“Extrême gauche” : de quoi parlez-vous ?

©patrick janicek. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

[Edito] Si Valls c’est déjà un peu la gauche, que Benoît Hamon c’est un peu trop la gauche et qu’avec Mélenchon, on frise le communisme de guerre, comment qualifier les projets de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud ? En analysant la trahison de la social-démocratie convertie en droite de moins en moins complexée, on peut remettre en perspective les étiquettes médiatiques et rechercher où l’on trouve de la radicalité à gauche.

La désunion de la gauche et les fortes oppositions entre ses différentes tendances nous amènent naturellement à analyser leurs divergences, à qualifier ces courants pour permettre aux électeurs de se décider, et donc à les étiqueter. Mais où retrouve-t-on de la radicalité dans les offres politiques à gauche ?

La gauche a vu sa tendance la plus libérale gouverner de 2012 à 2017 en menant une politique très proche de celle de la droite sur de nombreux points – Loi Macron et El Khomri, état d’urgence, CICE – allant jusqu’à l’indécence du débat sur la déchéance de nationalité. Ce social-libéralisme, qui se revendique lui-même comme appartenant à la grande famille de la gauche, a creusé le fossé avec la gauche de transformation sociale qui s’est sentie trahie par ce revirement libéral.

Dès lors, le programme de Benoît Hamon a rapidement été qualifié de « gauche de la gauche », comme pour marquer un embryon de radicalité, de rupture avec la politique menée par François Hollande. Or, ce positionnement ne se justifie qu’en comparaison du programme ouvertement libéral et autoritaire de son concurrent Manuel Valls : mais s’appuyer sur le vallsisme pour déterminer les positions relatives de la gauche, est-ce seulement pertinent ?

Le discours médiatique ayant placé Benoît Hamon à la « gauche de la gauche », quelle place allait-il rester pour le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, porteur d’un projet nettement transformateur des réalités socio-économiques ? En continuité de sa première fourberie intellectuelle au sujet de Benoît Hamon, la médiacratie a proclamé Jean-Luc Mélenchon représentant de l’extrême-gauche ; et c’est encore l’image qu’il garde aujourd’hui auprès de nombreux électeurs. Pourtant son projet garde dans le fond une modération certaine,  et dans l’éternel débat de la gauche entre voie réformiste par les institutions démocratiques et action révolutionnaire, force est de constater que Jean-Luc Mélenchon incarne cette gauche modérée, respectueuse des institutions du pouvoir bien que souhaitant les remettre en cause.

C’est ainsi que les candidats se revendiquant d’extrême-gauche sont totalement disqualifiés par le discours médiatique : Poutou est raillé quand il parle d’interdire les licenciements, ses propositions de liberté d’installation sont balayées par l’argument, philosophique s’il en est, du « monde des bisounours ». Et si on parle d’extrême-gauche pour Jean-Luc Mélenchon, quel espace laisse-t-on pour la gauche révolutionnaire qui parle de socialisation des moyens de production, qui souhaite mener la lutte des classes pour les abolir, ou qui analyse l’Etat comme un outil de l’oppression bourgeoise ?

Tous ces axes de réflexion de la gauche sont décrédibilisés, parce que Manuel Valls c’est déjà un peu la gauche, et Jean-Luc Mélenchon ça l’est déjà beaucoup trop. Ce glissement insidieux de l’échiquier politique vers la droite se fait à dessein : il vise à effacer du débat public les concepts de lutte des classes ou la critique de la religion néolibérale.

La gauche que l’on dit radicale (Hamon, Mélenchon) ne l’est en réalité pas du tout ; c’est qu’une partie de la sociale-démocratie s’est soumise au consensus néolibéral et essaye de tirer le reste de la gauche avec elle dans sa tombe. Et il faudrait que quelqu’un qui voit en Mélenchon le nouveau Lénine discute un peu avec un anarchiste ou un trotskyte, histoire de comprendre ce qu’est la gauche radicale.

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2ème débat : Où est passée l’Ecologie ?

Capture d’écran

Le chômage, la sécurité, le rapport aux autres. Et l’Ecologie alors ? Les 3 heures de débat ont été l’occasion de mettre sur la table ce qui préoccupe (vraiment) les français. Comprenons : Les chômeurs, les terroristes, les musulmans. Ce sont vos priorités, nos priorités. Puisqu’on vous le dit ! Mais le format, certes complexe à gérer, aurait pu voir émerger une question importante : celle de la crise écologique et de ses solutions. Échec.

