Le 28 novembre dernier, l’INRA organisait un grand colloque consacré à la reterritorialisation de l’alimentation, une question lancinante à l’heure où les intermédiaires se multiplient entre la production, la transformation et la commercialisation. Selon le rapport d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles[1], un produit parcourt en moyenne 3000 km avant d’arriver dans notre assiette, soit 25 % de plus qu’en 1980. Les petites exploitations qui tentent de s’imposer sur le marché local peinent à faire face à la concurrence des produits importés à bas coût, et le métier d’agriculteur est de plus en plus compliqué. Actuellement, un agriculteur se suicide tous les deux jours selon les données de l’Observatoire national de santé. Le coût environnemental et social de ce modèle impose une transformation des pratiques, par un regain par les territoires de leur capacité de production locale organisée autour de filières intégrant enjeux sociaux et environnementaux. Mais face à la mondialisation des échanges et à l’urbanisation croissante, comment encourager le développement de circuits courts de proximité ?
Circuits courts de proximité : quels avantages pour renforcer la durabilité des territoires ?
Selon la définition adoptée par le ministère de l’Agriculture en 2009, un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. Il en existe plusieurs formes : les magasins de producteurs, la vente directe à la ferme et sur les marchés, les points de vente collectifs (« La Ruche qui dit oui »), les paniers et AMAPs (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). La définition du ministère de l’Agriculture ne prend pas en compte de la distance parcourue par le produit. Ce qui est qualifié de circuit court n’est donc pas nécessairement synonyme de proximité. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a quant à elle proposé une définition du circuit court de proximité[2] qui inclut le kilométrage parcouru par le produit, de 30 km pour un produit agricole à 80km pour les produits transformés. En matière de durabilité, cette définition n’est cependant pas suffisante. L’ADEME définit l’agriculture durable comme celle qui répond à un certain nombre d’enjeux qui sont à la fois la sécurité alimentaire des pays et populations, la rémunération de l’ensemble de la chaîne de production, le respect de l’environnement et la qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments[3]. En outre, un aliment « local » n’est pas nécessairement cultivé sans pesticides et son mode de production peut avoir un impact énergétique important. Faire pousser des tomates sous serres chauffées en hiver, bien que tout près de chez soi, aura par exemple un impact désastreux pour l’environnement. Pour mesurer la durabilité d’un produit, il convient donc de prendre en considération l’ensemble du cycle de vie du produit, soit sa production, sa transformation, son conditionnement et son transport jusqu’au lieu de consommation.
Les modèles d’alimentation durables sont les circuits courts de proximité fondés sur des techniques agricoles favorisant la préservation de la qualité des sols et la qualité nutritive des aliments (agroécologie, transformation sans additifs) plus favorables à l’environnement et garantissant un modèle économique viable pour le producteur. Dans une interview pour le journal l’Humanité, Marc Dufumier[4] explique que « les agriculteurs sont devenus des ouvriers payés à la pièce. Et si la pièce présente le moindre défaut, l’agro-industrie en diminue le prix. La pression à la baisse des prix est incessante ». Les agriculteurs sont pris dans un système capitaliste qui les pousse à produire au plus bas prix, rendant leurs conditions de vie précaires. Ainsi, le développement des circuits courts de proximité est un moteur d’emploi sur le territoire qui dynamise l’économie locale et permet de rémunérer le travail du producteur de manière décente. Derrière les circuits courts, c’est donc la perceptive d’un nouveau rapport à l’espace qui grandit, un nouveau moyen de faire société et de renouer avec son territoire.
Quels sont les freins au développement de ces producteurs locaux ?
La loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt du 13 octobre 2014 a marqué une avancée en matière de relocalisation de la production agricole et alimentaire. Cette loi a mis en place les PAT (Plans d’alimentation territoriaux) qui ont pour objectif d’associer les producteurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs dans des projets alimentaires locaux. Néanmoins, l’objectif annoncé d’avoir 500 PAT en 2020 n’a pas été tenu, puisqu’aujourd’hui seule une centaine de PAT ont vu le jour sur le territoire national. Ouverts en 2017, les États généraux de l’alimentation marquaient la possibilité d’avancées en matière de réglementation alimentaire. La loi EGalim du 30 octobre 2018 qui en est ressortie a en effet permis certaines avancées. Elle prévoit notamment qu’au 1er janvier 2022, les repas servis en restauration collective dans tous les établissements chargés d’une mission de service public comptent 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques[5]. Néanmoins, l’obligation d’intégrer une part de produits locaux dans les aliments servis dans les cantines n’a pas fait l’objet d’un article dans la loi. En outre, en raison du principe fondateur de l’Union européenne de libre circulation des marchandises, il n’est pas possible de favoriser un produit local sur le critère qu’il est produit sur son sol. Or, face aux faibles coûts de production des denrées dans certains pays qui ont recours à une main d’œuvre bon marché, force est de constater que les producteurs locaux ne réussissent pas à rivaliser. Il apparaît donc nécessaire d’orienter les marchés publics en fonction de critères de durabilité[6].
Pour combler cette lacune, les subventions pourraient être accordées selon la durabilité des modèles d’agriculture. Mais là encore le bât blesse puisque les aides européennes allouées à l’agriculture à travers la PAC (politique agricole commune[7]) sont accordées en fonction de l’unité de surface. Autrement dit, plus on a d’hectares, plus on a de subventions. Ce système a ainsi poussé les agriculteurs à agrandir leurs exploitations et à moderniser leurs techniques sur la base d’un modèle productiviste d’agriculture intensive (croissance de pratiques agricoles nuisant à la santé des sols, perte de contenu organique, surutilisation de pesticides). Le système de la PAC a fait de la terre nourricière une source de rente. Dans un dossier de la revue Alternatives économiques[8], Antoine de Ravignan[9] souligne que lors de la définition de son cadre pluriannuel, la PAC a cherché à inciter à de meilleures pratiques agricoles en conditionnant 30% des paiements directs (soit 12 milliards d’euros par an) au respect de meilleures pratiques agricoles. Cependant, un rapport de la Cour des comptes européenne souligne ainsi que « ce verdissement n’a suscité de changements dans les pratiques agricoles que sur quelques 5% des surfaces ». Selon ce rapport, en l’absence d’objectifs clairs (baisse de polluants, amélioration de matières organiques dans les sols), le paiement vert reste une aide au revenu, mais ne permet pas d’avancées environnementales.
