « Sí se puede » (« Oui, c’est possible ») le slogan « Luchar, crear, poder popular » (« Lutter, créer, pouvoir populaire ») en référence explicite à la gauche et au mouvement ouvrier chiliens sous l’Unité populaire de Salvador Allende.

Iñigo Errejón : Transversalité et « Podemos gagnant »

Iñigo Errejón, qui a écrit en 2015 avec Chantal Mouffe un ouvrage fondamental à la compréhension des soubassements théoriques de Podemos (Construir Pueblo. Hegemonía y radicalización de la democracia) craint de voir le parti renouer avec les réflexes de la gauche traditionnelle. Selon lui et plusieurs autres intellectuels influents au sein de Podemos, comme Germán Cano ou Jorge Moruno, l’objectif principal consiste aujourd’hui à séduire une majorité de citoyens – « ceux qui manquent » – au-delà des étiquettes politiques. Les partisans de cette orientation rappellent d’ailleurs que Podemos s’est précisément constitué en rupture avec la culture d’une gauche traditionnelle dont les identités figées et les symboles désuets sont devenus un fardeau.

Ces intellectuels « errejonistes » peuvent s’appuyer sur les dernières données offertes par le baromètre du CIS (Centre de recherches sociologiques) au mois de novembre : alors que le PSOE, qui paie le prix de sa cacophonie interne et de son soutien indirect à l’investiture de Mariano Rajoy, chute de 6 points dans les intentions de vote, Podemos devient la deuxième force politique mais ne croit que de quelques décimales. Ils attribuent cette incapacité de Podemos à attirer massivement les électeurs socialistes désenchantés à la persistance d’un discours trop virulent et d’une identification trop marquée à la catégorie « gauche radicale ».

Pour Iñigo Errejón, tel qu’il l’exprime dans un article publié dans le 20 minutes espagnol, l’urgence est à « forger un Podemos qui gouverne l’Espagne ». « Je défends l’idée que nous devons miser sur un Podemos qui, loin de quelconque repli sur les identités du passé, continue de s’ouvrir et de se répandre », affirme-t-il. Le secrétaire politique de Podemos plaide ainsi pour une main tendue à tous les électeurs qui peuvent manifester une certaine sympathie pour les idées exprimées par Podemos sans pour autant leur accorder leurs voix. Il s’agit de « générer de la confiance », de construire un projet politique alternatif crédible et résolument transversal pour « articuler des secteurs très différents autour d’une nouvelle identité politique ». Là où Pablo Iglesias parle de constituer un « bloc historique du changement », Iñigo Errejón  veut  opter pour un Podemos « fort et indépendant », capable de tisser des alliances avec les autres acteurs du changement  sans pour autant diluer l’essence du projet initial dans un espace qui les assignerait irrémédiablement à la gauche de la gauche de l’échiquier politique.

Vers un nouveau Congrès

Les débats entre ces deux visions distinctes se sont déjà matérialisés lors des primaires internes pour renouveler les conseils citoyens régionaux en Andalousie et dans la Communauté de Madrid. La large réélection de Teresa Rodríguez, soutenue pour l’occasion par Pablo Iglesias, face à la candidature « errejoniste » en Andalousie conforte la ligne « pabliste ». Il en va de même dans la Communauté de Madrid, où Ramón Espinar, le candidat « pabliste » également appuyé par le secteur anticapitaliste, l’a emporté face à la candidature soutenue par Iñigo Errejón.

Ces débats internes devront également être l’objet central du prochain Congrès de Podemos, le « Vistalegre II » attendu de longue date par les militants et prévu pour le début de l’année 2017.  Le Conseil citoyen national se réunira le 17 décembre prochain pour déterminer l’organisation de cette deuxième Assemblée citoyenne du parti. Pablo Iglesias suggère d’en fixer la date au 10 février 2017, c’est à dire au moment même où le Parti populaire tiendra sa Convention nationale. Cette proposition s’inscrit dans la volonté de Podemos de tenir tête au PP et au gouvernement en s’affirmant comme première force d’opposition. « Il serait bon pour l’Espagne que les Espagnols puissent comparer simultanément les deux projets politiques des deux principales forces qui se révèlent en ce moment comme antagonistes et qui ont des projets complètement différents pour le pays », précise Pablo Iglesias. Iñigo Errejón a d’ores et déjà affirmé qu’il ne briguerait pas le secrétariat général de la formation, insistant sur la nécessité de privilégier la discussion autour des idées et des projets.

