Somalie et Soudan : le FMI conditionnera l’annulation d’une dette impayable par une thérapie de choc néolibérale

La directrice générale du FMI en compagnie du premier ministre somalien © compte twitter de K. Georgieva

Dans un contexte de nouvelle crise de la dette des pays du Sud1, deux annonces a priori positives ont émergé en 2019. La dette de la Somalie et du Soudan, deux des pays aux indicateurs socioéconomiques les plus faibles de la planète, pourrait être annulée prochainement. En défaut de paiement depuis les années 1980-1990, Somalie et Soudan ont-ils réellement à gagner à ces potentielles annulations à l’initiative des institutions financières internationales ? Comme souvent, elles sont conditionnées par une série de réformes économiques et sociales à l’avantage des investisseurs internationaux qui appauvriront encore les plus fragiles. Elles s’inscrivent dans une stratégie visant à contrer la progression de la Chine dans la région.


Selon les critères de la Banque mondiale, Somalie et Soudan font partie des pays les plus appauvris de la planète, avec un PIB/habitant inférieur à 995 $US/an. Qu’importent les indicateurs socioéconomiques retenus, tous démontrent l’importance de la pauvreté et des inégalités impactant l’écrasante majorité des populations y résidant. La dette, elle, est impayable. Dans ces circonstances, que penser des déclarations des Institutions financières internationales (IFI) et des principaux créanciers bilatéraux, réunis au sein du Club de Paris, annonçant l’annulation de la dette de ces deux pays ?

Lorsqu’elles sont à l’initiative des créanciers, les annulations de dette ne prennent jamais en compte les responsabilités de ces derniers dans les situations traversées par les pays endettés. Par ailleurs, elles sont toujours accompagnées d’un lot de conditionnalités politiques et économiques à même de satisfaire leurs intérêts. Plans d’ajustement structurel, accords de libre-échange, conversions de dettes en investissements représentent quelques-uns des outils à disposition des créanciers pour garder leur emprise sur ces pays.

Tancées par de nouveaux créanciers, affaiblies par la guerre commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales, inquiètes du déploiement des nouvelles routes de la soie de la Chine, les principales puissances occidentales souhaitent conserver un coup d’avance en annonçant l’annulation de la dette de ces deux pays dans le cadre de l’initiative « pays pauvres très endettés ». Les traditionnelles politiques néolibérales qui l’accompagnent leurs permettront sans doute de contrecarrer l’actuelle révolution populaire au Soudan, de développer leurs investissements dans les secteurs aurifères et pétroliers de ces pays tout en faisant un pied-de-nez aux nouvelles puissances impérialistes.

Coup de projecteur sur la dette extérieure publique

Tous deux en situation de surendettement2 avec des ratios dette/PIB respectifs à 62 % et 65 %3, la Somalie et le Soudan ont vu leur dette extérieure publique s’accroître sensiblement depuis les années 1980 (voir graphiques 1 et 2).

Graphique 1 : Somalie Évolution de la dette extérieure publique et garantie, hors arriérés et pénalités de retard (en millions de $US)4

Graphique 2 : Soudan  Évolution de la dette extérieure publique et garantie, hors arriérés et pénalités de retard (en millions de $US)5

Qui sont les créanciers ?

La dette extérieure publique se divise en trois catégories :

  • La part bilatérale : détenue par d’autres États, dont certains se sont organisés au sein du Club de Paris pour la gestion de leurs créances ;

  • La part multilatérale : détenue par des institutions financières internationales (les IFI – par exemple FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement, etc.) ;

  • La part commerciale : détenue par les banques, les fonds d’investissements, etc.

Graphique 3 : Dette extérieure publique de la Somalie, par créancier, en pourcentage6

Côté bilatéral, les pays membres du Club de Paris représentent plus de la moitié des créanciers de la Somalie. États-Unis, Italie et France étant les plus gros porteurs (plus de la moitié des créances du Club)7. Côté multilatéral, FMI et Banque mondiale détiennent près de 20 % de la dette extérieure publique.

Graphique 4 : Dette extérieure publique de la Somalie, par créancier, en pourcentage8

Concernant le Soudan, les données fournies par le FMI, toujours très inégales d’un pays ou d’un rapport à l’autre, ne nous permettent pas de distinguer précisément les créanciers. En croisant les sources, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France seraient néanmoins les principaux créanciers au sein du Club de Paris.

Tant pour la Somalie que le Soudan, la prépondérance de ces pays en qualité de créancier s’explique par leur passé colonial et/ou l’importance de leurs intérêts politiques et économiques dans ces régions (cf. partie 6, « Aux origines de la dette »).

L’Initiative PPTE

En proie à d’importantes difficultés financières, ces deux pays à faible revenu9 ont été retenus par le FMI et le Club de Paris en 1996 dans « l’initiative pays pauvres très endettés » (I-PPTE), initiative annonçant « l’annulation de 90 % ou plus »10 de la dette de ces pays. Alors que 36 des 39 pays éligibles à l’I-PPTE ont franchi les deux étapes du programme (le point de décision, puis le point d’achèvement)11, sans que cela ne se traduise par une amélioration durable de leur niveau d’endettement12, Somalie et Soudan restent – 20 ans plus tard – cantonnés à la validation du « point de décision » par le FMI. Mais face aux changements que traversent ces pays (cf. parties 6 et 7), FMI et Club de Paris s’activent en coulisse pour accélérer l’annulation de leurs dettes dans le cadre de cette initiative. En avril 2019, Christine Lagarde, alors directrice du FMI, s’était prononcée en faveur d’une annulation de la dette de la Somalie13. Sa remplaçante, Kristalina Georgieva, l’a confirmé en octobre dernier14 puis officialisé le 18 décembre15. Pour le Soudan, les négociations en cours dépendent principalement d’un accord préalable avec les créanciers bilatéraux et commerciaux ainsi qu’à un retrait de la liste étasunienne des pays soutenant le terrorisme16.

