Les Kurdes, éternels instruments des grandes puissances

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Un défilé de soldats du YPG. @Kurdishstruggle

Comment les fers de lance de la lutte contre l’État islamique ont-ils pu être abandonnés à leur sort ? Posée de cette manière, la question ne permet pas de comprendre la manière dont la question kurde s’insère dans les agendas des grandes puissances. Les populations kurdes, à tendance séparatiste, rétives aux constructions nationales irakienne, syrienne ou turque, installées sur d’abondantes ressources naturelles et dans des zones stratégiques capitales, représentent des moyens de pression idéaux pour les grandes puissances – qui instrumentalisent avec cynisme la cause kurde pour faire prévaloir leurs intérêts dans la région.


Considérer les Kurdes comme une entité culturelle homogène, qui serait habitée par la conscience d’appartenir à un seul et même peuple, n’aide en rien à comprendre les enjeux qui traversent cette question. D’un nombre d’au moins 35 millions, descendants des tribus indo-européennes installées depuis 4000 ans au Proche-Orient, les Kurdes sont, loin de l’image que l’on s’en fait, un peuple divisé en plusieurs groupes linguistiques (on y parle sorani, kurmandji, gorani, zaza) mais aussi confessionnels (il existe au sein des Kurdes des alévis, des yézidis, des chiites). Surtout, ils sont dispersés entre quatre pays : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Une série de facteurs qui apparaissent comme autant de freins au nationalisme kurde. 

Les territoires du Kurdistan syrien, irakien et turc abritent d’importantes ressources naturelles et constituent de ce fait des zones stratégiques d’une importance capitale pour ces États. Comme l’a montré le géographe Fabrice Balanche, au Rojava, la zone située à l’est de Deir el-Zor – à proximité de la frontière irakienne – contient une quantité considérable d’hydrocarbures ; 50% du pétrole de Syrie y serait produit. Cet espace a également constitué, au début de la guerre civile, le grenier à blé de la Syrie. Sur les zones kurdes de Turquie, Ankara contrôle différents amonts dont celui de l’Euphrate et du Khabour, indispensables à l’irrigation. Le territoire kurde d’Irak abrite quant à lui un tiers des ressources pétrolière du pays, exploitées par des compagnies étrangères – notamment la compagnie russe Rosneft. Cette abondance de ressources permet de comprendre pourquoi les États turc, syrien et irakien ne souhaitent aucunement l’apparition d’un Kurdistan indépendant ; elle explique également l’ingérence d’une multiplicité d’acteurs internationaux.

La genèse des États-nations qui abritent les populations kurdes permet également de comprendre pourquoi celles-ci sont loin de souhaiter unanimement leur indépendance ; elle a en effet été caractérisée par une volonté d’homogénéisation culturelle calquée sur les groupes dominants. Pour le sociologue Massoud Sharifi Dryaz, « En général, dans ces pays, la manifestation de l’identité ethnique, linguistique, culturelle et religieuse des groupes minoritaires a été interprétée comme une attaque sérieuse qui compromet l’unité nationale, l’intégrité territoriale et la sécurité nationale ». La Turquie a expérimenté cela avec vigueur, dès 1923. Les Kurdes de Turquie, plus grande minorité non turcophone du pays, ont dû se plier à la politique nationaliste d’Atatürk et abandonner la perspective d’obtenir des droits particuliers. Si en Irak, la royauté au pouvoir – de 1932 à 1958 – ignore les Kurdes, en 1958, le nouveau régime gouverné par Qasim, à tendance communiste, s’appuie sur cette population pour combattre les baassistes. En 1968, dès l’arrivée du Parti Baas, les dirigeants au pouvoir promeuvent un nationalisme arabe, qui vise à unir tous les peuple arabes dans une seule nation. On retrouve la même configuration en Syrie dès 1963 avec l’arrivée du Parti Baas au pouvoir, puis en 1970 avec Hafez el-Assad, Président de la Syrie jusqu’en 2000. Les baassistes se sont attachés à mettre en avant « l’exception arabe sur les autres minorités ethniques », avec des mesures coercitives visant à réprimer l’affirmation de l’identité kurde, précise Massoud Sharifi Dryaz. Pour le sociologue français, « dans le cadre du système international des États-nations, les acteurs non étatiques qui défient le pouvoir politique dominant sont considérés comme une menace pour la paix, la sécurité et l’intégrité territoriale et la souveraineté des États ».

Nul ne s’étonnera, dans ces circonstances, que la déstabilisation du Moyen-Orient par les États-Unis à partir des années 1990 puis 2000 ait profité, à bien des égards, au mouvement kurde.

Carte réalisée en 2006 illustrant la vision du Moyen-Orient de Ralph Peters, ancien lieutenant-colonel membre d’un think thank néoconservateur. Source: Ralph Peters, “blood boders : how a better Middle East would look”, Armed Forces Journal, carte réalisée par Chris Broz.

