Après sept ans de politiques d’austérité, de combat féroce contre les nationalismes, de scandales de corruption et de récupération d’un monarchisme conservateur avec la Loi-bâillon, l’ère du gouvernement Rajoy s’est close. C’est le PSOE, avec l’appui de 21 partis, qui a donné le coup de grâce à un Parti Populaire qui se présentait comme le seul capable de gouverner efficacement l’Espagne après la crise. Aurait-il raison? Quelles sont les possibilités pour ce nouveau gouvernement Sánchez qui se met en place ?
Pour la première fois, l’Espagne a un Président qui parle anglais, ainsi que français. Pour la première fois, son gouvernement est composé majoritairement par des femmes. Mais pour la première fois aussi, le Président n’est pas député : il est issu d’une motion de censure et n’a pas “gagné” les élections. Le PSOE a obtenu en 2015 et 2016 les pires résultats de son histoire avec 84 députés à l’issu de la dernière élection (52 de moins que le PP).
Pedro Sánchez, après être revenu de son exil politique, a effectué une mise à jour doctrinale afin de mettre en valeur la plurinationalité de l’Espagne et érigé Podemos comme principal partenaire politique, abandonnant ainsi l’affrontement avec la formation violette. Aura-t-on enfin ce qu’Iñigo Errejón appelle une compétition vertueuse entre les gauches espagnoles, moteur de changement dans le pays?
L’affaire est plus compliquée que cela. Ce gouvernement est d’une fragilité sans précédent. Pour s’installer au pouvoir, le PSOE a du s’accorder avec 21 formations politiques dont le principal dénominateur commun était d’en finir avec la corruption. Cela n’est pas surprenant sachant qu’elle est, après le chômage, la deuxième préoccupation majeure des espagnols[1]. La déclaration de l’Audience Nationale sur l’affaire Gürtel, élément déclencheur de la motion, a révélé un réseau d’influence et de financement illégal entre le secteur privé et plusieurs politiciens du Parti Populaire. Même Ciudadanos, allié du gouvernement Rajoy, désirait en finir avec le Parti Populaire, mais en convoquant tout de suite des élections parlementaires.
Une fois éliminé l’adversaire commun, Sánchez doit essayer de maintenir sa légitimité à la tête d’un gouvernement que PP et Ciudadanos ne cessent de comparer au Frankenstein de Mary Shelley. Un parti qui avant prônait l’unité de l’Espagne et appuyait l’application de l’article 155 de la Constitution contre les catalans, doit maintenant s’entendre avec les 17 députés indépendantistes du Parlement. Unidos Podemos, qui reste en dehors du gouvernement, demeure la troisième force politique avec 71 députés au Congrès. Pablo Iglesias a insisté dans l’hémicycle sur l’importance pour le PSOE de ne pas devenir une social-démocratie décaféinée comme celles de Schröder ou de Blair. Il souhaite un gouvernement qui prenne exemple des projets de Sanders et Corbyn afin de redonner une crédibilité à la gauche et mettre en place un vrai changement. De cette manière, lors des prochaines élections qui devraient avoir lieu en 2020, la gauche aura donné aux citoyens la confiance leur permettant de prolonger son projet politique.
Une convergence limitée avec Podemos
Sánchez est d’accord sur la fin, mais diffère sur les moyens. Alors qu’il souhaite “se retrouver” avec Podemos dans les politiques climatiques, de genre, de réversion des privatisations et de régénération démocratique, il sait qu’il le fera avec les mains liées. La principale contradiction de ce gouvernement social-démocrate est qu’il va appliquer un Budget Général de l’État que ne lui appartient pas. C’est celui voté le 23 mai par PP, Ciudadanos et le PNV – parti nationaliste basque. Lors de sa discussion dans le Congrès, Sánchez qualifiait ce budget comme “profondément antisocial”[2]. Il pointait alors un manque d’implication dans l’éducation, qui est pourtant le moteur d’évolution du système productif espagnol vers plus de qualité et moins de compétitivité-prix. De la même manière, il critiquait la baisse des dépenses de l’allocation chômage grâce à la création d’emplois au rabais (salaires réduits et flexibilité du travail). Néanmoins, le PSOE a décidé d’appliquer ce Budget tout au long de sa première année de mandat pour gagner l’appui du PNV lors de la motion de censure. Sans le parti basque celle-ci n’aurait pas pu aboutir et Rajoy serait encore Président.
Dans son cabinet ministériel, se démarque la nouvelle ministre de l’Économie Nadia Calviño. Elle était auparavant Directrice Générale du Budget de la Commission Européenne. Son rôle sera désormais d’assurer la stabilité économique du pays et d’arriver au seuil de déficit de 2,2% accordé par l’Union européenne. Ainsi, le gouvernement Sánchez envoie un message de tranquillité à Bruxelles. Ce signal est déjà salué par les banques et les grandes entreprises. Mais, quel message envoie-t-il aux secteurs de la population affectés par l’austérité et la rigueur budgétaire ?
Finalement, le PSOE paraît adopter un modèle plus proche de la Troisième Voie social-libérale que de celle d’une récupération radicale de l’Etat-Providence. La fragilité de la situation pousse Sánchez à être très prudent. Pour satisfaire à droite : il prône la rigueur budgétaire et l’unité de l’Espagne – avec la nomination de l’anti-indépendantiste Josep Borrell pour les Affaires Étrangères. Pour séduire à gauche : il met en avant le féminisme, un début de dialogue avec les catalans, l’écologie et la liberté d’expression. L’agenda social restera dans ce début de mandat très modeste par rapport aux attentes initiales.
De quel côté le PSOE basculera-t-il ?
En pleine guerre interne du PP après la démission de Rajoy à la tête du parti et face au ralentissement de Podemos suite à des polémiques internes récurrentes, le PSOE a la possibilité de s’ériger en option fiable. Ciudadanos, propulsé dans les sondages grâce à son positionnement tranché sur le conflit catalan, est pour le moment la figure visible de l’opposition. Mais ces nouveaux rôles pourront se matérialiser dans d’éventuelles nouvelles élections. Pour le moment, nous avons un Congrès qui représente encore une réalité dépassée, celle de l’année 2016.
Vu que tous les partis paraissent ne pas s’accommoder de leur pouvoir actuel dans l’hémicycle (soit par excès, soit par défaut) de multiples questions se posent : est-ce que le “gouvernement frankenstein” de Sánchez va vraiment tenir jusqu’aux élections de 2020 ? Possible, même si cela semble très difficile. Lors de ces prochaines élections, de quel côté le gouvernement cherchera-t-il du soutien ? Cela dépendra des résultats électoraux. S’il vire à gauche, il enterrera le cycle de l’austérité pour entreprendre un nouveau chemin politique en faveur de la majorité de la population, et absorbera Podemos sur le plan politique. S’il vire à droite, il prolongera encore un peu cette post-hégémonie libérale démasquant pour longtemps son parti. A ce moment-là, Podemos devrait être réarmé pour reprendre sa place comme unique option du changement en Espagne.
[1] http://www.cis.es/cis/export/sites/default/-Archivos/Indicadores/documentos_html/TresProblemas.html
[2] http://www.lavanguardia.com/vida/20180420/442780080163/el-psoe-pide-devolver-los-presupuestos-por-ser-profundamente-antisociales.html
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