Enfin, pour encourager le développement d’un modèle alimentaire durable pour les territoires, il est impératif de rendre possible la possession des terres par les agriculteurs. En France, de plus en plus de personnes morales achètent des terres au détriment des agriculteurs. Ces investisseurs alimentent la spéculation autour du foncier agricole dont le prix explose, rendant son accès impossible aux agriculteurs. Ces investisseurs, en encourageant le modèle des grandes exploitations d’agriculture intensive et de monoculture, représentent un danger pour la préservation de la fertilité des sols, mais aussi pour l’emploi et la qualité nutritionnelle des aliments. Emmanuel Hyest, président de la FNSafer a, à plusieurs reprises, alerté les pouvoirs publics sur l’irréversibilité de ce phénomène aux conséquences dramatiques. La dérégulation du marché foncier menace aujourd’hui la soutenabilité du modèle agricole. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle souligne ainsi l’urgente nécessité d’une loi foncière.
« il en va de la souveraineté alimentaire, de la lutte contre le changement climatique et de la vitalité de nos espaces ruraux ».
En somme, reterritorialiser notre alimentation en encourageant le développement des modèles de production plus durables apparaît aujourd’hui fondamental pour assurer la préservation de l’environnement, la juste rémunération des producteurs et la qualité nutritive des aliments. Cela ne sera pas possible sans une révision de la logique de la politique agricole commune et la lutte contre la concurrence dérégulée. Par ailleurs, Emmanuel Macron avait promis une loi pour 2019 sur la protection du foncier agricole, cette loi semble se faire attendre. Pourtant, elle est fondamentale pour encadrer la bonne distribution des surfaces agraires et garantir notre souveraineté alimentaire.
[1]Rapport d’information n°2942 sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles, Brigitte Allain, 7 juillet 2015.
[2] ADEME, rapport « Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des Français en 2030 »,2015.
[3] ADEME, rapport « Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des Français en 2030 », 2015.
[4] Marc Dufumier est professeur honoraire à AgroParisTech, président de la nouvelle association pour la Fondation René-Dumont, membre du comité scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot, président de Commerce équitable France et administrateur du Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI)
[5] C’est notamment ce que préconisait le rapport d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles
[6] 9 milliards d’euros sont versés chaque année à 300 000 exploitations en France
[7]Qualité de vie, écologie, innovation, les campagnes sont de retour Alternatives économiques, n°16, Décembre 2018
[8] Antoine de Ravignan, Rédacteur en chef adjoint d’Alternative économiques
[9] Rapport d’information sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, N° 4363
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De la démission de Nicolas Hulot aux marches pour le climat organisées dans de nombreuses villes de France, les voix portant l’urgence d’une transition écologique de grande ampleur semblent ces jours-ci plus nombreuses et plus audibles. Dernières en date, celles des signataires de la pétition “Nous Voulons des Coquelicots”. Rallié par des personnalités de tous horizons et présenté dans plusieurs médias par le journaliste Fabrice Nicolino, l’Appel des Coquelicots se donne un objectif simple et ambitieux : débarrasser les sols et les assiettes françaises des pesticides de synthèse. Un combat qui a vocation à s’inscrire dans le temps, puisqu’un changement de modèle agricole ne saurait se faire en quelques jours, mais pour lequel on peut déjà identifier de sérieux défis à relever.
Depuis dix ans l’échec des petits pas
Interdire tous les pesticides : pourquoi un tel impératif catégorique ? Sans doute l’urgence de la situation le commande. Mais plus encore, c’est à notre impuissance collective et plus précisément à l’échec des politiques publiques environnementales que s’adresse l’appel. Comment en effet ne pas faire le constat d’un problème récurent de méthode dans la manière qu’ont les gouvernements d’envisager la question environnementale ?
Chiffres désormais répétés partout, les conclusions des dernières études sur la biodiversité sont radicales [1]. En quinze ans, un tiers des espèces d’oiseaux ont disparus en France. Sur les trente dernières années, ce sont près de trois quarts des espèces d’insectes volants qui se sont éteintes en Europe. Les sols français n’ont jamais été aussi dégradés et la surface de terre arable en France ne cesse de diminuer.
Et la transition vers une agriculture durable se fait toujours attendre. Malgré une vraie progression, l’agriculture biologique reste marginale [2] et ne parvient pas à répondre à la totalité de la demande des consommateurs, pourtant enclins à acheter local. Dix ans après le Grenelle Environnement du quinquennat Sarkozy, nous en sommes peu ou prou au même point. L’inefficacité et l’inadéquation de la méthode dite des « petits pas » est aujourd’hui criante. Bien souvent inatteignables aux vues des moyens qu’on leur consacre, les propositions ponctuelles et sporadiques, sans vision d’ensemble et sans réflexion structurelle ont perdu toute crédibilité. Les capacités d’adaptation des filières – éventuellement aidées par un peu de réglementation – et les mécanismes commerciaux usuels ne sont guère plus convaincants. Si les marchés étaient réellement capables d’intégrer la contrainte climatique dans leurs fonctionnements, qu’ont-ils attendu et qu’attendent-ils encore ? L’agriculture productiviste et mondialisée, pourtant en première ligne sur la question puisqu’elle voit ses rendements menacés par l’augmentation des températures [3], ne semble pas particulièrement pressée d’engager une transition.
