Le monde de l’information traverse une période de mutations dont l’issue est incertaine. Face à l’influence déclinante des médias traditionnels, les réseaux sociaux s’imposent comme des plateformes incontournables. Longtemps considérés comme des îlots de liberté face aux médias officiels, ils sont pourtant investis par une logique de marchandisation et de contrôle de plus en plus étroit de la part des multinationales… Juan Branco est avocat de Wikileaks. Docteur en droit, il analyse les bouleversements auxquels est sujette l’information (et, plus largement, la politique) dans le monde de Facebook et Google.
LVSL – Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pourraient contourner les médias officiels et fournir une alternative démocratique à la grande presse. On remarque pourtant que par bien des aspects, ils reproduisent des modèles propres aux médias dominants (mise en avant des publications commerciales au détriment des publications politiques, course au buzz). Pensez-vous que les GAFA puissent réellement servir de contrepoids au système médiatique actuel ?
Juan Branco – Par essence, l’entreprise ne fait pas le bien ou le mal : elle fait de l’argent. On est tombé dans le panneau avec les GAFA et leur discours altruiste car l’époque, laissant naître de nouveaux mondes où tout semblait possible, était propice aux confusions. Là encore, la grande déficience des médias traditionnels a joué. Au lieu de chercher à comprendre le modèle économique de ces entreprises, ils se sont contentés d’en reproduire le discours. Si bien que, quand ces entreprises ont atteint une position monopolistique sur leurs marchés – ce qui est essentiel pour s’imposer comme réseau social, par exemple – il était bien trop tard pour émettre une critique et lancer des alternatives qui ne seraient pas capitalistes ou mercantiles – bref, qui ne seraient pas guidées par la seule ambition du profit. Ces entreprises pouvaient rentabiliser leur offre et développer des algorithmes pour favoriser les contenus les plus consommables, rompant tous les schémas égalitaristes qui présidaient à leur lancement, et se débarrasser des impératifs éthiques auxquels elles avaient fait mine de se soumettre : nous ne pouvions plus rien contre elles. Jouant des apparences de jeunesse, de la fascination suscitée par l’outil technologique, de l’ignorance des mécanismes profonds sur lesquels elles s’appuyaient, elles ont mis en avant des idéaux qui servaient leur image, mais ont montré une absence complète d’intégrité au moment de faire des choix et de les préserver. Aujourd’hui, elles tentent comme elles le peuvent de se raccrocher à cette genèse, par crainte de faire peur, et d’ainsi être mises sous tutelle et perdre leur moral économique. Elles ne le font et le feront qu’au regard de leurs intérêts économiques – d’intérêts dont la satisfaction dépend de la capacité du politique à s’imposer à elles – et non d’une quelconque morale ou éthique.
Faut-il rappeler cette évidence ? Le seul espace où le bien commun est pris en compte, fût-ce de façon défaillante, c’est par nature celui du politique et par extension, dans nos systèmes actuels, de l’État. Ces espaces sont ceux où est théoriquement mis en commun l’ensemble des intérêts de la société et où résident les êtres chargés de trancher au profit du bien commun. Ce peut être le fait de l’État ou d’autres formes d’organisation politique là où elles existent (de type anarchiste, etc.). Mais en tout cas, aujourd’hui, dans sa forme moderne quasi-universelle, c’est l’État, ses régulations, ses lois qui amènent toute la cohorte, qu’elle soit entrepreneuriale ou non, à suivre un certain nombre de directions qui sont décidées par l’ensemble de la population ou, a minima, par leurs représentants, en vue d’une projection collective.
“On en vient à comprendre que la Russie, la Chine et l’Iran se sont donnés les outils d’une souveraineté numérique en créant les concurrents de Google et Facebook. Cela leur permettra demain, s’il y a une révolution sociale, de pouvoir avoir un véritable espace démocratique. Ce n’est pas notre cas aujourd’hui. Immense paradoxe !”
Si l’on sort de la question économique, on peut considérer que Twitter et Facebook, tant qu’ils étaient dans une phase de bienveillance visant à capter de l’audience et à s’installer monopolistiquement, étaient des outils subversifs – ils l’ont été pendant les révolutions arabes. Aujourd’hui, ils sont cependant devenus des outils de répression majeurs parce qu’évidemment, par la concentration des données qu’ils suscitent, ils sont des instruments extraordinaires au profit des services de renseignement, des puissances étatiques. Tout cela amène à ce que l’on en vienne à comprendre que la Russie, la Chine et l’Iran qui, pour de mauvaises raisons, par réflexe sécuritaire, ont cloisonné leur système, se sont donné les outils d’une souveraineté numérique en créant les concurrents de Google, Facebook et compagnie, et en leur interdisant de pénétrer leur marché. Cela leur permettra demain, s’il y a une révolution sociale ou un renversement de ces régimes, de disposer d’un véritable espace démocratique. Ce n’est pas notre cas aujourd’hui. Immense paradoxe !
