« Nous voulons arriver pour la première fois au Parlement européen » – Entretien avec Marc Botenga, tête de liste du PTB

Le Parti du Travail de Belgique est sur une pente ascendante depuis quelques années. Tiré par le médiatique Raoul Hedebouw et après de bons résultats aux élections communales d’octobre dernier, le parti vise désormais une entrée au Parlement européen le 26 mai prochain. Nous avons rencontré Marc Botenga, jeune cadre et tête de liste francophone qui pourrait bien être le premier élu de cette formation. Entretien réalisé par Maximilien Dardel et retranscrit par Loïc Renaudier.


LVSL – Les élections européennes en Belgique auront lieu dans le contexte particulier d’une superposition avec les scrutins régionaux et fédéraux. Ces élections se tiennent après des municipales qui ont confirmé la poussée du PTB. Comment fait-on une campagne européenne dans ce contexte ?

Marc Botenga –Pour nous ce qui est important est d’avancer sur les points fondamentaux au niveau programmatique. Nous l’avons fait au niveau communal. Nous avons fait une campagne clairement axée sur certains thèmes, comme le logement, la mobilité, l’écologie… Maintenant, on continue à défendre notre programme au niveau européen. Quelque part le fait qu’on ait 3 élections en même temps permet d’exiger une certaine cohérence. Nous, sommes le seul parti unitaire en Belgique. On refuse ainsi de jouer le jeu du renvoi de la responsabilité entre l’échelon le fédéral et le régional. C’est le même parti, voire le seul parti national organisé, tant côté néerlandophone que du côté francophone. Et ça c’est vraiment important.

Notre programme est en rupture avec les traités d’austérité européens. Donc le fait que les élections soient organisées ensemble nous permet aussi d’incruster la question des traités dans notre programme national.

LVSL – Comment voyez-vous votre rôle de tête de liste du PTB dans son rapport avec la campagne nationale ?

MB –Le parti a une stratégie globale qui s‘articule à différents niveaux. C’est une stratégie qui ne se limite pas à la Belgique. C’est pour ça que l’on a investi au niveau européen, et que l’on se présente au niveau européen avec certaines alliances comme la Gauche unitaire au Parlement européen. Mais c’est une stratégie réfléchie en fonction des solutions fondamentales sur différents sujets. Prenons un exemple très concret. Quand on regarde la question du climat, elle ne se limite pas à la Belgique. Mais ça ne veut pas dire, pour autant, que la Belgique ne doit pas faire son possible pour limiter les effets du changement climatique. Nous proposons à ce niveau des normes contraignantes pour les multinationales. Cela doit se faire au niveau européen en rupture avec le marché du carbone, mais la Belgique peut déjà commencer en imposant des normes aux 300 multinationales qui sont responsables de 40% des émissions en Belgique.

LVSL – Le PTB n’a actuellement pas d’élus au Parlement européen. La percée électorale du parti est relativement récente et les seuils pour obtenir un élu dans les trois régions de Belgique sont assez élevés. Quels sont vos objectifs pour cette élection ? 

MB –Nous voulons arriver pour la première fois dans notre histoire et dans l’histoire des institutions européennes au Parlement européen. Ce serait un signal important. Nous sommes le seul parti en Belgique à avoir un discours radical de rupture avec la logique des traités. Les traités austéritaires ont été approuvés par tous les partis, sauf nous. Aujourd’hui on n’a pas une Europe de la coopération, où les pays s’entraideraient, mais bien de la concurrence, où un Etat essaie d’enfoncer l’autre.

On ne se présente pas au Parlement européen en disant “votez pour nous et ça changera l’Union européenne”. On sait bien que c’est faux.  En revanche, en étant présent au Parlement européen, au sein de la gauche unitaire européenne, on peut renforcer les mobilisations européennes. La construction européenne s’est faite sans un contre-pouvoir fort comme les syndicats par exemple. Ces dernières années, on voit que c’est en train de se construire. Avec les dockers des ports par exemple, qui se sont organisés en grève européenne ; pareil avec les travailleurs de RyanAir… On voit pour la première fois que les gens disent : “non basta”. Cette Europe qui a été construite contre nous, on va la contester aussi à l’échelle supranationale. Là on tient quelque chose. Là on voit bien l’intérêt de l’articulation entre le niveau national et le niveau européen. Par exemple, la question du climat, abordée par les jeunes écoliers, mais à travers le pouvoir d’achat aussi par les gilets jaunes, a été mise à l’agenda européen mais aussi au niveau national dans les différents pays. On a eu la même chose avec le mouvement des dockers. On avait un mouvement européen, donc le Parlement européen, sous pression, a dû se positionner. Mais les gouvernements nationaux aussi étaient sous pression. Cela permettait vraiment l’articulation des deux niveaux par la mobilisation sociale au niveau national et au niveau européen.

LVSL – Nous avons déjà évoqué dans nos colonnes la structuration du PTB avec David Pestieauou Raoul Hedebouw. Récemment, à Bruxelles, des élus communaux PTB fraîchement investis ont décidé de quitter le parti en dénonçant un fonctionnement qualifié d’autoritaire. Où en êtes-vous de vos objectifs de développement et comment tenir un parti avec des exigences de probité si élevés [ndlr, tous les élus du PTB sont payés au salaire d’un travailleur belge] ?