“Dix ans après le Grenelle Environnement du quinquennat Sarkozy, nous en sommes peu ou prou au même point, l’inefficacité et l’inadéquation de la méthode dite des « petits pas » est aujourd’hui criante”
L’inertie et le ridicule dont est frappée la dernière décennie d’action climatique dans les sociétés occidentales achève ainsi de nous convaincre d’une chose : si ce n’est le marché, ce sera donc l’État qui fera la transition. Seule une intervention conséquente, coordonnée et intelligente de la puissance publique est susceptible d’inverser la tendance, en matière climatique comme en matière de biodiversité. L’invention d’un modèle d’agriculture durable est avant toute chose une question de volonté politique. Plutôt qu’une énième compilation d’articles scientifiques, l’Appel des Coquelicots adopte un ton résolument lyrique, taillé pour l’action et le rêve d’un « soulèvement pacifique de la société française » contre l’extraordinaire puissance de blocage que représentent aujourd’hui les lobbies pro-pesticides – en témoignent les récentes péripéties parlementaires du glyphosate, pour ne donner qu’un exemple. Le cadre explicitement national de la mobilisation annoncée contre les pesticides participe également à ce souci d’efficacité politique : ne pas disperser ses forces dans des batailles trop vastes et identifier clairement un responsable politique principal à travers le gouvernement français actuel.
Que l’on parte à la conquête du pouvoir ou que l’on ambitionne de contraindre l’actuel à agir selon les exigences d’un puissant mouvement social, gageons que la lutte sera âpre, longue et que ses éventuelles victoires ne se feront pas sentir avant plusieurs années. Il parait alors d’autant plus utile de prendre la mesure des changements que supposent une agriculture débarrassée des intrants dérivés du pétrole. L’ampleur de la tâche est immense et les points de résistance nombreux. La colossale quantité d’énergie politique qu’il faudrait y déployer incite de fait à identifier au préalable les principaux freins à la transformation qu’il s’agit de faire sauter. Et sans grande surprise, ceux-ci ne sont pas tant techniques que socio-économiques.
Le défi commercial
Parler d’agriculture en France, c’est parler de commerce et d’échanges internationaux. D’abord pensé comme un remède à la dépendance européenne aux importations alimentaires, la lente conversion de l’agriculture française au productivisme d’après guerre débouche dans les années 1970 sur un excédent de production qui – associé aux débuts de mondialisation des échanges et appuyé par la Politique agricole commune (PAC) – amorce la réorientation de la production vers le commerce international. Ainsi, pour l’année 2017, la France exporte pour 58 milliards d’euros de produits agro-alimentaires, pour une production avoisinant les 78 milliards d’euros, soit près des trois quart de la production tournés vers l’exportation ! [4] Réciproquement le marché français importe pour près de 52 milliards de produits agro-alimentaires, soit plus des deux tiers de la valeur de la production nationale. Cas emblématique, la production céréalière – qui occupe en France 52% des terres arables – exporte la moitié de ses récoltes [5] notamment vers le Maghreb et l’Afrique. C’est donc une agriculture taillée pour la concurrence internationale qu’organise le modèle français. Or, si les promesses des marchés internationaux peuvent séduire à court terme (la consommation de viande baisse en Europe mais elle augmente en Chine), elles s’appuient sur une organisation de la production à l’opposée de ce que pourrait être une agriculture raisonnable. Favorisant les grandes exploitations en monoculture intensives en pétrolifères, l’hyper-industrialisation d’élevage et la multiplication des trajets d’acheminement et de distribution, l’agriculture d’exportation constitue bien plus un accélérateur qu’une solution à l’effondrement de la biodiversité. D’autre part, une telle organisation commerciale complique la perspective d’un contrôle stricte de la diffusion des pesticides puisqu’elle découple la question de la consommation de celle de la production. Le consommateur français achetant en effet un grand nombre de produits alimentaires étrangers, il faudrait pouvoir en contrôler les conditions de productions pour chaque pays producteur ! Tandis qu’une amélioration sensible des pratiques productives des agriculteurs français serait sans impact sur le consommateur si les récoltes partent à l’autre bout du monde.
“Favorisant les grandes exploitations en monoculture intensive en pétrolifères, l’hyper-industrialisation d’élevage et la multiplication des trajets d’acheminement et de distribution, l’agriculture d’exportation constitue bien plus un accélérateur qu’une solution à l’effondrement de la biodiversité”
La réduction drastique des pesticides dans les sols et les assiettes appelle donc un régime commercial différent où la puissance publique – qu’elle soit ici française ou, rêvons un peu, européenne – puisse encadrer à la fois les pratiques de production et de consommation sur un même territoire. Il s’agirait alors de réorganiser en profondeur la production pour la réorienter vers le marché intérieur. Pour cela, il sera difficile d’échapper à une certaine dose de protectionnisme visant, soit par taxe prohibitive soit par interdiction pure et simple, les produits externes issus d’agricultures intensives en produits de synthèses.
La nécessité d’une réorientation de la production vers un marché intérieur n’aurait pas lieu d’être dans un monde idéal où tous les acteurs se lanceraient au même moment et d’un commun accord dans une transition agricole. Toutefois l’organisation de notre monde actuel fait peser une partie importante du coût du changement sur le premier qui en a l’initiative. Le coût d’une transition aussi complexe ne pouvant être déterminé avec certitude, celle-ci représente, pour l’économie du pays qui s’y engage, un risque important d’y laisser quelques plumes. Aussi existe-il une chance non négligeable, pour le pays candidat à la transition, de se retrouver un moment seul dans la compétition mondiale à appliquer ses nouveaux standards de production, ne pouvant compter dans un premier temps que sur lui-même. C’est la raison pour laquelle il n’aurait que sa production intérieure pour y appliquer une interdiction des pesticides et assurer à ses citoyens une nourriture plus saine. Un minimum de protectionnisme serait ainsi indispensable pour réduire les importations de denrées traitées chimiquement mais surtout pour soutenir nos agriculteurs contre la concurrence désormais déloyale – car obéissant à des critères de production moins strictes – de l’agriculture conventionnelle.
