Défaire la capture capitaliste de l’industrie

Travail de soudure @pxhere

L’industrie renvoie aujourd’hui de manière quasi-inéluctable à des connotations négatives, renforcées par des constructions substantives telles que « l’industrie pharmaceutique », « l’industrie agro-alimentaire », « l’industrie nucléaire » et autres. Celles-ci servent bien à désigner un certain empire de grandes puissances économiques privées, pernicieuses pour le bien commun. Toutefois, si ces expressions incluant l’industrie ont certes une teneur évocatrice et performative pour notre camp, leur composition est en réalité incorrecte, et leur recours, mutilant.


De l’assimilation de l’industrie au capitalisme

A l’instar d’autres formes nominales, l’industrie est trop souvent personnifiée telle un ensemble unifié. Elle se voit associée à une période de l’histoire, contemporaine et certes très courte, mais provoquant continûment des transformations majeures, faisant se constituer selon certains une « civilisation industrielle »(1) manifeste. Dès lors, étant donné que beaucoup d’éléments constitutifs de notre société nous écœurent, notre époque est automatiquement confondue avec l’industrie. Pourtant, il nous faudrait en vérité l’appréhender, en soi, en tant qu’activité humaine neutre de production (telle que définie dans la partie suivante). La principale raison se trouve dans le fait que l’industrialisation atteint aujourd’hui un stade avancé et intensif dans l’ensemble des territoires mondiaux. D’autre part, qu’elle se dynamisa profondément à une période – dite « âge industriel » – où les préoccupations écologiques et revendications sociales étaient peu prégnantes et/ou pas assez structurées. Cette évolution a permis la fortification hégémonique du capitalisme en tant que modèle de production et d’organisation des sociétés. Comme l’a analysé Marx, l’expansion capitaliste trouve sa genèse dans une histoire longue (l’accumulation primitive), mais s’est ardemment cristallisée via l’inédite dynamisation industrielle. Par répercussion, l’industrie a rapidement et fortement été assimilée à tout ce qui institue depuis l’hyper-domination capitaliste : immenses quantités de production et automatisation substituant l’Homme, division et aliénation du travail, déconsidération sociétale (c’est-à-dire sociale et environnementale) des activités. C’est cela qui a puissamment appuyé – et appuie de plus en plus – la proximité analogique de la terminologie des deux notions-mouvements dans les représentations.

Ainsi, souvent, l’industrie, en tant que boîte à outils, ou l’industrialisation, son processus de croissance, servent en réalité à désigner le capitalisme comme système de production particulier ou plus précisément comme mouvement d’expansion capitalistique dans les activités économiques. Dès lors, s’il est certain que le capitalisme a depuis incorporé presque toutes les activités économiques (intégration des fondements capitalistes cités précédemment), c’est pourtant souvent « l’industrialisation » de toutes ces activités qui est l’expression utilisée avant toute autre pour évoquer cette évolution.

Le « Houston Express », cargo porte-conteneur de fret, au port d’Hambourg

En effet, l’incorporation capitalistique dans l’industrie s’est-elle rapidement constituée à partir de l’« âge industriel », fort notamment d’une mécanisation en effusion. Or, nous avons longtemps et clairement distingué l’industrie et l’agriculture, jusqu’à ce que l’automatisation et surtout la mécanisation ainsi que la chimie surgissent significativement dans le secteur primaire. Les exploitations se sont agrandies conséquemment et de grandes organisations marchandes se sont formées, intensifiant et complexifiant les échanges qui s’internationalisent, etc. Cette dynamique ainsi présentée est souvent qualifiée « d’industrialisation de l’agriculture », à laquelle on adosse une pensée sous-jacente de réprobation. De ce fait, on assimile le processus d’industrialisation à l’intégration dans les activités agricoles des logiques capitalistes, déconnectant les travailleurs de l’appréciation de leur manière de produire et des finalités de leurs productions. Pourtant, s’il est incontestable que certaines de ces évolutions techniques et physico-chimiques dénaturent le métier agricole, déshumanisent les agriculteurs en usant de produits nocifs pour la santé et stimulent la catastrophe écologique par le gigantisme productif, il est tout aussi irréfutable qu’en même temps certaines de ces évolutions ont améliorées les conditions de travail générales.

L’industrialisation en tant que processus cohérent est toujours associée à une idéologie politique motrice et dominante qui oriente l’usage des évolutions techniques et chimiques et transforme les activités. Il s’agit ici du capitalisme comme il aurait pu s’agir en d’autres temps d’une idéologie politique tout autre (2). De la même manière, l’activité industrielle agro-alimentaire renvoie elle encore davantage le discrédit sur l’industrialisation, lorsque c’est encore le capitalisme qui est véritablement en cause. Les opinions sociales critiques à propos des industries agro-alimentaires s’orientent souvent sur l’origine insignifiante des aliments commercialisés (allongement et intensification des échanges et des circuits alimentaires), sur la déshumanisation de la production alimentaire (immenses quantités de productions dans des usines automatisées), et la transformation des aliments (par des procédés physiques et chimiques). Sans le savoir, ce que nous dénonçons dans le cadre de ces exemples, et à juste titre, n’est donc pas l’activité agricole ni l’industrie agro-alimentaire en tant que telles, c’est en réalité l’industrialisation capitaliste des activités agricoles et agro-alimentaires (dans le sens de l’incorporation des logiques et finalités économiques capitalistes).

« Il s’agit bien via la terminologie ‘‘industrie’’ d’une dénonciation du capitalisme lui-même comme modèle destructeur dont toutes les rationalités sont guidées par le sacro-saint profit »

En sus, l’industrie est également attachée en soi à des activités prédatrices sans limites des ressources, responsables de l’artificialisation immodérée des sols et de la destruction sans pénitence des espaces naturels et de leur espèces vivantes (faunes et flores). Le rapide processus expansionniste de l’industrialisation n’a pas permis d’apprécier au plus tôt les externalités sociales et environnementales de leur activité. Cette représentation est l’une des plus ancrées socialement car longtemps dans le développement industriel de nos sociétés, l’environnement notamment n’était qu’une variable négligeable pour tous. L’industrie se rapporte aussi quasi-exclusivement à une idée de la grande échelle, à de grandes infrastructures de productions et des productions de masse, à de grands groupes souvent internationalisés et désencrés territorialement et conjoncturellement. Or, ici encore, l’idéologie capitaliste induit cette déconsidération de l’environnement, mais ce qui fait sa spécificité, c’est l’obstination systémique de ces éminents acteurs (États, institutions internationales financières et commerciales ainsi que multinationales) à freiner tant que faire se peut toute volonté de mutations majeures qui devraient raisonnablement s’imposer pour préserver l’écosystème actuel.