À cela s’ajoutent pour les deux pays deux conditions incontournables. D’une part, l’application stricte des réformes économiques contenues dans les staff-monitored programs (SMP)17, celles-là mêmes qui ont participé au déclenchement du soulèvement populaire soudanais dès mi-décembre 201818. D’autre part, l’apurement des arriérés de retard auprès des différents créanciers. Avez-vous dit « annulation » ?

Les arriérés d’abord, le minimum ensuite

D’après les données de la Banque mondiale, les stocks de la dette extérieure publique de la Somalie et du Soudan atteignaient respectivement 1 889 millions de $US et 15 672 millions de $US en 2018 (cf. graphiques 1 et 2). Or, ces chiffres font abstraction des – colossaux – arriérés et pénalités de retard de ces pays en défaut de paiement depuis le milieu des années 1980, début des années 199019. En les prenant en compte, la dette extérieure publique de la Somalie atteint alors 4,7 milliards de $US, dont 96 % d’arriérés20, tandis que celle du Soudan dépasse les 50 milliards de $US dont 85 % d’arriérés21. Dès lors, la perspective de voir la dette de ces pays annulée à « 90 % ou plus » dans le cadre de l’I-PPTE est extrêmement limitée.

En effet, les règles du FMI et du Club de Paris exigent un apurement des arriérés – c’est-à-dire un remboursement – avant de pouvoir « bénéficier » d’une annulation de dette, annulation portant uniquement sur l’encours, et limitée à la part dite non-APD (cf. encadré). Ce remboursement est à effectuer en priorité aux créanciers multilatéraux, FMI et Banque mondiale en tête de liste. Dans un second temps viendra le remboursement auprès des créanciers bilatéraux. Certes, il est arrivé quelques fois au FMI et au Club de Paris de déroger à cette règle du remboursement des arriérés, mais en partie seulement, jamais en totalité22. En exigeant le remboursement des arriérés et en appliquant des pénalités de retard sur de si anciennes créances, le comportement du FMI et du Club de Paris vis-à-vis de ses débiteurs officiels n’est finalement pas si éloigné de ceux des fonds vautours. En résumé, pour se désendetter, il est au préalable indispensable, selon leurs conditions, de s’endetter davantage.

Excursus : Créances APD – Créances non-APD

Pour la part bilatérale de la dette extérieure publique, on distingue les créances dites APD (pour ‘Aide publique au développement’), avec un faible taux d’intérêt (appelé également ‘prêt à taux concessionnel’), des créances dites non-APD, dont les taux d’intérêt correspondent aux taux fixés par les marchés financiers. Selon les termes déterminés par le Club de Paris, les créances non-APD peuvent être annulées en tout ou partie, tandis que les créances APD sont restructurées. Pour visualiser cette distinction, voir par exemple l’encours des créances du Club de Paris au 31 décembre 2018.

Le tour de passe-passe des prêts relais

Pour parvenir à rembourser ce qui jusque-là n’a jamais pu l’être, est mis en place un procédé connu sous le nom de « prêt relais » (en anglais ‘Bridge loan’). De nouveaux créanciers viennent alors remplacer les précédents.

Concernant la Somalie, la Norvège lui a ainsi proposé un prêt relais afin de rembourser la Banque mondiale et le FMI23. Le même procédé devra ensuite être trouvé auprès d’un autre « pays allié » pour apurer les arriérés auprès de la BAfD24. Pour le Soudan, un mécanisme similaire est nécessaire, avec plus d’1 milliard de $US à débourser uniquement pour le FMI25. La Grande-Bretagne, l’un des principaux créanciers du pays, devrait avoir un rôle majeur à jouer dans les prochaines semaines, tout comme les pays du Golfe26. La France n’est pas en reste, le président Macron ayant annoncé unilatéralement la tenue prochaine d’une conférence internationale sur la dette du Soudan dès que celui-ci serait retiré de la liste des pays terroristes27.

Une fois les « solutions » trouvées pour rembourser les arriérés aux créanciers multilatéraux, Somalie et Soudan pourront alors se présenter devant le Club de Paris. Dans un premier temps, il faudra de nouveau conclure un accord avec le FMI, c’est-à-dire l’application de plans d’ajustement structurel, toujours dévastateurs pour les populations. Ensuite seulement, 90 % ou plus de la dette bilatérale non-APD, contractés avant une certaine date, appelée « date butoir », pourront être annulés (par exemple, seront exclus de cette « annulation » les prêts relais). Sans que cette « annulation » ne corresponde à de nouveaux financements pour ces deux pays, notons enfin que les États créanciers participant à cette opération en profiteront pour doper artificiellement leur aide publique au développement, en la comptabilisant comme telle. En résumé toujours, pour se désendetter, il est indispensable, selon les diktats des créanciers, de se réendetter.