Le défi géopolitique
Se pose également la question de l’échelle du territoire que l’on se proposerait de mettre en transition par la mobilisation politique. Si l’échelle de la planète, ou même du monde occidental, est à exclure pour l’instant, le niveau européen serait évidement le levier idéal pour amorcer un mouvement capable de produire un réel impact sur le monde. D’autant qu’à travers la PAC, l’ancienne CEE avait dans un premier temps joué la carte de l’autosuffisance alimentaire à travers la préférence communautaire. Toutefois, les récents déboires historiques de l’Union Européenne ne peuvent qu’inciter à la prudence, voire au scepticisme sur le sujet. D’abord en raison du profond attachement des institutions européennes au libre-échange qui laisse présager une résistance à tout type de taxations, même minimes, des produits des agricultures conventionnelles étrangères [6]. Ensuite, par la lenteur et la complexité du processus de décision européen qui, à l’évidence, se marie très mal avec l’urgence écologique. Le combat le plus logique à mener dans le cadre européen serait alors la demande vive et insistante de redirection massive des subventions de la PAC vers les exploitations développants des techniques de culture écologique.
“Il y a sans doute une diplomatie agricole à inventer, un jeu subtil d’inclusion et de contournement des institutions européennes, un équilibre à trouver entre relations bilatérales et vision continentale”
Reste le cadre national choisi par les partisans du coquelicot. Plus naturel et politiquement plus réceptif, celui-ci ne saurait cependant se passer d’une réflexion géopolitique. En particulier sur la question européenne puisqu’une transformation de grande ampleur se heurterait aux dispositions des traités européens. L’importance des investissements publics à engager risque en effet de porter bien au-delà des fameux 3% les déficits budgétaires. De plus un protectionnisme écologique remettrait en cause le principe du marché unique et les accords de libre échange signés avec des pays tiers. En même temps, le poids de la France dans la production agricole européenne lui laisse peut-être une chance de susciter un effet d’entrainement sur les autres pays d’Europe, ce qui lui éviterait la solitude des pionniers. Il y a sans doute une diplomatie agricole à inventer, un jeu subtil d’inclusion et de contournement des institutions européennes, un équilibre à trouver entre relations bilatérales et vision continentale. Si le libre-échangisme pur jus n’a pas d’avenir, sans doute les relations commerciales intenses sont elles possibles avec des partenaires privilégiés – des voisins géographiques, par exemple, dont la proximité rend bien plus crédible une garantie mutuelle sur la qualité des produits échangés.
Le retour à une agriculture « localiste » peut enfin avoir des conséquences vis à vis des pays les plus dépendants des exportations françaises – comme l’Algérie dont c’est le cas pour le blé bien qu’elle ne manque pas d’offre de substitution. Conséquences dont les effets géopolitiques et humanitaires ne manqueraient pas de se faire sentir s’ils étaient mal anticipés.
Le défi économique
Le productivisme d’après guerre puis la mondialisation des échanges agricoles ont ainsi fait émerger un modèle économique spécifique, dont le fonctionnement est aujourd’hui l’une des causes du désastre écologique. Pourtant régulièrement pointés du doigt dans les opinions européennes, beaucoup d’agriculteurs semblent encore attachés à leur modèle économique productiviste et n’y voient pas forcément d’alternative. C’est qu’il existe comme partout ailleurs une certaine inertie des structures et des hommes qui les rendent partiellement réfractaires aux ruptures historiques. Même protégé par un régime commercial adéquat, l’appareil de production agricole français n’en serait pas forcément adapté aux nouvelles contraintes écologiques. Privées de pesticides, les exploitations organisées pour la monoculture intensive pourraient perdre leur viabilité économique. Le modèle dominant étant imposé par la concurrence mondiale et reposant sur l’écrasement maximum des coûts de productions fait que tout changement de pratique risque de les augmenter. En d’autre termes : l’agriculture conventionnelle étant pensée pour produire pour le moins cher possible, une agriculture sans pesticides couterait sans doute plus cher à la production. Ainsi les mérites de l’agroécologie en matière de créations d’emplois [7] sont aussi synonymes de charge financière supplémentaire : remplacer les désherbants de synthèse par des ouvriers agricoles payés au smic – ou plus – à organisation de production constante coûte plus cher. A cet égard, le récent débat sur l’utilisation du glyphosate – désherbant plébiscité par les agriculteurs français [8] – est caractéristique. Substance très efficace pour la destruction des « mauvaises herbes » (et le reste de l’écosystème qui va avec), c’est surtout son prix bon marché, au regard du service rendu, qui a été mis en avant par ses utilisateurs. Car les différentes alternatives existantes à ce jour supposent toutes un renchérissement du service de désherbage et/ou une réorganisation importante de l’exploitation agricole.