Par ailleurs, le mot industrie renvoie également à une certaine organisation-type, à des normes et à des conditions de travail propres aux organisations du capitalisme. Elle se rattache ainsi souvent dans l’imaginaire commun à des films ou photographies plus ou moins dépassés où figurent des ouvriers (parfois mineurs) assujettis à des postes individualisés (spécialisation) et des tâches répétitives (rationalisation), et dans des lieux peu salubres (les exemples les plus évocateurs étant les mines ou bien les grands ateliers de construction automobile). L’industrie renvoie ainsi à cette structuration-type, bâtit sur la rupture hiérarchique élémentaire mais éminemment conventionnée entre un sommet stratégique (pouvoir décisionnel) et un centre opérationnel (masse des travailleurs enrôlés). Cette division du travail aliénant les travailleurs, initiée dans les modèles tayloristes et fordistes est-elle aussi adossée à l’industrie dans son identité-même, bien que ce soit l’industrialisation comme nature et forme capitaliste de ces activités qui demeure en réalité réprouvée.

En somme, l’industrie est assimilée aux acteurs économiques privés, dont les activités, les organisations et/ou les externalités nous repoussent. Généralement ces acteurs sont des grands groupes, certains pouvant se situer dans plusieurs branches et/ou secteurs d’activité. Ces acteurs s’adonnent à d’intenses campagnes de lobbying, effectuées sur les institutions politiques nationales, européennes, mondiales et dont les intérêts ne se recoupent que peu avec l’intérêt général des sociétés. Associé dans l’inconscient à ses acteurs, il est donc certain que le substantif « industrie » sert bien à nommer et qualifier quelque chose. Ce signifiant dispose même d’une grande puissance performative et totalisatrice. Mais en fin de compte, il s’agit bien via la terminologie « industrie » d’une dénonciation du capitalisme lui-même comme modèle destructeur dont toutes les rationalités sont guidées en premier lieu par le profit, au détriment d’une organisation sociétale à visée égalitaire, raisonnable et harmonieuse avec la nature. Autrement dit, avec une rigueur diachronique, nous avons une confusion entre un outil multiforme qu’est l’industrie et son fonctionnement actuel porté par des logiques propres au capitalisme.

Alors, pour concrétiser définitivement le dévoilement de cette inexacte signification terminologique du signifiant « industrie », il nous faut maintenant étayer notre approche en remettant en perspective l’origine sémantique du terme. Comment vraiment appréhender l’industrie ?

Réhabiliter l’industrie en tant que substantif neutre

Nous le verrons dans l’article prochain, cette entreprise de signalisation et de réhabilitation de l’industrie est inévitable pour que nous puissions tout reconstruire et tout réinventer dans le cadre de l’édification d’un projet politique authentiquement progressiste. Le substantif neutre d’industrie a subi un engloutissement idéologique comparable à celui subi par certains signifiants historiquement plus ou moins rapportés à une voie politique particulière (exemple : la « gauche »). Le capitalisme investit ces signifiants pour décontenancer et affaiblir les discours hétérodoxes. Dès lors, la reconstruction du camp progressiste ne passera pas seulement par l’investissement de signifiants vides, mais aussi par la reconquête de la neutralité de certains substantifs prépondérants, sans quoi, nous finirons bouche bée. Notre ambition ne doit donc pas être d’investir à notre tour dangereusement le substantif industrie dans un sens orienté, quel qu’il soit, mais bien de rétablir préalablement sa neutralité étymologique afin d’en dévoiler l’enjeu politique que constitue justement son inscription dans un projet politique à proposer. 

L’industrie se définit telle « l’habilité à réaliser un travail, à exécuter, à faire quelque chose »(3). Pourtant, ce terme s’affirme dans l’espace occidental en tant que signifiant seulement à partir de la seconde partie du XVIIIème siècle(4), lorsque Diderot la présente ainsi dans son encyclopédie : « ce mot signifie deux choses ; ou le simple travail des mains, ou les inventions de l’esprit en machines utiles, relativement aux arts & aux métiers ; l’industrie renferme tantôt l’une, tantôt l’autre de ces deux choses, et souvent les réunit toutes les deux. »(5). À partir de cette linéature, l’industrie s’identifie à une histoire bien plus lointaine que la représentation dominante à laquelle elle renvoie aujourd’hui et à rebours de ce que l’on croit, englobe évidemment l’artisanat.

L’industrie a bien entendu une existence pré-capitaliste, marquée par des innovations et des fabrications en petites ou grandes échelles. Disons-le, elle a incessamment été à travers l’Histoire humaine l’un des facteurs du progrès humain : des premiers outils de la Préhistoire à la fabrication du feu, de la confection des vêtements et des armes blanches aux activités de poteries dans l’Antiquité, l’édification des moulins au Moyen-âge, de l’imprimerie typographique mobile de la Renaissance aux premières manufactures, des innovations techniques incroyablement transformatrices au cours des révolutions industrielles jusqu’à aujourd’hui (vapeurs, charbon, électricité, internet) et de l’ensemble de nos objets d’usages et de conforts quotidiens (vélos, vaisselles, parapluies, stylos, literies etc.). Comme le disait justement Jaurès : « L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention et la perpétuelle évolution n’est que création ». Et s’il doit y avoir un terme pour désigner cette activité incessante de création, c’est bien l’industrie.

Travail ouvrier de découpe de carrelage à l’aide d’une meuleuse

Il ne s’agit cependant pas là d’affirmer niaisement que l’évolution (entraînée récemment par l’évolution industrielle) mène naturellement au progrès, les reculs sociaux et colères populaires liées aux politiques contemporaines mettent en branle cette idée. Mais, si cette illusion a pu s’ancrer socialement, c’est surtout du fait qu’au moins trois générations successives post-Seconde Guerre mondiale ont vu leurs conditions matérielles d’existences être considérablement améliorées au cours de leurs vies-mêmes via un important développement industriel (qui a façonné géographiquement et culturellement des territoires). Cependant, nous en convenons, ceci s’est produit à défaut d’une lente prise de conscience écologique, arrivée tardivement dans le processus. Néanmoins, il serait aussi incorrect et ridicule de dire que l’industrie dans l’ère de domination capitaliste n’a orienté l’évolution humaine que négativement ou de façon inerte. Et même lorsqu’elle a pu le faire, elle n’a pu totalement empêcher le mouvement progressiste d’y trouver des failles pour avancer.

L’obligation qui nous incombe n’est donc pas de dissocier fondamentalement ère capitaliste et ères de progrès possibles. Il s’agit de déconstruire l’idée que seul le capitalisme pourrait s’accaparer les possibilités d’engendrer des progrès, surtout d’un point de vue matériel. Ce, même s’il nous semble que les plus prégnants ont surgi dans une période concomitante au développement de l’industrie et du capitalisme. Le terme « industrie » ne se rapporte aucunement par nature à des processus techniques, à de grandes proportions de fabrications, à des structurations de travail type ou à des finalités idéologiques. Il est pluriel et neutre politiquement, facteur potentiel et intemporel d’évolutions (progrès ou décadence). Il ne s’agit donc pas aujourd’hui de « la » civilisation industrielle comme certains s’y trompent par mésaventure(7) mais « d’une » civilisation industrielle essentiellement appariée au capitalisme, formant une alliance désastreuse sur le plan social et écologique et menaçant le politique.