Même en préservant l’ensemble de nos structures démocratiques, on se trouve en effet dans une situation où notre potentiel démocratique est complètement annihilé, d’un côté par les puissances du marché, par cette soumission à des intérêts privés qui captent et dominent des espaces autrefois régulés par la puissance publique ; et par ailleurs, par le pouvoir que ces intérêts économiques donnent aux puissances tutélaires d’espaces politiques qui nous sont extérieurs. Si demain, pour des raisons géopolitiques, nous entrions en conflit avec la puissance états-unienne pour une raison ou pour une autre, celle-ci aurait les moyens, au-delà même des questions de dépendance technique touchant à nos moyens de communication, d’influencer directement nos espaces politiques nationaux, de manipuler les opinions, de nous soumettre absolument ; et finalement, de déstructurer des pans entiers de notre économie. Sur le long terme, on va se rendre compte qu’on a fait un sacrifice majeur qui va être très difficile à renverser.
LVSL – Pensez-vous qu’une stratégie de reprise en main de ces réseaux est compatible avec ce monde qui vient, le monde des GAFA et de Wikileaks ou est-ce qu’il y a une contradiction ?
Juan Branco – Évidemment, il y a une tension d’ordre presque aporétique. Ce que l’on voit d’un côté, c’est que la Chine est en train de devenir un acteur de premier plan à l’échelle mondiale, mais surtout de reprendre sa souveraineté et sa domination sur l’espace Asie-Pacifique comme elle ne l’avait pas fait depuis des siècles ; que l’Iran est en train de gagner son pari au Proche et Moyen-Orient ; que la Russie de Poutine est en train de renforcer son pouvoir et son influence dans son espace immédiat. Bref, on est en train de voir que les puissances qui ont fait des choix qui ont été tournés en ridicule ou méprisés sont dans une phase de solidification qui contraste avec la voie que prennent les démocraties occidentales et notamment européennes, qui ont accepté de renoncer à ces outils et à leur projection sur le monde, s’installant dans une soumission confortable à leur puissance tutélaire, mais surtout, et c’est pourquoi cela touche également aux États-Unis, renonçant à toute emprise, même minimale, du politique sur ces sujets. Cela explique cette perte de repères, cette impression qu’il n’y a pas vraiment de direction donnée et que nous sommes en train de nous mettre dans les mains de pouvoirs populistes ou autoritaires, comme l’est selon moi fondamentalement le pouvoir de Macron. La dé-souverainisation créé des sentiments de creux et de dépossession qui suscitent immédiatement une recherche de rigidification de l’espace politique pour se rassurer.
“La volonté de contourner l’État pour reconstruire des espaces politiques prend par tous les bords : le bord religieux, le bord anarchisant, le bord société civile sur-démocratisant, le bord extrêmement autoritaire (…) avec de l’autre côté évidemment les grandes multinationales.”
Alors, dans ce contexte particulièrement délétère, il y a une concurrence très forte qui émerge entre plein d’acteurs opportunistes pour prendre la place, entre les mouvements de contestation de type Indignés, Wikileaks, Anonymous dans l’espace virtuel, l’État islamique et les mouvements terroristes divers dans les espaces intermédiaires, le Comité Invisible dans le plus pur réel… L’a-étatisation et la volonté de contourner l’État pour reconstruire des espaces politiques prend par tous les bords : le bord religieux, le bord anarchisant, le bord société civile sur-démocratisant, le bord extrêmement autoritaire, le bord populiste, tout cela composant une multitude aux aguets, qui montre les dents et qui veut mordre partout où l’État se désengage. Avec de l’autre côté, évidemment, cet agent étrange et intermédiaire, à la fois outil d’influence des États et grand déprédateur, que sont les grandes multinationales.
Et dans ce contexte où tout s’accélère apparaît l’urgence de prendre position et de faire un choix, alors que ce choix n’a rien d’évident. Car on prend d’évidence un grand risque à faire le pari de l’affaiblissement de l’État, y compris pour les bonnes raisons ; mais on prend tout autant un risque à défendre l’État sous une forme qui est devenue si dégradée que celui-ci ne semble servir de support qu’à la prédation et à l’oligarchie, sans jouer son rôle de défense du bien commun – sinon seulement a minima, sur la question de la sécurité, des frontières, etc… On prend un grand risque à laisser une organisation comme le Comité Invisible se déployer, mais aussi à inhiber ces initiatives locales qui font contrepoids et permettent de créer des poches de respiration qui évitent l’éclatement immédiat de la société. Aujourd’hui, on prend un grand risque, en somme, à toute forme d’engagement. Et on prend un plus grand risque encore à ne rien faire, à laisser par exemple Wikileaks crever la gueule ouverte sans soutien ni appui, hors sol, soumis à des velléités d’instrumentalisation permanentes de grandes et petites puissances, qui cherchent ici à intervenir sur des processus relativement démocratiques afin d’affaiblir cet espace-là, là à défendre leurs intérêts immédiats sans jamais se dévoiler, laissant des êtres d’une immense valeur, mais isolés et sous pression permanente, prendre des décisions qui emporteront potentiellement le destin du monde. Cette tension immense, cette difficulté à se déterminer, avec des enjeux qui traversent les frontières éthiques et inimitiés jusque-là codifiées, explique en partie l’apoplexie de la population, cette défiance permanente qui intoxique nos démocraties et peut-être plus encore notre jeunesse. On est dans un moment sans direction où il devient pourtant impératif de choisir son camp et de l’investir, car l’histoire est en mouvement. Et il faut le faire sans certitude aucune sur les conséquences de nos choix, qui dépendront grandement d’évolutions sur lesquelles les vecteurs éthiques qui nous auront déterminés n’auront aucun poids.