Aux origines de la dette

Alors que résonnent régulièrement les différents Objectifs de développement durable (ODD), agenda 2030 et autres Plan d’action d’Addis-Abeba (PAAA) visant notamment à agir sur le plan de la dette pour permettre le développement des pays les plus appauvris, on peut s’étonner de tels mécanismes dits « d’annulation de dette » dans de tels contextes. Selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies, le Soudan est classé 187e (sur 189 pays référencés) tandis qu’aucune donnée n’est disponible pour la Somalie28. Qu’importent les indicateurs retenus, tous démontrent la prégnance des inégalités et le manque flagrant d’accès à l’eau, à l’éducation, à la justice, à la santé, à l’électricité, etc. Face à ce déni des droits humains fondamentaux, les créanciers occidentaux ont une part de responsabilité significative dans l’actuelle situation économique et sociale de ces pays.

Grande-Bretagne et Italie ont légué une dette coloniale à la Somalie, sans que de réelles réparations n’aient eu lieu depuis. Sous la dictature militaire de Mohamed Siad Barre, formé par les forces armées britanniques et italiennes, URSS (jusque 1977) puis États-Unis le soutiendront financièrement jusqu’à la fin des années 1980. Dans un pays déchiré par les guerres civiles, dévasté économiquement et socialement, s’ensuit le défaut de paiement du pays. Par ailleurs, en soutenant au tournant des années 1990 sous différentes formes Mohamed Farrah Aidid et Ali Mahdi Mohamed29, deux seigneurs de guerre rivaux, pour protéger leurs intérêts pétroliers via l’entreprise Conoco30, les États-Unis ont probablement participé à alimenter les guerres ayant déstructuré la Somalie.

Au Soudan, la majeure partie de la dette provient de prêts consentis durant la Guerre Froide, lorsque le dictateur militaire Gaafar Nimeiry et son gouvernement étaient soutenus par les pays occidentaux. En 1984, à la suite d’une série de chocs économiques, le Soudan a alors cessé de rembourser sa dette31. Malgré la nature despotique du régime d’Omar el-Béchir, à la tête du pays de 1989 à 2019, et par ailleurs accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au Darfour, celui-ci a reçu divers soutiens financiers. Sans exhaustivité, notons ceux de la BNP Paribas32 – première banque d’Europe et visiblement très proche des intérêts des différents gouvernements français33 – ou encore de la Chine, premier « partenaire » économique34 et important créancier du Soudan35.

Une dette à répudier

Issues de régimes dictatoriaux, contractées contre l’intérêt du peuple et dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir et dont les créanciers connaissaient la destination des fonds prêtés, ces dettes sont par natures odieuses et illégitimes. Les gouvernements actuels doivent se servir de ces arguments pour procéder à un audit de la dette avec participation citoyenne et à sa répudiation.

Prendre de tels actes unilatéraux de répudiation permettrait à la fois de rétablir une certaine forme de justice face aux préjudices subis et de s’extirper des diktats des créanciers comme le FMI et le Club de Paris. Cela contribuerait également à protéger les biens nationaux en évitant des mécanismes de conversions de dettes en investissements sur des secteurs stratégiques comme l’or (et le pétrole) au Soudan36 ou le regain d’attention37 sur le potentiel pétrolier de la Somalie38. Cela participerait aussi à contrer les intérêts des différentes puissances impérialistes en présence (au Nord comme au Sud du globe) comme en témoigne la récente visite du ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian39.

Carte de la région40

Le Soudan, troisième plus grand pays d’Afrique et carrefour du continent, et la Somalie, située à la pointe de la Corne de l’Afrique, partagent par ailleurs des positions géographiques stratégiques (cf. carte) : séparés par Djibouti et « ses » 5 bases militaires (Chine, États-Unis, France, Italie, Japon), postés face aux pays du Golfe et directement sur le trajet des nouvelles routes de la soie de l’État chinois41.

Dans un contexte de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine corrélé à une compétition accrue entre les pays membres du Club de Paris et de nouveaux grands créanciers bilatéraux (Chine, Émirats arabes unis, Qatar, etc.), ou encore à la résurgence d’acteurs comme la Russie42, la relance de l’initiative PPTE dans ces deux pays relève moins d’un geste humaniste que d’une volonté des créanciers occidentaux de protéger ou développer leurs intérêts sur place.

Pour les mouvements sociaux, ouvriers et autres acteurs de la société civile, il ne sera certes pas évident d’avoir voix au chapitre. La Somalie reste un État fragile et fragilisé par les différents groupuscules terroristes en présence. Au Soudan, malgré la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019 – provoqué par un soulèvement populaire en réponse aux mesures d’austérité exigées par le FMI et appliquées par le régime43 –, plusieurs proches occupent toujours des positions stratégiques. En outre, l’accord signé le 17 août 201944 entre les Forces pour la liberté et le changement – au centre du soulèvement soudanais – et le Conseil militaire de transition – soutenu par l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis45 – fait craindre un statut quo en comparaison du régime précédent et une relance des politiques néolibérales toujours plus nuisibles aux populations46, populations qui restent néanmoins fortement mobilisées.