« Leur schème tactique est le suivant : si nous réfutons le capitalisme, nous réfutons par lui-même l’industrie et par conséquent les progrès réels qu’elle a apporté et pourrait apporter »

Le risque qu’entraine l’assimilation d’une équivalence entre l’industrie et le modèle économique de la société actuelle est précisément de construire une représentation de l’industrie telle qu’un constitutif exclusivement apparenté à une économie capitaliste (dans un régime néo-libéral prédominant) appuyée par les activités productives et servicielles des grands groupes privés. Cela ne peut que nous enfermer dans une geôle et nous empêcher toute idée alternative de ce que pourrait être l’industrie, en termes d’organisation, de culture et de finalité, au service d’un certain progrès (fait d’urgences sociales et écologiques). Pire, ceci appuie le propos de nos adversaires lorsqu’ils nous catégorisent comme hostiles à l’idée même de progrès qu’ils seraient les seuls à porter, nous renvoyant à des reculs passéistes, donc des désirs régressifs. Leur schème tactique est le suivant : si nous réfutons le capitalisme, nous réfutons par lui-même l’industrie et par conséquent les progrès réels qu’elle a apporté et pourrait apporter. C’est une combinaison fourbe mais pour le moins performative aujourd’hui.

Il est désormais impérieux d’opérer dans les discours cette distinction, souvent absente. Elle est nécessaire pour déconstruire sa représentation dominante ( appariée au capitalisme productif et financier) et l’industrie entendue comme activité neutre, pouvant s’adapter organiquement à tout autre régime de production, potentiellement plus souhaitable. Si nous ne l’affirmons pas et continuons à entretenir l’illusion d’une indissociabilité de celle-ci au capitalisme, nous légitimons par-là l’idée que ce dernier constitue le mode de développement intemporel et donc indépassable de l’humanité. Prisonnier de cette confusion idéelle, nous resterons éternellement enfermés dans un camps supposé opposé au progrès, nourrissant la construction macronienne à l’œuvre(8) d’un clivage scabreux et sclérosant entre progressistes et nationalistes. À l’inverse, si nous comprenons alors la confusion régnante et grandissante, nous nous permettrons d’envisager un développement fort d’une industrie pouvant se reconnecter aux nécessités sociétales. Nous pourrons donner de la légitimité et une aura à un discours ambitieux renvoyant à la fois à la modernité et au progrès tels que nous les entendons.

L’histoire longue de l’industrie doit nous permettre et nous forcer à penser une existence industrielle post-capitaliste. Ainsi réentendue dans l’imaginaire collectif, une conception apolitique de l’industrie, par abstraction de tout contexte, doit nous permettre de dévoiler le caractère idéologiquement intéressé de son usage confus. Elle doit surtout nous permettre de projeter un développement industriel responsable et salvateur, ancré aux territoires et à la conjoncture mondiale.

À suivre.

Références :

[1] https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/271217/le-partage-critique-radicale-de-la-civilisation-industrielle

[2] http://www.revues.msh-paris.fr/vernumpub/1-Ribeiro.pdf

[3] http://www.cnrtl.fr/definition/industrie

[4] http://manifestepourlindustrie.org/quelques-remarques-sur-les-sens-des-mots-industrie-et-ses-derives/

[5] http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/page/v8-p706/

[6] https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/271217/le-partage-critique-radicale-de-la-civilisation-industrielle

[7] https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/271217/le-partage-critique-radicale-de-la-civilisation-industrielle

[8] http://lvsl.fr/macron-et-salvini-meilleurs-ennemis

Crédits images :

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Uber ou la chronique d’une catastrophe sociale absolue – Entretien avec Danielle Simonnet

Danielle Simonnet ©Thomas DIPPE

Danielle Simonnet est membre du Parti de Gauche, de la France Insoumise et conseillère de Paris depuis 2008. Elle s’était particulièrement impliquée lors des manifestations des chauffeurs de taxi dès 2014. Avec elle, nous sommes revenus sur les enjeux que posent l’uberisation de l’économie, tant sur le plan social que le plan écologique.

LVSL – De quelle marge disposent aujourd’hui les élus de la République pour intervenir sur les questions relatives au développement de l’économie de plateforme ?

Danielle Simonnet – Tout dépend ce qu’on entend par « les élus de la République ». Il y a d’une part le législateur, d’autre part l’élu municipal. Évidemment, il y a d’abord selon moi une responsabilité du législateur, du député ou du sénateur concernant l’exigence de la mise en place des régulations du développement de l’uberisation des plateformes. On pourrait très bien imaginer qu’il y ait une loi qui conditionne toute possibilité pour qu’une plateforme puisse exercer sur le territoire national, qu’on la conditionne à un certain nombre de choses.

Premièrement, que toutes les transactions faites sur le territoire national soient déclarées aux impôts. Vous savez aujourd’hui que quand vous faites un transport par le biais de la plateforme Uber, ce dernier s’octroie une marge de 20% ou 25% mais va déclarer cela sous forme d’une société qui a ses comptes en Irlande, c’est-à-dire un endroit où la fiscalité des entreprises est beaucoup plus avantageuse pour eux.

“Le législateur devrait aussi se préoccuper de cela et dire que du point de vue du droit du travail, il faut inverser le rapport et considérer que ce n’est pas au travailleur indépendant de se battre pour exiger SA requalification en salarié.”

La première chose serait d’exiger de conditionner toute plateforme au fait qu’elle doit déclarer ses transactions sur le territoire national. Bref, qu’elle paye ses impôts là où est établi son activité.

Deuxièmement, il faut conditionner ces activités au respect des réglementations en vigueur. Pour celles concernant Uber, il s’agit du transport de personnes. Il existe une décision de la Cour européenne de justice (CJUE) qui indique qu’Uber est bien une entreprise de transports et donc doit être assujettie aux régulations de transports dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. En France, la loi Thévenoud interdit la maraude électronique pour ceux qui ne sont pas chauffeurs de taxis.

Or, quand vous vous baladez dans la rue, que vous prenez votre téléphone et qu’avec l’application, vous dites « je suis géolocalisé ici, il me faut un chauffeur maintenant », c’est une maraude électronique, c’est comme héler un taxi mais par le biais d’une plateforme et ça normalement c’est interdit, c’est illégal. Comment cela se fait-il que le législateur ne pose pas la question de l’application de sa loi ? Vous avez aussi l’URSSAF qui a porté plainte contre Uber parce qu’ils estiment qu’Uber, en ayant recours à des travailleurs au statut d’autoentrepreneur, ne paye pas de cotisations sociales puisqu’ils ne se présente pas comme un employeur. Il prétend être simplement une plateforme commerciale qui met en relation des chauffeurs et des clients. Il y a un manque à gagner pour le système de protection sociale français qui est colossal.