Au Kurdistan irakien et syrien, d’éternelles divisions.

C’est dans ce contexte – mais aussi du fait du rapprochement turco-syrien (1) – que le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), fondé en 1978 en Turquie, juge opportun de changer radicalement de doctrine. En 1995, au cinquième congrès du PKK, les dirigeants dont leur leader Abdullah Öcalan abandonnent la revendication de l’indépendance d’un Kurdistan, pour privilégier l’autonomie démocratique au sein de la Turquie. Puis, dès 2003, à la faveur de l’intervention en Irak et de la guerre civile syrienne en 2011, le PKK opte pour une régionalisation de la cause kurde (2). Avec un agenda socialiste, communaliste et libertaire – dans une région marquée tant par des régimes autoritaires que par la prédation des entités économiques multinationales -, la principale organisation kurde mise alors sur l’effondrement des États d’Irak et de Syrie en s’appuyant sur ses « organisations sœurs ». Le Parti de l’Union Démocratique (PYD) syrien a lui aussi fait de l’autonomie démocratique – par le biais d’institutions parallèles capables de concurrencer celles de l’État en place – un de ses fondements.

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À côté de soldats des Unités de résistance de Sinjar, le portrait d’Abdullah Öcalan, l’un des fondateurs du PKK. @ Kurdishstruggle

Les interventions en Irak et la guerre civile en Syrie ont aussi accéléré le processus d’autonomisation du mouvement kurde, tout en le poussant paradoxalement dans une logique de fragmentation. Après la guerre en Irak, en 2003, les États-Unis font endosser aux nationalistes kurdes irakiens le rôle de partenaires. Profitant de cette situation nouvelle, les dirigeants de ce Kurdistan irakien décident alors de ne plus se focaliser sur la lutte kurde dans les pays voisins. Selon le sociologue franco-kurde Abel Bakawan, « La « carte du Kurdistan » n’était plus commune à tous, car le Kurdistan du GRK s’arrêtait bien à la frontière de la Turquie, de l’Iran et de la Syrie. Le combat des Kurdes d’Irak ne se livrait plus pour l’intégration de Mahabad (Iran), de Diyarbakir (Turquie) et de Qamichli (Syrie) à la carte du Kurdistan du GRK.» Cette stratégie s’avère fructueuse et le Kurdistan irakien a pu acquérir une véritable autonomie – certes en partie acquise dès 1991 via le concours de la puissance américaine – en se dotant en 2005 d’une région fédérale reconnue dans la Constitution irakienne. Estimant que leurs revendications ont été suffisamment prises en compte et voyant la situation se dégrader grandement en Syrie, la majorité du mouvement kurde irakien ne souhaite guère s’étendre au delà du territoire du Gouvernement du Kurdistan Irakien (GRK). Un indicateur, s’il en est, que l’idée d’un État kurde est loin d’être unifiée et monolithique. 

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Carte issue d’un reportage de France 24 intitulé 24 HEURES À ERBIL. Au nord, en violet le Gouvernement régional du Kurdistan, avec comme capitale Erbil. En blanc, le pouvoir central irakien avec comme capitale Bagdad. Capture / @France24

En Syrie, les Kurdes sont résolument divisés. Les populations kurdes ne sont pas uniformément réparties sur le territoire ; selon la politologue syrienne Bassma Kodmani, ils seraient plus d’un millions entre Damas et Alep, et le reste dans le Nord-Est Syrien. C’est à la faveur du retrait volontaire en 2012 des troupes de Bachar el-Assad des provinces Nord et Nord-Est syriennes qu’est formé le Rojava (nommé en septembre 2018 AANES, pour “Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie”). Dans cette zone, on retrouve environ un million de Kurdes, dont de nombreux partisans du PYD – fondé en 2005 par certains militants du PKK turc. Le Rojava n’est pas pour autant un bloc homogène puisque les Kurdes y côtoient des Assyriens et des Arabes. La lutte contre l’État islamique constitue la raison d’être de la branche armée du PYD, les Unités d’élites de protection (YPG), auxquelles s’ajoute la brigade féminine des Unités de protection de la femme (YPJ).

Le 23 mars 2018, à Baghouz, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dont beaucoup de combattants sont des Kurdes, mettent fin au Califat de l’ÉI, après des mois d’une âpre bataille. Les nombreuses victoires acquises par les Kurdes ne doivent cependant pas voiler une réalité essentielle : celle de l’impotence des forces armées kurdes. Si les Kurdes possèdent une longue tradition guerrière et excellent largement dans l’art de la guérilla, leurs forces armées sont cependant caractérisées par un sous-équipement chronique. Sans un soutien occidental appuyé, leur efficacité militaire aurait été bien moindre.