MB –Je pense qu’effectivement toute période électorale est particulière. Ici, très concrètement, il s’agit d’erreurs de casting, avec des personnes qui ne souscrivent finalement pas au projet du PTB. Il y a différentes façons d’être membre du PTB, notamment en payant une cotisation annuelle très simple. Mais pour nos élus, on demande qu’ils ne s’enrichissent pas en faisant de la politique. Tout ce qui dépasse leur salaire antérieur, c’est-à-dire le salaire moyen d’un travailleur belge, ils le reversent. C’est un engagement que toute personne qui est sur une liste PTB doit prendre. On a vu que pour certaines personnes après les élections, ça commence à poser problème, notamment ici pour ces élus au Conseil communal de Bruxelles . Ce sont des maux de croissance. Lorsqu’un parti grandit vite, il y a des gens qui le rejoignent dans l’espoir de faire carrière, et d’être ensuite sur une liste régionale.

LVSL – Mais le fait d’être aussi rigoureux sur ce point ne limite-t-il pas la croissance et la qualité des cadres du PTB ? 

MB –La qualité, certainement pas. Imaginez qu’on laisse tomber les principes, parce que quelqu’un dit qu’il veut garder ses jetons de présence [ndlr, l’argent reçu par un élu pour assister à une réunion du Conseil communal ou d’un autre comité], le PTB s’affaiblirait. Certes, notre croissance électorale serait peut-être plus fulgurante dans l’immédiat. Mais le fond, l’essence du parti, le fait de faire de la politique autrement, se trouverait affaibli.

Il faut plus de formations, plus d’offres à développer. C’est un parti qui grandit vite et qui doit se structurer, c’est certain. Mais au niveau qualitatif, je trouve très important de garder ces principes. D’ailleurs, on fait signer un document aux candidats, qui indique que le mandat appartient au parti. Si vous êtes élu sur une liste du PTB, évidemment c’est le collectif du PTB qui en est à l’origine. Si vous décidez de démissionner du parti, alors vous quittez aussi le mandat. Je suis très fier que l’on maintienne nos principes. C’est pour eux que les gens votent pour nous. Le PTB n’est pas un parti comme les autres. On doit assumer aussi après les élections.

LVSL – En Wallonie, le PS reste une force importante. Beaucoup de français connaissent d’ailleurs Paul Magnette [ndlr, ancien président PS de la région Wallonne], qui se présente contre vous, depuis sa résistance affichée face au CETA. le PS Wallon tente de se donner une coloration fortement marquée à gauche. Comment jugez-vous cette stratégie ? Comment exister face à eux ? 

MB –La raison de la montée du PTB, c’est aussi qu’en dépit du discours très à gauche du PS avant les élections, la politique mise en place ne l’était pas. Le PS a approuvé les traités d’austérité. Le PS a accepté la libéralisation des chemins de fer. La loi Magnette en Belgique a divisé la SNCB (Société nationale des chemins de fer belges, qui exploite le réseau ferré) et Infrabel (le gestionnaire des infrastructures ferroviaires), dans une perspective de libéralisation. Les cheminots belges étaient furieux. Le PS est censé défendre le service public. C’est pour ces raisons que le PTB intéresse notamment les gens qui ont été dégoûtés du PS en Belgique, parce qu’ils ont cru à leur discours. Le PTB est une alternative. Et heureusement qu’en Belgique il existe une alternative à gauche.

LVSL – Mais quelle est votre point de vue sur l’action de Paul Magnette sur le CETA ? 

MB –Il y a deux choses concernant le CETA. Premièrement, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Les mouvements sociaux ont imposé le débat en premier lieu. C’est seulement ensuite que Magnette a, par sa position en tant que président de la Région, pendant quelques semaines, symbolisé cette lutte contre le CETA.  C’est important de noter que ça n’aurait pas été possible sans la pression des syndicats et des associations.

Deuxièmement, la montée du PTB a, en quelque sorte, obligé Magnette à virer un peu à gauche. Notre campagne sur la taxe des millionnaires, le PS l’a reprise à son compte avant les élections. Le PTB propose la gratuité des transports en commun et le PS disait que c’était populiste. Mais aujourd’hui ils la reprennent !

Avec le CETA c’est la même chose. Sauf que le CETA est quand même passé. Paul Magnette a voulu poser la question à la Cour européenne, pour savoir si les tribunaux spéciaux pour les multinationales étaient compatibles ou non avec le droit européen. Surprise, une disposition en faveur des multinationales est compatible avec les traités qui sont en faveur de ces mêmes multinationales… Je regrette  ce choix de Paul Magnette de dépolitiser la question et affaiblir ainsi la mobilisation pour donner la main à la Cour européenne dont on sait que les jugements sont souvent tout à fait néolibéraux.

LVSL – Il semble aussi difficile de faire face au parti Ecolo, dont la figure de proue est Philippe Lamberts, candidat contre vous. La Belgique a connu d’importantes manifestations pour le climat, auxquelles le PTB a participé. Qu’avez-vous de plus à proposer qu’Ecolo sur dans le domaine de l’écologie ? 