“Un grand nombre d’exploitations biologiques survivent en France dans un marché pourtant concurrentiel, [ce qui] se traduit cependant par des prix à la consommation sensiblement plus élevés que la moyenne qui empêchent pour l’instant sa généralisation”
La transition vers une agriculture massivement biologique suppose donc l’invention d’un nouveau modèle économique de production et de distribution agricole où l’essentiel des paramètres de production actuels sont à revoir (taille et diversité d’exploitation, niveau de mécanisation, intensité en emplois, prix à la production, prix à la consommation etc. ). On tiendrait ainsi compte tant des coûts structurels de production que du coût de transformation des exploitations conventionnelles en cultures écologiques. Un tel modèle existe certes déjà partiellement : un grand nombre d’exploitations biologiques survivent en France dans un marché pourtant concurrentiel. Ce modèle se traduit cependant par des prix à la consommation sensiblement plus élevés que la moyenne qui empêchent pour l’instant sa généralisation. On voit mal comment un tel processus pourrait se faire rapidement et efficacement sans un solide système de subventions soutenant le coût d’une transition que ni les agriculteurs ni les consommateurs semblent vouloir assumer. Le redéploiement massif des aides existantes vers les secteurs bio ou agroécologique et l’invention d’une fiscalité taillée à leur mesure – comme le demandait récemment le professeur Claude Henry [9] dans une tribune dans « Le Monde » – représentent à cet égard un impératif.
Le défi social
De même que la révolution agricole productiviste, fortement subventionnée en Europe lors de ses débuts, la nouvelle révolution agroécologique ne se fera pas sans intervention publique sur le niveau des prix. Car dans les conditions actuelles, la situation sociale des agriculteurs français laisse imaginer une marge de manœuvre quasi nulle, sans capacité aucune d’intégration de quelconques nouveaux coûts. De moins en moins nombreuses et de plus en plus endettées, les exploitations agricoles françaises font face ces dernières années à une multiplication des faillites. Les menaces que font peser le réchauffement climatique et la surexploitation des sols sur les rendements achèvent de fragiliser un contexte déjà très tendu. En dehors de quelques champions de l’export – peu portés à l’abandon du régime pétrolifère – les agriculteurs français vivent de moins en moins bien et s’enfoncent toujours plus dans une crise sociale durable, tant économique que métaphysique, en attestent le niveaux des suicides enregistrés pour la profession [10].
“La nouvelle révolution agroécologique ne se fera pas sans intervention publique sur le niveau des prix”
Côté consommateurs, les débats récurrents sur le pouvoir d’achat et la place fondamentale qu’ils prennent à chaque échéance électorale montrent assez l’incapacité de la majorité des citoyens à encaisser une augmentation significative des prix alimentaires. Sans doute existe-t-il des solutions du côté de la distribution, notamment par un meilleur encadrement des marges des grandes enseignes. Mais on doute que cela suffise pour atteindre le niveau des premiers prix de supermarchés, déjà très tirés vers le bas et dont un nombre croissant de Français sont aujourd’hui dépendants.
Une transition agricole ne serait donc socialement viable que par la mise en place d’un système social à double objectif. Un soutien aux agriculteurs, en leur garantissant des prix planchers de ventes, des solutions de financement de transition (prêts à taux zéro, rachat de dettes etc.) et une priorité d’accès aux marchés publics pour la production biologique. Cette dernière idée est souvent évoquée pour les cantines scolaire, mais pour l’instant que très marginalement mise en œuvre. Et un soutien aux consommateurs les plus pauvres, par la distribution d’allocations alimentaires ciblées via des chèques alimentaires réservés à l’achat de produits biologiques, entre autres.
Un tel programme social nécessiterait sans doute d’importantes sommes d’argent public, qui ne manquerait pas de nous mettre en porte-à-faux à l’égard des règles européennes et qui plus largement ne peut que nous inciter à repenser nos outils de financement publics. Sujet tout aussi kafkaïen.
Le défi technique
Confrontés depuis des décennies aux nécessités de l’expérimentation, les agriculteurs non conventionnels du monde entier ont inventé une grande diversité de solutions dont un certain nombre sont sans doute applicables dès aujourd’hui sur le sol français. Au centre des débats, la question de la productivité de ces nouvelles agricultures qui accuseraient, selon certaines études, des rendements moindres que ceux de l’agriculture intensive et qui, à production égale, demanderait ainsi plus de surface cultivable [11]. Or, si la question productive ne peut être complètement écartée, elle est cependant beaucoup moins centrale qu’elle a pu l’être au début des années 1950. Compte tenu de la forte évolution de nos pratiques de consommation, celles-ci nous offrent – pour peu qu’on en pense la transformation – de sérieuses marges de manœuvres. Les modes d’alimentation pratiqués dans les pays dits « développés » n’ont ainsi plus grand chose avec nos besoins caloriques réels. Le développement de maladies liées à la « malbouffe », obésité, diabète pour ne citer qu’elles étant en forte hausse.
Au-delà du cas de l’industrie agro-alimentaire et de son impact sur la santé publique, deux leviers de réduction de la consommation alimentaire française sont à notre portée : la lutte contre le gaspillage alimentaire et la raréfaction de la consommation de viande. Création du quinquennat Hollande, la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire du 11 février 2016 semble apporter un début de résultat. Dans un pays où le gaspillage est évalué à près du quart des produits alimentaires vendus, les conditions de sa diminution restent toutefois encore largement à inventer. De même, une éventuelle limitation de la production de viande libérait mécaniquement une partie des surfaces cultivées pour la nourriture des animaux d’élevage.
“Le principal défi technique de la nouvelle agriculture ne consiste donc à pas rechercher la productivité à tout prix, mais plutôt à trouver les configurations d’exploitation qui permettront d’assurer des rendements relativement stables et avec eux une sécurité alimentaire”
Par ailleurs, la Food and Agriculture Organisation qui est l’organisme en charge de la question agricole au sein des Nations Unies estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir à ce jour 12 milliards d’individus, soit presque le double de la population planétaire actuelle [12]. Les sociétés humaines contemporaines sont ainsi capables de supporter une certaines baisse des rendements agricoles – baisse que l’on finira par subir d’une manière ou d’une autre dans le siècle à cause du changement climatique et dont il faudra bien s’accommoder.