L’obsession turque face à la question kurde

L’intervention turque du 9 octobre dernier, approuvée un bref temps par le président américain Donald Trump, avait pour objectif de briser la stratégie transnationale des Kurdes, sur fond d’enjeux électoraux internes (3). Depuis que le PKK a déclaré la guerre à l’État turc en 1984, les gouvernements n’ont eu cesse de vouloir endiguer toute menace (4), Ankara voyant dans le PYD syrien une émanation du PKK. Le 24 août 2016, avec l’opération « Bouclier de l’Euphrate » en Syrie, la Turquie décide de chasser Daech de la rive occidentale de l’Euphrate et d’empêcher le PYD de s’y installer.

Erdoğan lance alors, avec l’aval de Moscou, l’opération « Rameaux d’Olivier » qui débouche sur la bataille d’Afrin, visant une nouvelle fois le PYD. Finalement, avec l’opération « Source de paix », lancée le 9 octobre et terminée le 22 octobre, Erdoğan a de nouveau cherché à affaiblir le PYD et à sécuriser la partie orientale de la frontière syrienne. Une réussite relative, puisque le Président turc, qui avait présenté à l’ONU son plan d’installation d’un million de réfugiés Syriens dans cette poche de de 480 kilomètres de long, ne garde finalement la main que sur une zone longue de 120 kilomètres et large de 32 kilomètres.

Si la Turquie se réjouit de l’opération « Source de Paix », elle a pourtant multiplié les échecs en Syrie. L’instauration d’un régime à tendance islamiste, qu’elle appelait de ses vœux, a échoué. Le pays, qui s’est engouffré dans les affres d’une crise économique profonde, doit absorber dans le même temps trois millions de réfugiés syriens. Sans oublier que l’attitude pour le moins permissive de l’administration turque à l’égard des djihadistes étrangers qui ont rejoints les camps d’al-Nosra et de l’État islamique a largement favorisé l’entrée en scène des milices des YPG.

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Carte issue d’un documentaire d’ARTE regards, intitulé “Que vont devenir les détenus combattants de l’ÉI ?” En vert est matérialisée la zone tampon que le Président turc Recep Tayyip Erdogan veut instaurer. Capture / @Arte

La Syrie, précurseur d’un Moyen-orient « post-américain » ?

Donald Trump met quand à lui fin à une longue coopération avec les Kurdes, que les États-Unis ont pourtant abondamment aidés, notamment durant la bataille de Kobané. Un revirement qui ne surprendra guère ceux qui se sont penchés sur l’histoire tumultueuse des relations entre les Kurdes et les États-Unis. Après le déclenchement de la rébellion kurde de septembre 1961 dirigée contre l’État irakien, les États-Unis choisissent de ne pas intervenir, se rangeant de facto dans le camp de Bagdad. Tout change lorsqu’en 1968 Ahmad Hassan al-Bakr et Saddam Hussein prennent le pouvoir et se rapprochent de Moscou. Washington décide alors d’aider militairement les Kurdes, afin de conserver son hégémonie intacte dans la région. Une aide à laquelle les États-Unis mettent fin en approuvant les Accords d’Alger du 6 mars 1975, qui sonnent la fin du projet d’autonomisation des Kurdes irakiens.

De la même manière, en l’espace de quelques jours, Donald Trump est parvenu à approuver la décision turque d’intervenir au Rojava avant de sanctionner Ankara pour cette même intervention. Un tel revirement était prévisible. Le soutien américain aux entités kurdes d’Irak et de Syrie a envenimé les relations avec la Turquie.

Faut-il voir dans la décision de Donald Trump le souhait de maintenir une présence militaire, directe ou indirecte, dans la région ? Une telle motivation irait à l’encontre de la critique des endless wars, que le candidat Trump n’a cessé de marteler durant la campagne présidentielle et que la plupart des médias considèrent encore comme étant à l’origine de nombre de ses décisions politiques. En réalité, par-delà les discours et les cérémonies officielles, la politique étrangère américaine est marquée par un expansionnisme sans précédent depuis l’ère Bush et caractérisée notamment par une hausse considérable des sanctions économiques, ainsi qu’une augmentation faramineuse du budget militaire. La dimension isolationniste de l’agenda de Donald Trump au Moyen-Orient doit donc être considérablement relativisée. Le Secrétaire à la Défense Mark Esper a d’ailleurs déclaré que les Américains resteraient présents en Syrie, non loin de Deir ez-Zor, pour aider les FDS à protéger les puits de pétrole face à l’Etat islamique.

Trump maintient ainsi sa politique de palinodies et de revirements à l’égards des Kurdes syriens et du gouvernement turc, s’alliant avec les uns et les autres au gré des circonstances. Michael Klare, professeur au Hampshire College, l’a résumé de façon limpide : « « L’Amérique d’abord », et tous les autres pays appréciés en fonction d’un seul critère : représentent-ils un atout ou un obstacle dans la réalisation des objectifs américains fondamentaux ? ».