Le législateur devrait aussi se préoccuper de cela et dire que du point de vue du droit du travail, il faut inverser le rapport et considérer que ce n’est pas au travailleur indépendant de se battre pour exiger sa requalification en salarié. Il faut au contraire inverser les choses et ne pas permettre le recours aux travailleurs indépendants pour ce type de plateforme. On voit bien en définitive qu’il y a un lien de subordination. Le chauffeur est en effet subordonné à cette plateforme qui va fixer par le biais de l’algorithme le prix des courses. Elle va quasiment fixer ses horaires parce que le conducteur est obligé pour pouvoir survivre de faire une amplitude horaire immense.

“Depuis 2012 et l’explosion des chauffeurs VTC, on a un nombre colossal de voitures qui roulent à vide dans Paris en attendant d’avoir un client, c’est une aberration !”

Bref, il y a tout une liste de critères assez longs qui montre qu’il y a un lien de subordination. On voit bien ce que le législateur pourrait faire. Maintenant, l’élu local est dans une situation réglementaire plus contrainte. Si on prend par exemple sur la ville de Paris, le Conseil de Paris qui est un conseil municipal mais aussi un conseil départemental a une compétence relativement limitée dans la régulation des chauffeurs VTC. Je me bats depuis le début pour dire qu’il faut réduire la place de la voiture dans la ville parce qu’il y a derrière cela un enjeu écologique en termes de pollution ainsi qu’en en termes de réchauffement climatique. La pollution engendrée par la voiture c’est en effet 2 500 morts prématurées par an sur la région Île-de-France. Depuis 2012 et l’explosion des chauffeurs VTC, on a un nombre colossal de voitures VTC qui roulent à vide dans Paris en attendant un client. On en arrive à cette aberration !

J’ai donc demandé au conseil de Paris que la Ville exige de la préfecture qu’on puisse savoir combien il y a de chauffeurs VTC et que s’enclenche une réflexion des élus parisiens avec le législateur pour qu’on puisse voir comment on régule cette activité. Or, ils n’ont jamais voulu traiter le problème. En revanche, vous avez des villes, en Espagne notamment, où ils ont décrété qu’il ne fallait pas plus d’un chauffeur VTC pour 40 taxis. C’est Podemos qui s’est battu pour ce critère-là en reprenant une revendication de Taxi Élite qui est un syndicat jeune mais qui se développe dans plein de pays européens. C’est extrêmement important en terme de régulation.

LVSL – Comment expliquez-vous une telle percée de l’économie de plateforme ces dernières années ?

Danielle Simonnet – C’est une nouvelle étape du capitalisme. Le capitalisme a besoin d’exploiter au maximum pour faire un profit maximum. Créer une plateforme, cela ne coûte rien. Vous n’avez pas de capital fixe, il n’y a pas besoin de bureaux, pas besoin d’investir dans des machines et vous n’avez pas de salaire à assumer, ou sinon très peu. Vous faites en plus une captation de données qui sont essentielles dans toutes les logiques de marketing à venir. Le fait de pouvoir capter des fichiers en plus des transactions qui sont faites par le biais des services proposés par les plateformes est une captation de données. C’est un enjeu de pouvoir économique pour ces plateformes. On a d’abord eu l’étape de l’industrialisation et du développement de la robotisation. Désormais, on est dans l’étape de l’exploitation virtuelle et du développement des services.

LVSL – Dans la première question, vous parliez de la loi Thévenoud. Aujourd’hui qu’en est-il de son application ? Cela a-t-il permis de répondre à certains problèmes qui étaient posés ?

Danielle Simonnet – Non, ça n’a pas du tout permis de répondre au problème posé parce qu’elle n’est pas appliquée ! Donc à la limite les préfectures mettent en place des contrôles aux aéroports où la pression du développement des plateformes est vraiment à son paroxysme pour les chauffeurs de taxi. Il faut savoir qu’un chauffeur de taxi, quand il se positionne sur un aéroport, espère avoir une bonne course. Ce sont généralement des courses qui vont être un peu plus longues et plus rentables qu’une course à Paris d’un quartier à un autre.

Les chauffeurs VTC ont compris le truc donc ils ne cessent de se positionner en double file à des endroits où ils n’ont pas du tout le droit de stationner pour faire de la maraude électronique. Cela passe par le développement de rabatteurs qui se mettent à la sortie des aéroports pour essayer de réorienter les voyageurs vers les chauffeurs de VTC. Il a fallu que les chauffeurs de taxi mettent en place leur propre système de défense : les gilets bleus sont dorénavant là pour faire le travail d’information et de réorientation vers la file taxi. C’en est arrivé au point où ont fait un partenariat avec Aéroport de Paris (ADP) et la préfecture pour qu’ils puissent être prioritaires en terme de file afin d’aller chercher des clients. On demande donc à des chauffeurs de taxi de faire le travail d’application de la loi. C’est une situation ubuesque.

À terme cela risque de mal se finir car c’est un travail de régulation de la loi qui doit relever des fonctions régaliennes de l’État et donc de la police. Je constate qu’il n’y a pas de volonté de faire respecter la loi.

LVSL – Outre les chauffeurs VTC, est-ce qu’il y a eu une évolution du mode de fonctionnement des taxis pour s’adapter à cette nouvelle concurrence ?

Danielle Simonnet – Oui bien sûr. D’ailleurs, on dit qu’après l’émergence des VTC les chauffeurs de taxis se sont mis un peu à faire attention, à mieux s’habiller, à proposer la petite bouteille d’eau, les petits bonbons, à accélérer les machines à carte bleue. À contrario, les chauffeurs VTC jouaient dès le départ à la fois sur le côté low cost que le côté haut de gamme.

À partir du moment où vous avez eu des milliers de chauffeurs, la qualité s’est aussi dégradée et les chauffeurs de taxi ont vu un retour de la clientèle.  Cette clientèle a plus d’ancienneté et a une meilleure maîtrise de Paris. Il n’est pas vrai qu’un GPS vaut mieux que la connaissance humaine des petites rues, de la circulation, de comment ça se passe et aussi de la passion du métier, de l’échange humain qu’il peut y avoir dans ces courses.

LVSL – Est-ce que vous êtes directement en contact avec des chauffeurs de taxi, ou avez-vous des contacts par l’intermédiaire de syndicats ? Le cas échéant, quelle est la nature de vos échanges : vous faites partie de la France Insoumise, sont-ils sensibles à vos discours et à ce que vous portez plus largement sur les questions relatives au travail ?

