Comment Ursula von der Leyen accompagne le glissement vers la droite de l’Union européenne

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. © European Parliament

Le récent discours sur « l’état de l’Union » d’Ursula von der Leyen montre combien la Présidente de la Commission européenne concentre toujours davantage de pouvoir entre ses mains – y compris au-delà de ce que prévoient les traités. Alors que sa gestion fait l’objet de nombreuses critiques, elle prépare activement sa réélection l’an prochain, en misant sur une alliance entre le PPE et une partie de l’extrême-droite européenne. Par Francesca de Benedetti, traduction Jean-Yves Cotté [1].

Les dirigeants européens de droite ou d’extrême-droite ont souvent eu la tentation de s’octroyer des pouvoirs illimités. Il y a dix ans, le Premier ministre hongrois Viktor Orban théorisa le premier la « démocratie illibérale », un nouveau modèle politique, où la séparation des pouvoirs s’efface peu à peu. Matteo Salvini, dirigeant de la Lega Nord, lui emboîta le pas en exigeant les « pleins pouvoirs » pour transformer l’Italie. 

Cette tendance va-t-elle s’étendre à la présidente de la Commission européenne ? La question du déficit démocratique de l’Union n’est toujours pas réglée ; au contraire, celui-ci ne fait que s’aggraver sous les coups de boutoir des violations présumées de l’État de droit, tant dans les pays membres qu’au sommet de l’Europe.

Si le standard démocratique dont se vante en permanence l’UE est ainsi remis en question, sa prétendue vocation sociale l’est également, à un moment où des dizaines de millions de gens sont frappés par la hausse du coût de la vie. Dans un tel contexte, les actions de von der Leyen sont à la fois la conséquence du néolibéralisme à marche forcée imposé par l’UE et l’annonce d’un futur plus « illibéral ».

Ursula von der Leyen a débuté son discours sur l’État de l’Union en vantant en termes élogieux la vitalité démocratique de l’UE, déclarant que « dans un peu moins de 300 jours, les Européens se rendront aux urnes dans notre démocratie unique et remarquable. »

Cette pratique du discours sur l’État de l’Union est une importation américaine : le premier discours de ce type remonte à George Washington en 1790. Depuis l’avènement des médias de masse, ce moment symbolise, du moins officiellement, un élément fédérateur. L’UE a repris cette idée en 2010 instaurant un discours annuel délivré par le président ou la présidente de la Commission. Censé annoncer le programme législatif, et engager ainsi la responsabilité de la tête de l’exécutif européen, ce discours traduit également le capital dont jouit cette dernière.

Ursula von der Leyen, dont le mandat est presque achevé, vise à l’évidence sa réélection. Raison pour laquelle elle a fait de ce discours sur l’état de l’Union un discours de campagne en vue des élections européennes de juin prochain, comme en témoigne l’introduction citée précédemment.

Il est tout aussi évident qu’elle opère un glissement à droite que l’on peut qualifier de « mélonisation » [en référence à Giorgia Meloni, ndlr]. Von der Leyen, qui a été plusieurs fois ministre dans les gouvernements d’Angela Merkel, est membre du Parti populaire européen (PPE), dont le président est Manfred Weber. Traditionnellement allié aux socio-démocrates dans une « grande coalition », le PPE hésite désormais sur la coalition à bâtir à partir de l’année prochaine. Il a ainsi intensifié ses discussions avec les Conservateurs et réformistes européens (CRE), présidés alors par l’Italienne d’extrême-droite Giorgia Meloni. Ce dialogue a débouché sur une alliance tactique qui commence à porter ses fruits.

Avant de devenir présidente du Conseil italien en octobre dernier, Meloni, issue du parti post-fasciste Fratelli d’Italia, avait refusé de promouvoir la formation d’une alliance d’extrême-droite au niveau européen comme l’envisageaient Matteo Salvini, Viktor Orban et Marine Le Pen. En contrepartie, et étant donné son discours très pro-européen et atlantiste, elle est devenue une interlocutrice à part entière de la droite au pouvoir dans l’UE, à savoir le PPE. Si Weber n’avait pas rendu fréquentable la dirigeante post-fasciste italienne, celle-ci aurait eu plus de mal à gouverner. Mais c’est exactement ce contre quoi elle s’était prémunie.

L’élection de Roberta Metsola, membre du PPE, à la présidence du Parlement européen a marqué la première étape de cette alliance droite/extrême-droite.

En janvier 2022, l’élection de Roberta Metsola, membre du PPE, à la présidence du Parlement européen a marqué la première étape de cette alliance. Le groupe CRE, qui comprend également le parti espagnol Vox et le parti polonais Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015, a gagné une vice-présidence à cette occasion. De facto, il s’agit donc de la fin du « cordon sanitaire » contre l’extrême droite qui avait prévalu jusque-là. Depuis, les élections en Suède et en Finlande, où chaque nouveau premier ministre appartient au PPE et gouverne actuellement avec le soutien de l’extrême-droite, ont renforcé l’attrait de cette option. Weber, le président du PPE, a ouvert la porte à de tels accords : en matière d’alliances gouvernementales, post-fascistes et post-nazis ne représentent plus un tabou pour le PPE.

Dépassant les luttes intestines qui les opposent, Manfred Weber et Ursula von der Leyen sont parvenus à s’entendre. Alors que la présidente de la Commission songe à un deuxième mandat, elle opère un net virage à droite. 

D’une manière similaire à la pratique du pouvoir par Emmanuel Macron, la méthode de travail de Von der Leyen est de toujours tirer la couverture à elle. Cette concentration du pouvoir qui va parfois jusqu’à exclure les commissaires européens de la prise de décision. Durant la pandémie, son ambition de se voir accorder les « pleins pouvoirs » est apparue au grand jour quand le New York Times a dévoilé qu’elle avait négocié la livraison des vaccins Pfizer en échangeant directement par SMS avec le PDG du géant pharmaceutique. Plusieurs mois plus tôt, des eurodéputés avaient déjà dénoncé le manque de transparence de la Commission, comme en témoignait le « cabinet noir » où seuls quelques-uns d’entre eux, pendant quelques minutes à peine, ont eu accès aux contrats des vaccins, mais dont certaines parties étaient censurées.

