Le documentaire ouvrier continue de produire de belles surprises, participant au débat sur les difficultés du secteur industriel tout en mettant des visages et des mots sur ses principales victimes. On se souvient d’Entre nos mains de Mariana Otero, témoignant du processus de reprise d’une entreprise de lingerie par ses salariés sous la forme d’une société coopérative ouvrière de production (SCOP). De Saigneurs, posant sa caméra aux côtés des employés d’un abattoir industriel. Ou de Comme des lions, s’intéressant au mouvement social des ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay. Des bobines et des hommes s’inscrit pleinement dans la continuité de ces films politiques dont les questionnements font directement écho à l’actualité politique. Loi travail et réforme de l’assurance chômage en tête.
Le savoir-faire
La réalisatrice, Charlotte Pouch, prend le temps de filmer le travail quotidien de l’usine, qui avait déjà servi de décor à l’excellent film d’Olivier Lousteau, La fille du patron. Les plans d’introduction s’attachent à détailler chaque poste, chaque tâche, chaque geste précis qui doit être exécuté. Que l’on soit à la mise en place des machines, leur programmation, leur surveillance, leur entretien ou au contrôle qualité final. Des bobines et des hommes rappelle la technicité et l’expertise d’une industrie textile qui a beaucoup souffert ces dernières années mais conserve tous ses savoir-faire humains. En s’inscrivant dans la tradition des films ouvriers, documentaires ou de fiction, qui cherchent à redonner au travail ses lettres de noblesse et prennent le temps de montrer des lieux de production qui ont malheureusement quasiment disparu des écrans de cinéma.
L’attente
Des bobines et des hommes débute alors que l’entreprise Bel Maille doit faire face à une procédure de redressement judiciaire. Annonce auprès des potentiels investisseurs, recherche de repreneurs, étude de leurs dossiers, discussion sur le plan social à venir. Charlotte Pouch décrit chaque étape du processus avec précision, à travers les yeux de salariés qui serrent les dents. En espérant un peu mais surtout en attendant. Chacun ronge son frein comme il le peut, s’occupe en bricolant, en lisant en cachette, en échangeant avec les collègues sur un avenir qui paraît de plus en plus incertain. Certains savent déjà que leur poste est condamné et doivent malgré tout continuer à donner le change alors qu’ils pointeront bientôt à Pôle Emploi. Des bobines et des hommes filme l’épreuve psychologique que constitue cet interminable entre-deux. La dureté de cette période d’incertitude où le moral fait du yo-yo au rythme d’annonces contradictoires qui placent les salariés dans une situation de grande vulnérabilité.
La trahison
Les difficultés que rencontrent l’usine ne viennent pas de nulle-part. Et c’est une trahison à sa tête (par un homme coutumier du fait) qui en est la principale cause. Un dirigeant qui répète en boucle une phrase toute faite sur la pérennisation de l’activité dans son contexte local mais joue double jeu en refusant toute transparence et en préparant surtout en douce sa propre sortie (sans oublier de s’accorder de généreux dividendes). Un patron qui sera d’ailleurs condamné en justice pour mauvaise gestion caractérisée[1] après avoir eu le temps de couler une autre boite. Des bobines et des hommes ne souhaite pas faire le procès individuel de Stéphane Ziegler mais les témoignages des représentants du personnel sur les soupçons de malversations du dirigeant font froid dans le dos.
L’impuissance
Charlotte Pouch nous raconte une histoire qui finit mal. Filme la dureté d’un processus de fermeture qui casse des salariés faisant face à une double injustice. Se retrouver à la case chômage alors que l’entreprise aurait tout à fait pu continuer son activité pendant plusieurs années. Et s’être fait mener en bateau par un dirigeant malhonnête ayant confié les maigres d’espoirs de reprise à des investisseurs très peu fiables qui feront finalement faux-bond. Des bobines et des hommes est un documentaire d’alerte sur la crise du secteur industriel français, la brutalité sociale qu’elle implique, les conséquences humaines désastreuses sur ceux et celles ayant perdu ou sur le point de perdre leur emploi. Qui montre aussi l’impuissance de représentants du personnel très investis, mais sans moyen d’action concret pour inverser la tendance. Charlotte Pouch assume ce constat pessimiste mais rend également hommage à la capacité de résilience de salariés qui restent acteurs de leur destin. S’informent, analysent, réagissent, suivent le processus judiciaire, cherchent à trouver des solutions. La cinéaste signe de magnifiques portraits qui donnent une dimension très humaine à son film, aussi pédagogique qu’émouvant. Frappant aussi bien par la pertinence de ses choix artistiques que par le sérieux de son discours. Un documentaire réaliste militant à découvrir en salles.
Crédits photos :
Capture YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=hbJCpIM6iXc
[1] https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/le-patron-de-bel-maille-condamne-verser-806-000-euros-par-le-tribunal-de-commerce-1473843103