Danielle Simonnet – Je me suis d’abord passionnée un peu par hasard sur le sujet. Je me souviens, en 2014, j’avais vu des manifestations de taxi à la télévision et je ne comprenais pas bien quelle était la gravité du problème. La révélation est arrivée par un livre : Uber, la privation en bande organisée, de Laurent Lanne. Ensuite, quand j’ai revu à la télévision sur les chaînes d’information la problématique des taxis, j’ai rencontré les syndicats de taxis. Je suis d’abord entrée dans la problématique en rencontrant les chauffeurs de taxi et en discutant avec beaucoup d’organisations syndicales de taxis. Cela a commencé par la CGT et après j’ai rencontré progressivement les autres organisations syndicales. Mes venues sur les plateaux des chaînes d’informations m’ont ensuite permis de rencontrer des chauffeurs de VTC et de comprendre l’ensemble du problème.

“Il ne s’agit pas d’une relation salariale donc la plateforme peut du jour au lendemain vous déconnecter sans avis préalable de licenciement. En termes de précarité, c’est catastrophique.”

J’ai pu ainsi entendre l’autre face du problème. Au début, les chauffeurs VTC me disaient : « Écoutez Madame Simonnet, dès le début on nous a promis par le biais de ces plateformes qu’on allait gagner beaucoup d’argent et qu’on allait avoir tout d’un coup de super revenus, donc on y a cru. Au début cela fonctionnait plutôt pas mal. Sauf que très rapidement on a été très nombreux sur le marché et les plateformes ont augmenté leurs marges. Si elles augmentent leurs marges cela signifie qu’on diminue les nôtres. Si on diminue les nôtres cela veut dire qu’au niveau de l’algorithme, ça baisse le prix des courses et on est de fait obligé d’augmenter notre volume horaire ».

Et là les chauffeurs VTC m’expliquaient, me disaient : « Je travaille du samedi 11h au dimanche 15h et à un moment, je deviens un danger public car je suis épuisé. Je suis dans un engrenage où pour rembourser la voiture, faire vivre ma famille, vu que les prix ont chuté, je suis obligé d’augmenter le nombre d’heures de travail ». Ils m’ont également expliqué le problème des notations : quand vous faites une course avec Uber ou sur n’importe quelle plateforme, vous pouvez noter votre chauffeur. Même si cela n’est pas forcément légitime, il y a des chauffeurs qui disent qu’ils ont été mal notés et que du jour au lendemain, la plateforme les a déconnectés.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une relation salariale. Aussi, la plateforme peut du jour au lendemain vous déconnecter sans avis préalable de licenciement. Question précarité, c’est catastrophique. Les chauffeurs VTC m’ont parlé de leur prise de conscience, de comment ils se faisaient arnaquer dans ce système-là alors qu’au départ ils pensaient qu’ils allaient être leur propre patron. Ils réalisent que dès qu’ils ont un accident, c’est pour leur pomme. De plus, si on est malade, comme on est un travailleur indépendant, on n’a pas de protection, on n’a pas de sécurité sociale qui permette de se prémunir. Généralement, ils ont la sécurité sociale des travailleurs indépendants. Le problème est qu’en cas d’accident qui vous oblige à rembourser des frais sur la voiture et qui vous immobilise de telle sorte que vous ne pouvez pas bosser pendant un mois ou plus, vous êtes bloqués. Le loyer il faut le payer, la dette de la voiture il faut la payer, donc c’est la catastrophe. Ainsi, de fil en aiguille, à force de faire des petites vidéos, des interventions sur les réseaux sociaux, de bosser sur le sujet, j’ai aussi été contactée par des syndicalistes de l’UNSA qui m’ont invitée à des rassemblements.

J’ai donc pu participer à des rassemblements de chauffeurs Uber qui commençaient à gueuler et à dire : « Ce n’est pas possible, on veut qu’Uber accepte un prix fixe et minimal des courses : tout travail mérite un prix fixe pour qu’on ne soit pas dans un dumping social qui nous tire sans arrêt vers le bas. » J’ai pu intervenir dans leurs rassemblements tout en maintenant mon discours qui consistait à dire qu’il ne devrait pas y avoir deux métiers, mais une profession unique. Au départ, ils ne tenaient pas ce discours, mais ça les a intéressés. On était les seuls à tenir ce discours.

LVSL – Plus largement, il existe une très grande variété de plateformes. Est-ce que le constat que vous faites sur Uber peut être étendu à l’ensemble de l’économie de plateforme ?

Danielle Simonnet – Le problème n’est pas qu’il y ait des plateformes. Vous pouvez très bien imaginer une plateforme gérée par une structure coopérative d’économie sociale et solidaire qui protège tout le monde. Le problème n’est pas l’application, c’est l’économie qu’il y a derrière. J’avais rencontré des livreurs à vélo de chez Deliveroo ou UberEats qui portent des projets et m’ont dit qu’ils aimeraient que je relaye un vœu au conseil de Paris pour créer une société coopérative d’intérêt collectif. C’est une structure qui permet à la collectivité d’entrer dans la coopérative.

Imaginez que demain on crée une coopérative parisienne des livreurs à vélo. Elle permettrait au livreur à vélo d’avoir un statut de salarié dans la coopérative, tout en étant fiscalement indépendant, d’être maître de son emploi du temps, mais d’être protégé et de bénéficier de la sécurité sociale en cas d’accident… d’être couvert !

LVSL – Avez-vous l’impression de trouver un écho suffisant dans l’opinion ?

Danielle Simonnet – Nous ne sommes pas du tout écoutés, car le gouvernement est dans une fuite en avant libérale. En aucun cas il n’y a eu de mesure allant dans le bon sens sur ces questions là, alors que la conscience de l’opinion publique progresse. Regardez le développement des Airbnb. Au début, c’était sympathique : une plateforme qui permet à des particuliers de proposer à des touristes un logement. Tout cela avait l’air super au premier abord. Mais derrière ce paravent, il y a une logique de financiarisation de la rente, qui fait que vous avez des promoteurs immobiliers qui sont propriétaires de plusieurs appartements mis à louer toute l’année.

Il faut avoir une gestion beaucoup plus contraignante mais il faut que les collectivités se donnent des moyens de contrôle : à Paris il y a à peine une trentaine d’agents, c’est ridicule. La ville de Paris, et Ian Brossat en particulier, essaye de faire croire qu’elle prend à bras le corps la question de Airbnb. Il a sorti un bouquin fort intéressant, mais en attendant il n’y a que trente agents dans toute la ville pour contrôler la location saisonnière. À Barcelone, il y en a une centaine, tandis qu’en France le gouvernement a légiféré dans le mauvais sens. Ce n’est pas un hasard, il faut savoir qu’Emmanuel Macron est le VRP de l’uberisation, il a commencé par là.

Il n’y a rien à attendre de ce gouvernement là-dessus.

Election présidentielle : Quel candidat pour les droits des femmes ?