“On est à la préhistoire de bouleversements qui vont être majeurs. On peut s’accrocher autant que l’on voudra à la nostalgie du monde qui existait jusqu’ici, mais je pense que c’est complètement perdu d’avance”
LVSL – L’élection de Trump a enclenché une contre-offensive (du New York Times, de Google, du Monde avec son Decodex, de Macron avec sa loi anti-fake news) destinée à minorer les oppositions dissidentes sous prétexte de lutte contre les fake news. Qu’en pensez-vous ?
Juan Branco – Disons que ces appareils de pouvoir ont besoin de garder leur centralité, sans quoi ils perdent leur sens. Le New York Times n’existe que parce qu’il est censé accueillir l’ensemble du monde en lui et décider justement de ce qui est audible ou pas. Vous pouvez considérer que le New York Times permettait d’avoir un espace relativement sain d’expression et de distribution de l’information qui, malgré ses limites, contenait la société, son visible, dans des bornes qui étaient tout au moins acceptables. On peut dans un autre sens considérer que s’ouvre devant nous une période fascinante, créative, qui propose un éclatement complet des limites qui nous étouffaient, des manipulations auxquelles ces appareils de pouvoir se livraient toujours plus régulièrement. Quoi qu’il en soit, on arrive un peu tard pour dire « c’est bien » ou « c’est pas bien ». Les nouveaux « grands de ce monde » peuvent s’allier aux anciens et limiter, avec les algorithmes, les certifications diverses et tous ces dispositifs qui visent en fait à recréer une hiérarchie de l’information, ces évolutions, ces transformations, mais ils ne pourront nous faire retourner en arrière. On est à la préhistoire de bouleversements qui vont être majeurs. On commence à voir la stabilisation de nouveaux outils, une tentative de recréation d’un ordre, après la phase d’expansion et de floraison. Mais celui-ci arrive-t-il à temps, et qu’est-ce qui va naître de ce ralentissement ? L’espace mondial est en train de se reconfigurer et on est aux toutes premières prémisses de quelque chose qui va susciter des guerres, des révolutions, une recomposition de notre rapport au monde, et cela risque fort de dépasser toutes les volontés des pouvoirs existants réunies. On peut s’accrocher autant que l’on voudra à la nostalgie du monde qui existait jusqu’ici, je pense que c’est complètement perdu d’avance et qu’il faut avancer : il va falloir se battre, ça va être sanglant, on va perdre beaucoup de combats mais on va être obligé de le faire, et cela va nous donner une légitimité : car nous allons enfin redevenir acteurs d’un destin qui nous échappait.
LVSL – Il y a une inconscience sur la capacité des GAFA à utiliser leurs données. La plupart des gens disent “moi je n’ai rien à me reprocher donc je ne vois pas de problème à livrer mes données”. Les oppositions aux lois autoritaires de collecte des données, sur prétexte antiterroriste, sont très faibles. Et quand on interroge les gens sur la possibilité de donner leurs données en échange de baisses de tarifs sur les assurances par exemple, ceux-ci sont capables de donner, pour des baisses minimes, un nombre assez incroyable de données personnelles…
Juan Branco – J’ai enseigné ce matin un texte de Marx à mes élèves, que je découvrais avec eux. Il y détaille l’une de ses théories les plus simples et à la fois les plus importantes, à savoir que la conscience individuelle n’existe pas, qu’elle est déterminée par la position que l’on occupe dans les rapports de production, que ces rapports de production sont ce qui crée la conscience collective et que l’accès à cette conscience collective ne passe que par le moment où nos intérêts individuels sont atteints par une circonstance extérieure, ce qui va nous donner l’impression d’avoir une conscience individuelle. Ce n’est que lorsque l’on ressent un inconfort individuel que, tout à coup, l’on va se rebrancher à la conscience collective (en pensant le faire par intérêt), cet embranchement faisant naître en retour l’impression d’une conscience individuelle, qu’il faut absolument dépasser pour comprendre qu’on a telle position dans les rapports de production, etc… Je ne suis pas marxiste, mais c’est exactement ce qui se passe : aujourd’hui, il n’y a pas d’atteinte visible à nos intérêts, on ne se rend pas compte qu’on est en train de se faire arnaquer par les compagnies d’assurance qui jouent sur les « primes positives » en échange de nos données personnelles pour mieux accroître leurs profits, et plus généralement par le système économique fondé sur une exploitation féroce de notre intimité qui est en train de se mettre en place. Tout est présenté à chaque fois de façon positive pour éviter cette prise de conscience, car tout est fait pour masquer l’inconfort individuel, créer des gratifications artificielles qui aspirent l’individu au sein du système, empêchent toute forme de rejet qui pourrait ensuite coaguler, ou plus précisément faire que l’on prenne conscience que ces gratifications individuelles ne sont qu’un masque visant à asservir et à écarter.