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Le Président américain Donald Trump en compagnie de son homologue russe Vladimir Poutine lors du G20 à Osaka. @ TheKremlin

Le moment Poutine

Alliée historique de Damas, la Russie a porté en Syrie son implication à des niveaux inégalés (5). Les dirigeants russes, à l’instigation de Bachar el-Assad, ont décidé d’intervenir en Syrie. Pour Vladimir Poutine, il fallait à tout prix éviter un scénario à la libyenne, marqué par une désintégration de l’appareil étatique. Le chef d’État russe avait également en tête la lutte contre le terrorisme. Un spectre hantait toujours les plus hautes sphères, celui de la vague de terreur qui a frappé la Fédération de Russie durant les deux guerres de Tchétchénie. Pour le Kremlin, la perspective d’un déferlement de combattants russophones venus rejoindre les rangs des organisations terroristes n’était pas à exclure. Elle s’est matérialisée lorsque plus de 5000 russophones, provenant principalement du Caucase du Nord et du reste de la Russie, se sont rendus en Syrie pour y combattre.

Finalement, le 30 septembre 2015, la première opération armée de Moscou en dehors des frontières de l’ex-URSS depuis 1979 est lancée. La Russie aura tout au long du conflit usé d’une fine stratégie géopolitique, prenant en compte le mauvais souvenir de l’intervention afghane de 1979 mais aussi celles des États-Unis en Irak et Afghanistan. Bien qu’elle ait terni son image sur la scène internationale en raison des bombardements meurtriers sur Alep, cette intervention lui a permis une victoire à moindre coût, sans enlisement.

Moscou a par ailleurs entretenu des relations globalement bonnes avec les Kurdes. Le conflit syrien n’a guère changé le donne, même si la Russie a pu faire pression sur l’AANES et les FDS afin qu’ils abandonnent leur alliance avec Washington. Si les relations entre la Russie et les Kurdes ont connu des refroidissements (lors de la bataille d’Afrin, les Russes ont donné le feu vert aux Turcs pour intervenir), le gouvernement russe a porté la cause kurde au forum d’Astana en janvier 2017, évoquant la perspective d’une « autonomie culturelle ». Avec l’accord du 22 octobre 2019, les dirigeants russes sont parvenus à stopper l’intervention turque, ce qui continue de démontrer leur faculté à déterminer les orientations en Syrie.

Quels arguments les représentants du Rojava peuvent-ils avancer pour accéder à une forme d’indépendance ou d’autonomie, hormis la nécessité de devoir anéantir l’État islamique ? Au confluent de divers États-nations bien décidés à garantir leur souveraineté, lieu d’abondantes ressources, il est destiné à jouer les subalternes. Une situation qui satisfait les grandes puissances, qui s’appuient sur les Kurdes au gré de leurs intérêts. La déstabilisation du Moyen Orient qui a conduit à la désintégration de la Syrie et de l’Irak aurait pu constituer la première étape vers la constitution d’un État kurde ; il n’en a rien été. Aujourd’hui, seul le Gouvernement du Kurdistan irakien semble tenir, même si le référendum d’indépendance organisé par Erbil a provoqué l’ire de Bagdad (6). Un Kurdistan irakien qui a mis de côté toute idée de solidarité avec son voisin syrien, le laissant en proie aux agendas des puissances locales et mondiales…

 


1. Le 20 octobre 1998, la Syrie déclare retirer son soutien au PKK et Abdullah Öcalan est expulsé de Syrie pour être remis aux autorités turques. La principale organisation kurde a alors largement craint pour sa survie.

2. Voir le très bon livre d’Olivier Grojean, La révolution kurde, le PKK et la fabrique d’une utopie, publié en 2017 aux Éditions La Découverte.

3. Sur l’action de la Turquie en Syrie et particulièrement sur l’instrumentalisation des enjeux de politiques internes, l’article de Jean-Paul Burdy intitulé « La Turquie d’Erdoğan dans un environnement régional recomposé » et paru dans le numéro de novembre-décembre 2018 de Questions internationales, apparaît fondamental.

4. Sur un récit exhaustif de la guerre en Syrie et de l’implication des grandes puissances, on conseillera l’excellent dernier livre de Gilles Kepel, Sortir du chaos, les crises en Méditerranée et au Moyen Orient, paru en 2018 aux Éditions Gallimard. 

5. Un exemple tout récent le donne à voir : le lancement de l’opération « Griffe », en mai 2019, visant à affaiblir le PKK au Nord de l’Irak.

6. Bagdad a par ailleurs repris dans le même temps la province pétrolifère de Kirkouk, ce qui montre une nouvelle fois l’importance des ressources naturelles dans la question kurde.

7. En 2017, Erbil a organisé un référendum d’indépendance, approuvé à 92% par les Kurdes irakiens en 2017. Cependant, le pouvoir central a brisé toute velléité d’émancipation en refusant de reconnaître le référendum d’indépendance.