MB –La différence entre le PTB et le parti Ecolo se situe d’une part sur la question du marché. En Belgique, la libéralisation du marché de l’énergie est passée avec le soutien d’Ecolo. Le PTB se démarque là-dessus. On ne peut pas laisser la question du changement climatique au marché et aux multinationales.

Tant qu’on laisse la transition énergétique dans les mains d’Engie-Electrabel et d’EDF Luminus, on n’arrivera à rien. D’autre part, sur la question posée par les gilets jaunes, concernant le paiement de la transition écologique, est-ce que ce sera au citoyen de payer ou bien aux grandes multinationales d’y contribuer ? On est le seul parti à refuser la taxe carbone, qui est profondément injuste car elle fait payer les citoyens et les travailleurs.

Monsieur Lamberts est sûr d’être élu. C’est un député compétent bien que l’on ait des divergences sur le marché et les traités d’austérité. Lui ne veut pas rompre dès aujourd’hui, ni demain. La question n’est pas de savoir si le PS aura des élus, si Ecolo aura des élus, nous savons que ce sera le cas, mais si à côté de ces élus, il y aura un premier élu PTB. C’est l’enjeu des élections européennes en Belgique francophone.

LVSL – Le Parlement européen a désigné la Belgique comme un paradis fiscal. Pensez-vous que ce système favorise les Belges et sinon comment y remédier ? 

MB –Le système de paradis fiscal ne favorise absolument pas les belges. Si on parle des travailleurs belges, c’est plutôt un enfer fiscal. Il favorise seulement une petite caste des belges. Pour y remédier, je pense qu’il faut commencer par mettre fin aux niches fiscales en Belgique (la plus-value sur action qui n’est pas taxée ; les revenus définitivement taxés…).

On dit souvent qu’il faut des taux minimums au niveau européen. Mais venant des partis traditionnels (PS ou MR), qui ont transformé la Belgique en paradis fiscal, c’est particulièrement hypocrite. “Faisons au niveau européen ce que l’on ne va pas faire au niveau belge”. C’est ridicule. Le PTB est pour un taux d’imposition minimum effectif au niveau européen, mais on devrait pouvoir commencer en Belgique.

LVSL – Dans le débat, on parle d’une concurrence fiscale en Europe. Les pays modifient les critères fiscaux pour attirer les entreprises. Est-ce que la Belgique ne souffrirait pas d’un renforcement de ces normes fiscales ? 

MB –Y-a-t’il des preuves quelque part que cette politique d’attractivité fiscale ait créé de l’emploi ? Je vais prendre un exemple très concret, le bassin Liégeois. Arcelor Mittal, une multinationale de la sidérurgie qui fournissait nombre d’emplois, que ce soit dans le chaud ou dans le froid au niveau Liégeois, a reçu beaucoup de soutiens d’Etat en Wallonie. L’entreprise en a bénéficié un temps, puis un jour Arcelor est parti.

Faire des cadeaux aux multinationales ne les fait pas rester. Est-ce que les niches fiscales ont permis des investissements étrangers en Belgique qui aient créé de l’emploi ? C’est un discours théorique libéral pur, sans aucune preuve, qui tient autant la route que la théorie du ruissellement. C’est-à-dire pas du tout. Le PTB est pour une solution européenne car l’accès au marché européen pour les entreprises est fondamental. On ne va pas tout résoudre en Belgique, mais le fait que la Belgique soit pointée du doigt par le Parlement européen, on peut y changer quelque chose.

LVSL – Vous avez de bonnes chances d’être élu, mais vous serez peut être le seul représentant de votre parti dans l’hémicycle. Il va donc falloir vous trouver des alliés. De ce point de vue à la gauche de gauche on risque d’assister à un bouleversement des équilibres, si ce n’est à une partition entre des formations difficilement conciliables plus longtemps au sein du même groupe politique (on pense à Syriza et à la France insoumise au sein de la GUE-NGL). Comment vous situez-vous sur cet échiquier ? 

MB –Le PTB a adhéré comme membre associé à la gauche unitaire européenne et à la gauche verte nordique, il y a trois ans maintenant. On trouve qu’il faut désormais travailler avec les divergences entre les différentes gauches (radicale, authentique…). Il n’y a pas de secret. En France par exemple, le PCF et LFI ont des options politiques différentes. En soi, ce n’est pas grave. L’important c’est d’instaurer le dialogue sur quelques principes fermes, notamment la rupture avec la logique de la concurrence et de l’austérité, et de trouver alors, dans cet espace commun, des convergences et des dialogues. Nous, au PTB, on apprend beaucoup des camarades allemands, néerlandais, français… Je pense qu’on peut aussi apporter à ces autres groupes. On a des contacts avec des groupes très différents, par exemple avec des membres tant de Maintenant le Peuple que du Parti de la Gauche européenne, qu’avec d’autres partis qui n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre groupe. On a un principe clair par rapport à l’Union européenne. Il faut stimuler la construction d’un contre-pouvoir.

LVSL – Mais où doit figurer la ligne rouge ? Par exemple, le PTB peut-il vraiment travailler avec Syriza dans le même groupe ? 