Après la révélation de « l’affaire des SMS », la médiatrice de l’UE est arrivée à la conclusion que « la Commission aurait dû rechercher les documents demandés, y compris ceux qui n’avaient pas été enregistrés. En la matière, la Commission a fait preuve de mauvaise gestion administrative. » Le Parquet européen enquête sur cette affaire et sa procureure en chef a dénoncé le « manque de transparence » de la Commission.

L’alliance tactique avec Meloni exacerbe l’attitude de Von der Leyen. En plusieurs occasions, la présidente de la Commission européenne a apporté son soutien à la présidente du Conseil italien : à chaque fois que Meloni l’invite, Von der Leyen accepte. Elle s’est rendue en Émilie-Romagne après les inondations qui ont touché le nord de l’Italie, puis, plus récemment, sur l’île de Lampedusa après que Meloni ait dénoncé la pression migratoire que subissait l’Italie.

Mais c’est surtout leur déplacement conjoint à Tunis l’été dernier qui est le plus parlant en termes de manque de transparence de l’UE. Von der Leyen y a offert à Meloni une tribune pour développer sa propagande et promouvoir l’idée d’un accord avec Kaïs Saïed, le président autoritaire de la Tunisie, pour la gestion des flux migratoires, en enrayant les traversées de la Méditerranée. Alors que Saïed est un avocat de la théorie du « grand remplacement » et a miné la démocratie dans son pays, la Commission européenne a rapidement signé un mémorandum d’entente avec la Tunisie.

Sophie in’t Veld, eurodéputée libérale, a aussitôt souligné que ce mémorandum avait « le statut juridique d’un sous-bock », avant de demander : « Pourquoi Mark Rutte et Giorgia Meloni étaient-ils présents lors de la signature de ce mémorandum ? Quel est le statut juridique de cette prétendue ’Team Europe’ ? C’est un fantasme ! » Von der Leyen « respecte de moins en moins l’équilibre des pouvoirs ; elle brouille le principe de séparation des pouvoirs. Il en résulte un manque de contrôle démocratique : Qui devons-nous tenir pour responsable de ce mémorandum ? »

L’inconsistance de cet accord UE-Tunisie est apparue en septembre : Dans une lettre du 7 septembre, Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a signalé que « plusieurs États membres ont exprimé leur incompréhension face à l’action unilatérale de la Commission. » Cela n’a pas empêché Von der Leyen d’affirmer une semaine plus tard, dans son discours sur l’état de l’Union de l’an dernier que « nous avons signé avec la Tunisie un partenariat […] et nous voulons maintenant travailler sur des accords similaires avec d’autres pays. » 

« Nous, l’Europe » est de plus en plus « Moi, Von der Leyen ». À cet égard, le discours sur l’État de l’Union 2023 est emblématique. Le regard tourné vers les élections de 2024, la présidente de la Commission a annoncé de nouveaux rôles, de nouvelles procédures et de nouveaux rendez-vous, dont elle est l’unique gardienne.

Passant en permanence du « nous » au « moi », elle a notamment annoncé : « Nous désignerons un représentant de l’UE pour les PME placé sous mon autorité directe et pour chaque nouveau texte législatif, nous procédons à un contrôle de compétitivité, confié à un comité indépendant. » Dans la même ligne, elle a également déclaré avoir « demandé à Mario Draghi […] d’établir un rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne. »

L’alliance tactique entre le PPE et Meloni se manifeste également dans leurs attaques conjointes envers les ONG.

Or, la procédure législative de l’UE prévoit déjà des consultations publiques. Le choix d’inventer un nouveau rôle pour représenter les intérêts des entreprises doit être interprété comme un clin d’œil à la base du PPE ; mais Von der Leyen ne fait là qu’accroître le déficit démocratique béant de l’UE. Les entreprises et les lobbys jouissent déjà d’un accès privilégié à l’élaboration des politiques de la Commission, contrairement aux ONG et aux organisations de la société civile que Von der Leyen et ses acolytes refusent généralement de recevoir. L’alliance tactique entre le PPE et Meloni se manifeste également dans leurs attaques conjointes envers les ONG. L’extrême-droite italienne a commencé à s’en prendre aux ONG qui viennent en aide aux migrants, alors que de son côté Weber instrumentalise le scandale du « Qatargate » (des mallettes de billets retrouvés dans les domiciles de plusieurs personnalités éminentes du Parlement européen, ndlr) pour essayer de limiter les possibilités d’action des ONG à Bruxelles.

Marc Botenga, eurodéputé belge du PTB, rappelle aussi les angles morts du discours de von der Leyen : « La Commission européenne n’écoute pas les représentants syndicaux, et la présidente a complètement exclu les travailleurs de son discours annuel : elle n’a pas trouvé la place de parler des prix inabordables ni des droits des travailleurs. »

Si le PPE respecte de moins en moins le cordon sanitaire contre l’extrême-droite, parallèlement il en érige un contre la gauche, qu’il s’agisse des partis de gauche ou des militants écologistes. Pour Botenga, « le but est de déligitimer et marginaliser toute contestation ».

La mainmise sur le pouvoir d’Ursula von der Leyen et de Giorgia Meloni vise à étouffer toute contestation. Il convient d’appréhender conjointement la vulnérabilité de la gouvernance démocratique européenne avec la pression en faveur des politiques néolibérales. Bruxelles n’a pas le moins du monde renoncé à l’austérité : malgré le plan de relance européen « Next Generation EU » qui a permis une réponse commune à la pandémie, le débat sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance reste dominé par le principe du contrôle étroit des dépenses publiques. La centralisation des pouvoirs entre les mains des dirigeants néolibéraux ne peut qu’aggraver l’absence de dimension sociale de l’UE et son déficit démocratique.

En 2021, le Parlement européen a fait pression sur von der Leyen parce qu’elle avait tardé à déclencher le mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit, un nouvel outil qui permet à Bruxelles de suspendre les différentes aides financières à un État coupable de violations de l’État de droit. En raison d’un accord tacite entre Angela Merkel et Viktor Orban, la présidente de la Commission a en effet attendu les élections hongroises d’avril 2022 avant de déclencher ce mécanisme, favorisant de facto, la position d’Orban.