« Le malheur des Kurdes est d’occuper un territoire trop géostratégique » – Entretien avec Mehmet Ali Doğan

Combattantes kurdes Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:YPJ_fighters_3.jpg
Combattantes kurdes. @Wikimedia Commons

Mehmet Ali Doğan, anthropologue spécialiste de la question kurde, a accepté de répondre à nos questions et de nous éclairer sur la situation actuelle au nord-est de la Syrie. Entretien mené par Eugène Favier-Baron, Elsa Margueritat et Sylvain Pablo Rotelli. Retranscrit par Dany Meyniel.


LVSL – On entend souvent parler du peuple kurde un peu comme d’une catégorie homogène. Pourriez-vous nous éclairer sur les différentes tendances qui traversent la communauté kurde et sur les rapports de force qui existent en son sein ? plus particulièrement, quelle était la spécificité de l’établissement kurde au Rojava pour cette communauté dans sa diversité ?

Mehmet Ali Doğan – Les Kurdes forment une communauté ou bien une nation de plus de quarante millions d’habitants, composée naturellement d’athées, de religieux, d’individus de divers sensibilités politiques, au même titre que les français ou les palestiniens. Le malheur des Kurdes est d’occuper un territoire au croisement de trop d’enjeux géostratégiques. Si le peuple kurde n’a pas bénéficié d’un État durable dans son histoire, c’est parce que le territoire qu’ils revendiquent a toujours été convoité par les puissances grecques, romaines, arabes puis turques.

Au XIXe siècle l’Empire ottoman perd du pouvoir et impose pour la première fois aux Kurdes et aux Arméniens le service militaire obligatoire. Ceux-ci refusent, le service militaire n’ayant pas été obligatoire jusque-là (il s’agissait alors d’une armée professionnelle). Les Arméniens bénéficiaient d’un certain avantage : ils géraient la petite industrie de la manufacture ainsi que l’éducation et le commerce. Parmi les groupes ethniques présents au sein de l’Empire ottoman, les Arméniens étaient les seuls à avoir adopté les modèles nationalistes européens, tandis que les Kurdes avaient conservé leur structure féodale et une organisation tribale au sein de leur région.

Au XXe siècle, parce que les Arméniens bénéficiaient de cette avancée, le mouvement des Jeunes-Turcs, calqué sur le modèle jacobin, fait son apparition. Pourquoi avoir suivi ce modèle plutôt que celui suisse ou allemand davantage tolérants à l’égard des groupes ethniques ? Parce qu’en adoptant ce modèle, les Arméniens auraient pu prendre le contrôle d’un nouvel État, d’une nouvelle République, étant eux-mêmes plus intégrés du fait d’une culture pré-capitaliste. C’est dans ce contexte que survient le génocide arménien. Une partie des Kurdes a accepté de faire partie des brigades qui ont persécuté les Arméniens, contre la promesse d’une plus grande autonomie au sein de la République turque. En 1923, année de naissance de cette République, cette promesse ne fut pas honorée et les Kurdes ont commencé à se révolter. On assiste alors principalement à des révoltes tribales, sans réelle dimension nationale. Entre 1923 et 1938, plus de 500 000 Kurdes sont assassinés.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, et sous l’influence de l’Union soviétique et du socialisme dans la région, les Kurdes ont commencés à créer des mouvements d’obédience socialiste. En 1945, Joseph Staline apporte son soutien au Parti Démocratique du Kurdistan qui fonde alors une République dans la région de Mahabad en Iran, qui ne subsistera guère longtemps. Un an durant, l’Armée Rouge y empêche l’intervention de militaires iraniens. Le gouvernement iranien négocie alors avec l’Union soviétique afin de trouver une solution concernant les divers mouvements séparatistes qui s’étaient dotés de régimes autonomes cette année-là. Ces négociations se soldent par la fin de la République du Mahadab de la main des militaires iraniens, encouragés et armés par les Etats-Unis. Tous les dirigeants de ce petit Etat indépendant furent massacrés et ceux qui ont pu se sauver se sont réfugiés à Moscou, notamment Molla Mustafa Barzani, le père de Masud Barzani .

L’Union Soviétique, dans le contexte de la Guerre Froide, finit par retourner en Irak afin de libérer certains Kurdes. Jusqu’en 1975, l’URSS soutient les Kurdes contre le parti Baas, le parti de Saddam Hussein, en Irak. Mais à partir de cette date, les soviétiques négocient avec Bagdad et s’engagent à ne plus défendre les Kurdes. Barzani, qui a alors dix ans de formation bolchévique et communiste et qui s’avère être un chef tribal sans véritable objectif politique, part pour Washington. Dès lors, les États-Unis n’ont cessé de soutenir la cause kurde face au régime irakien – d’où un rapprochement pragmatique entre les Kurdes d’Irak (se sentant trahis par l’URSS) et les États-Unis.