Ces deux orientations stratégiques ne datent pas d’hier, mais les désaccords s’expriment avec d’autant plus d’acuité que le parti entame une nouvelle phase de son histoire. Certains médias espagnols les ont parfois présentés de manière caricaturale, comme une opposition irréductible entre un “Podemos de la rue” porté par Pablo Iglesias et un “Podemos des institutions” défendu par Iñigo Errejón. La réalité est évidemment plus nuancée.

Les débats entre la ligne de Pablo Iglesias et celle d’Iñigo Errejón, qui relèvent tant de la pratique politique que de la controverse théorique, révèlent deux conceptions de la stratégie populiste à adopter dans ce nouveau cycle, deux variantes dans la manière d’envisager la dichotomisation de l’espace politique : l’une centrée sur la construction d’un sujet populaire façonné par les luttes sociales contre les privilèges de l’oligarchie ; l’autre axée sur l’articulation d’une pluralité de demandes politiques et sociales pour construire un nouveau « projet de pays » contre « ceux d’en haut ».

Au-delà de la méthode discursive, se pose bien sûr la question de l’investissement dans l’arène des luttes sociales et dans celle de la politique institutionnelle. Mais c’est davantage le positionnement du curseur, l’articulation entre les deux engagements qui fait débat plutôt qu’un choix exclusif entre l’une ou l’autre des options. Les débats qui traversent actuellement Podemos sont en réalité la manifestation d’une tension inhérente à la construction du parti, initialement conçu comme un relais politique aux revendications issues de divers mouvements sociaux apparus dans le sillage de la crise économique et du 15-M.

La présentation de ces différentes options pour le futur de Podemos ne doit donc pas amener à la conclusion hâtive d’une fracture irréconciliable entre deux courants antagonistes. Au-delà de leurs divergences, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón sont amis et partagent tous deux un corpus de références communes ainsi que le souhait de consolider le patrimoine collectif que constitue Podemos. C’est aussi ce que désirent de nombreux militants, pour qui l’existence de ces deux lignes est essentielle à l’organisation, bien que certains anticapitalistes se montrent particulièrement critiques à l’égard d’Iñigo Errejón.

Au-delà des désaccords, l’émergence de ces débats sur la scène publique atteste de la centralité du parti dans le paysage politique espagnol. En deux années d’existence, Podemos a contribué à revitaliser le débat politique en Espagne et a permis de porter dans l’arène institutionnelle les aspirations de citoyens désabusés par une crise aux multiples facettes. En témoignent les trajectoires des deux concurrents à la direction de Podemos dans la Communauté de Madrid, Ramón Espinar (30 ans) et Rita Maestre (28 ans). En 2011, alors membres du collectif Juventud Sin Futuro, tous deux s’engageaient activement dans le mouvement 15-M pour la « démocratie réelle » et la justice sociale . Aujourd’hui, le premier porte ces revendications au Sénat, la seconde au conseil municipal de la ville de Madrid.

Crédits photos :

©Ahora Madrid https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pablo_Iglesias_Ahora_Madrid_2015_-_05.jpg

©Podemos https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Presentación_de_PODEMOS_(16-01-2014_Madrid)_25.png

©Ahora Madrid https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rita_Maestre_2015_(cropped).jpg

 

 

Machiavel face au grand écran : Podemos va au cinéma

Il est désormais difficile de parler de l’Espagne sans aborder le cas de Podemos. Ce parti fondé en 2014 a ravi l’intégralité de la gauche européenne dès ses premiers succès électoraux et continue son petit bonhomme de chemin au sein du Parlement espagnol. Partout on a salué le génie de ses leaders qui semblaient avoir réinventé la politique grâce à un savant cocktail de démocratie horizontale et de discours populiste. Il devient alors intéressant de jeter un coup d’oeil au profil des fondateurs du parti pour comprendre ce phénomène : ils sont tous profs. Profs de sciences politiques pour être exact. Juan Carlos Monedero, Iñigo Errejón et bien sûr le patron, Pablo Iglesias, toutes ces personnes ont comme point commun d’avoir étudié la science politique à l’Université Complutense de Madrid. L’ami Pablo ne se contente donc pas de rédiger des tracts, mais également des thèses de doctorat et, c’est ce qui nous intéresse, des livres. Ainsi on a surtout retenu ses Leçons politiques de Games of Thrones, un must pour les fans de la série et les maîtres de conf en philosophie politique. Le leader de Podemos est connu pour être un grand amateur de GoT (au point d’avoir offert un coffret DVD de la série au nouveau Roi d’Espagne l’année dernière1), mais il s’est également intéressé au cinéma au sens large. Il nous fait donc partager sa vision de politologue dans ce petit livre paru en 2013: Machiavel face au grand écran.