“La précarisation de la recherche et des phénomènes comme la montée des prix de l’immobilier dans les centres-villes des capitales, font qu’aujourd’hui, on ne peut plus vivre avec un salaire de chercheur dans le centre et que du coup, on ne peut plus avoir accès aux classes de décideurs, se mêler à elles, les influencer, s’en faire reconnaître…”
Regardez. Tant qu’il n’y avait pas eu la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait eu nulle part une prise de conscience réelle que l’antisémitisme n’était pas qu’un mal mineur et qu’il allait servir de vecteur à des catastrophes inimaginables pour l’ensemble de la collectivité, bien au-delà de la communauté ciblée, et qu’en cela il s’agissait d’une question fondamentalement politique, qui devait être prise en charge collectivement. Tant que les conséquences ne sont que virtuelles ou en tout cas suffisamment disséminées pour qu’on n’arrive pas à les raccrocher à notre situation personnelle de façon convaincante, tant qu’il s’agit, par exemple pour l’évasion fiscale, de sommes abstraites et non reliées, dans les consciences collectives, au fait que le chômage, la précarisation, sont liés à ces bouleversements technologiques et à l’accumulation de richesses par ces entreprises qui ont construit un système visant à nous asservir, et je pèse mes mots, il ne se passera rien.
Or cela ne se produit pas, et dès lors les politiques, qui sont censés lutter pour notre émancipation – cela semble naïf, ça ne l’est pas du tout – sont complètement incapables d’ajuster leur logiciel et d’agir en conséquence.
LVSL – Comment expliquez-vous ça ?
Juan Branco – Si les stratégies de valorisation, fondées sur des recherches cognitives, psychologiques, etc., que mettent en œuvre les grandes entreprises afin de nourrir cette « économie positive » à travers le contrôle de notre attention (le fameux temps de cerveau disponible) fonctionnent, c’est tout simplement parce que l’espace intellectuel est complètement sinistré. Il y a un mouvement qui a commencé dans les années 70 avec la multiplication des chaînes de télévision et la privatisation rampante de ce média – qui l’asservissait naturellement à une recherche de profitabilité sans limites ou presque, on pourrait parler des régulations publiques catastrophiques justifiées par une pseudo-défense de la « liberté » que ces chaînes auraient incarné… – qui a eu lieu alors même que s’affaissaient les vecteurs de l’État à travers les politiques néolibérales. Je n’aime pas ces termes catégorisants, mais en l’occurrence celui-ci me semble assez évident d’application pour ce qui nous concerne : dans ce domaine précis, la précarisation de la recherche s’est ajoutée à la starisation de pseudo-intellectuels qui « passaient bien à la télévision », mais aussi à des facteurs apparemment sans rapport, comme l’explosion des prix de l’immobilier dans les centres-villes des capitales, qui font qu’aujourd’hui, on ne peut plus vivre avec un salaire de chercheur à Paris sans être un héritier – et donc sans être conformé, à défaut de conformiste – et que du coup, les classes intellectuelles ne peuvent plus avoir accès aux classes de décideurs, aux classes économiques ou artistiques, se mêler à elles, les influencer, s’en faire reconnaître… Il n’y a plus l’effet d’entraînement mutuel qui conduisait au fait que ce n’était pas très grave si vous étiez précaire, parce que vous viviez dans une estime et une reconnaissance, une capacité à agir sur le monde, au centre de quelque chose qui vous donnait de l’influence, qui vous donnait une valorisation symbolique, un sens.
“Quelle valeur donner à l’effort, à la création intellectuelle, quand la façon actuelle de faire de l’argent, c’est de capter l’attention, en mettant en avant les contenus les plus rentables ?”
Ajoutez à ça le fait que l’Université est totalement déconnectée du monde d’aujourd’hui, parce qu’elle s’est enfermée dans des logiques disciplinaires tout en soumettant sa production à des évaluations comptables, se cloisonnant du fait de la montée concurrente d’impostures contre lesquelles elle ne pouvait rien, acceptant progressivement le fait de devenir un vecteur d’employabilité plutôt que de formation ; que ceux qui aujourd’hui tirent profit de la production de la chose intellectuelle et artistique, les intermédiaires de type GAFA (mais auparavant déjà les chaînes de télévision), ne font pas ruisseler des richesses qui auparavant revenaient plus ou moins justement aux producteurs de véritable valeur ajoutée et non simplement de divertissement, parce que le marché a pris cette place ; et dès lors vous commencez à comprendre l’effondrement des professions intellectuelles, leur remplacement par des professionnels du divertissement, et la naissance de classes d’ignares, biberonnées au néant, qui s’auto-reproduisent et prennent naturellement le pouvoir.