MB – Nous débarquons à peine au niveau européen. Faut être humble. Je pense que la question va en premier lieu à Syriza. Que va faire Syriza demain ? Ils veulent quitter le groupe ou non ? Je vois qu’aujourd’hui Tsipras participe aux réunions du PS européen. Est-ce un choix stratégique de sa part ? On ne peut effectivement pas cautionner ce qu’a fait le gouvernement grec par rapport à l’austérité. On s’en démarque clairement. Je pense que si Syriza continue sur ce chemin, celui de l’alliance avec le PS européen – ce qui relève de leur choix -, cela peut être un problème. Après on n’a pas la vérité incarnée, mais je constate que chez Syriza il y a un mouvement en cours. Je suis curieux de voir ce qui va se passer après les élections. Le PTB défendra ses principes, tout en respectant les divergences. Et on verra bien qui restera ou non dans le groupe. Dans tous les cas, on espère avoir une cohérence radicale face à cette Europe du fric.

LVSL – Le PTB a annoncé ne pas prendre part à une potentielle majorité en Belgique à l’issue des élections fédérales si elle ne rompait pas avec les traités européens. Préférez vous laisser la direction du pays à la droite que gouverner dans ce cadre ? Certains pointent le cas du Portugal et de l’Espagne comme des pays ayant mené une politique de gauche tout en restant dans le cadre des traités…

MB – En Espagne on verra ce qui se passera après le 26 mai. Le gouvernement portugais de son côté paraît aujourd’hui en difficulté. Il ne faut pas tout mélanger. Evidemment on ne veut pas un gouvernement de droite en Belgique, c’est très clair.

LVSL – Donc il faut une majorité alternative ? 

MB –Oui, il faudrait une majorité alternative, mais qui ne mène pas de politique de droite. On ne veut pas une majorité de droite. Mais on ne veut pas non plus d’une majorité qui se prétend de gauche, comme le PS par exemple, mais qui en même temps applique une politique de droite. Aujourd’hui pour mener une politique de gauche, on se trouve directement en rupture avec les traités. Il n’y a pas de troisième option.

LVSL – D’autres partis, comme le PC portugais, ont décidé de soutenir un gouvernement socialiste dans leur pays qui n’est pas en rupture avec les traités pour éviter un retour de la droite. Qu’en pense le PTB ? 

MB –La question portugaise est particulière, car ils l’ont fait pour annuler une partie des mesures de la troïka d’austérité très violente, pour retourner ça sur d’autres mesures. Le PCP a clairement dit aussi dès le début qu’il fallait une rupture avec les traités.

Quand on regarde le Portugal aujourd’hui, on parle de politique progressiste. Mais l’investissement public est au plus bas ! Ils sont en dessous de 2%. Pourquoi ? Car si on respecte la logique des traités, l’argent qui est mis quelque part on ne peut pas le mettre ailleurs. Or, ne pas investir c’est construire une dette pour l’avenir. Les routes qu’on ne répare pas aujourd’hui, il faudra le faire demain et ce sera plus cher. Le PTB insiste là-dessus. Il faut imposer un rapport de force qui rompt avec la logique des traités.

Quand, en 2008 et 2010, on a dû sauver les banques, le rapport de force était là pour mettre de côté les traités. Il faut sauver les banques ? Alors il y a urgence bancaire. Le discours du PTB aujourd’hui est le même : il y a urgence sociale (700 000 personnes dorment dehors chaque nuit en Europe, ce qui représente la ville de Namur, de Liège, de Charleroi et de Mons ensemble en termes de population) et une urgence climatique. Peut-on imposer le rapport de force sur ces traités qui rendent impossible une politique de gauche véritable ?

 

 

« Dans les cafés, l’humour est une forme de résistance contre les puissants » – Entretien avec Raoul Hedebouw

Photo: www.solidaire.org – Antonio Gomez Garcia

Raoul Hedebouw est porte-parole du Parti du Travail de Belgique, conseiller communal au sein de la ville de Liège et député fédéral du parlement de Belgique. A l’approche des élections municipales et des élections européennes, il revient sur la stratégie du Parti du Travail de Belgique.


LVSL – Quels sont vos objectifs pour les prochaines élections communales en Belgique ?

Raoul Hedebouw – Notre objectif est de matérialiser, dans la réalité concrète, une sympathie exprimée à travers les sondages. Pour nous, il s’agit de structurer notre mouvement à travers des sections locales. Lorsque nous déposons nos listes, nous avons à l’esprit la nécessité de construire des conseils communaux qui partent des aspirations de la rue, les portent au conseil communal et reviennent dans le quartier pour se confronter à l’opinion de nos concitoyens. A ce titre, le but est de s’implanter dans des villes où nous n’étions pas présents auparavant tels que Verviers, Namur, Bruxelles ou Tournai.

« Il nous faut élargir notre audience hors de nos bastions ouvriers pour quadriller tout le territoire. Namur, par exemple, est une commune avec une sociologie bien différente de nos bastions ouvriers : la ville est peuplée d’employés et de professions intellectuelles. C’est un public qu’il nous faut encore conquérir. »

Il faut s’imaginer que nous sommes passés d’un effectif de 3000 militants à 14 000 militants en quelques années. Il faut donc structurer des groupes en formant des cadres. Par conséquent, au moment de déposer les listes, nous nous sommes concentrés sur les communes moyennes et grandes au sein desquelles nous n’étions pas présents : Gand, Tournai et Bruxelles en particulier. Il nous faut élargir notre audience hors de nos bastions ouvriers (Liège, Anvers et Charleroi) pour quadriller tout le territoire. Namur, par exemple, est une commune avec une sociologie bien différente de nos bastions ouvriers : la ville est peuplée d’employés et de professions intellectuelles. C’est un public qu’il nous faut encore conquérir.