Le premier tour des élections présidentielles arrivant à grand pas, un point sur les propositions des principaux candidats dans le domaine du droit des femmes s’impose. Alors qui propose quoi ?

Ceux qui régressent :

Marine Le Pen – Candidate FN

La citation qui fait mal : « Je n’ai jamais changé de discours sur la question du voile. J’ai dit et je redis que le voile n’a pas sa place dans la sphère publique en France. »

Depuis quelques mois, Marine Lepen ne cesse de prôner un intérêt particulier pour les droits des femmes. Prendrait-elle les féministes à ce point pour des idiotes ? Zoom sur les propositions et les petites manies du FN :

Le FN a pour habitude de ne pas prendre trop au sérieux les violences contre les femmes, ou l’égalité femmes-hommes de façon générale : vote contre les lois sur le harcèlement sexuel, contre la loi proposant des mesures assurant la bonne santé sexuelle des adolescents et adultes, vote contre la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui, entre autre, incitait les pères à prendre des congés parentaux… Rappelons-nous ensuite du rejet du parti face au droit à l’avortement ; Marion Maréchal Le Pen qui souhaite couper les subventions des plannings familiaux, sa tante qui insiste sur un déremboursement des frais d’IVG, etc. Ainsi, les femmes ayant les moyens pourraient avorter mais les plus précaires seraient condamnées à subir une grossesse qu’elles ne souhaitent pas. La candidate et sa nièce parlent « d’avortement de confort » ; expression abjecte laissant entendre que les femmes seraient des irresponsables qui prennent l’avortement pour une simple contraception. Aymeric Chauperade, ayant quitté le FN depuis, est même allé jusqu’à parler de l’avortement comme d’une « arme de destruction massive contre la démographie européenne ».

Dernièrement, Marine Le Pen tentait de modérer ses propos sur le sujet, mais nous n’avons pas la mémoire courte. En 2015, le FN votait contre le projet de modernisation du système de santé, qui consistait à renforcer le droit à l’avortement et supprimer le délai de réflexion de sept jours précédant l’IVG.

Qu’en est-il du programme du FN pour 2017 ?
La « grande proposition » de ce programme concernant le sujet, est celle du salaire maternel. Il s’agirait là d’un revenu que l’on accorderait aux femmes qui restent au foyer pour s’occuper de leurs enfants. Ainsi, le message est clair : dans un pays qui connaît un fort taux de chômage, un retour des femmes dans leurs maisons libérerait de l’emploi. Après tout, leur place n’est-elle pas auprès de leurs enfants, à s’occuper des tâches ménagères et de la cuisine ?

Le programme du Front National s’oppose aussi fortement à la parité, considérée comme une forme de « discrimination inversée ». Le parti et sa candidate assènent régulièrement que la principale menace pour les droits des femmes est la présence de musulmans radicaux en France. Ainsi, on peut facilement deviner que derrière un soudain intérêt pour l’égalité femmes-hommes, en incohérence totale avec les propositions du programme et les habitudes du parti, se cache en réalité une volonté de réprimer le port du voile et, de manière plus générale – ce qui se rapporte à la religion musulmane.

Pour finir, remarquons que beaucoup de sujets ne sont ni abordés ni développés ; c’est le cas, pour ne citer qu’eux, du harcèlement sexuel, des violences conjugales, des possibilités d’hébergements pour les femmes qui en sont victimes, de l’éducation des enfants à l’égalité des genres… Mais qui cela étonne-t-il vraiment ?

François Fillon – candidat Les Républicains

La citation qui fait mal : « […] la France n’est pas un pays à prendre comme une femme ».

Les droits des femmes englobent bon nombre de sujets, mais l’un des premiers qui vient à l’esprit est le droit à disposer de son corps. Quand François Fillon s’exprime sur l’avortement, il est bien difficile d’en dégager une position claire et affirmée. D’abord, il avait dit être « choqué » du terme « droit fondamental » en parlant du droit à l’avortement, puis avait déclaré qu’il ne reviendrait pas dessus, en ajoutant cependant que sa foi et ses convictions personnelles le poussaient à désapprouver un tel droit. Il affirme ne pas vouloir remettre en question le droit avortement mais – à titre personnel – en condamne le recours. Une position ambiguë.
Comme si ça ne suffisait pas, Madeleine de Jessey, secrétaire nationale de LR, et membre de son équipe de campagne, exprime un soutien clair à la Marche Pour la Vie (manifestation qui porte mal son nom quand on connaît le nombre de décès qui suivent un avortement illégal)…

Tweet de François Fillon après les diverses agressions sexuelles de Cologne

Marine Le Pen n’est pas la seule a instrumentaliser les droits des femmes pour mieux attaquer les musulmans. En effet, l’été dernier, Fillon s’était placé en fervent défenseur des droits des femmes pour pouvoir prôner l’interdiction du burkini, vêtement qui a plus été aperçu dans les journaux que sur les plages.
Depuis quand la libération des femmes se fait elle par l’interdiction ? Que l’on puisse considérer que le voile est un outil d’asservissement des femmes est compréhensible – et que l’on lutte pour empêcher l’obligation de le porter dans les pays où elles n’ont pas leur mot à dire est juste – mais nous n’avons encore jamais vu François Fillon lutter contre le port de la minijupe, l’épilation, ou le maquillage, qui sont pourtant aussi des formes de contrôle du corps et d’asservissement des femmes.

Le programme de Fillon pour 2017 comporte la mention d’un « renforcement des dispositifs de signalement du harcèlement sexuel dans les entreprises », qui n’est cependant détaillé nulle part. Si le candidat de Les Républicains semble accorder un minimum d’importances aux violences contre les femmes, il reste difficile de croire en un homme qui promettait, lorsqu’il était encore premier ministre, plus de structures d’accueils pour les femmes victimes de violences… lesquelles n’ont jamais vu le jour.

Celui qui parle pour ne rien dire :

Emmanuel Macron – candidat En Marche

La citation qui fait mal : « Il y a dans cette société [en parlant des abattoirs Gad] une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »

Macron reste particulièrement énigmatique dans l’ensemble de son programme. Mais entre les fillonistes dégoûtés du Penelope-Gate, et les sympathisants de Valls – qui ne voteront pas Hamon – il est déjà bien placé dans la course. Alors pourquoi parler de programme quand on peut si bien profiter d’un concours de circonstances ?
Cela dit, depuis le début de sa campagne le candidat ne cesse de parler de féminisme, d’égalité, et surtout de parité : il énonce par exemple l’importance d’un gouvernement qui respecterait la parité et songe même à donner la place de Premier Ministre à une femme. Néanmoins, on remarquera que les femmes ne se bousculent pas autour de Macron… à part Brigitte Trogneux – son épouse – il n’est entouré presque uniquement que par des hommes. Tout cela ressemble surtout à un « coup de com’ ». Par ailleurs, l’idée de parité existe déjà depuis 1999. Macron voudrait-il donc qu’on l’applaudisse parce qu’il propose de respecter la loi ? Enfin, il ne présente aucune analyse des raisons pour lesquelles la parité puisse être difficile à respecter (éducation des enfants, difficulté pour les femmes d’accéder à des études ou métiers considérés comme techniques, mauvaise répartition des tâches ménagères au sein du couple – qui laisse plus de temps libres aux hommes qu’aux femmes…).