Reagan, pour moi, était la résultante des années 60, de la fascination qu’on avait pour le cinéma, pour la première phase de la télévision. Trump, c’est la deuxième phase, une combinaison de la spéculation immobilière et de la télé par câble (puis de la télé-réalité), très années 80, qui ajoute à cette base sociale l’utilisation des outils numériques, extraordinaires vecteurs du spectaculaire et de la néantisation qu’ils défendaient trente ans auparavant, pour toucher directement « leur » public et subvertir la domination WASP (White, Anglo-Saxon, Protestant) traditionnelle, et extrêmement codifiée, de la côte Est, qui contrôlait jusqu’alors tous les vecteurs de dissémination de l’information. Maintenant, on arrive à la troisième phase : une nouvelle classe d’ignares de la Silicon Valley devenus milliardaires parce qu’ils ont mis le grappin sur l’économie publicitaire – c’est tout ce qu’a fait Facebook ou Google – qui n’ont aucune idée du monde ni de rien, qui ont juste su à temps, avec des algorithmes, procéder à un classement de l’information plus efficace que d’autres, en créant des plates-formes attirantes, et qui à leur tour veulent se saisir de l’espace politique en pensant avoir tout compris du monde, comme Zuckerberg.
Comme Trump, trente ans après, ils ont fait naître leur fortune d’une forme de spéculation parasitaire, celle qui en l’occurrence a pris le marché publicitaire, en s’appuyant sur un besoin fondamental, là le besoin de se loger et de se divertir, ici de s’informer et de consommer. Parce que franchement, les succès technologiques de Facebook sont quand même assez mineurs, outre une idée initiale bientôt détournée et une plate-forme agréable : en gros, c’est devenu une entreprise de détournement de fonds. Et aucun mécanisme n’est venu limiter ce siphonnage comme cela avait été fait en France par exemple avec la télévision, que l’on avait forcée à devenir le principal financeur du cinéma.
On entre là dans une anarchisation du capitalisme. Ces gens sont devenus tout-puissants sans être passés par aucune des structures de légitimation qui s’appliquent pour arriver à la décision politique dans les sociétés traditionnelles. Au point d’en venir à mettre en danger la société. Car quelle valeur donner à l’effort, à la création intellectuelle, quand la façon de faire de l’argent c’est de capter l’attention, en mettant en avant les contenus les plus rentables et en siphonnant les médias traditionnels et les caisses de l’État ? Vous finissez par avancer des utopies débiles où il n’y a pas d’État parce que vous avez l’impression que l’État c’est le diable, parce que vous vous êtes construit envers et contre l’État. Les véritables révolutionnaires technologiques, ceux qui ont posé les bases de ce système économique, de Berners-Lee à l’inventeur du bitcoin, se sont tenus à l’écart des bénéfices qu’ils auraient pu en tirer. Mais ce faisant, ils se sont écartés des structures de pouvoir qu’ils avaient contribué à créer, et ont autorisé leur pervertissement. Quel effet ça fait d’aller enseigner au lycée en banlieue parisienne 18 heures par semaine pour à peine plus d’un SMIC et expliquer l’importance d’entendre ce que vous avez à leur dire à des élèves qui sont voués au précariat ou à l’exploitation par Uber et compagnie, qui sont biberonnés de contenus-poubelle, dans une civilisation où l’admiration est réservée à ceux qui fabriquent des millions à partir du néant – des personnes formées en dehors de tout espace collectif ou de bien commun ?
Vous savez très bien que le savoir que vous leur transmettez ne va pas être valorisé, qu’ils n’ont dès lors aucune raison de se sentir admiratif ou même respectueux de ce que vous êtes ou de votre fonction, tout simplement parce que vous n’êtes plus personne dans cette société. Vous êtes devenu un exploité, vous n’avez pas d’argent, pas de reconnaissance sociale, vous alimentez un système dont vous savez pertinemment qu’il reproduit des injustices glaçantes et amenées à s’étendre, et rien ne reste dans la société qui vous octroie au moins ce respect qui jusque-là était dévoué à ces hussards noirs de la République. Comment on fait fonctionner une société qui s’appuie sur cette absence de base ? Comment fera-t-on survivre l’école une fois que le dernier pilier qui tient, la croyance des familles dans ce système, s’effondrera ? Je ne sais plus qui disait que c’est au moment où la jeunesse, précaire et au chômage, sur-formée, ne trouve plus aucun espoir de valorisation sociale via leur formation, que s’ouvre une perspective révolutionnaire. Or si nous y sommes, s’il y a aujourd’hui un trop plein d’intellectuels qui ont besoin de trouver leur place dans la société, il y a un problème plus grave qui est en train de s’y surajouter et qui risque d’inhiber la possibilité même d’un bouleversement politique positif qui pourrait être porté par ces révolutionnaires en puissance : il y a aujourd’hui parallèlement un trop plein de scolarité qui ne suscite rien, qui n’ouvre les portes de rien, puisque nulle part, cette scolarité n’ouvre les portes de ce qu’est devenu la société, et qui fait que ce que l’on appelait d’antan les prolétaires n’ont nulle confiance en leurs frères d’armes, les intellectuels précarisés.