Depuis l’alliance tactique entre le PPE et le CRE de Meloni, l’Italie et la Grèce ont multiplié les menaces contre l’État de droit. Malgré cela, Von der Leyen passe ses vacances au bord de la mer dans la maison du Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et se prête à la propagande de Meloni. Alors que von der Leyen promet dans son discours sur l’État de l’Union, de débuter par les rapports sur l’État de droit aux pays en voie d’adhésion, la présidente ne fait aucune mention de la Hongrie, de la Pologne, de la Grèce, de l’Italie et des gouvernements de droite dure qui ne cessent de saper la démocratie en Europe.

Notes :

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « Ursula von der Leyen Is Taking Europe to the Right ».

L’avenir de l’éolien français n’est-il que du vent ?

Wikipedia

Coup sur coup, la France vient de voir plusieurs projets autour de l’énergie éolienne se développer sur son territoire. Siemens-Gamesa va déposer un permis de construire pour la production d’éoliennes en mer au Havre tandis que la Commission européenne a autorisé la création de fermes éoliennes au large de Belle-Île et de Groix dans le Morbihan ainsi que trois autres fermes en Méditerranée. Total, de son côté, s’est lancée avec deux partenaires étrangers dans la bataille de l’appel d’offres lancé par l’État pour le parc éolien au large de Dunkerque. Face à la major du pétrole, les français EDF et Engie, l’anglo-néerlandais Shell et le suédois Vattenfall sont sur les rangs pour une décision au courant de l’année 2019. Ce développement des projets tous azimuts marque-t-il enfin l’avènement de cette énergie renouvelable dans une France encore très dépendante de la filière nucléaire ?


Lors de la présentation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) le 27 novembre 2018, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « Nous concentrons nos efforts sur le développement des énergies renouvelables les plus compétitives. Et parce que nous veillons au pouvoir d’achat des Français, nous serons exigeants avec les professionnels sur la baisse des coûts ». Ce volontarisme, également exprimé par François de Rugy, le ministre de la Transition écologique et solidaire, se montre avec l’engagement du gouvernement à ce que le premier parc éolien en mer, porté par EDF Énergies Nouvelles au large de Saint-Nazaire, soit mis en service durant le quinquennat. « La montée en puissance des énergies renouvelables en France est inéluctable » a répété M. Macron.

On entend de plus en plus parler d’énergies renouvelables (ENR) sans que pour autant on sache toujours bien les définir. Les ENR correspondent aux énergies qui sont produites par des ressources primaires inépuisables, à savoir le vent, l’eau et l’ensoleillement. En France, en 2017, 16,7% de la production totale de l’énergie provenait des énergies renouvelables contre 71,6% pour le nucléaire et 10,3% par des moyens thermiques que sont les hydrocarbures et le charbon. L’éolien a participé à 4,5% de la production totale de l’énergie en France en 2017, ce qui en fait le quatrième producteur européen. Une marge reste cependant, puisque selon l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le territoire français est le deuxième producteur européen potentiel derrière le Royaume-Uni mais devant l’Allemagne, l’Espagne ou le Danemark.

Une énergie renouvelable par le soleil et le vent

Contrairement à la croyance populaire, l’énergie éolienne provient d’abord de l’énergie solaire qui créée les vents par les différences de température et pression qu’elle entraîne à la surface de la Terre. La force de Coriolis, énergie cinétique de la Terre qui tourne sur elle-même, actionne aussi des vents. On estime de 1 à 2% la part de l’énergie solaire convertie en énergie éolienne de manière naturelle. Généralement, toutefois, l’énergie éolienne utilise la force du vent qui est renouvelable et inépuisable. Les éoliennes peuvent être terrestres, comme on le voit dans les Hauts-de-France ou dans le Grand-Est – 57% de la production totale en France – mais également offshore, sur la mer comme au Danemark.

Une éolienne présente l’avantage de fonctionner et produire de l’électricité en moyenne 90 % du temps.

Une éolienne produit donc de l’électricité grâce au vent qui met en mouvement un rotor, permettant sa transformation en énergie. La vitesse de rotation entraînée par le mouvement des pales est accélérée par un multiplicateur. Cette énergie mécanique est ensuite transmise au générateur. Un transformateur situé à l’intérieur du mât élève la tension du courant électrique produit par l’alternateur, pour qu’il puisse être transporté dans les lignes à moyenne tension du réseau électrique. Un parc éolien est constitué de plusieurs éoliennes espacées de plusieurs centaines de mètres et connectées entre elles par un réseau interne souterrain et raccordées au réseau public. Pour pouvoir démarrer, une éolienne nécessite une vitesse de vent minimale d’environ 10 à 15 km/h. Pour des questions de sécurité, l’éolienne s’arrête automatiquement de fonctionner lorsque le vent dépasse 90 km/h. La vitesse optimale est de 50 km/h.

Même si elle ne fonctionne pas en permanence à pleine puissance, une éolienne fonctionne et produit de l’électricité en moyenne 90% du temps. En pratique, une éolienne produit quatre fois plus d’énergie si la pale est deux fois plus grande et huit fois plus si la vitesse du vent double. La densité de l’air entre également en jeu : une éolienne produit 3% de plus d’électricité si, pour une même vitesse de vent, l’air est plus froid de 10°C. La puissance éolienne dépend ainsi principalement de l’intensité du vent et de ses variations.

L’avantage de l’énergie éolienne est qu’elle est donc renouvelable mais également décarbonnée en phase d’exploitation. Les terrains où les éoliennes sont installées restent toujours exploitables pour les activités industrielles et agricoles. Implantées localement, les éoliennes peuvent permettre de répondre à des besoins électriques de masse comme à des besoins domestiques limités.

De nombreux détracteurs du développement de l’éolien

Les détracteurs de l’éolien, nombreux en France, continuent de souligner que cette énergie dépend de la puissance et de la régularité du vent, que c’est une source d’énergie intermittente, que les zones de développement sont limitées et qu’elles peuvent susciter des conflits d’usages d’ordre environnemental comme les nuisances visuelles et sonores. Ces conflits sont d’ailleurs la cause principale des nombreux recours lancés contre les projets éoliens terrestres – 50% des projets attaqués entre 2012 et 2014 avec un retard de 3 à 5 ans, tout comme l’éolien en mer où les pécheurs se mobilisent en Normandie à Courseulles-sur-Mer, avec succès auprès de la population, contre des projets offshores en mer.

Les projets de parcs éoliens en France ont été pour moitié attaqués en justice entre 2012 et 2014.