Procéder à la répudiation de ces dettes est ainsi une nécessité à la fois historique, économique, sociale et politique au sein de laquelle les populations doivent être parties prenantes. De tels actes pourraient par ailleurs faire tache d’huile sur l’ensemble des processus révolutionnaires en cours dans la région47. Et comme l’ont démontré les économistes Reinhart et Trebesh (ex-FMI), les pays ayant procédé à une répudiation de leur dette ont vu leur situation économique s’améliorer48, leur permettant par exemple de dégager des revenus pour financer les services de base.

L’auteur remercie les membres du réseau CADTM Afrique et international pour leurs relectures et suggestions.

Notes :

1 Voir Milan Rivié, « Nouvelle crise de la dette au Sud », CADTM, 12 août 2019. Disponible à : https://www.cadtm.org/Nouvelle-crise-de-la-dette-au-Sud

2 Voir FMI, “List of LIC DSAs for PRGT-Eligible Countries – As of August 31, 2019”, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : https://www.imf.org/external/Pubs/ft/dsa/DSAlist.pdf

3 Les ratios indiqués ne prennent pas en compte les arriérés. Voir Fiches pays de la Somalie et du Soudan, p.194-195 dans « Perspectives économiques en Afrique 2019 », Banque africaine de développement. Disponible à : https://www.afdb.org/fr/documents-publications/perspectives-economiques-en-afrique

4 D’après les données de la Banque mondiale, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : https://databank.banquemondiale.org/source/international-debt-statistics

5 Ibid.

6 AMF signifie « Fonds monétaire arabe », AFESD « Fonds arabe pour le développement économique et social » et BAfD « Banque africaine de développement ».

Voir FMI Country Report No. 19/256. 1er août 2019, p.36 du pdf. Disponible à : https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2019/07/30/Somalia-2019-Article-IV-Consultation-Second-Review-Under-the-Staff-Monitored-Program-and-48543

7 Ibid, p.48 du pdf.

9 D’après les données de la Banque mondiale, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : https://donnees.banquemondiale.org/income-level/faible-revenu

10 Voir la description de l’initiative PPTE sur le site du Club de Paris, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : http://www.clubdeparis.org/fr/communications/page/initiative-ppte

11 Voir « Allégement de la dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) », FMI, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/hipcf.htm

12 Voir « Perspectives économique en Afrique 2018 », Banque africaine de développement, p.31. Disponible à : https://www.afdb.org/fr/documents/document/african-economic-outlook-aoe-2018-99877

13 Voir Christine Lagarde, « IMF Managing Director Christine Lagarde Supports Somalia’s Efforts to Achieve Debt Relief », FMI, 11 avril 2019. Disponible à : https://www.imf.org/en/News/Articles/2019/04/11/pr19114-somalia-imf-managing-director-christine-lagarde-supports-efforts-to-achieve-debt-relief

14 Voir “Boost for Somalia as IMF Boss backs debt relief campaign”, Radio Dalsan, 20 octobre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.radiodalsan.com/en/2019/10/20/boost-for-somalia-as-imf-boss-backs-debt-relief-campaign/

15 IMF Managing Director Kristalina Georgieva Welcomes Progress Toward Securing a Financing Plan for Debt Relief for Somalia, December 18, 2019. Disponible à : https://www.imf.org/en/News/Articles/2019/12/18/pr19470-somalia-imf-md-welcomes-progress-toward-securing-financing-plan-for-debt-relief

17 Ibid.

18 Voir CADTM International, « La révolution soudanaise est notre honneur ! À bas le conseil militaire de transition ! », 6 juin 2019.

19 Le Soudan et la Somalie ont respectivement cessé de rembourser leur dette extérieure en 1984 et en 1991. Voir notamment “Sudan”, Jubilee Debt Campaign. Disponible à : https://jubileedebt.org.uk/countries/sudan

22 Voir « Accords signés avec le Club de Paris », site internet du Club de Paris, [consulté le 4 novembre 2019]. Disponible à : http://www.clubdeparis.org/fr/traitements

23 Voir “Norway set to Provide Bridging Loan to Somalia”, Radio Dalsan, 11 octobre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.radiodalsan.com/en/2019/10/11/norway-set-to-provide-bridging-loan-to-somalia/

24 Voir Somalia NGO Consortium, “Debt cancellation for Somalia: The Road to Peace, Poverty and Alleviation and Development”, Policy Brief, p.9. Disponible à : https://eurodad.org/files/pdf/5c52b8cfb0d78.pdf

26 Voir Idriss Linge, « Le Soudan reçoit une première tranche d’une aide de 3 milliards $ promise par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis », Agence Ecofin, 10 octobre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.agenceecofin.com/aide-au-developpement/1010-69983-le-soudan-recoit-une-premiere-tranche-dune-aide-de-3-milliards-promise-par-larabie-saoudite-et-les-emirats-arabes-unis

27 Voir Moutiou Adjibi Nourou, « La France se dit prête à accueillir une conférence internationale pour accompagner la transition soudanaise », Agence Ecofin, 1er octobre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.agenceecofin.com/politique/0110-69698-la-france-se-dit-prete-a-accueillir-une-conference-internationale-sur-la-dette-soudanaise

28 Voir « Human Development Data (1990-2017), UNDP, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : http://hdr.undp.org/en/data