“La ghettoïsation de la société est ce qui permettra peut-être au modèle actuel de survivre : l’absence de confiance mutuelle entre ces classes différentes qu’avait un temps subvertie le marxisme, dont la théorie permettait de faire ce lien contre-nature. Avec comme seule perspective alors un modèle états-unien, dans lequel il y aura des émeutes mais jamais de révolution de la société parce que la société n’existe plus.”
Dès lors, la problématique est quasiment impossible à résoudre. On a un système qui tient car il y a une telle précarisation contrôlée des classes laborieuses que celles-ci restent tenues par une sorte de pulsion de survie, juste au-dessus d’une vie minimale, qui fait qu’il n’y a pas de velléité de subversion suffisamment massive, que l’on privilégie le confort minimal offert par Uber par rapport à l’enfer que constituait le chômage ou le RSA, mais qui amène en conséquence à cesser de croire en toutes les structures traditionnelles qui faisaient vivre le système. Et ces microévolutions positives, qui redonnent ponctuellement sens tout en désocialisant, restent préférables à la révolution que ces connards d’intellectuels veulent faire, parce que leur révolte apparaît comme une révolte qui sera pour eux et pas pour les personnes qui vivent en dehors des centres-villes, en banlieue ou dans la ruralité, parce que les problématiques sont devenues si distinctes, le sol commun si inexistant, qu’aucun pont n’existe plus. La ghettoïsation de la société est ce qui permet et permettra peut-être au modèle actuel de survivre. Et cette ghettoïsation, qui a pour source l’effacement du rapport à la pensée, à la théorie, à la question intellectuelle, qui permettait auparavant de subvertir l’absence de confiance mutuelle que des classes aux intérêts différents ne peuvent que ressentir, que le marxisme – par exemple – avait un temps subvertie en construisant un lien contre-nature entre les différentes strates précarisées, nous plonge dans la perspective d’un modèle états-unien, dans lequel il y aura des révoltes et des émeutes mais jamais de révolution de la société, non pas parce que la révolution serait rejetée, mais parce que la société n’existe plus.
C’est un système glaçant d’efficacité, d’autant plus glaçant qu’il s’est probablement mis en place involontairement. Le modèle actuel provoque une fragilisation massive des personnes qui maintenaient l’agrégation de la société (les intellectuels, les personnes qui essayaient de penser en termes de structures, qui faisaient le lien), et c’est cet éclatement qui permet au système de tenir. Aujourd’hui, des particules isolées entre elles, qui n’arrivent pas à se regrouper, qui essaient de construire des médias comme le vôtre et qui survivent un temps, sont tenues par les algorithmes des réseaux sociaux devenus le seul vecteur de dissémination de l’information, et peuvent du jour au lendemain disparaître parce que ceux qui font ces algorithmes considéreront que, malgré l’attirance initiale que vous suscitiez, vous ne serez jamais des produits rentables et que le moment de rigoler est passé. En quelques années, nous nous sommes retrouvés totalement asséchés et sans média, au sens d’espace alternatif de partage, de transition, autre que d’immenses machines capitalistes n’ayant aucun intérêt à nous laisser prospérer. Il ne s’agit plus de créer des perforations dans l’espace médiatique traditionnel, puisque cet espace médiatique traditionnel est maintenant lui-même dépassé. On n’a plus de point d’entrée, plus rien.
Reste la question de la reconstruction. La stratégie de la France Insoumise consiste à défendre une re-souverainisation alors que les autres alternatives progressistes défendent une dé-souverainisation finale, définitive du système étatique. Et c’est là, dans cette tension, que se tient notre avenir : entre ces pôles progressistes et les solutions autoritaires d’extrême-droite. Il y a assez clairement une course contre la montre qui est en train de se jouer et j’attends de voir quelle va être la résistance des mouvements progressistes traditionnels face aux concurrences de type Comité Invisible. Ça va être fascinant parce que, selon moi, il n’y a pas d’espace intermédiaire. La pression du système actuel est trop violente sur une partie trop conséquente de la population pour que ça tienne, et Macron ne va faire qu’accélérer le processus. Je ne parle pas seulement d’un point de vue économique, car il est fort possible qu’il bénéficie d’une conjoncture positive qui lui permette de donner l’apparence d’une réussite : il faut prendre en compte la désagrégation avancée du sentiment d’appartenance à une communauté. C’est ce que j’ai vu à Clichy-sous-Bois [où Juan Branco a été candidat aux législatives, ndlr].