La critique récurrente concerne l’impact sur la protection de la nature, la question des nuisances sonores mais également l’intégration des éoliennes dans le paysage. S’agissant de la nature et de la faune, les oiseaux et les chauves-souris sont les animaux les plus sensibles à l’implantation d’éoliennes. Selon une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de juin 2017, le taux de mortalité des oiseaux varie en fonction de la configuration du parc – entre 0,3 et 18,3 individus par an et par éolienne. Les facteurs déterminants de cette mortalité sont la proximité avec les zones de protection spéciales (ZPS, qui font partie du réseau Natura 2000) et la sensibilité des migrateurs nocturnes à la présence d’éoliennes. Pour comprendre et réduire au maximum ces impacts, la LPO, les professionnels du secteur et des organismes publics comme l’ADEME œuvrent à travers la réalisation d’études sur le sujet et la prévention auprès des développeurs de projet.

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Parc éolien offshore © Alan O’Neill

En mer, les travaux d’installation des éoliennes (forage, battage de pieux, etc.) émettent des sons qui peuvent perturber la faune marine. Cela peut occasionner de réels problèmes car les mammifères marins s’orientent grâce à des échos sonores. Une autre approche consiste à imposer un contrôle pour qu’aucun mammifère ne pénètre dans la zone de travaux. Si cela arrive, les travaux sont alors interrompus temporairement. Il faut noter toutefois qu’il existe en mer des opérations plus bruyantes que l’installation d’éoliennes, comme les relevés sismiques sous-marins, le passage de navires commerciaux ou les essais sonar de la marine. Ces différentes activités ne sont pas régulées de la même façon, voire pas régulées du tout.

Sur terre, les émissions sonores des éoliennes sont très réglementées et les plaintes des riverains sont rares. L’acoustique des sites éoliens est réglementée par la réglementation ICPE ou Installation classée pour la protection de l’environnement, applicable depuis le 1er janvier 2012 à l’ensemble des parcs français. Les textes fixent en effet un seuil de niveau ambiant à 35 décibels (dB) dans les zones à émergences réglementées, ainsi que les valeurs maximales admissibles lorsque ce seuil est dépassé. Ces valeurs sont de 5 dB le jour et de 3 dB la nuit – entre 22 h et 7 h du matin. Cela signifie que lorsque le niveau de bruit ambiant dépasse 35 dB, la différence entre le bruit résiduel et le bruit ambiant ne doit pas dépasser 5 dB supplémentaires la journée et 3 dB la nuit. Si le niveau de bruit ambiant est inférieur à 35 dB, la mesure ne s’applique pas.

L’Anses (Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) renforce le dispositif de sûreté en préconisant trois mesures : « renforcer l’information des riverains lors de l’implantation de parcs éoliens ; systématiser les contrôles des émissions sonores des éoliennes avant et après leur mise en service et poursuivre les recherches sur les relations entre santé et expositions aux infrasons et basses fréquences sonores ». Un rapport de mars 2017 de l’autorité tend à rassurer puisque, selon l’Anses, « aucun dépassement n’a été attesté pour les seuils d’audibilité dans les domaines des infrasons et des basses fréquences » sur les parcs éoliens existants en France depuis le début des années 2000. L’autorité ajoute : « Les connaissances actuelles ne justifient ni de modifier les valeurs d’exposition au bruit existantes, ni d’introduire des limites spécifiques aux infrasons et basses fréquences sonores ».

Leurs détracteurs estiment que les éoliennes participent à la défiguration du paysage sur terre et en mer.

La dernière critique importante, si ce n’est peut-être la plus répandue, concerne l’intégration dans le paysage des éoliennes. Précisons d’emblée que l’esthétique et l’intégration des éoliennes dans le paysage sont des questions subjectives qui divisent l’opinion où revient la question du NimbyNot in my backyard ou « Pas dans mon arrière-cour ». En France, la réglementation est parmi l’une des plus strictes d’Europe. Ainsi, les lois Grenelle de 2009 et 2010 ont notamment prévu des permis de construire obligatoires pour les éoliennes de plus de 12 mètres, une enquête publique pour celles de plus de 50 mètres, un minimum de 5 éoliennes par parc, une étude d’impact, l’installation des éoliennes de plus de 50 mètres à plus de 500 mètres des zones d’habitation. Les parcs doivent également se situer dans des zones favorables déterminées par des schémas régionaux éoliens. Ces schémas prennent en compte la protection des paysages, des monuments historiques ainsi que des sites remarquables ou protégés, situés à proximité des éoliennes. Les développeurs de projets éoliens font parfois appel à des paysagistes pour déterminer la meilleure implantation, en concertation avec les riverains. En 2015, la fédération d’industriels France Énergie Éolienne (FEE) a commandé une consultation au cabinet d’études CSA auprès de riverains de parcs éoliens en France. L’échantillon a porté sur 508 personnes, représentatives de la population française, résidant dans une commune située à moins de 1 000 mètres d’un parc éolien. Avant la réalisation du parc, les riverains étaient partagés entre indifférence et confiance à l’égard de cette implantation près de chez eux. Ils disent avoir manqué d’informations sur le projet (seuls 38% des habitants disent avoir reçu l’information nécessaire avant la construction du parc éolien). En revanche, une fois les éoliennes implantées et en fonctionnement les avis changent et sont plus positifs.

Paradoxalement, un problème plus durable n’est guère évoqué en amont. Une éolienne a une existence de vie d’environ vingt ans. On parle ici du cycle de vie de l’éolienne. Or, le démantèlement de la partie aérienne d’une éolienne coûte environ 30 000 euros par MW de puissance installée, soit 60 000 euros pour une éolienne de 2 MW. La plupart des exploitants, notamment les municipalités, seraient mal préparés à financer ce démantèlement. Une solution serait de vendre ces équipements à l’étranger pour récupérer le coût des travaux. Certains pays, notamment la Russie et divers États d’Europe de l’Est et du Maghreb rachètent de vieilles éoliennes pour leurs propres besoins. Mais le marché demeure limité et des problèmes environnementaux se posent dans ces pays si le démantèlement est mal réalisé.

Renouvelable mais non recyclable à la fin de sa vie

Même si le financement du démantèlement peut être assuré à terme, que faire de tous les matériaux récupérés ? Les parties métalliques, en acier ou en cuivre, se recyclent aisément. Mais il n’en va pas de même des pales, habituellement composées d’un mélange de fibre de verre et de fibre de carbone, liées à l’aide de résine de polyester. On ne sait pas séparer et recycler ces matériaux, qui pourraient s’accumuler au rythme de 16 000 tonnes par année à partir de 2021. Même leur combustion est à exclure, car les résidus obstruent les filtres des incinérateurs.