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, il a dit dans son discours : « je crois en l’altérité », cherchant ainsi à glorifier les femmes pour leurs différences, selon l’idée qui veut qu’hommes et femmes soient des êtres qui se complètent. Macron devait être trop occupé à crier au monde son amour pour le féminisme pour effectuer quelques recherches sur la question et s’apercevoir que la différenciation est le premier pas vers la discrimination (qui n’a jamais entendu que, les femmes et les hommes étant différents, il était normal qu’ils aient des droits différents ?). Alors, à son histoire d’altérité et de complétude, répondons lui que les femmes ne veulent compléter personne. Nous ne sommes pas là pour mettre en avant les hommes et rester dans l’ombre !
Gardons aussi en mémoire que la loi Macron, promulguée en août 2015, s’attaque – entre autre – au travail du dimanche, faisant ainsi des femmes (qui occupent majoritairement les emplois concernés) les premières victimes de sa politique. Ainsi, quand Macron nous parle de parité à tort et à travers et s’autoproclame féministe, on a le droit d’être un peu sceptique. 

Ceux qui veulent avancer :

Benoît Hamon – candidat PS

La citation qui fait du bien : « Si une femme décide de porter le voile librement, et bien au nom de la Loi 1905, elle est libre de le faire ».

Avant tout, notons que le bilan du PS en matière de droit des femmes est assez maigre.
Malgré quelques tentatives d’amélioration (les victimes de violences conjugales peuvent conserver le logement même s’il n’est pas à leur nom, l’allongement de l’ordonnance de protection…), le parti a plutôt laissé à l’abandon ce domaine. On peut légitimement se demander comment faire confiance à un homme politique qui porte l’étiquette d’un parti qui a montré peu d’intérêt pour les droits des femmes.

Cependant, Hamon réussi à se démarquer – aussi bien par son attitude que par son programme. On se retrouve enfin face à un candidat qui ne surfe pas sur le féminisme pour légitimer des idéologies anti-musulmanes. L’intérêt de Benoit Hamon pour les droits des femmes s’est noté, par exemple, lorsqu’il s’est prononcé en faveur de la libération de Jacqueline Sauvage.

Son programme, clair et cohérent, prend très au sérieux les violences contre les femmes. En effet, il suggère la création de 4 500 places d’hébergements spécialisés pour les victimes de violences, souhaite que les poursuites soient systématiques, les jugements plus rapides, et veut augmenter le délai de prescription du viol. Pour ce faire, il compte « doubler le budget du ministère des Droits des femmes », annonce-t-il sur Twitter.
Face aux difficultés d’accès à la contraception, Hamon veut multiplier les plannings familiaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le programme semble vouloir répondre aux revendications féministes. En revanche, notons que Benoît Hamon, le 27 juin dernier, était absent lors du vote concernant l’amendement permettant de rendre inéligibles les députés accusés de violences contre les femmes. Il a expliqué cette absence en disant qu’il n’était pas au courant et en accusant les associations féministes de ne pas l’avoir prévenu… N’était-il pas censé se tenir au courant lui-même ?

Enfin, bien qu’il y’ait une volonté de redonner de l’importance aux questions qui concernent les femmes, certaines propositions économiques pourraient – même si ce n’est pas le but recherché – s’attaquer aux femmes. Loin du salaire maternel que propose le FN, le revenu universel pourrait tout de même précariser les femmes et les maintenir dans un rôle de mère au foyer.

Jean-Luc Mélenchon – candidat France Insoumise

La citation qui fait du bien : « il faut que chacun sache qu’il y’a des héros – ça on connaît – mais aussi des héroïnes, auxquelles on peut s’identifier. Vous les garçons, vous pouvez tous vous identifier mais mettez vous dans la tête d’une fille. Elle s’identifie à qui ? Blanche-neige ? »

Les positions de Jean-luc Mélenchon sur le féminisme ne manquent pas de précision ! Lors de son dernier meeting à Rennes, le candidat de la France Insoumise parlait de la représentation des femmes dans la littérature et du manque de personnages féminins. En tant que député européen, il a voté pour un grand nombre de propositions visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes (dont, entre autre, le plan d’action sur l’émancipation des jeunes filles par l’éducation dans l’Union Européenne, la résolution sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes)… Son engagement féministe ne date visiblement pas d’hier, mais qu’en dit le programme de la France Insoumise ?

Avant toute chose, Mélenchon insiste sur la nécessité, face aux régulières remises en question du droit à l’avortement, de l’inscrire dans la Constitution. En réalité, c’est même un peu plus que ça. Il s’agit de constitutionnaliser le droit de disposer de son corps, ainsi que sa non-marchandisation. De cette façon, il réaffirme en plus l’interdiction de la GPA. Aussi, en réponse aux problèmes d’inégalités salariales, il propose d’augmenter les sanctions pour les entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale. Mais Mélenchon ne s’arrête pas là. Il aborde aussi des thèmes nouveaux – en tout cas, en comparaison avec les autres programmes – comme sa volonté de diffuser de manière égale à la télévision les sports féminins et masculins, ou de réaffirmer les droits des femmes qui accouchent sous X à garder le secret de leur identité (ce qui est fréquemment remis en question). Enfin, le candidat souligne l’importance d’un changement d’état civil libre et gratuit. En effet, ce droit est revendiqué principalement par les femmes transgenres, trop souvent oubliées dans les luttes féministes.

Cependant on peut lui reprocher certains propos, comme lorsqu’il affirmait à la télévision qu’il savait lire dans les cerveaux des hommes alors que ceux des femmes sont inaccessibles. Cette idée perpétue l’éternel cliché de la femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, qui a une attitude en incohérence avec ses propos. Un cliché très dangereux puisqu’il laisse entendre que les femmes ont besoin que d’autres prennent les décisions pour elles, ou que leur comportement déclenche des choses qu’elles ne veulent pas.

Il est indéniable que Mélenchon cherche à réserver une place importante aux droits des femmes, et son programme novateur le démontre.

Seuls deux candidats parmi les cinq principaux ont tenté d’accorder de la valeur au féminisme. Si le programme de Hamon et de Mélenchon semblent présenter de grandes similitudes dans ce domaine précis, on peut noter que celui de La France Insoumise ne se contente pas de mesures immédiates mais s’intéresse également à la façon dont les mentalités pourraient évoluer – notamment d’un point de vue social et culturel.