Ce qui était d’une violence rare, c’était l’absence de violence : vivre dans une misère absolue, complètement débranché du reste du monde, en complète autarcie, dans une vie de village où tout, en fait, est tenu par des caciques locaux, par une sorte de communautarisation – pas du tout au sens religieux ou identitaire, juste à l’échelle territoriale. Le débranchement par rapport au reste du territoire est complet. En gros, pendant le temps de l’élection présidentielle, les gens savent de quoi on parle parce qu’il y a BFM et les JT, l’un des derniers vecteurs de raccrochage au réel – mais le reste est complètement inexistant. Au quotidien, l’impression qui s’impose, c’est celle d’une déconnexion complète au reste du monde : les rares commerces existants ont exactement la même fonction que les organisations humanitaires dans les espaces en crise : apporter artificiellement un produit provenant d’un extérieur absolu, sur lequel on n’a aucune prise, dont la nature s’impose entièrement à nous, qui ne peut être négocié ou transformé, provenant d’un système dont on est parfaitement exclu, dans lequel on n’a aucun espoir d’intégration.
Aujourd’hui, faire de la politique là-bas dans le cadre des législatives, avec 75 % d’abstention, n’a strictement aucun sens : vous luttez contre des fantômes. Pourtant, les problèmes politiques qui y dominent, c’est la gestion des déchets, des immeubles qui s’effondrent, des professeurs qui ne sont pas remplacés : des questions sur lesquelles un député pourrait immédiatement agir. Mais il y a une telle désolidarisation en termes de sentiment d’appartenance à la communauté que vous avez beau leur parler du lien entre les problèmes politiques nationaux et leurs problèmes locaux, vous ne parvenez pas à avoir un discours audible.
LVSL – Justement, quel rôle joue le numérique dans cette perte de sens qu’entraîne le néolibéralisme ? Est-ce que les réseaux sociaux seraient à même de recréer un sentiment d’appartenance collective ou au contraire, sont-ils l’un des facteurs de l’atomisation contemporaine ?
Juan Branco – J’ai vu un ami israélien hier, Omer Shatz, un avocat brillant, qui, à même pas trente ans, avait sorti 4 000 réfugiés de camps d’internement grâce à une procédure unique, au prix d’une violence dont il ne s’est jamais remis. On a parlé de Gaza, du fait que le Hamas venait de rendre les clefs de la Bande de Gaza à l’Autorité palestinienne, c’est à dire au Fatah. On remarquait que cet événement, qui aurait fait la une dans les médias il y a dix ans, n’avait même pas fait l’objet d’une dépêche AFP. Il m’a fait une remarque qui m’a semblé intéressante : « Aujourd’hui, il peut y avoir des millions de personnes en sous-nutrition chronique à trente minutes de chez vous, à cause d’une situation de blocus complet qui perdure depuis des années et dont vos dirigeants, c’est-à-dire vous, puisque vous êtes censé vivre en démocratie, sont responsables, des millions de personnes qui étaient vos voisins et que l’on fait mourir à petit feu, et aujourd’hui, le numérique fait que vous avez beau habiter à trente minutes d’un tel endroit, vous pouvez n’en avoir rien à foutre. Parce que vous pouvez être complètement virtualisé, projeté dans un espace dans lequel la hiérarchie des informations est complètement éclatée, dans lequel vous pouvez fuir la question de l’altérité, la question de ce qui se passe dans votre entourage, vous enivrer sans qu’aucun média, au sens littéral du terme, ne vienne plus vous réimposer un rapport au réel ».
Intuitivement, je pense qu’il y a un effet très fort de désolidarisation avec notre réel immédiat qui, en retour, crée des effets d’émotion, d’empathie, complètement ridicules. La campagne mondiale « bring back our girls » en est un exemple : on sait qu’elle n’aura aucun effet mais elle intéresse les réseaux sociaux, comme le bucket challenge, parce qu’on sait que ça créera du buzz, un effet de soulagement éthique qui, comme les mouvements des Indignés, permettra de se déresponsabiliser. Mais même les vidéos de chat ! On va rechercher le réconfort dans cette forme de consommation compulsive de sources de bien-être, dans une démarche complètement nihiliste dont le but profond est de nier l’existence de l’autre, de sortir des contraintes que le réel immédiat nous imposerait. On est dans une dissolution de l’espace politique, du rapport au politique, c’est-à-dire du rapport à l’autre : est-ce bien ou mal ? Une chose est sûre : ça existe. Est-ce qu’on peut la compenser, la contourner ? Utiliser des chats pour se politiser, comme l’a fait Julian en créant un compte Instagram pour le sien ? Se retirer ?