La question des socles de béton est aussi problématique. Dans le cas d’une grande éolienne, ils peuvent faire jusqu’à 20 mètres de profondeur et représenter 3 000 tonnes de béton armé. Leur présence est un enjeu environnemental, car l’obstacle qu’ils forment permet souvent à plusieurs niveaux de la nappe phréatique, normalement séparés, de se mélanger. En Allemagne, le droit du bâtiment prévoit leur démolition complète. Mais cela serait rarement le cas en réalité, en raison des coûts de centaines de milliers d’euros liés à cette mesure. Une pratique plus courante, et officiellement tolérée, serait de les démanteler sur les deux ou trois premiers mètres, voire sur un seul, puis de les recouvrir de terre. Nous ne parlons pas là du bilan carbone du béton, responsable de quelques 5% des émissions de GES au niveau mondial. En somme, les éoliennes vieillissantes sont un nouvel enjeu, qui pose des problèmes de gestion du mix électrique, de finances et d’utilisation des matériaux récupérés. Il faudrait sans doute songer à forcer les exploitants à mieux provisionner la fin de vie de leur produit.

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Construction d’un parc éolien ©Pxhere

Sébastien Lecornu a rendu les conclusions du groupe de travail sur l’énergie éolienne installé en octobre dernier le 18 janvier 2019, et a suggéré cette disposition. Le secrétaire d’État à la Transition écologique a présenté dix propositions « pour accélérer la concrétisation des projets et améliorer leur acceptabilité au niveau local ». Avec ces mesures, le gouvernement entend donner aux porteurs de projets les moyens de diviser par deux le délai de construction des parcs d’éoliennes terrestres. Celui-ci est actuellement de sept à neuf ans, explique le ministère. Cette accélération doit servir « l’ambition de doubler la capacité de production issue de l’éolien terrestre entre 2016 et 2023 ». Le secrétaire d’État précise que « les mesures dévoilées aujourd’hui sont le fruit d’un consensus entre tous les acteurs impliqués dans le secteur éolien », ce que n’ont pas manqué de souligner France Énergie Éolienne et le Syndicat des énergies renouvelables qui ont « salué » les mesures prises.

L’énergie éolienne ne cesse d’être de plus en plus compétitive.

L’éolien ne présente, dès lors, pas forcément d’obstacles rationnels à son développement comparé à d’autres production d’énergie. L’énergie éolienne présente l’avantage d’être parmi l’une des plus compétitives – 66 € le MWh et devrait atteindre d’ici 2028 55 € le MWh, contre 59,8 € le MWh pour le nucléaire en 2013 d’après un rapport de la Cour des comptes. Le mégawatt (MW) correspond à un million de watts. Le watt est l’unité internationale de mesure de la puissance et le mégawatt est fréquemment utilisé en production électrique.

Un rapport coûts-avantages favorable à l’éolien

En matière économique, les chiffres de l’Observatoire de l’éolien de France Énergie Éolienne indiquent qu’au 31 décembre 2016, la filière éolienne comptait 800 sociétés actives dans le secteur et 15 870 emplois sur le territoire français. C’est une augmentation de 9,6 % de l’emploi dans le secteur par rapport à 2015, soit 1400 emplois créés par rapport à 2014. L’augmentation de l’emploi dans le secteur éolien représente 26,8% et plus de 3 300 emplois créés. De plus, le marché de l’éolien a pesé en 2016 pour 4,5 milliards d’euros. Cette augmentation va de pair avec la croissance du parc éolien prévu par la loi de Transition énergétique pour une croissance verte ou loi Royal adoptée en août 2015 et réaffirmée par la PPE puisqu’il existe 1653 installations au 31 décembre 2017 et qu’il est prévu de passer en 2023 entre 21 800 et 26 000 MW ; jusqu’à atteindre un parc de 14 200 à 15 500 éoliennes en 2028 avec une production moyenne de 35 000 MW – ou 35 GW.

Les éoliennes produisent en moyenne trois fois moins de CO2 que le photovoltaïque et autant que le nucléaire en phase d’exploitation.

Pour donner un ordre de grandeur, en France, une éolienne de 2 MW permet en moyenne d’alimenter en électricité environ 900 foyers. En comparaison, un réacteur nucléaire français a une puissance installée comprise entre 900 MW et 1450 MW. Précisons toutefois que cette comparaison à une limite car il est important de noter qu’un MW de puissance éolienne installée produit moins d’électricité qu’un MW installé dans une centrale nucléaire. De fait, une éolienne ne fonctionne que si le vent est assez fort.

Une énergie parmi l’une des plus décarbonées

Le dernier argument qui pourrait convaincre les plus sceptiques est l’impact environnemental que représente l’énergie éolienne. Les éoliennes émettent environ 12,7 d’équivalent CO2 selon l’ADEME pour produire un kWh électrique ce qui en fait l’une des énergies les plus décarbonées avec l’hydroélectricité et… le nucléaire. Cet impact environnemental moindre par rapport à d’autres énergies renouvelables comme le photovoltaïque ne semble toutefois pas convaincre le gouvernement d’afficher une ambition plus forte en la matière pour produire plus durablement de l’électricité. Ce dernier, avec la PPE, s’est certes engagé à ce que le mix énergétique voit la part du nucléaire passer de 70% à 50%, et à la progression de 16% à 40% de la part des énergies renouvelables. Néanmoins, beaucoup d’associations environnementalistes ont souligné que le gouvernement n’allait pas assez loin et restait trop en faveur de la trajectoire prévue par EDF, numéro un mondial de l’électricité.