Le mouvement de jeunesse de 1968 en France a connu une grande influence en Turquie, puisqu’elle bénéficiait de davantage d’outils de communication, de relations économiques, commerciales et diplomatiques avec l’Europe que ses voisins. Les Kurdes de Turquie ont donc été très inspirés par mai 1968 et vont jusqu’à créer leur propre mouvement de jeunesse. En 1978, c’est la naissance du Parti des Travailleurs Kurdes, le PKK, d’idéologie marxiste-léniniste. L’étymologie du nom fait référence à l’influence exercée par la révolution vietnamienne et le Parti des Travailleurs du Vietnam à Hồ Chí Minh. Le parti se calque même sur le modèle d’unification du Nord-Vietnam et du Sud-Vietnam en souhaitant unifier le sud et le nord du Kurdistan (sud de l’actuelle Turquie) de façon comparable.

Après le coup d’État militaire de Kenan Evren le 12 septembre 1980, le PKK et son leader Abdullah Öcalan se réfugient en Syrie puis au Liban aux côtés des palestiniens réfugiés à Beyrouth. Ils commencent alors pour la première fois à former la guérilla professionnelle du PKK. En août 1984, le PKK entame une insurrection dans la région de l’Anatolie du Sud-Est. Cette action entraîne beaucoup de sympathie, y compris parmi les militants pacifiques et notamment en raison de la terreur qui régnait en Turquie depuis le coup d’Etat militaire. Le nouveau gouvernement d’alors se montre beaucoup plus répressif que ses prédécesseurs à l’encontre des Kurdes. On recense à peu près 600 000 arrestations, tortures et assassinats. La guérilla apparaît alors comme le seul moyen de répondre à la violence du gouvernement d’Evren.

A partir de 1990, les effectifs de la guérilla du PKK atteignent près de 20 000 guérilleros, un nombre que les Turcs n’avaient pas anticipé. La lutte armée connaît alors beaucoup de succès en limitant considérablement le nombre de victimes civiles. le PKK évite les affrontements dans les zones civiles par crainte d’être qualifié au niveau international d’organisation terroriste.

En 1998, à l’occasion du sixième congrès du PKK, Öcalan, qui se trouve alors en Europe, souhaite établir une politique qui ne prévoit plus la création d’un nouvel Etat kurde, concept qu’il ne juge plus adapté aux logiques du XXIe siècle. Le PKK met alors en avant une idéologie confédérale démocratique au détriment de son idéologie marxiste dogmatique. Désormais le PKK s’interroge sur l’État-nation et ses caractères sur la domination d’un petit groupe ou d’une classe, sur les classes populaires, la domination d’un groupe ethnique, linguistique, religieux ou culturel sur les autres, la domination de l’homme sur la femme ainsi que sur la question du productivisme et de l’industrialisation aveugle des États au détriment des peuples et de la planète. D’autres peuples comme les Arabes, les Persans, les Arméniens et même certains Turcs ont approuvé cette nouvelle tendance et ont voulu y participer. C’est ainsi que s’explique le succès du Parti Démocrate des Peuples en Turquie qui lutte dans des conditions incroyables ; une moitié des dirigeants étant en prison, l’autre risquant sa vie au quotidien.

Le KCK est ensuite constitué, le groupe des communautés au Kurdistan, qui réunit non seulement les Kurdes de Turquie mais également les Kurdes d’Iran, d’Irak et de Syrie. La condition sine qua non pour faire partie de cette organisation est l’acceptation du principe de confédéralisme démocratique, et le rejet de l’idée de création d’un État national. Dans l’optique, par exemple, de libérer les Kurdes d’Iran, il faudrait ainsi démocratiser l’Iran et obtenir des droits culturels, économiques, sécuritaires et politiques dans le pays. On ne peut demander aux Kurdes qui vivent en-dehors de la région du Kurdistan de revenir, au risque d’adopter le même modèle qu’Israël.

Après l’intervention américaine de George W. Bush, les Kurdes d’Irak ont eu accès à une bien plus grande autonomie, ce qui a eu pour effet de faire émerger une toute nouvelle bourgeoisie. 40% du pétrole irakien est alors géré par les Kurdes d’Irak qui préfèrent continuer de vivre dans ce nouveau système néo-libéral au détriment des Kurdes du Nord. Barzani s’était alors souvent allié avec la Turquie pour ses propres intérêts économiques, sa famille gérant une zone riche en pétrole et en ressources de gaz naturel. Le type d’indépendance revendiqué est comparable à celle des catalans : une indépendance économique qui s’affranchit de l’unité kurde. Dans cette conception, il est possible de vivre avec les peuples voisins, car ce sont les États qui sont coupables de répression, or le précédent israélo-palestinien est une impasse.