Le principal défi technique de la nouvelle agriculture ne consiste donc pas à rechercher la productivité à tout prix, mais plutôt à trouver les configurations d’exploitation qui permettront d’assurer des rendements relativement stables et avec eux une sécurité alimentaire. Il s’agit en effet de faire face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes et aux grandes variations de températures que nous promettent les scientifiques du GIEC tout en maintenant la longévité biologique de sols. L’équation de la production agricole est donc aujourd’hui différente. A l’opposé du colosse aux pieds d’argile qu’est l’agriculture productiviste, les nouveaux modèles agricoles devront se tourner davantage vers la solidité et la résilience. Les ressorts d’une telle invention résident sans doute pour partie dans les savoirs de plus en plus précis des agronomes et des biologistes sur les propriétés agricoles des écosystèmes : complémentarités des cultures, utilisation de la biodiversité comme moyen de luttes contre les prédateurs etc., mais sont peut-être également dans la combinaison des différents modèles de productions eux-mêmes.
À ce titre, une réflexion systémique sur l’organisation du territoire agricole à grande échelle devient nécessaire. Compte tenu de la vitesse et de l’ampleur de la transition à mener, un minimum de coordination publique s’impose. Recenser et diffuser les nouveaux savoirs agricoles, penser leurs articulations avec les savoirs existants, identifier les territoires capables d’amorcer la transition, choisir ceux qui serviront au contraire de « pivots », évaluer régulièrement la trajectoire de transition, trouver les moyens de la corriger si besoin etc. Autant de tâches nécessitant la réunion et la coopération de tous les acteurs du secteur (agriculteurs, filières de distributions, ingénieurs-agronomes, biologistes, météorologues, consommateurs), ce qui à coup sûr posera d’inévitables questions politiques : sincérité de l’institution, mise à l’écart des lobbies, fidélité de la représentation des acteurs… soit une profonde transformation du Ministère de l’agriculture actuel.
Le défi politique
L’impérieuse et incontestable nécessité de stopper l’utilisation des pesticides dans nos champs se révèle ainsi être une boite de Pandore d’où s’échappent tous les autres problèmes auxquels font face aujourd’hui les agriculteurs. La complexité de la situation agricole exige, lorsque l’on projette d’en modifier un paramètre, que l’on repense également tous les autres. Ceux-ci tiennent bien plus à l’organisation du commerce mondial qu’aux questions de productivité à proprement parler. A cet égard, tous les projets de transition qui se proposent de « raisonner » l’agriculture « et en même temps » d’améliorer la compétitivité de l’agriculture biologique font fausse route [13]. La compétition internationale n’est plus un moyen de stimulation du développement agricole. Elle est devenue au contraire un facteur d’immobilisme et le plus sérieux frein à une transition dont le besoin fait aujourd’hui consensus. Celle-ci passera donc par la réinvention d’un modèle commercial qui sache redonner aux agriculteurs souplesse et indépendance, tant sur le plan international (protectionnisme écologique) que national ou européen (garanties de financement, prix planchers etc.).
D’autre part, si elle doit se faire rapidement à l’échelle de l’histoire humaine, la nouvelle révolution agricole ne se fera pas en quelques mois. À titre d’exemple de transition crédible, Fabrice Nicolino évoquait ainsi « un plan de sortie en quinze ans », soit une temporalité dont ni le marché, ni la « société civile » ne sont objectivement capables [14]. Malgré des défauts régulièrement décriés (bureaucratie, potentiel autoritarisme, hermétisme structurel aux « réalités de terrain »), l’État parait être la seule force collective pouvant assurer le coût et la durée d’une transition via un type de planification publique. La nature et le volume des investissements à engager impose également une clarification collective de nos priorités politiques. Désobéir frontalement aux engagements européens de maîtrise budgétaire et amorcer un contrôle strict des importations des denrées « à pesticides », c’est prendre le risque d’un conflit avec l’Union Européenne déjà bien fragile. C’est aussi mettre une sacré quantité d’eau dans le gaz du couple franco-allemand, un risque pas forcément compensé par l’éventuel effet d’entrainement sur les autres États membres que pourrait produire une telle rupture. De même, si une certaine « neutralité partisane » peut se justifier par la recherche d’une transversalité la plus grande possible, un mouvement citoyen d’une telle nature – a fortiori s’il imagine infléchir la politique d’un gouvernement de manière aussi frontale – ne peut faire l’économie d’une forme dialogue ou de coordination avec tous ceux qui partagent ses ambitions : partis politiques, syndicats, associations, ONG, médias etc. Autant dire un vrai panier à crabes de récupérations politiciennes et autres rivalités institutionnelles, dans lequel on devra bien, pourtant, se résoudre à mettre quelque fois la main. Après tout, si l’on rêve d’un début d’union nationale sur le sujet, il faut d’abord que ses éventuels membres se parlent (et s’écoutent).
“Le succès d’une transition se fera autant sur le contenu que sur la manière (rythme, relations entre les acteurs, valeurs sociales mobilisées…)”
Évidemment la simple analyse des conditions actuelles d’une transition agricole ne saurait suffire à déterminer un futur (celles-ci pouvant évoluer de bien des manières), ni surtout remplacer un discours politique et l’énergie humaine qu’il se propose de rassembler. Le succès d’une transition se fera autant sur le contenu que sur la manière (rythme, relations entre les acteurs, valeurs sociales mobilisées…). On peut penser que l’interdiction effective des pesticides constituera un moteur de créativité agricole bien plus puissant que toutes les compilations et soporifiques recensements d’alternatives potentielles. Et l’on aura bien raison. Mis au pied du mur, les sociétés humaines se montrent sensiblement plus dynamiques qu’à l’écoute de dissertations pleines de conditionnel. De surcroit, les grandes ruptures historiques demandent parfois un « saut dans le vide » qu’aucune intellectualisation ne saurait définitivement éclairer.