Un réel changement de trajectoire qui reste à prouver

L’État lui aussi souhaite-t-il réellement changer de trajectoire ? Le jeudi 28 février 2019, l’ensemble des élus de Normandie, que ce soit Hervé Morin, le président du Conseil régional ou encore le député communiste Sébastien Jumel ont encouragé lors du salon Nucléopolis à Caen le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy – qui vient d’être reconduit à son poste pour quatre ans supplémentaires par le gouvernement français et Emmanuel Macron – à pousser pour la création de deux réacteurs EPR à Penly. La décision appartient à l’État, qui tranchera en faveur ou contre ce projet en 2021. On serait tenté de penser que l’État, qui détient encore 83% du capital de l’entreprise, pourrait appuyer ce projet si l’EPR de Flamanville se révèle être finalement un succès après sa probable mise en service en 2020.

https://ifpnews.com/coverage/french-president-hails-irans-role-fighting-terror-mideast/
Emmanuel Macron ©IFP

EDF a, de son côté, pris depuis longtemps la trajectoire des énergies renouvelables en devançant l’État via sa filiale EDF Énergies Nouvelles où le développement de l’éolien en France et d’une manière générale des ENR est l’une des stratégies opérées par le groupe pour diversifier son mix de production énergétique, actuellement très dépendant de la filière nucléaire.

Si certains élus ont tendance à encore concevoir le rôle du nucléaire comme prépondérant pour assurer l’indépendance énergétique de la France, le grand débat national peut peut-être également remettre en question certaines trajectoires prévues par la PPE. Le 25 janvier 2019, la PPE a été présentée dans son intégralité et est en cours de discussion avec les agences environnementales dans l’attente du décret d’application. Or, les réminiscences liées à la taxe carbone ou à l’augmentation du tarif de l’électricité de 6% au printemps prévue par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourraient remettre en question certains axes prévus par la PPE. Déjà, la fermeture des centrales thermiques à charbon prévue pour 2022 ne semble plus à l’ordre du jour. Ces considérations conjoncturelles ne doivent pourtant pas oublier l’urgence structurelle de modifier en profondeur nos moyens de production d’énergie en France. L’éolien, en tant qu’énergie renouvelable ne doit être sacrifié à l’autel de logiques économiques d’arrière-garde. Gageons qu’en la matière, le « Make out planet great again » d’Emmanuel Macron ne soit pas du vent.

2019, vers un big bang du panorama politique européen ?

©European Union

L’élection surprise de 5 députés de Podemos au Parlement européen en mai 2014 a, en quelque sorte, ouvert la voie a une profonde recomposition du champ politique européen. Depuis lors, l’ovni Macron a gagné la présidentielle française, l’Alternative für Deutschland (AfD) est le premier parti d’opposition en Allemagne, le Mouvement 5 étoiles est arrivé à la première place des législatives italiennes, etc. Si pour l’instant ces changements ont profondément remanié le jeu politique au niveau national, l’élection européenne de mai 2019 va précipiter les unions et désunions à l’échelon européen. Passage en revue des mouvements déjà amorcés et des reconfigurations possibles.

 

La crise économique mondiale débutée en 2008 a durablement affaibli les bases des différents systèmes politiques européens. L’absence de croissance économique, couplé à l’accroissement de la précarité et au démantèlement des systèmes de protection sociale ont coupé les partis sociaux-démocrates de leur base électorale. Les promesses d’un système plus égalitaire et d’une Europe sociale ont perdu toute crédibilité aux yeux de bon nombre d’électeurs traditionnels des partis socialistes. Ce mouvement s’est amorcé avec le Pasok en Grèce en 2012[1] suivi ensuite notamment par le PvdA aux Pays-Bas, le Parti Socialiste en France ou le Parti Démocrate en Italie.

Dans le camp libéral, l’échec évident des politiques économiques néolibérales a provoqué une panne idéologique, privant ces partis d’un horizon triomphant. Pour les conservateurs, la partie est plus complexe. Plus à même de jouer, en fonction de la situation, avec une certaine dose de protectionnisme et d’interventionnisme étatique, leur logiciel n’est pas profondément remis en cause mais la croissance de partis d’extrême droite réduit leur espace politique et électoral. C’est le cas notamment des Républicains en France, de la CDU/CSU en Allemagne ou du CD&V en Belgique.

L’affaiblissement, parfois très conséquent, des partis structurant traditionnellement les systèmes politiques européens a conduit dans de nombreux pays à la fin du bipartisme et à l’émergence de nouvelles forces. Lors des élections européennes du 25 mai 2014, cette tendance lourde n’en était qu’à ses prémisses. Mais depuis lors, les choses se sont accélérées et les élections européennes de mai 2019 vont très certainement donner une autre dimension à ces évolutions. D’autant plus que face aux difficultés que rencontrent l’Union européenne, au premier rang desquelles le Brexit, les réponses à apporter ne font pas forcément consensus entre les élites – plus ou moins d’intégration européenne, mettre un frein aux politiques d’austérité ou les approfondir, etc.

Au Parlement européen, point de salut en dehors d’un groupe

Au Parlement européen, les partis nationaux sont regroupés au sein de groupes politiques[2]. L’appartenance à un groupe conditionne grandement l’accès aux ressources, au financement, au temps de parole et à la distribution des dossiers. Pour un parti, ne pas être membre d’un groupe le relègue à la marginalité. Il est donc capital de faire partie d’un groupe et de surcroit, si possible, d’un groupe influent. Si l’appartenance à un groupe ne préfigure pas le type de relations entre partis (par exemple, le Mouvement 5 étoiles partage le même groupe que UKIP, mais cette alliance est principalement « technique »), elle détermine dans l’ensemble le degré de proximité et de coopération entre différentes forces, au-delà de la contrainte parlementaire.

Aux groupes au sein du Parlement, s’ajoutent les partis politiques européens qui reprennent généralement les mêmes contours. En temps normal, leur influence est limitée mais lors de la campagne pour les élections européennes, ce sont eux qui désignent les candidats à la présidence de la Commission européenne, les spitzenkandidaten.

Les élections européennes, un cocktail explosif. ©Claire Cordel pour LVSL

En 2014, le Parti populaire européen (PPE, dont sont membres Les Républicains) avait désigné Jean-Claude Juncker, l’ancien premier ministre luxembourgeois comme candidat. Le PPE ayant obtenu le plus de voix lors du scrutin, Juncker fut nommé président de la Commission. Les partis interviennent aussi dans la répartition des sièges au sien de la Commission. Malgré des cas de corruption et de conflit d’intérêt, le PPE avait fait bloc derrière l’espagnol Miguel Arias Cañete pour que celui-ci obtienne le poste de Commissaire à l’énergie et à l’action pour le climat. En échange, le PPE a accepté la nomination du socialiste français Pierre Moscovici aux affaires économiques et financières, malgré le fait que la France ne respectait pas les critères de déficit public.