29 Voir David N. Gibbs, “Realpolitik and Humanitarian Intervention: The Case of Somalia”. International Politics 37: 41-55, mars 2000, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : https://dgibbs.faculty.arizona.edu/sites/dgibbs.faculty.arizona.edu/files/somalia.pdf

30 Voir Mark Fineman, “The Oil Factor in Somalia: Four American petroleum giants had agreements with the African nation before its civil war began. They could reap big rewards if peace is restored”, Los Angeles Times, 18 janvier 1993, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1993-01-18-mn-1337-story.html

31 Voir Tim Jones, “Vulture funds and governments seek profit from Sudan debt relief”, Jubilee Debt Campaign, 6 décembre 2018, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://jubileedebt.org.uk/blog/vulture-funds-and-governments-seek-profit-from-sudan-debt-relief

32 Voir Raphaël Dupen, « Le groupe BNP Paribas visé par une plainte pour « complicité de génocide » au Soudan », Le Monde, 26 septembre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/26/bnp-paribas-accuse-de-complicite-de-crimes-contre-l-humanite-au-soudan_6013182_3212.html

33 Voir le documentaire de Thomas Lafarge et Xavier Harel, « Dans les eaux troubles de la plus grande banque européenne », France 3 production, 2018. Disponible gratuitement sur internet en quelques clics.

35 Voir la base de données du ‘China Africa Research Initiative’, [consultée le 19 novembre 2019]. Disponible à : http://www.sais-cari.org/data

36 Louis-Nino Kansoun, « L’or, le nouveau pétrole du Soudan », Agence Ecofin, 20 mai 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.agenceecofin.com/hebdop1/2005-66285-l-or-le-nouveau-petrole-du-soudan?utm_source=newsletter_10344&utm_medium=email&utm_campaign=ecofin-hebdo-n-079-semaine-du-17-au-24-mai-2019

37 Des gisements pétroliers ont été découverts dès 1952 par des entreprises étasuniennes. Un rapport de la Banque mondiale de 1991 considère par ailleurs que le Soudan et la Somalie ont le potentiel pour devenir les principaux pays producteurs de pétrole au monde.

38 Voir Harun Maruf, “Somalia Readies for Oil Exploration, Still Working on Petroleum Law”, VOA, 13 février 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.voanews.com/africa/somalia-readies-oil-exploration-still-working-petroleum-law

39 Voir Serge Koffi, « Jean-Yves Le Drian en visite au Soudan », Africanews, 17 septembre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://fr.africanews.com/2019/09/17/jean-yves-le-drian-en-visite-au-soudan/

40 Source : OpenStreetMap. Disponible à : https://www.openstreetmap.org/export#map=5/10.034/42.077

41 Voir notamment les cartes de la nouvelle route de la soie : Martin Hart-Landsberg, “A critical look at China’s One Belt, One Road initiative”, 10 octobre 2018.

42 Voir par exemple la Russie via l’article Christophe Châtelot, Véronique Malécot et Francesca Fattori, « Russie-Afrique : quelles réalités derrière les déclarations ? », Le Monde, 22 octobre 2019, [consulté le 5 novembre 2019]. Disponible à : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/22/russie-afrique-quelles-realites-derriere-les-declarations_6016412_3212.html

43 Dans un pays ou près de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, les Soudanais·es ont ainsi subi un doublement du prix du pain, une augmentation de 30 % du prix de l’essence en parallèle d’une inflation atteignant les 40 %.

44 Voir Léonard Vincent, « Soudan : après la révolution, les grands chantiers du Conseil souverain », RFI, 21 août 2019, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : http://www.rfi.fr/afrique/20190821-soudan-conseil-souverain-economie-rebelles

45 Voir Camille Magnard, « Soudan. L’ombre de Riyad, du Caire et d’Abou Dabi derrière le durcissement des militaires », A l’encontre, 4 juin 2019, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : https://alencontre.org/afrique/soudan/soudan-lombre-de-riyad-du-caire-et-dabou-dabi-derriere-le-durcissement-des-militaires.html

46 Voir Mohammed Elnaiem et Dr. Mohammed Abdelraoof, “The revolution in Sudan is far from over”, ROAR, 17 août 2019, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : https://roarmag.org/essays/the-revolution-in-sudan-is-far-from-over/

47 Voir Gilbert Achcar, “More than just a “Spring”: the Arab region’s long-term revolution”, ROAR, 8 novembre 2019, [consulté le 19 novembre 2019]. Disponible à : https://roarmag.org/essays/arab-spring-achcar-interview/

48 Voir C. Reinhart & C. Trebesch, A distant Mirror of Debt, Default and Relief, octobre 2014.

Soudan : la dictature réprime une insurrection historique dans l’indifférence des grandes puissances

Omar el-Béchir © RFI

Omar el-Béchir dirige le Soudan depuis 1989 d’une main de fer. Il est considéré comme l’auteur de crimes de guerre et de génocides par la Cour pénale internationale (CPI). Depuis plusieurs semaines, son autorité vacille. Le 19 décembre 2018, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans toutes les villes du pays pour protester contre la cherté de la vie, provoquée par des mesures d’austérité récemment mises en place par le gouvernement sous l’injonction du Fonds monétaire international (FMI). Cette mobilisation sociale inédite s’est rapidement transformée en contestation politique, réclamant d’une voix unanime la démission du gouvernement. Il s’agit d’un moment de bascule et d’un possible tournant historique pour le pays. Un tournant qui aurait des conséquences incalculables dans la région, mais que les puissances régionales et internationales ne souhaitent pas. Omar el-Béchir, en effet, a su s’ériger en acteur géopolitique incontournable aux yeux de la Ligue Arabe comme de l’Union Européenne, de la Chine comme de la Russie et des Etats-Unis.