Qu’est-ce que l’ “hégémonie culturelle” ?

Avant de jouer les apprentis fossoyeurs de films (ou Durendal, c’est vous qui voyez), arrêtons nous un instant sur les références de l’auteur. Les habitués des cercles intello de gauche/lecteurs du Monde Diplomatique n’auront pas manqué de remarquer que, si il y a bien un mec à la mode actuellement, c’est Antonio Gramsci. Aujourd’hui tout le monde est gramscien, tout le monde se revendique de cet italien à lunettes qui a eu le malheur de vivre l’arrivée au pouvoir de Mussolini dans les années 20. Ainsi Pablo Iglesias le place au même rang que Machiavel qu’il considère comme “le premier à dire que le pouvoir est, avant tout, une relation sociale et un ensemble de production d’hégémonie idéologique d’un groupe contre un autre”. On note également son apparition dans plusieurs jeux de la licence Assassin’s Creed, mais ce n’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici.

Ce qui nous intéresse, c’est cette “production d’hégémonie idéologique” dont parle Iglesias, et c’est là que Gramsci peut nous aider à comprendre. Pour les révolutionnaires du début du XXe siècle, le problème était plutôt simple à résoudre : construisons un parti de la classe ouvrière, prenons le pouvoir et instaurons une société idéale où règnera l’amour et les comités d’usine. Que nenni leur répond alors Gramsci ! Il ne suffit pas de s’emparer du pouvoir de l’État pour renverser le capitalisme, il faut avant tout changer ce qui se passe dans la tête des gens. Or l’État et le capital sont partout désormais! Dans les écoles, dans nos salons via le poste de télévision, dans la rue avec la publicité… A travers toutes ces institutions, notre façon de voir le monde est façonnée d’une certaine manière et ainsi est créée cette fameuse “hégémonie idéologique”. Renverser le pouvoir en place implique pour Gramsci de renverser cette hégémonie maintenue en permanence. Pablo Iglesias choisit donc d’analyser comment les films participent à la production, ou la subversion, de cette hégémonie culturelle. Prenons un exemple très simple: si je vous demande de vous représenter le débarquement des troupes alliées en Normandie, c’est très probable que l’image de Tom Hanks déguisé en soldat américain dans Il faut sauver le soldat Ryan vous viennent à l’esprit. Le cinéma nous permet d’associer des lieux, des moments de l’histoire à des images et ainsi joue sur notre représentation de la réalité sans même que l’on s’en rende compte.

Le cinéma est (toujours) politique

L’auteur nous propose donc dans ce livre de 150 pages d’analyser des sujets aussi variés que la représentation du Tiers-Monde, les interprétations de la Guerre d’Espagne dans le cinéma récent ou encore les effets du capitalisme sur le lien social. Certains ont par exemple salué la critique de la guerre du Vietnam développée dans Apocalypse Now par Francis Ford Coppola. Cependant le film ne brille pas vraiment par sa représentation des “colonisés”. Même si les répliques du colonel Kilgore sont, admettons-le, extrêmement badass, le film ne nous propose rien d’autre que d’observer la guerre du point de vue des GI Américains et on cherche despérément le moment où les Vietnamiens ne se cantonnent pas à n’être qu’une partie du décor. Mais pour autant, le sympathique Pablo ne nous laisse pas nous morfondre et nous propose le visionnage de La Bataille D’Alger de Gillo Pontecorvo, qui choisit cette fois de traiter les deux camps à égalité.

Si vous aimez le cinéma, vous aimerez probablement ce livre. Si vous aimez le marxisme et la théorie critique, vous aimerez probablement ce livre. En lisant Machiaval face au grand écran, on découvre à la fois des films et des auteurs, mais on est surtout poussé à s’interroger sur le message que les réalisateurs veulent nous faire passer. Le point sur lequel se concentre l’auteur, c’est la représentation de l’“Autre”, du “sujet subalterne” comme il le dit. Cet ouvrage est donc une invitation à garder l’oeil aiguisé quand on regarde un film: Comment sont représentés les différents personnages ? Qu’est-ce que le réalisateur essaye de dire ? Après avoir lu le livre de Pablo Iglesias, vous devriez avoir moins de mal à répondre à ces questions.

Crédit photo : https://www.flickr.com/photos/131762198@N07/17613883301/ ,  ©Ahora Madrid