L’élection de mai 2019 risque fort de mettre un pied dans la fourmilière européenne. La modification des équilibres politiques nationaux va modifier en profondeur la composition de l’hémicycle et compliquer la distribution des postes au sein de la Commission. Avec en toile de fond, des divergences importantes sur les différents scénarii possibles de sortie de crise.

L’extrême droite, une menace en forte croissance

L’extrême droite est sans conteste la grande bénéficiaire de l’affaiblissement des partis traditionnels. Dans de nombreux pays européens, elle a réalisé des scores très élevés. En Allemagne, l’AfD a remporté 12,64% des voix, et est entrée pour la première fois au Bundestag, devenant la première force d’opposition devant Die Linke. En France, le Front national s’est hissé au second tour de l’élection présidentielle. En Italie, la Lega est devenue le premier parti à droite et aspire à gouverner. En Autriche le FPÖ a remporté 25,97% des voix et est entré au gouvernement. Enfin, en Hongrie, le Jobbik a obtenu 19,61 % des suffrages le 8 avril dernier, devenant le principal parti d’opposition… face à Viktor Orban.

Pour l’instant marginal dans l’hémicycle – le groupe d’extrême droite Europe des Nations et des Libertés (ENL) est le plus petit du Parlement européen et ne compte que 34 députés -, l’extrême droite risque fort de devenir beaucoup plus influente lors de la prochaine législature. Au-delà de la menace directe sur les libertés publiques et de la propagation des idées xénophobes, il est probable qu’elle arrive à conditionner encore plus l’agenda politique. En outre, et c’est déjà le cas notamment avec la CSU, l’allié bavarois d’Angela Merkel, on note une porosité toujours plus grande entre les idées défendues par l’extrême droite et les discours des conservateurs. Une menace tout aussi importante que l’accession au pouvoir de partis d’extrême droite.

Que va faire Macron ? Les spéculations de la bulle bruxelloise

Même si Emmanuel Macron est un pur produit du système, celui-ci s’est construit en dehors des partis traditionnels. En ardent défenseur du projet européen porté par les élites du vieux continent, il a les faveurs de la bulle bruxelloise (le microcosme qui entoure les institutions et les lobbys). Toutefois, comme il l’a fait en France, Macron n’entent pas s’inséré dans un groupe déjà existant mais plutôt construire quelque chose de nouveau. Ce qui ne manque pas d’alimenter les spéculations de la bulle bruxelloise. Pour cela, il a lancé en grande pompe début avril « La Grande Marche pour l’Europe », un tour des principales villes européennes pour officiellement prendre le pouls des citoyens et servir de base pour un futur programme.   .

Pour l’instant, seul le jeune parti espagnol Ciudadanos qui surfe dans les sondages et qui met en avant une image (usurpée) de régénération se présente comme un allié qui répond aux vues du Président français. Le Parti Démocrate de Matteo Renzi, depuis sa défaite aux législatives italiennes, n’est plus dans les petits papiers de Macron et il se murmure même un rapprochement avec le Mouvement 5 Etoiles, ce qui serait une alliance contre-nature et un parcours semé d’embuches. Dernièrement plusieurs échanges ont eu lieu entre les directions de LREM et de Ciudadanos, le parti d’Albert Rivera.

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Albert Rivera, président de Ciudadanos ©Carlos Delgado

Toutefois, les marges de manœuvres de Macron ne sont pas si larges que ça. Il est plus difficile de créer des scissions au sein de groupes européens que d’obtenir des démarchages individuels au sein de partis français. Macron le sait et l’option d’un simple élargissement du groupe libéral (l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ALDE, quatrième groupe actuellement) est également sur la table. En cas de démarche gagnante de Macron, la création d’un nouveau groupe peut avoir des conséquences non négligeables sur la cartographie politique et la répartition des postes. De plus, sans changer fondamentalement de cap politique, ce serait un point d’appui important pour Macron pour mettre en œuvre son projet d’intégration de l’Union.

A droite, la nécessité de rester la première force et d’être conciliant avec l’extrême droite

Pour le PPE, premier groupe du Parlement européen mais également à la tête de la Commission et du Conseil européen (le polonais Donald Tusk du parti PO exerce actuellement la présidence), l’enjeu principal est de rester le premier parti de l’Union pour garder la main sur les politiques décidées à Bruxelles. Mais pour cela ils doivent faire face d’un côté aux manœuvres de Macron et de l’autre au grignotage de leur espace électoral par l’extrême droite. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, l’attitude du PPE vis-à-vis de l’extrême droite est ambivalente. Alors qu’au Parlement européen, le groupe d’extrême droite ENL est habituellement mis en marge des négociations et qu’Angela Merkel, pour des raisons historiques, refuse toute sorte de collaboration avec l’AfD, le nouveau chancelier autrichien Sebastian Kurz de l’OVP (PPE) gouverne en coalition avec le FPO (ENL). De même, en Italie le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia membre du PPE, a fait alliance dernièrement avec la Lega de Matteo Salvini, allié traditionnel du FN.

L’attitude du PPE est également ambivalente vis-à-vis du Fidesz, le parti de Viktor Orbán le premier ministre hongrois. Ce dernier s’est fait connaitre pour ses propos complotistes aux relents antisémites et sa politique migratoire xénophobe. Pourtant, il est encore membre du PPE et il bénéficie du soutien de celui-ci pour le scrutin de l’année prochaine[3]. Il semble que le PPE navigue à vue entre la nécessité de maintenir ses éléments les plus radicalisés au sein du groupe pour rester à la première place, de faire alliance avec l’extrême droite pour accéder au pouvoir au niveau national et de se démarquer de cette dernière pour éviter de se faire dépasser. Il n’est pas sûr que cette ligne de crête stratégique soit une option payante sur le long terme.

Effondrement et dispersion de la famille socialiste

Si une chose est certaine c’est, comme nous l’avons vu, l’effondrement des partis sociaux-démocrates. Mis à part au Portugal et au Royaume-Uni[4], l’immense majorité des partis socialistes européens ont vu fuir leurs électeurs. Encore deuxième force du Parlement européen (groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, S&D), la famille socialiste compte dans ses rangs le néerlandais Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission, l’italienne Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et le portugais Mário Centeno, président de l’Eurogroupe. Trois postes clefs, symboles de la grande coalition européenne. Toutefois, il est fort peu probable que le Parti socialiste européen (PSE) puisse conserver une telle influence et continuer de se partager les postes importants de l’Union avec le PPE après le scrutin de 2019.