Mais l’enjeu essentiel d’un mouvement politique n’est-il pas justement d’articuler connaissance et transformation du monde, de manière à ce que chacune se nourrisse l’une de l’autre ? En fixant un objectif simple, concret et poétique (le retour des fleurs sauvages dans nos campagnes), en s’inscrivant dans le temps long – deux ans c’est très long en politique – , le mouvement des Coquelicots s’est donné les moyens d’une mobilisation du corps social que l’on espère la plus large possible. Reste à en faire le catalyseur d’une volonté de transition bien plus large dont nous pourrions, au fil des mois et des semaines, nous faire une idée de plus en plus précise.
[1] Sur la disparition des oiseaux, l’étude du Muséum d’Histoire Naturelle : https://www.mnhn.fr/fr/recherche-expertise/actualites/printemps-2018-s-annonce-silencieux-campagnes-francaises
Sur la disparition des insectes, une sur les zones protégées européennes : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0185809
[2] Autour de 6,5% de la surface agricole utile française : http://www.agencebio.org/le-marche-de-la-bio-en-france
[3] Désertifications, multiplications des événements extrêmes … Sur la baisse des rendements due au réchauffement : http://www.pnas.org/content/114/35/9326
[4] Sur le niveau des exportations agricoles françaises : http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Gaf2017p110-116.pdf
[5] Quelques chiffres sur la filière filière céréalière française : https://www.passioncereales.fr/la-filiere/la-filiere-en-chiffres
[6] l’UE a d’ailleurs fait tout l’inverse en signant le CETA : https://www.france24.com/fr/20170921-ceta-traite-conteste-ong-application-provisoire-canada-europe-ue
[7] Que l’on décrit souvent comme plus intensive en main d’œuvre : https://www.cairn.info/revue-projet-2013-4-page-76.htm
[8] Sur un certain attachement des agriculteurs au glyphosate https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/glyphosate-les-agriculteurs-du-puy-de-dome-ne-comprennent-pas-1527596758 ; et sur les éventuelles alternatives : https://reporterre.net/Se-passer-du-glyphosate-C-est-possible
[9] La tribune en question : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/05/claude-henry-trois-mesures-pour-sortir-du-desastre-ecologique_5350348_3232.html
[10] Sur la situation sociale des agriculteurs : https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/10/14/baisse-des-revenus-suicides-la-crise-des-agriculteurs-fait-beaucoup-moins-de-bruit-que-l-affaire-alstom_5013945_3234.html
[11] Sur l’état du débat sur la productivité du bio : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-bio-peut-il-nourrir-le-monde_17672
[12] Sur les capacités productives agricoles de la planète, l’émission d’Arte Le Dessous des Cartes : https://www.youtube.com/watch?v=jt0jWmJopE0
[13] Notamment le rapport de l’INRA : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/rapport-INRA-pour-CGSP-VOLUME-1-web07102013.pdf
[14] Voir l’entretien de Fabrice Nicolino lors d’une matinale de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/environnement-lheure-de-la-mobilisation-generale
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Alors que les photos de Paris sous la neige envahissent les réseaux sociaux et que les polémiques s’accumulent autour des « naufragés de la route », la question de la capacité de l’État à gérer les épisodes climatiques extrêmes se pose concrètement. S’il ne faut pas confondre météo et climat, le changement climatique est bien responsable de l’intensification des vagues de froid que nous traversons en ce moment.
Précis de climatologie facile : le Jet-stream devient fou
Le changement climatique est déjà à l’origine de violentes perturbations météorologiques et leur fréquence risque fortement de s’intensifier. Dès lors, connaître les ressorts climatiques qui les sous-tendent peut se révéler particulièrement utile pour comprendre que l’adaptation n’est pas une option parmi d’autres. Mais alors, comment expliquer de telles vagues de froid ?
La température n’augmente pas de manière uniforme sur Terre avec le réchauffement climatique. Les pôles, par exemple, se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète. En effet, la neige blanche possède un indice « albédo » fort, de 0,9 sur 1, c’est-à-dire qu’elle réfléchit 90% de l’énergie qu’elle reçoit du soleil. Avec la fonte des glaces, elle est de plus en plus remplacée par de grandes étendues de mer sombre, d’un indice de 0,05, qui absorbent 95% de l’énergie solaire, ce qui provoque une accélération de ce phénomène.
L’Arctique est particulièrement victime de ce cercle vicieux. Les températures y ont grimpé de plus de 2°C en moyenne depuis le XIXème siècle et la surface recouverte par la glace en été y a diminué de 50%. La différence de température entre le Pôle Nord et l’équateur a tendance à diminuer, ce qui perturbe le cours normal des vents dominants. L’air chaud est plus léger que l’air froid. Il a donc tendance à monter et ce faisant, il provoque un phénomène d’aspiration par le bas. La différence de température entre l’équateur et les pôles actionne donc des vents considérables : les alizés.
Au niveau du cercle arctique, l’air froid entre en contact avec les alizés chauds et la rencontre crée un ascenseur thermique : l’air chaud monte et l’air froid descend selon un axe vertical. En tournant, la Terre transforme ce mouvement vertical en mouvement horizontal, c’est la « force de Coriolis ». C’est ainsi que naît le Jet-stream, vent froid puissant se déplaçant d’ouest en est.
Avec le changement climatique, ce vent est moins « maintenu », puisqu’il y a moins de tension thermique. Il se déplace donc de manière plus sinueuse, ce qui permet d’une part à des vagues de froid polaire de s’enfoncer vers le sud, et d’autre part à des vagues de chaleur de pénétrer plus au nord.