Par ailleurs, j’attire votre attention sur le fait que nous sommes le seul parti national de Belgique. Nous devons nous confronter à des réalités locales parfois différentes. Structurellement, le sud du pays est plus combatif sur le plan syndical, tandis que le nord est plus acquis aux idées conservatrices. A cet égard, Anvers constitue un objectif important car il permettrait d’avoir des élus en Flandres. Pour l’instant, nos deux députés viennent de Wallonie.

Les élections communales s’organisent en fonction d’un suffrage proportionnel à un tour. Par conséquent, la formation de coalitions est rendue nécessaire pour gouverner des villes. Évidemment, il ne saurait être question de former des coalitions avec la droite. Nous dénonçons leur vision des communes : le « city-markéting ». Leur objectif est d’attirer beaucoup de promoteurs immobiliers et de les encourager à investir énormément, ce qui rend les centres-villes difficiles d’accès pour les catégories populaires. Dans la ville de Liège par exemple, le bourgmestre souhaite construire 1250 logements dont 90% seront à destination des publics fortunés, quand les 10% restants seront construits pour les classes moyennes. Nous nous réclamons du « droit à la ville » conceptualisé par Henri Lefebvre. Or, ce que je ne peux que constater, c’est que le parti socialiste ou l’écologie politique ne sont pas du tout en rupture avec cette conception de la ville.

Sur le principe, le PTB n’exclut pas de former des coalitions mais cela ne peut se faire que sur une base programmatique commune.

LVSL – Le succès du PTB tient notamment à la dénonciation féroce que vous faites de la corruption du système politique belge. Ne craignez-vous pas qu’une telle rhétorique dénonciatrice soit un frein à la crédibilisation de votre parti, à long terme ?

Raoul Hedebouw – Il faut rappeler que le succès du PTB tient d’abord aux conséquences de la crise capitaliste. C’est le flan marxiste, alternatif et anticapitaliste de notre succès. Il est notamment le résultat de fermetures d’entreprises et de plan de licenciements tels que ceux que l’on a pu observer à Caterpillar ou à Carrefour. Ce succès intervient donc d’abord dans une logique de latéralisation de la gauche contre la droite.

« Les mécanismes de financement des partis politiques permettent cette soumission de la superstructure politique à l’infrastructure économique. »

Il est vrai qu’à partir du scandale Publifin, une partie importante de notre discours a tourné autour de la dénonciation de la corruption du système politique. Cependant, j’insiste sur le fait que ce ne sont pas des dérives isolées. Il y a une véritable collusion entre le capitalisme et le monde politique. Les mécanismes de financement des partis politiques permettent cette soumission de la superstructure politique à l’infrastructure économique. Nous restons marxistes. Si l’on paie les députés 6000 euros par mois, c’est pour des raisons précises. Cela permet d’éviter que les députés évoluent avec les mêmes conditions de vie que les gens qu’ils représentent.

Notre socialisme 2.0 s’appuie sur l’idée qu’il faut vivre de la même manière que le reste de la population. Être député, c’est un honneur. Ceux qui se plaignent de gagner moins en tant que députés que dans le privé sont libres d’abandonner leurs mandats. S’il y avait 30% d’ouvriers au Parlement, ce qui correspond à la réalité sociologique du pays, je pense que les députés voteraient avec moins de facilité la suppression des retraites anticipées. Quand on vit avec 1400 euros par mois, on ne rigole pas. Notre critique de la corruption a une cohérence. Ce n’est pas une simple dénonciation des élites corrompues.

LVSL – Votre statut de porte-parole a permis à la Belgique de découvrir votre personnage gouailleur. Quelle place accordez-vous à l’humour en politique ? Ne courrez-vous pas le risque d’apparaître comme le « bouffon de l’extrême-gauche » ?

Raoul Hedebouw – Au contraire ! Savoir rigoler, c’est un signe que vous faite partie du peuple. Dans les cafés, l’humour est une forme de résistance contre les puissants. C’est quelque chose de très puissant. Petit, j’écoutais avec un énorme plaisir les histoires de Coluche avant de m’endormir. Je sais que, quand il porte sur le physique, ou sur la couleur de peau, l’humour peut être violent et facteur de division. Ceci dit, il peut aussi être facteur d’union des dominés qui se rient des puissants.

Cela n’empêche pas un travail de fond. Notre bureau d’études accomplit un travail extraordinaire. Cela fait partie de l’ADN du PTB. Que l’on soit d’accord ou pas avec lui, chacun reconnait que les livres de Peter Mertens sont fouillés. Ils apportent une contribution théorique à notre réflexion sur l’Europe ou la concurrence par exemple.