Matteo Renzi en juin 2016 ©Francesco Pierantoni

Le soutien et la promotion des politiques austéritaires et liberticides, conjointement avec les forces libérales et conservatrices, a conduit les sociaux-démocrates dans le mur. Cette perte de boussole va très probablement avoir pour conséquence l’effondrement et la dispersion de ce qui constitue encore la deuxième force politique européenne. Un revers électoral très probable risque de conduire à une diminution importante du nombre d’eurodéputés socialistes. De plus, suivant le mouvement de nombreux responsables du Parti socialiste français, les nouveaux élus pourraient être tentés de rejoindre le groupe de Macron – s’il arrive à en créer un. L’effondrement probable du PSE n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le PPE puisqu’il le prive de son allié traditionnel, laissant planer le doute sur l’assise parlementaire dont disposeront les forces pro-européennes pour mettre en œuvre leur agenda.

Pour la gauche socialiste, la recherche d’une voie étroite

Sentant venir la catastrophe, certains socialistes, à l’image de Benoît Hamon en France, ont rompu avec leur parti d’origine, sans toutefois remettre en cause la vision social-démocrate traditionnelle de la construction européenne. Cherchant des alliés potentiels, ils se sont tournés du coté des forces écologistes – elles aussi assez mal en point – et des forces anciennement issues de la gauche radicale comme Syriza en Grèce. C’est le sens de l’initiative « Progressive Caucus »[5] lancée au Parlement européen qui regroupe des députés de trois groupes politiques différents : S&D, Verts et GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique).

Benoit Hamon s’est aussi rapproché de Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des finances et fondateur de DiEM25, avec lequel il a lancé mi-mars à Naples, un appel pour une liste transnationale. Si l’idée de manque pas d’audace, tant le parti d’Hamon que celui nouvellement crée de Varoufakis n’ont pas de base électorale solide et ils n’ont obtenu le soutien d’aucun autre parti européen de poids. Néanmoins, ils ont obtenu l’appui de Razem, un jeune parti polonais qui, malgré des résultats électoraux limités, se présente comme le renouveau des forces progressistes en Europe de l’Est. Enfin, la volonté de ne pas envisager une possible rupture avec les traités européens les place sur une voie stratégique très étroite.

Les tenants de la désobéissance

L’échec du gouvernement Tsipras en Grèce a profondément redistribué les cartes à gauche de l’échiquier. Pour faire simple, au sein du groupe de la GUE/NGL cohabitent les tenants du Plan B (la possibilité de désobéir aux traités en cas d’échec des négociations inscrites dans le plan A), comme le parti espagnol Podemos, la France Insoumise (FI) ou le Bloco de Esquerda portugais, et ceux, à l’instar de Die Linke en Allemagne et du PCF en France, qui défendent une réorientation radicale des politiques européennes, mais sans prévoir de possibles ruptures.

A cela, se rajoute la mise en avant de la stratégie populiste. Podemos, suivi par la FI, a ouvert la voie à une refonte de la stratégie de conquête du pouvoir, en donnant une place prépondérante au discours et en laissant de côté les marqueurs traditionnels de la gauche. Cette stratégie entre parfois en opposition avec la culture communiste qui prévaut encore au sein de la GUE/NGL.

Pablo Iglesias, Catarina Martins et Jean-Luc Mélenchon lors de la signature d’une déclaration commune à Lisbonne.

Podemos, la France insoumise – qui ont obtenu chacun environ 20% des voix lors des dernières élections nationales – et le Bloco de Esquerda ont signé très récemment une déclaration commune (rejoints depuis par le nouveau mouvement italien Potere al popolo) qui appelle à la création d’un « nouveau projet d’organisation pour l’Europe ». Cette déclaration, relativement généraliste sur le fond, est la préfiguration d’un dépassement du Parti de la gauche européenne (PGE) ou peut-être même d’un nouveau parti, concurrent du PGE. Le Parti de Gauche, membre de la France insoumise, a demandé en janvier dernier l’exclusion de Syriza du PGE en argumentant que le parti de Tsipras suivait les « diktats » de la Commission européenne, une demande rejetée par le PGE. En se refusant d’aborder frontalement la question des traités et de la stratégie, le PGE se place dans une situation de statu quo qui, dans un contexte de polarisation politique, risque de le laisser sur le bord de la route. Dans la même optique, se pose la question d’une refonte ou d’un élargissement de la GUE/NGL. Face à la poussée de l’extrême droite, cette dernière pourrait intégrer notamment certains éléments écologistes qui ont évolué sur leur approche de l’Europe.

Penser et repenser l’Europe, sans prendre comme préalable le cadre institutionnel établi, est une nécessité pressante au regard des bouleversements que connait le vieux continent. L’année qui vient ouvre des possibilités de reconfiguration du champ politique européen intéressantes. Des opportunités à saisir pour donner espoir sans décevoir.

[1] Suite aux différents plans de sauvetage du pays, le Pasok est passé de 43,9 % des voix en 2009 à 13,2 % en 2012. https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/le-ps-francais-menace-de-pasokisation-620756.html

[2] Actuellement l’hémicycle est composé de 8 groupes allant de l’extrême droite à la gauche radicale en passant par les conservateurs, les socialistes, les Verts, etc. Pour en savoir plus : http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/hemicycle.html

[3] D’ailleurs, le républicain français Joseph Daul, président du PPE, a récemment réitéré son soutien à Orban, en contradiction avec la ligne de Laurent Wauquiez sur le FN : http://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/22/en-hongrie-viktor-orban-radicalise-son-discours-tout-en-restant-au-parti-populaire-europeen_5274764_3214.html

[4] Le Labour de Jérémy Corbyn présente un exemple singulier de changement radical de doctrine et de résultats couronnés de succès. Toutefois, la rupture idéologique avec la social-démocratie dominante, la position historique « un pied dedans, un pied dehors » du Royaume-Uni au sein de l’UE et sa future sortie, font que de possibles bons scores du Labour ne viendront pas contrecarrer les défaites des autres partis socialistes.

[5] Pour en savoir plus : http://www.progressivecaucus.eu/

Crédits photo : ©European Union