Cinquante nuances de Grey ou le consentement bâillonné

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Le troisième et dernier volet de la saga érotique à succès Cinquante nuances de Grey a débarqué en salle mercredi 7 février. Une sortie malvenue à l’heure où la parole des femmes se libère face aux violences sexuelles.

Mercredi dernier, des dizaines de milliers de fans étaient attendus dans les salles obscures pour la sortie de Cinquante nuances plus claires, dernier chapitre de la trilogie érotico-SM Cinquante nuances, adaptée des romans éponymes de E.L. James. La saga étant déjà quasi-milliardaire au box-office mondial et ayant totalisé sept millions d’entrées en France, il ne fait aucun doute que le mariage entre Anastasia Steele et Christian Grey sera couronné d’un succès commercial. Et ce, en dépit d’une représentation nauséabonde du consentement, alors que les médias et réseaux sociaux battent au rythme du #MeToo.

Ainsi, si l’adaptation cinématographique euphémise le caractère très violent de certains passages du livre, le message sous-jacent demeure néanmoins le même : une relation violente, sans consentement, peut très bien aboutir à un mariage heureux comme Hollywood sait si bien en vendre.

Une érotisation des relations non-consenties

En 2015 déjà, la sortie au cinéma du premier opus avait suscité une vague de protestations de la part d’associations et de groupes féministes, qui pointaient du doigt la propension du film à rendre “sexy” une relation non-consentie. En effet, pour séduire “Anna”, Christian se permet de la suivre, de s’imposer chez sa mère, de rentrer chez elle par effraction, ou encore de la dominer par l’argent (en lui achetant notamment une voiture contre son gré). Une insistance qui se veut justifiée par son amour pour elle, perpétuant l’idée, par ailleurs largement répandue dans les films romantiques, qu’un homme peut tout faire pour conquérir l’élue de son coeur, quand bien même cela sombre dans le harcèlement caractérisé.

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La saga “50 Shades”, c’est aussi 125 millions de livres vendus, rien que pour le premier tome. © Mike Mozart, Flickr

De plus, le film, tout comme le livre, entretient un flou : il joue constamment sur les apparences, en habillant de charme et d’érotisme une situation de domination pourtant réelle, et non-consentie par Anastasia. Dans le deuxième opus (Cinquante nuances plus sombres), le rapprochement du couple et leur décision finale de se marier viendra finalement mettre un terme à ce moment de flou, validant l’idée dangereuse que d’une relation non-consentie et violente peut advenir le bonheur. La souffrance ne serait finalement qu’une étape à surmonter dans le but de faire changer son bien-aimé et de parvenir à une vie conjugale idéale.

Des amalgames dangereux

Autre problème, Cinquante nuances de Grey tend à véhiculer des amalgames dangereux dans le contexte actuel. La saga est ainsi régulièrement critiquée par la communauté BDSM, car elle confond jeu sexuel et soumission non-consentie, alors que cette pratique est justement fondée sur le consentement, le respect mutuel et le libre-arbitre. Ce raccourci conduit à rendre ludiques de telles violences, à alimenter l’ignorance qui entoure le milieu SM, et à perpétuer la culture du viol. Pire encore, elle fait passer les adeptes du sado-masochisme pour des bourreaux.

Bourreaux, mais aussi victimes. C’est en tout cas ce que les films essaient de vendre au spectateur, en justifiant le comportement odieux et la violence de Christian Grey par son enfance compliquée. La déviance de ce dernier est ainsi constamment renvoyée à son passé difficile, racine de son mal-être, ce qui la rendrait acceptable. Or rien, jamais, ne peut excuser une telle attitude. Il est malheureux d’avoir encore à le rappeler.

Par La Main aux Fesses, association de lutte contre les violences sexistes.