Colère sociale contre violence aveugle de la répression

Les images venues du Soudan ces dernières semaines font état d’un climat insurrectionnel inédit dans le pays, et montrent des milliers de manifestants qui bravent une répression armée en scandant des slogans tels que « Le peuple veut la chute du régime ! ». Ce mouvement de grande ampleur est né à Atbara, une ville ouvrière du Nord-Est du Soudan, ancien bastion électoral du régime, où des manifestants se sont rassemblés pour la première fois suite à la multiplication par trois des prix du pain en une nuit. On peut noter l’originalité de l’impusion de cette révolte, venue de régions périphériques en proie à de très importantes difficultés économiques, et non de Khartoum, la capitale. La population s’est en effet mobilisée pour des questions de survie au quotidien : la cherté de la vie est devenue étouffante, les magasins sont vides, l’État n’a pas les fonds pour importer ce qui permettrait à une population urbaine de subvenir à ses besoins, et les pénuries touchent aussi bien l’essence, le gaz, que le pain et les médicaments.

https://www.youtube.com/watch?v=NAfq2cnM7Fs
Manifestation contre le coût de la vie dans les rues de Khartoum © Aljazeera English TV

Dans ce contexte de marasme économique, descendre dans la rue est devenu l’ultime recours des Soudanais, la seule expression possible de la colère sociale qui s’est très rapidement muée en colère politique. C’est ainsi que les manifestations ont gagné en ampleur. Elles rassemblent les classes sociales pauvres, mais aussi les classes moyennes d’étudiants, d’intellectuels et de jeunes employés. Les mêmes revendications se font entendre : l’opposition à une oligarchie inique qui s’accapare les richesses et laisse le peuple aux abois.

« Les forces armées ont l’ordre de tirer à vue sur les manifestants désarmés. Ils sont poitrines nues face aux fusils »

Sans surprise, ces manifestations font face à une répression armée d’une grande fermeté de la part d’un régime qui n’est pas prêt à lâcher le pouvoir et qui ne brille pas par son exemplarité démocratique. Pour disperser les manifestations, les forces de l’ordre ont eu recours à des gaz lacrymogènes, mais ont aussi tiré en l’air et sont équipés de munitions. « Les forces armées ont l’ordre de tirer à vue sur les manifestants désarmés. Ils sont poitrines nues face aux fusils » explique Marc Lavergne, politologue spécialiste du Soudan. Ainsi, Amnesty International décompte 37 morts abattus par les forces de sécurité depuis le début des manifestations et dénonce l’usage inapproprié des armes par les forces policières devant des manifestants pacifiques, tout en s’inquiétant d’un tel déploiement de la police, de l’armée, mais aussi de milices. Aux dernières estimations, on compterait 1 millier de blessés, et près de 2 milliers d’arrestations, bien loin des chiffres officiels du gouvernement. Face à cette euphémisation des faits, Mohamed Al-Asbat, l’un des porte-paroles de l’APS (Association des professionnels du Soudan) tire la sonnette d’alarme : « Les personnes arrêtées subissent la torture. Certaines sont libérées après quelques heures, mais dans des lieux éloignés des rassemblements de manifestants. D’autres sont gardés dans les centres de détention de services sécuritaires, surtout ceux qui sont membres de l’Association des professionnels, comme les médecins, les journalistes, les architectes, les professeurs, les avocats et les juges. Les femmes sont particulièrement humiliées ». Ainsi, dimanche 6 janvier, 17 professeurs de l’université de Khartoum ont été arrêtés et torturés pendant sept heures avant d’être libérés, partageant le sort de six journalistes. La communauté internationale n’a pas encore jugé nécessaire de sanctionner ces exactions, tandis que la Grande-Bretagne, la Norvège, les États-Unis et le Canada se sont dits « consternés par l’usage de balles réelles contre les manifestants », tout en réclamant à Khartoum une enquête indépendante et transparente sur la question. Pourtant, malgré les dangers qu’impliquent le fait d’aller manifester au Soudan, les rassemblements ne désemplissent pas. Cela n’était jamais advenu avec une telle ampleur, car les trente années de dictature avaient vu la mise en œuvre d’une répression constante et d’un appareil de sécurité extrêmement puissant afin de contrôler l’opinion publique et de museler les partis de l’opposition. À quoi est dû ce réveil de la population soudanaise ?

Printemps Arabe ou gilets jaunes soudanais ?

Si la colère et la révolte ont explosé le 19 décembre, celle-ci est en réalité en maturation depuis de nombreuses années. Tout d’abord, le Soudan est un pays encore profondément traumatisé par les guerres violentes et meurtrières des deux dernières décennies, avec la guerre du Darfour au début des années 2000, puis la guerre civile au Sud Soudan qui a abouti à l’indépendance de ce pays en 2011, et enfin des guerres qui se poursuivent encore aujourd’hui dans la province du Sud-Kordofan et la région du Nil Bleu pour le contrôle de l’Abiyé. C’est donc un pays qui n’est pas pacifié, et dans lequel la violence est un mode de fonctionnement de l’État et de domination de la population.