LVSL – La gauche a parfois du mal à accepter un leadership fort à la tête d’un parti. Quel rapport le PTB entretient-t-il avec le rôle du leader en politique ? On vous pose cette question car il est évident que le PTB n’aurait pas eu une telle audience sans votre irruption sur la scène politique, même si vous précisez bien que vous n’êtes que porte-parole…

Raoul Hedebouw – Sans le PTB, et sans la lutte de classes, je n’existe pas. Sans parti ni mouvement social, il n’y a pas de dirigeant. C’est une dialectique. Le leader doit toujours ramener le collectif sur le devant de la scène. Sans les militants, je ne passe pas à la télévision. Or, c’est la télévision qui donne ce pouvoir au leader, par ailleurs problématique d’un point de vue démocratique.

« Une idée ne devient matérielle que quand elle entre dans le crâne de quelqu’un. Si personne ne lit notre tract, les mots écrits n’ont aucune espèce d’existence du point de vue du fait social réel. En 2008, ce qui a changé, c’est que nous nous sommes mis à réfléchir à la façon dont le message que l’on envoie allait pouvoir être reçu. »

Pourtant, je ne suis rien d’autre qu’un membre du bureau politique et j’ai des comptes à rendre aux militants et à la classe ouvrière. Quoi qu’il arrive, le collectif doit toujours garder la main sur la stratégie. J’accorde un rôle important au parti comme intermédiaire entre les militants et les leaders. Je n’occulte pas pour autant l’importance prise par les individus dans la mécanique de l’histoire. Reste que si rôle d’un individu dans l’histoire peut être déterminant, il ne se suffit pas à lui-même. Il repose sur les masses humaines qui font l’histoire.

LVSL – Depuis 2008, on observe une professionnalisation de la communication du PTB. Comment avez-vous opéré ce tournant stratégique ?

Raoul Hedebouw – On fait très peu appel à des professionnels extérieurs au PTB. Nous pouvons nous appuyer sur des militants très qualifiés qui, au sein du PTB, sont des experts dans le domaine de la communication. Cela permet de garder une cohérence entre les techniques de communication et le fond du message.

La gauche que nous incarnons a perdu quelque chose en chemin. Par le passé, elle était avant-gardiste sur le plan de la communication. Il suffit de penser aux peintures de Picasso utilisées pendant la guerre d’Espagne ! Or, un certain romantisme à l’égard de l’artisanat nous a fait ignorer les nouvelles technologies. C’est absurde ! Les technologies ne sont pas capitalistes en tant que telles. Cela dépend de l’usage que l’on en fait. Il faut refuser que notre gauche utilise une communication ringarde.

Marx a écrit qu’une idée ne devient matérielle que quand elle entre dans le crâne de quelqu’un. Si personne ne lit notre tract, les mots écrits n’ont aucune espèce d’existence du point de vue du fait social réel. En 2008, ce qui a changé, c’est que nous nous sommes mis à réfléchir à la façon dont le message que l’on envoie allait pouvoir être reçu.

LVSL – Le PTB se réclame encore du marxisme, ce qui peut paraître comme une anomalie en Europe car même les partis communistes ont presque tous abandonné cette référence explicite. Un débat important anime actuellement la sphère politique alternative au néolibéralisme sur la question du populisme. Quelles sont vos divergences avec ce courant théorique ?

Raoul Hedebouw – Avant de vous répondre, et je crois que c’est très important, je tiens à souligner mes convergences avec la France Insoumise et Chantal Mouffe : le rejet des partis traditionnels, la nécessité de sortir de sa zone de confort pour convaincre, et la critique radicale du système économique et politique.

Cela dit, la question qui oriente notre débat avec Chantal Mouffe, c’est la pertinence de l’analyse marxiste pour agréger des masses humaines. Je la trouve toujours pertinente. J’ajoute que le marxisme a pensé la notion de peuple. Marx ne réduit pas la lutte révolutionnaire à la seule classe ouvrière. Il a beaucoup écrit sur le rôle des paysans dans le processus révolutionnaire. Il a beaucoup écrit sur le rôle de la bourgeoisie nationale pour agréger des masses populaires autour d’un projet national, contribuant ainsi à la marche de la révolution capitaliste, étape nécessaire à toute révolution socialiste.

« Croire que l’antagonisme de classe ne détermine plus le positionnement politique de chacun est une erreur. »

Je crois toujours à l’existence de classes antagonistes dans une société. Je reste convaincu que l’infrastructure, c’est-à-dire l’environnement de travail d’un être humain, influence, en partie, son mode de pensée. J’attire votre attention sur un point : Marx n’a jamais été complètement déterministe. Il sait qu’une frange de la classe ouvrière peut succomber à la réaction et au fascisme.

Reste que croire que l’antagonisme de classe ne détermine plus le positionnement politique de chacun est une erreur. Où retrouve-t-on le sens du combat collectif ? Au sein des grands secteurs industriels. Dans une PME, il est plus difficile de combattre. C’est la raison pour laquelle le PTB investit davantage dans des sections d’entreprises car c’est là que le combat est le plus dur, et ce, pour une raison simple : les droits de l’homme s’arrêtent à l’entrée de l’entreprise. C’est pourquoi nous avons développé une réflexion globale pour assurer un équilibre entre les sections d’entreprise et les sections communales ainsi qu’un équilibre entre les différentes parties du territoire belge.