Les chômeurs, les terroristes, les musulmans 

            En bref, et comme on s’y attendait, le débat a été polarisé autour de ces 3 catégories. L’occasion une fois de plus de jeter de l’huile sur le feu pour certains, voire de chercher le buzz. Dans les faits, de permettre à l’élite économique, politique et médiatique en place d’employer les vieilles recettes de la division. Quand on a des choses à se reprocher et des intérêts à défendre, le meilleur moyen de détourner l’attention étant de jeter la pierre sur quelqu’un d’autre. Le bon vieux théorème attribué à C. Pasqua : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

            L’occasion pour Marine Le Pen de qualifier la France d’ « université des djihadistes », pour Fillon de réaffirmer son ambition de “vaincre le totalitarisme islamique”, pour Macron de trouver un entre-deux habituel sur tous les sujets, fustigeant la guerre économique à laquelle mènerait le protectionnisme tout en louant une Union Européenne plus « juste » où l’harmonisation fiscale est pourtant impossible. Certains candidats ont bien tenté d’imposer une visée alternative aux priorités fixées par les deux journalistes animatrices du débat. Sortez des sentiers battus et vous vous ferez vite rappeler à l’ordre par Ruth Elkrief. Il ne faudrait quand même pas nommer les candidats en cause quand on parle de moralisation de la vie publique. Et les éditorialistes de BFMTV de s’insurger au matin : « Je trouve que c’est un candidat (Philippe Poutou) qui, par moment, n’a pas le respect qu’il faut pour être candidat à la présidentielle. » (Bruno Jeudy, journaliste à BFMTV).

Vrais ou faux écolos ?

Une majorité de candidats ont intégré des thématiques environnementales dans leur programme. Mais davantage dans un opportunisme marketing que par conscience assumée. Et cela s’est confirmé sur le plateau. Alors que le sujet « Comment protéger les français ? » offrait l’opportunité d’aborder la pollution, le nucléaire, les pesticides, (etc.), une bonne partie d’entre eux est restée focalisée sur le terrorisme. Oubli ou omission révélatrice ?

            Difficile sans pour autant impossible, avec ce format imposé, d’avancer des considérations écologistes. Le mérite revient donc d’autant plus à ceux qui ont essayé de porter haut le cœur de leur programme. Jean-Luc Mélenchon a exprimé la place centrale de l’Ecologie dans L’Avenir en Commun en insistant sur l’opportunité et la nécessité de mettre en œuvre une grande transition écologique pourvoyeuse d’emplois et garantie de paix. Philippe Poutou, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se sont distingués dans cet intérêt commun. Les transports gratuits pour Philippe Poutou, le passage au « mode de production et de consommation écologiste » pour le candidat de la France Insoumise. Chacun disposait de 17 minutes pour exprimer les fondamentaux de son programme, et il est clair que pour d’autres, l’Ecologie est visiblement loin d’être une priorité. Au mieux, une variable d’ajustement.

L’ Ecologie, un truc de bobo ?

74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle[1]. Chez les 18-35 ans,  98% des 55 000 interrogés répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains.[2] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés.

Ainsi, il s’agit de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Les catastrophes en cours et à venir rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Notre système de santé, notre système agricole et notre économie sont en jeu. On estime par exemple à 48 000, le nombre de décès liés à la pollution atmosphérique en France.[3] A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale à laquelle on appartient ou le pays dans lequel on vit. Les pauvres sont et seront bien plus touchés par les catastrophes, la pollution, l’alimentation industrielle, les pesticides, les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles… Et la liste est longue.

Embrasser l’écologie c’est donc envisager les luttes sociales sous un nouveau jour. Au contraire, ne pas parler d’écologie revient à ignorer ces conséquences irréversibles de long-terme qui affecteront principalement les plus démunis. Ne pas parler d’Ecologie sert à préserver les intérêts de ceux qui ont tout à gagner à ce que le système ne change pas. C’est taire le besoin impératif de renverser la table. Ou bien penser que la solution réside dans l’accablement de plus pauvre que soit. Voilà de quoi nous aider à choisir un candidat.


[1] Sondage YouGov, septembre 2016.

[2] Enquête de GénérationCobayes, décembre 2016.

[3] Agence Santé Publique France, 2016.

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