“Les problèmes économiques ne font que traduire la faillite de la gouvernance et l’échec du régime oligarchique dans l’administration et la redistribution des richesses, ce qui a engendré une fracture sociale sans retour.”

La scission du Sud Soudan a aussi engendré une crise économique sans pareil, avec la perte des trois-quart des puits de pétrole et de la zone la plus riche en ressources aurifères. Il faut ajouter à cela l’inflation galopante qui atteint un taux de 70 % (l’un des plus élevés du monde), l’effondrement de la monnaie, la hausse des prix, les pénuries, le taux d’endettement exorbitant… Le Soudan a ainsi été mis sous tutelle par le FMI, qui a préconisé des mesures d’austérité pour maitriser l’endettement, mesures aussi inefficaces qu’insupportables pour la population, et qui ont causé une hausse fulgurante du prix du pain. Enfin, il suffit de s’intéresser à la répartition du budget de l’État soudanais pour comprendre les causes de la colère sociale : 80 % du budget est consacré à la guerre et aux services de sécurité, quand l’éducation et la santé en rassemblent seulement 5 %, le tout dans un pays mono-exportateur très affecté par les chutes du prix du pétrole. Pour Hafiz Mohammad, directeur de Justice Afrique et économiste, les problèmes économiques ne font que traduire la faillite du régime oligarchique dans l’administration et la redistribution des richesses, ce qui a engendré une fracture sociale sans retour.

Ces manifestations d’ampleur nationale liées aux difficultés économiques, qui s’insurgent contre la monopolisation du pouvoir et l’injustice sociale, ne sauraient que trop rappeler les Printemps arabes de 2011. On reconnaît les mêmes formules. L’appel à la démission évoque le fameux « Dégage » proféré en Tunisie contre Ben Ali, tandis qu’ici encore ce sont les jeunes qui mènent le mouvement. Au Soudan, 40 % de la population est âgée de moins de 15 ans. Cette jeunesse n’a connu que cet appareil militaro-islamiste au pouvoir. Les Printemps arabes avaient déjà donné lieu en 2013 à des manifestations très importantes, où la répression avait été faite dans le sang avec près de 300 morts. Pourtant, cette fois, les violences ne semblent pas être en mesure de faire avorter les protestations.

“Par-delà une énième réplique des Printemps Arabes, ces manifestations nous rappellent aussi de façon flagrante le mouvement des Gilets Jaunes. En effet, les partis d’opposition sont demeurés totalement hors jeu et le mouvement a été mené principalement par des personnes apartisanes.”

Par-delà une énième réplique des Printemps arabes, ces manifestations nous rappellent aussi de façon flagrante le mouvement des gilets jaunes. En effet, les partis d’opposition sont demeurés totalement hors jeu et le mouvement a été mené principalement par des personnes apartisanes. Ainsi, comme le décrit Marc Lavergne : « C’est un mouvement qui ressemble plus aux gilets jaunes qu’aux printemps arabes, dans la mesure où il n’y a pas de leader, où il n’y a pas d’organisation derrière. Les partis politiques sont complètement démonétisés, donc on ne voit pas comment les choses pouvaient évoluer autrement que par un soulèvement populaire ». Les institutions ont commencé à organiser le mouvement seulement au bout d’une semaine, et l’on assiste désormais à une double lutte. D’un côté, au niveau des quartiers, des petites villes, des manifestations sont menées par des groupes de jeunes qui construisent des barrages de pneu. De l’autre, des appels unitaires à manifester deux ou trois fois par semaine sont lancés par l’Association des professionnels, bientôt rejoints par les partis politiques de l’opposition. Ces dernières se déroulent dans les centres des grandes villes à des endroits stratégiques. Ainsi, pour la première fois, les Soudanais sentent qu’ils ont du pouvoir et qu’ils mènent réellement le destin de leur pays.

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Barrage de pneus incendiés en signe de protestation à Atbara © Aljazeera English TV

Cette révolte populaire, même si on peut la comparer à des mouvements sociaux antérieurs, a aussi sa teneur propre. Il s’agit en effet de faire tomber un dictateur inculpé par la Cour pénale internationale pour les atrocités commises pendant la guerre civile du Darfour en 2009 et pour génocide depuis 2010. Cette menace ne semble pas beaucoup peser sur el-Béchir, qui continue à voyager en Chine, en Jordanie, en Russie, en Syrie, au Qatar, ainsi qu’à assister à des sommets comme ceux de l’Union africaine (UA) ou celui de La Valette organisé par l’Union Européenne en 2015.