LVSL – Chantal Mouffe vient de sortir un ouvrage intitulé Pour un Populisme de gauche. Si on en croit les contours qu’elle trace pour définir ce concept, le PTB entrerait dans la catégorie des populismes de gauche. Au fond, ce qui vous distingue n’est-ce pas la croyance théorique que le concept de la « classe en soi » implique nécessairement un passage à la « classe pour soi » et donc que le sujet privilégié de la révolution soit nécessairement un sujet de classe ? Cette idée est contraire à l’autonomie de la politique…

Raoul Hedebouw – Ce qu’il y a de commun à tous les ouvriers, c’est qu’ils n’ont rien à dire sur ce qu’ils produisent. La conscience de classe, c’est autre chose. C’est effectivement à ce moment précis que la politique joue un rôle important. Le fait nommé crée la conscience. Lénine écrivait que le spontanéisme peut, au mieux, nous faire atteindre le trade-unionisme, mais certainement pas la révolution !

Il est évident que la lutte politique fluctue avec les flux et les reflux de la lutte de classes. C’est une affaire entendue. Cependant, l’enjeu de la lutte politique, c’est la conscience. Or, celle-ci n’est pas innée. Elle est fortement liée à la pensée théorique qui, elle-même, ne vient pas spontanément. Ce sont les intellectuels qui l’apportent. Or, ces intellectuels, à l’époque, ne sortaient pas, pour la plupart, de la classe ouvrière. C’est le parti qui permet d’organiser la synergie entre les intellectuels et les ouvriers. Je vois ici une dialectique intéressante.

Nous ne sommes pas dans une période où la conscience de classe est extrêmement développée. Ce que je considère, c’est qu’il faut prendre cela comme un défi plutôt que d’abandonner le référent de classe. Je ne crois pas qu’il faille se résigner à une disparition de la conscience de classe causée par 30 ans d’hégémonie néolibérale. Il faut donc travailler au développement de cette conscience ! Lorsque je critique la chasse aux chômeurs menée par les forces néolibérales, je le fais non seulement parce que cela aura des conséquences sociales désastreuses, mais également car lorsque l’on pointe du doigt un travailleur sans emploi, on lui retire la possibilité d’avoir une conscience de classe.

LVSL – Dans un contexte où les évolutions de l’infrastructure économique sont marquée par le fractionnement des processus de production et par l’individualisation des conditions de travail, ne pensez-vous pas que la mobilisation du référent national, en l’investissant d’un contenu progressiste, permettrait d’accroître la conscience populaire ?

Raoul Hedebouw – Les évolutions de l’infrastructure ont évidemment des effets sur la conscience de classe. Cela dit, de ce point de vue-là, je me permets de vous faire remarquer un certain nombre d’éléments positifs. Il n’y a jamais eu autant d’ouvriers qu’aujourd’hui ! L’urbanisation conduit au fait que la population urbaine dépasse la population rurale. Or, l’urbanisation et l’inclusion d’une masse de plus en plus importante de gens dans le salariat, sont les conditions mêmes qui permettent au capitalisme de continuer sa révolution et au socialisme d’être l’étape suivante des sociétés humaines.

« Au fond, des multinationales comme Walmart réunissent des millions de travailleurs dans le monde en les exploitant de la même manière, ce qui leur donne une identité commune. Les conditions sont donc réunies pour travailler au développement de la conscience de classe. C’est à nous de faire le travail. »

Le capitalisme a englobé, au sein de la sphère marchande, une diversité phénoménale de d’activités. On peut penser à la cuisine pour laquelle des masses de gens usent des plats préparés ou à la coiffure, activité traditionnellement artisanale qui a été uniformisée à l’échelle du monde par l’entreprise Dachkin. Où que vous vous trouviez dans le monde, vous retrouverez les mêmes coupes et les mêmes techniques de coiffure. Sur le plan de l’agriculture aussi, on voit bien que la petite paysannerie est en train d’être avalée par l’agro-business. Vous voyez bien que des tas d’obstacles à la révolution socialiste s’effacent.

Un autre élément central de la révolution capitaliste a connu une phase d’expansion extraordinaire : le développement inégal du capitalisme. Marx en parlait déjà à son époque.

Au fond, des multinationales comme Walmart réunissent des millions de travailleurs dans le monde en les exploitant de la même manière, ce qui leur donne une identité commune.  Les conditions sont donc réunies pour travailler au développement de la conscience de classe. C’est à nous de faire le travail. Il ne faut pas prendre nos faiblesses politiques pour des évolutions défavorables de l’infrastructure économique.

J’ajoute que les éléments dont vous avez parlé dans votre question peuvent également nous être favorables. Pensons à ces masses immenses d’intérimaires qui peuplent le marché du travail. Leur condition de tâcherons nous permet de dépasser le vieux problème du corporatisme qui a pu frapper, dans le passé, la classe ouvrière.

Pour répondre à votre seconde question portant sur la question nationale, je commence par vous faire remarquer que Marx n’a jamais ignoré le fait national. Il développera d’ailleurs une vision progressiste du fait national puisque l’agrégation des activités humaines autour d’une bourgeoisie nationale permet de faire évoluer la production et de se débarrasser du féodalisme.