C’est la question qui se pose à notre génération. Nous ne sommes pas nés avec ce nouveau monde : nous avons cette chance qu’il ne nous soit pas parfaitement naturel. Je ne pense pas qu’on ait dans le même temps tous les outils pour le penser : notre cerveau n’a pas été façonné comme le sont ceux de nos cadets, qui eux y sont nés. Ce n’est que dix ans d’écart, et pourtant cela fait de nous les enfants d’une société qui fonctionnait très différemment. Ces décalages massifs expliquent que personne à partir d’une certaine classe d’âge n’ait rien compris à l’élection de Trump, que les éditorialistes de plus de 50 ans ne comprennent rien au phénomène Macron, etc. Mais aussi que l’on soit plus en mesure d’y résister. Tous ces phénomènes inauguraux manquent d’antécédents pour les comprendre, les nôtres sont caducs ou en passe de l’être. Ce sont eux les nouveaux points de repère du monde qui arrive, et non pas les achèvements d’un mouvement commencé il y a des années ou des siècles. On va être en perpétuel dépassement politique pendant des années jusqu’à ce qu’une nouvelle génération arrive, née avec ces transformations, avec le savoir et la connaissance de ce passé, à partir duquel elle pourra penser, jusqu’à ce que le monde ne soit plus en bouleversement permanent comme il l’est aujourd’hui et que finalement, il y ait un ajustement des perceptions. On est né à la fin d’un monde qui était à peu près stable depuis cinquante ans ou cinq cents ans, selon qu’on prenne comme référence l’achèvement de notre système politico-éthique, avec l’ensemble des institutions et des normes éthiques et morales nées de la Seconde Guerre mondiale, ou la naissance de la technologie à partir de laquelle s’est déployée cette civilisation : le livre.
Dans les deux cas il s’agit d’un bouleversement aux conséquences encore mal mesurées, y compris d’un point de vue cognitif : la fin de l’objet-livre comme référent va bien au-delà d’une révolution industrielle. Est-ce que demain, les gens, et surtout les élites, liront encore des livres comme ils le font aujourd’hui ? Peut-être, mais je ne vois pas pourquoi, alors que l’on est en train de sortir de la civilisation de l’imprimerie qui a consacré cet objet, parce que technologiquement il proposait la façon la plus avancée et efficace de diffuser les savoirs. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Qu’est-ce que ça implique ? Que la manière dont s’est structurée notre pensée du fait de ces contraintes technologiques ne va de plus en plus servir qu’à comprendre le passé, le reste des structures qui existent encore, mais de moins en moins pour comprendre ce qui vient, les mentalités et les phénomènes qui seront suscités par des mouvements formés en dehors des cadres qui nous avaient jusque-là servi à penser.
Et c’est pourquoi je pense d’ailleurs que le livre, aujourd’hui, n’est plus et ne peut plus être un facteur révolutionnaire, puisqu’il ne sera plus le facteur le plus efficace, le plus accepté, de diffusion de la pensée. Prendre notre place par rapport à ce décalage, nous qui sommes les derniers héritiers de la civilisation du livre, c’est ce qui fera qu’on sera en décalage et que l’on coulera, ou que l’on pourra au contraire prétendre former une nouvelle avant-garde, capable de résister à la normativisation imposée par ces nouveaux pouvoirs et outils. Cela va prendre du temps de s’ajuster sans dépérir, et entre-temps il y aura des Trump qui gagneront parce que les élites new-yorkaises, qui croyaient que l’on pouvait encore tenir la société avec les moyens de communication et les présupposés éthiques que ceux-ci véhiculaient et qu’elles pensaient encore détenir, se seront aveuglées de leur propre pouvoir. Elles qui avaient un monopole sur les codes sociaux et disposaient de moyens symboliques et technologiques suffisants pour s’imposer à la masse sont perdues dans un monde rendu complètement horizontal par les réseaux sociaux, nourri de la vulgarité d’un autre média, la télévision, sur laquelle elles n’avaient déjà pas tout à fait prise, et dont leurs propres moyens de communication ne leurs permettent pas de rendre justement compte, et a fortiori de contrôler.
Les révolutionnaires russes maîtrisaient la « propagande » à la perfection, par le livre auquel ils ont adjoint une compréhension fine de la puissance de la presse montante, qui requérait un capital initial relativement important, mais encore accessible. La télévision, elle, a imposé un écrasement capitaliste difficile à subvertir tant les moyens qu’elle requière dans le temps sont importants. La question qui se pose est de savoir si le potentiel disruptif de Twitter, Snapchat, Instagram et Facebook, qui n’exigent aucun capital initial pour être utilisés – mais captent en retour toute la valeur ajoutée de votre production – permettra d’amorcer une nouvelle pompe révolutionnaire. Ce que vous essayez de faire d’une certaine façon, et votre devenir, montreront la voie. Je crains qu’un compte à rebours à vos dépens ne soit cependant déjà lancé.
Propos recueillis par Vincent Ortiz pour LVSL