Le Kurdistan syrien a donc suivi ce projet, jusqu’en 2011 et jusqu’au Printemps arabe. Ce printemps devint très rapidement un hiver arabe en raison du soutien des puissances mondiales au mouvement des Frères musulmans, créé à l’origine pour lutter contre l’Union soviétique durant la Guerre Froide, en Tunisie, en Egypte mais également en Libye. Cette dernière a connu une intervention contre Kadhafi pour finalement tomber dans les mains d’organisations liées à Al-Qaïda.

L’intervention en Syrie a donné lieu à un schéma similaire. La Syrie, c’est seulement 60% de la population qui se trouve être sunnite. Parmi les 40% restants, il y a des alaouites, des chrétiens, des juifs, etc. La majorité sunnite n’avait pas accès au pouvoir, et la famille de Bachar al-Assad étant alaouite, à mon sens, la France de Sarkozy, les Européens et les États-Unis ont provoqué la guerre en Syrie en voulant sortir de la dépendance à la Russie en terme de gaz naturel. Le Qatar avait alors proposé à ces pays d’exporter du gaz naturel, transitant par la Syrie, mais Bachar al-Assad a refusé au motif de relations d’alliance avec son partenaire russe. Les gouvernements se sont alors alliés aux groupes rebelles de manière aveugle. Ces groupes étaient présentés comme des organisations ayant pour but de démocratiser la Syrie. Les Kurdes ont alors refusé de participer à ce conflit armé et ont constitué des unités d’auto-défense (YPG), l’armée syrienne étant occupée à éradiquer les groupes rebelles. Durant cette période trouble, les Kurdes ont eu l’occasion de commencer à appliquer le modèle confédéral démocratique. Ce modèle, je le rappelle, se pose contre la domination d’une classe sur l’autre, d’un groupe ethnique ou religieux sur un autre, contre le sexisme et souhaite mettre en place un système d’éducation égalitaire. A titre d’exemple, on pourrait citer la lutte des femmes kurdes contre Daesh qui ont participé à la libération de la partie nord et de la partie est de la Syrie.

Les Turcs ont eu peur que les Kurdes parviennent à se doter d’un territoire qui irait jusqu’à la Méditerranée avec une autonomie confédérale démocratique. Ils ont donc attaqué la ville de Jarablus sous prétexte de la libérer de Daech. En moins de douze heures, les quinze mille combattants de Daesh ont laissé la ville aux Turcs sans qu’il n’y ait eu un seul mort. La Turquie a revendiqué cette victoire, qui est un voile d’illusions. Les combattants de Daesh ont rasé leur barbe et ont mis des uniformes de l’armée nationale syrienne. Le constat est le même pour la ville d’Idlib. Cette stratégie n’a servi qu’à endiguer l’avancée kurde. La conquête kurde n’était pas seulement militaire, c’était l’expérimentation d’un nouveau modèle qui ne faisait pas peur qu’aux Turcs. Un modèle qui entend réformer le capitalisme et mettre en place un socialisme dogmatique et qui fait ses preuves depuis 2012. Selon moi, l’attaque turque n’est pas purement anti-kurde mais est aussi motivée politiquement. La réaction du président Donald Trump en témoigne : il s’oppose alors à une organisation jugée marxiste, communiste ou encore anarchiste. Finalement, la République du Rojava a été parfaitement instrumentalisée contre l’Etat islamique, servant également à laver l’image des États-Unis qui avaient aidé dans les premiers temps de la révolution syrienne des organisations islamistes.

LVSL – Quelles instabilités régionales le conflit peut-il à terme générer ? Peut-on s’attendre à une résurgence de Daesh après l’offensive turque ? 

MAG – Effectivement, une résurgence de Daesh est possible, mais pas de la part des prisonniers, qui sont bien contrôlés par les Kurdes. La menace islamiste, si elle doit resurgir, le fera d’abord à Idlib ou Jarablus, ainsi que depuis les autres régions désormais contrôlées par les Turcs qui ont envoyé durant l’offensive des milliers de mercenaires formés par l’Armée nationale syrienne. Désormais, ils occupent la partie nord de la Syrie, ce qui constitue une infraction directe aux règles des Nations Unies. L’Armée nationale de Syrie ne représente absolument pas celle de la République de Syrie. Parmi ces mercenaires, une trentaine d’organisations sont liées à Al-Qaïda. On peut ainsi citer l’exemple de Soliman, dont le nom fait référence à l’un des sultans turcs durant l’Empire ottoman. D’autres sont les héritiers directs de Daesh, qui ont simplement changé leur nom au moment de l’invasion turque. Certes, avec les accords russes et américains, les Kurdes peuvent rester dans la région. Cependant, ces organisations sont anti-alaouites et surtout anti-kurde. Comment assurer la stabilité de la région avec ces organisations qui contrôlent désormais les villes d’Idlib, Afrine, Jarablus et Ras al-Ayn ? Donc oui, il peut y avoir une résurgence de Daesh dans ces villes, mais certainement pas depuis Rakka qui est contrôlée. Évidemment, si la Turquie décide de bombarder Rakka, le péril peut revenir mais ça ne semble pas être le cas pour le moment. Au contraire, il semblerait que les Turcs souhaitent davantage créer un conflit durable entre ces organisations et les Kurdes. Lorsque Erdogan menace l’Europe d’une vague de réfugiés, il évoque clairement le destin de ceux-ci s’ils ne sont finalement pas envoyés en Occident : le projet d’Erdogan est de les envoyer dans les zones désormais occupées par les mercenaires. La majorité de ces réfugiés sont des Turcomans et des Arabes de confession sunnite, ce qui faciliterait la manipulation par les islamistes de ces familles. Il est donc clair que la politique d’Erdogan concernant la région est d’y semer un conflit qui pourrait durer des dizaines d’années.