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François Fillon: alnas.fr

Effondrement de la biodiversité : les abeilles et la Reine Rouge

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Focus sur l’effondrement de la biodiversité, ses conséquences et sur la nécessité d’instaurer un paradigme écologique qui replace l’Homme au cœur de son environnement.

Du 4 au 17 décembre a lieu la COP Biodiversité au Mexique. Pourtant, rares sont les médias et les politiques de grande envergure à tirer la sonnette d’alarme. Nous avons tous été témoins du grand battage médiatique autour de la COP21 sur le Climat. Étonnamment, la sensibilisation citoyenne sur la biodiversité est moindre comparé à l’ampleur de la catastrophe qui se profile. Tous les voyants sont au rouge [1], et si rien n’est fait, les deux tiers des vertébrés auront disparu d’ici 2020. Une étude, publiée le 7 décembre par cinq ONG de protection de l’environnement, estime que seuls 10% des engagements pris par 101 pays membres de la COP Biodiversité (objectifs d’Aichi, plan stratégique 2011-2020) sont à la hauteur des ambitions initialement fixées. Pour ce qui est de la France, force est de reconnaître tout de même des initiatives. On citera la création accrue d’aires marines protégées et l’interdiction, acquise de haute lutte, des insecticides néonicotinoïdes en agriculture, en partie responsables de l’extinction des abeilles. Pour autant, au regard de l’urgence vitale que constitue la préservation de celles-ci, est-il justifié de devoir attendre 2020 l’interdiction totale de leur usage ? A-t-on une alternative crédible à leur rôle de pollinisatrices ? A quel titre plus vital que celui de la survie de l’homme et de son environnement accorder des dérogations ? Tout le monde aura compris que sans les abeilles, officiellement en voie de disparition, nous pouvons faire une croix sur tout un système, naturel et gratuit, qui nous permet de nous nourrir. Que dire des quotas de tirs de loups, variable d’ajustement française pour soulager les conflits entre chasseurs, éleveurs et associations environnementalistes, alors que l’espèce est menacée et protégée au niveau européen ? De la multiplication des zones marines mortes du fait de l’élévation des températures océaniques, de la pollution et de la surpêche ? Que dire enfin, du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui compte sacrifier des zones humides uniques sur l’hôtel de la modernité et de l’économie ?  Si la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, a signé au nom de la France la « Déclaration de Cancun » qui vise l’intégration de la protection de la biodiversité dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, du tourisme et de la pêche, la réalité fait mentir les promesses. 

Preuve de la considération subsidiaire des politiques pour la question de la biodiversité, l’écologie est pour le moment la grande oubliée de la campagne présidentielle française. [2] Pour preuve, « sur 570 minutes de débat à la primaire de la droite, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! » Pourtant, à en croire le sondage YouGov réalisé en septembre dernier, 74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle. Les seuls rescapés des débats à droite auront été le principe de précaution, pour le fustiger, et le nucléaire, dont on aura de cesse de répéter qu’il est vendu dans un joli papier cadeau par François Fillon et sa clique ordolibérale [3]. Ainsi, si les libéraux prônent le « laisser-faire » quasi-mystique des marchés, les ordolibéraux considèrent que la libre concurrence n’est pas spontanée et que l’Etat doit agir pour l’aider à se développer, en édifiant son cadre juridique, technique et moral [4]. Au diable donc le principe de précaution, obstacle à l’innovation et à l’économie ! Fi des réglementations environnementales (interdictions de certains pesticides, restriction des OGM) qui entravent, soi-disant, le dynamisme de la filière agricole ! Pillons, rasons, polluons, tuons… puisque c’est bon pour la croissance ! Mais l’espoir perdure car la conscience écologique imprègne la jeunesse. Dans une enquête publiée en décembre 2016 et réalisée par Générations Cobayes, 98% des 55 000 jeunes sondés (18-35 ans) répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains. Soit les intentions des candidats de droite ne sont pas à la hauteur des revendications des Français, soit les électeurs de la primaire de la droite et du centre (à savoir une majorité d’hommes, retraités et de CSP+) ne sont pas représentatifs des aspirations réelles de la société française et des générations futures.

Quels sont aujourd’hui, les sujets prioritaires pour le devenir de notre société ? S’alarmer et s’engager pour la biodiversité, c’est comprendre que, sans elle, c’est tout notre système de santé, notre système agricole et notre économie qui s’effondrent. Rien que ça ! Et la plus grande leçon que la nature puisse nous donner, c’est l’équité de son jugement. Que l’on soit au RSA, que l’on paye l’ISF, ou que l’on cherche à ne plus le payer, nous aurons tous une part du gâteau. A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethnique à laquelle on appartient. [5] Pour faire simple, « en période de désastres naturels, les plus affectés sont ceux qui sont le moins bien équipés ! » [6]Préparez-vous à vivre dans un désert ou dans un aquarium, soit que l’on parie davantage sur l’élévation des températures, l’érosion des sols ou la fonte accélérée des glaces ; et le tout sans une once de vie animale et végétale ! Et si nous cessions de cantonner l’écologie aux rubriques « planète » ou « environnement » ? C’est ce que martèle à juste titre La Fabrique Ecologique. Il s’agit de réaliser que c’est une redéfinition globale de la place de l’être humain au cœur de son environnement qui est en jeu. Dans le second tome d’Alice au pays des merveilles, la Reine Rouge annonce : « Ici, voyez-vous, il faut courir le plus vite possible pour rester sur place. » Cette course fatidique est celle que nous vivons : lorsque l’environnement évolue plus vite qu’une espèce vivante ne peut s’y adapter, cette espèce est vouée à s’éteindre [7]. Et quand viendra notre tour, quand les conséquences de l’effondrement de la biodiversité, dont nous sommes responsables, dépasseront notre capacité d’imagination et d’adaptation, ni les abeilles, à jamais disparues, ni les OGM, ni le nucléaire ne nous permettront d’échapper à notre triste sort. Quand la Reine Rouge nous aura coupé la tête, il ne restera qu’un fauteuil vide sur une plage de sable fin.

Crédits photo : ©Sonel. Libre pour usage commercial

[1] Biodiversité : tous les indicateurs sont au rouge, Pierre Le Hir, Le Monde, 7 décembre 2016.

[2] Sur 570 minutes de débat à la primaire, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! We Demain, 1 décembre 2016.

[3] Vous avez dit urgence ? Ecologie, primaire et sparadrap, Manon Dervin, Le vent se lève, 6 décembre 2016.

[4] L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le vieux continent, Pierre Rimber et alii., Le Monde diplomatique, août 2015.

[5] La nature est un champ de bataille, Razmig Keucheyan, Essai d’écologie politique, La Découverte, 2014.

[6] Michèle Bachelet, présidente du Chili en septembre 2014 à New-York.

[7] L’effet de la Reine Rouge, Leigh Van Valen, 1973.