Le jeu cynique de la communauté internationale

En effet, en trente ans de pouvoir, Omar el-Béchir semble avoir parfaitement assuré la position stratégique du Soudan sur l’échiquier national et international. Il est devenu une sorte de pivot dans la région, soutenu par les puissances islamistes telles que l’AKP en Turquie, le Qatar, l’Iran ou encore l’Arabie Saoudite. Il crée en parallèle un jeu d’équilibre avec les puissances occidentales. D’un côté, il s’est rendu fréquentable aux yeux des États-Unis, qui ont retiré le Soudan de la liste des États qui soutiennent le terrorisme et levé l’embargo économique qui frappait le pays sous le mandat de Barack Obama. De l’autre côté, il s’assure le silence des pays européens, notamment de la France qui souhaite conserver ses intérêts au Tchad et en Centre-Afrique, mais qui craint aussi que l’instabilité au Soudan n’entraîne une nouvelle vague de migrations. En effet, en novembre 2015 l’Union Européenne et l’Union Africaine ont signé un accord à La Valette qui a vu la mise en place d’un plan d’action en matière de migrations et de mobilités. Ce plan prévoyait une coopération entre les institutions africaines et européennes pour lutter contre les migrations irrégulières et le trafic de migrants. Ici encore, El-Béchir a su se présenter comme un interlocuteur incontournable aux yeux de l’Europe, qui lui a donné carte blanche pour réguler les mouvements migratoires dans son pays.

“Les relations internationales du Soudan semblent finalement déterminées par sa capacité à complaire à ses voisins et l’occident.”

L’hypocrisie européenne n’a aucune limite, et prouve encore une fois que l’Union européenne et ses pays membres préfèrent une dictature autoritaire qui maintient l’ordre à l’émancipation des populations lorsqu’elle dérange ses intérêts. Les relations internationales du Soudan semblent finalement déterminées par sa capacité à complaire à ses voisins et l’Occident. Ainsi, comme l’a rappelé le président Abdel Fattah al-Sissi à un proche conseiller du président soudanais reçu au Caire : « L’Égypte soutient totalement la sécurité et la stabilité du Soudan, qui sont fondamentales pour sa sécurité nationale ». De même, le Qatar et l’Arabie Saoudite sont opposés à l’idée d’une d’insurrection réussie au Soudan, de peur d’être les prochains sur la liste. La question du terrorisme plane aussi comme une menace sur la communauté internationale. Ainsi, comme l’analyse Amal el-Taweel, experte du Centre Al-Ahram du Caire : « Les puissances internationales et régionales ne laisseront pas le Soudan s’écrouler », car elles craignent également qu’« un nouveau bastion d’extrémistes » y voit le jour en raison de l’instabilité. Le régime avait notamment accueilli Oussama Ben Laden dans les années 1990 et financé le terrorisme au Sahel et en Somalie. Pour le volet économique, la Chine et la Russie ont investi des milliards de dollars au Soudan ces dernières décennies, que ce soit dans l’exploitation du pétrole ou la fabrication d’armes. Comme les pays occidentaux, ils n’ont aucun intérêt à ce que le régime s’effondre et plonge le pays dans l’incertitude.

“Les puissances internationales et régionales ne laisseront pas le Soudan s’écrouler.”

Au début du mois de décembre, le dirigeant avait aussi rendu visite à Bachar Al-Assad, à l’occasion d’une rencontre arrangée par la Russie. Il avait ainsi envoyé un signal fort en renouant avec le régime de Damas.

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Omar El-Béchir, déterminé à rester à la tête du Soudan © Aljazeera English TV

Omar el-Béchir, comme son homologue syrien, se cramponne fermement au pouvoir. Il a annoncé des reformes pour résoudre la crise économique et qualifié les manifestants de « traîtres » et de « mécréants ». Il conserve une partie du soutien de la population, qui s’est rassemblée le 9 janvier en sa faveur, mais aussi des forces paramilitaires. Néanmoins, au sein de son parti, des compétitions et des ambitions commencent à poindre et certains cadres s’imaginent déjà en successeur d’el-Béchir pour sauver ce qui peut l’être de ce régime. Cela pose la question de la transition et des conditions de possibilité d’une nouvelle ère politique.

L’avenir politique et social du Soudan

Si ce régime vient à être remplacé, le pays fera un véritable saut dans l’inconnu car il n’existe pas de parti d’opposition assez structuré pour prendre sa relève afin de permettre la stabilisation et la pacification des régions périphériques, tout en assurant des conditions de vie dignes aux citoyens. Tout dépend désormais de la façon dont le rapport des forces évoluera dans la rue et des futures décisions des partis politiques. Mais compte tenu des intérêts régionaux et internationaux qui compliquent la situation de crise, on ne peut assurer que le régime el-Béchir tombera. Pourtant, comme l’assure la géopolitologue Magdi El Gizouli : « Une telle situation offre un climat parfait pour un putsch. Même si Béchir n’est pas tout de suite remplacé, une chose est sure : son ère touche à sa fin ».

“Le jeu des alliances dans le pays, notamment celle des partis d’opposition et un possible retournement de l’armée pourraient aussi faire basculer la situation.”

Les Soudanais réclament qu’el-Béchir soit jugé au Soudan, ouvrant ainsi une porte de sortie à la crise actuelle. Le jeu des alliances dans le pays, notamment celle des partis d’opposition et un possible retournement de l’armée pourraient aussi faire basculer la situation. La mobilisation en cours a provoqué des vagues de solidarité bien au-delà du Soudan, comme en témoignent les appels à rassemblement dans des villes européennes qui comptent une importante diaspora soudanaise. Tous réclament la démission d’Omar el-Béchir, qui a quant à lui déjà annoncé être candidat aux élections de 2020, après trente ans de pouvoir sans partage.