Des pouvoirs publics incapables de s’adapter ?
En décembre dernier, l’Amérique du Nord a connu une vague de froid particulièrement extrême (-40°C à New-York, de la neige en Floride), tandis que début février, le Maghreb s’est retrouvé sous la neige, avec pour conséquence une paralysie des zones rurales. Ces derniers jours, c’est la Ville Lumière qui s’est voilée de blanc, avec les conséquences que l’on connait : des bouchons en Ile-de-France (jusqu’à 739 kilomètres km le 6 février), des perturbations dans les transports publics (arrêt des bus RATP, TGV ralentis pour « éviter les projections de glace ») et des entreprises en difficulté. Vendredi 9 février, elles étaient plus d’une centaine à être sérieusement empêchées dans leur fonctionnement, a fortiori celles qui dépendent des transports routiers et des livraisons.
La question de savoir si cela aurait pu se passer autrement est légitime. Le gouvernement semble nier une réaction insuffisante, ou trop tardive, de sa part. La ministre des transports Elisabeth Borne accuse la fatalité et déclare que “lorsque de telles quantités de neige tombent, le sel n’agit plus et la neige tient au sol. Il devient alors extrêmement compliqué pour les engins d’intervenir car les routes sont pleines d’automobilistes”. De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb évoque, avec sa franchise caractéristique, une réalité plus « crue », sans mauvais jeu de mots : “Il faudrait acheter beaucoup de matériel, qu’on utilise une fois tous les trois ans. Lorsque vous êtes au Canada, il tombe 60 centimètres et tout le monde roule parce qu’ils ont investi des milliards et des milliards”.
Certes, il y a toujours pire ailleurs. Début janvier, avec 2cm de neige seulement – contre 18 à Paris -, une pagaille a envahi la métropole madrilène, entraînant des annulations de vols, des fermetures d’écoles et la prise d’assaut des stations-service. L’armée a même dû secourir des milliers d’automobilistes coincés toute la nuit dans leurs véhicules sur l’autoroute reliant Madrid et Ségovie.
Les villes qui ne sont pas habituées la neige sont donc confrontées à un dilemme : s’équiper coûte cher et la probabilité d’occurrence de chutes importantes est jugée faible. A l’heure où les services publics sont diminués sous prétexte d’économies budgétaires, de tels investissements ne semblent pas à l’ordre du jour. Comme souvent, les pouvoirs publics préfèrent en appeler à la responsabilité individuelle – beaucoup moins coûteuse -, comme en témoignent les propos de l’ancien ministre des transports Dominique Bussereau : « Peut-être que nous [les automobilistes] n’avons pas forcément les bons réflexes. Nous sommes dans une région, la région parisienne, où nous ne sommes pas habitués à ces conditions comme nos amis du Jura, des Vosges ou d’Auvergne, qui savent rouler sur la neige”. Pourtant, les dégâts coûtent souvent plus cher que la prévention, surtout en vie humaine.
Inondations, crues et même canicules… ce que laisse envisager le bouleversement du Jet-stream.
Le Jet-stream apporte beaucoup d’humidité car la différence de température entre les vents qui le font naître provoque des phénomènes de condensation. En hiver donc, il apporte souvent de la neige. Lorsque le redoux survient, cette dernière fond et gonfle les cours d’eau. Avec l’augmentation de la fréquence des vagues de froids et de redoux, la quantité globale d’eau de fonte peut s’avérer bien supérieure aux moyennes annuelles. Si les sols sont en surcapacité d’absorption, alors les fleuves finissent par déborder. L’artificialisation des terres et le tassement des sols agricoles n’aident évidemment pas à prévenir ces phénomènes. Un sol forestier peut absorber 400 mm d’eau par heure alors qu’un sol agricole labouré n’en absorbe qu’1 ou 2 mm en moyenne.
Selon l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU), 100 000 établissements et 745 000 salariés seraient touchés en cas de crue centennale en Île-de-France, c’est-à-dire une hauteur de 8,62 mètres comme en 1910 (le 29 janvier 2018, nous étions rendus à 5.85 mètres). Mais avec l’érosion des sols, bien supérieure qu’au début du siècle en raison de l’évolution des pratiques agricoles, la densité de l’eau est très importante (car chargée en terre), ce qui augmente son pouvoir abrasif et destructeur. Ce phénomène ne diminuera pas sans un changement radical des pratiques agricoles et un boisement des bassins versants.
En été, le Jet-stream remonte vers le nord. Mais à cause du changement climatique, il peut s’enrailler et s’arrêter. En effet, si les températures sont trop hautes dans l’Arctique, il y a moins de conflit avec les vents chauds du sud et donc moins d’énergie disponible. Lorsque le Jet-stream ralentit fortement, l’Europe de l’Ouest n’est plus « ventilée » et les températures augmentent fortement : c’est la canicule. Globalement, entre 2002 et 2012, le nombre de canicules importantes enregistrées sur la planète a été trois fois supérieur à celui relevé lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001, et le phénomène s’accélère. D’après le GIEC, la France connaîtra en 2050 un épisode caniculaire équivalent à celui de 2003 en moyenne 2 années sur 3.
Personne ne sera épargné par l’intensification des épisodes climatiques extrêmes. Il n’y a pas de tergiversation possible sur ce fait d’un point de vue scientifique. Dès lors, investir dans la résilience est une adaptation nécessaire, qui entre d’ailleurs dans le domaine des responsabilités régaliennes de l’État. Or, la démission de l’État diminue de fait sa capacité à planifier une stratégie d’adaptation, au dépend de la sûreté des citoyens.
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Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.
Réalité écologique 3.0
« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.
Une révolution énergétique ?
En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?
Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.
Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?
Contradictions et belles paroles
Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?
Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.
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