J’ajoute que, dans la plupart des pays du Tiers-Monde, le fait national a une identité éminemment progressiste. Je soutiendrai toujours des peuples qui se battent pour leur indépendance nationale que ce soit sur le plan économique ou sur le plan politique. Si vous m’interrogez sur le point de savoir s’il est possible d’envisager un patriotisme progressiste au sein de nations impérialistes, je serais plus mitigé. C’est généralement une forme d’unité nationale qui se construit contre d’autres nations.

LVSL – À partir du moment où la question identitaire devient aussi importante dans l’agenda politique, n’avez-vous pas intérêt, pour contrer cette vague, à investir l’identité nationale d’un contenu progressiste ?

Raoul Hedebouw – Sur la question nationale, la Belgique est un cas particulier. Nous sommes le seul parti national de Belgique pour une raison simple : nous récusons le sous-régionalisme des régions riches qui s’exercent contre les régions pauvres.

Une fois cette affirmation faite, vient l’instant de considérer la question du rapport de notre nation avec les autres nations. De ce point de vue-là, je crois que l’échelon national n’est plus forcément le bon. En tout cas, le marché européen qui s’est construit ces dernières années nous permet d’envisager la naissance d’une classe ouvrière européenne. Naturellement, pour cela, la langue reste un défi qu’il faut résoudre de manière progressiste pour parvenir à l’unité de la classe ouvrière. C’est la raison pour laquelle nous nous battons aussi fortement contre les sous-régionalismes : ils empêchent ce mouvement d’unité de la classe ouvrière européenne.

Vous m’interrogez sur le point de savoir si face aux destructions d’acquis sociaux qui sont, pour la plupart, le résultat de l’action de l’Union européenne, il faudrait construire un patriotisme progressisme. Je suis assez sceptique. Naturellement, le référent national n’est pas réactionnaire en soit. Je dis simplement que notre rôle est de créer de la conscience de classe et non de remplacer la conscience de classe par une conscience patriotique.

« Les puissances auxquelles nous faisons face sont très fortes, Les classes dirigeantes européenne sont très imbriquées. Il nous faut donc envisager une alternative au niveau sous-continental. A cet égard, la grève des travailleurs de Ryan Air sème les germes de ce mouvement social européen. »

Si l’on y regarde de très près, aucun pays européen n’est opprimé par un autre. Les peuples européens sont opprimés par une conspiration des multinationales. On pourrait me dire que les pays du sud sont victimes de l’oppression des pays du Nord. Je réponds que les élites nationales de ces pays-là permettent cette course à l’austérité.

LVSL – Les élections européennes approchent à grand pas. Dans ce contexte, quelle sera votre ligne stratégique ? Envisagez-vous des alliances ?

Raoul Hedebouw – Nos propres faiblesses politiques ne doivent pas nous conduire à considérer que l’échelle européenne n’est pas la bonne pour mener la lutte de classes. Je ne crois pas que le retour à l’État-nation résoudra cette faiblesse politique. Eu égard aux adversaires qui sont les nôtres, je crois que nous ne pouvons pas nous permettre de les affronter divisés. Mais la question se pose de savoir ce qu’il faut faire après une prise du pouvoir.

« Si nous gouvernons, nous romprons avec l’Union européenne mais ce sera à nos adversaires d’appuyer sur le bouton. Nous appliquerons notre politique quoi qu’il advienne. »

Je ne justifie nullement ce qu’a fait Syriza. Néanmoins, je me permets de signaler que leurs ambitions, aussi réduites soient elles, ont suscité l’ire de la tour de contrôle européenne. Ils ne parlaient pas de nationaliser les grandes entreprises. Ils envisageaient seulement de rééchelonner leur dette souveraine. Cette demande a eu pour conséquence le blocage de l’économie, la fermeture du robinet à liquidités par la BCE et des rumeurs de coup d’État.

Par conséquent, les puissances auxquelles nous faisons face sont très fortes, Les classes dirigeantes européennes sont très imbriquées. Il nous faut donc envisager une alternative au niveau sous-continental. A cet égard, la grève des travailleurs de Ryan Air sème les germes de ce mouvement social européen.

Sur l’Union européenne elle-même, je ne crois pas qu’elle soit réformable. Je pense qu’il faut s’en débarrasser. Pourquoi est-ce que je refuse une rupture unilatérale nationale ? Parce que je pense que si on conduit cette rupture à plusieurs pays, on n’a plus de chance de gagner le combat. J’ajoute que le mot d’ordre de la rupture nationale unilatérale estompe le clivage entre les travailleurs et les multinationales. Si nous gouvernons, nous romprons avec l’Union européenne mais ce sera à nos adversaires d’appuyer sur le bouton. Nous appliquerons notre politique quoi qu’il advienne.

Enfin, sur la question des alliances, notre objectif est de multiplier les points de contact. C’est la raison pour laquelle j’ai eu un regard très positif sur la réunion des amphis d’été de la France Insoumise à Marseille à laquelle j’ai participé. On veut apprendre de chacun. Pour l’instant, nous n’avons encore pris d’engagement avec aucune coalition européenne. Notre souhait est véritablement de parler avec tous ceux qui refusent l’austérité et de permettre le dialogue entre toutes ces forces.

 

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL.

Crédits photos : Antonio Gomez Garcia