LVSL – Sur quoi la configuration bi-partite actuelle, entre d’un côté un accord kurdo-syrien et de l’autre un accord russo-turque peut-elle déboucher ? L’Occident est-il hors jeu dans une telle équation ? Quelles vont êtres les conséquences pour les Kurdes dans la région ? Ne craignez vous pas que l’accord avec Al-Assad se solde par un renoncement territorial [la Russie a annoncé le retrait total des populations kurdes depuis, ndlr] ?

MAG – De mon point de vue, la seule solution, et je crois qu’elle est entrain de se réaliser, est celle d’un accord entre les Kurdes de Syrie et le gouvernement syrien. Les deux ont en commun de vouloir défendre des territoires syriens. Les Kurdes dans cette région ne sont pas tant attachés à leur indépendance qu’à la garantie que les droits culturels, ethniques ou religieux – pas seulement des Kurdes, mais aussi des populations qui cohabitent dans cette zone – soient respectés, et que leur soit reconnue certaine autonomie politique. Or, ni les Américains ni les Russes, qui chacun ont leur part d’intérêts dans la région, ne sauraient fournir une telle garantie.

L’une des dernières réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies portait sur le sort des milliers de Kurdes qui avaient été chassés de chez eux. Le gouvernement syrien a alors immédiatement défendu les Kurdes, du moment que les Turcs et les organisations islamistes sortaient du territoire syrien. Les Turcs bénéficient d’un soutien direct ou indirect de la part des États-Unis. L’armée syrienne, avec l’appui des Russes avec qui ils entretiennent une alliance militaire antérieure à la guerre civile, ont réussi à reprendre certaines villes comme Manbij, Qamichli et Kobané. La Russie peut certes être un allié de circonstance, mais sur le long terme, je suis opposé à la présence des Russes sur le territoire syrien. En tant qu’elle est une puissance mondiale, la Russie entretient un jeu trouble avec la Turquie et l’Arabie Saoudite ; elle ne peut être un acteur de confiance. C’est entre les mains du peuple syrien que doit résider la solution.

Parallèlement, dans les années 1960, le parti Baas a décidé de créer un corridor arabe dans la région en chassant les Kurdes. La Turquie fait aujourd’hui la même chose, en installant en Syrie du nord des Arabes mais également des pro-turcs. Le gouvernement syrien et la République du Rojava se posent totalement contre cette politique de colonisation qui peut engendrer un autre conflit dans la région.

LVSL – La Communauté internationale s’inquiète de ce qui a pu être qualifié de volonté génocidaire des Turcs à l’encontre du peuple kurde, est-ce-que selon vous il y a une véritable volonté de nettoyage ethnique [on peut penser par exemple aux circonstances de l’assassinat politique de Havrin Khalaf] ? Craignez-vous que ce genre d’exaction puisse embraser une situation déjà tendue avec la communauté kurde de Turquie ?

MAG – Le timing de cette intervention turque interpelle. Erdogan a été affaibli par les élections municipales d’Istanbul et l’opposition a remporté une première manche contre l’AKP, qui est en train de se diviser en trois factions. C’est ce moment-là qu’a choisi le président Erdogan pour créer une ambiance nationale. Les partis, que ce soit le CHP kémaliste ou d’autres ont été obligés de soutenir cette intervention parce qu’Erdogan l’a placée sur le terrain de la sécurité nationale. Ce sont les mêmes rouages qu’ont utilisé les Jeunes-Turcs après la première guerre mondiale contre les Arméniens. L’accent est mis sur l’exacerbation nationale, les Kurdes sont traités de traîtres, de terroristes, tout comme les Arméniens étaient accusés d’être amis des Russes ou des chrétiens. Or concrètement, les Kurdes de Syrie n’ont commis à ce jour aucun acte terroriste contre la Turquie, il s’agit d’un mensonge total. Si la totalité des Kurdes ne sera probablement pas directement prise pour cible, l’armée turque sous-traite une partie des opérations actuelles à des milices qui sont souvent d’ex-islamistes recyclés par la Turquie.