Notre Projet

LVSL : un média dans la guerre de position

LVSL (Le Vent Se Lève) part d’un constat : celui d’une défaite historique des forces de progrès. Notre projet s’annonce donc comme une entreprise de reconquête.


La parole confisquée

L’époque actuelle a pour caractéristique première la domination sans partage – quoique contestée – de l’hégémonie néolibérale. Si le néolibéralisme refuse de dire son nom, s’il refuse de se donner un visage unique, il est cependant parvenu à construire une hégémonie solide, laquelle s’incarne dans une variété d’acteurs : journalistes, politiques, partis, etc. Ce sont là les expressions les plus visibles de cette hégémonie, ensemble de théories, de pratiques, d’idées, de valeurs et de méthodes qui infusent dans la société tout entière, unifient une force sociale, font système et fondent le règne d’une pensée dominante omniprésente.

Le phénomène le plus évident qui résulte de cette dynamique de conquête est la concentration médiatique et l’appropriation par une poignée de milliardaires des médias de masse. L’information serait un bien comme un autre que l’on achète et que l’on vend, de sorte qu’on la soumette aux lois du marché. Il est cependant permis de douter du sens des affaires de nos grandes fortunes nationales qui se précipitent dans la course à la monopolisation des moyens de communication et d’information. Il est en effet surprenant que ces acteurs s’acharnent à vouloir investir dans des titres de Presse à peu près tous déficitaires… Aurions-nous alors affaire à une démarche philanthropique ? Peut-être. On n’imagine en tout cas pas que messieurs Niel, Bergé, Pigasse, Drahi, Dassault, Arnault, Pinault, Lagardère, Bouygues ou Bolloré, heureux propriétaires du Monde et de l’Obs, de Libération et de l’Express, du Figaro, des Echos, du JDD et du Point, d’Europe 1, du groupe TF1 et du groupe Canal, puissent vouloir contrôler tous les titres de Presse du pays à des fins d’influence.

Or donc, il convient de faire ce constat froid que la quasi-totalité des moyens d’information d’une démocratie sont concentrés entre les mains de quelques oligarques. La subordination de l’information aux intérêts privés, économiques ou financiers, est aussi préoccupante que l’était l’alignement de l’information sur les intérêts étatiques au temps de l’ORTF. En quelques décennies, les moyens de communication seront simplement passés des mains de l’État aux mains des puissances privées. Il n’est pas évident que la démocratie ait gagné au change si l’on considère que les médias dominants se sont contentés de troquer un ministre de l’information ayant une ligne directe dans toutes les rédactions contre une multitude d’actionnaires et d’annonceurs publicitaires qui, de la même manière, censurent, licencient et influencent les lignes éditoriales malgré la résistance et le travail indépendant que continuent de mener certains journalistes.
Pourtant, des débats se tiennent, des idées sont échangées, des points de vue contradictoires se confrontent et plusieurs titres de Presse sont concurrents. Seulement la pluralité ne fait pas le pluralisme. CNews, BFMTV et LCI se disputent des parts d’audience. Peut-on pour autant parler d’un pluralisme des points de vue pour cette seule raison que ces chaînes occupent des fréquences différentes ? Les mêmes présentateurs lisent les mêmes prompteurs, donnent la parole aux mêmes éditorialistes, au-dessus des mêmes bandeaux déroulants où s’accumulent les mêmes informations jusqu’à la perte totale de sens. Il faut bien faire preuve du dernier aveuglement pour voir dans le matraquage médiatique aux allures de spectacle permanent la condition d’une information libre. Nous sommes en droit de nous interroger : l’espace public qui garantit l’existence d’un débat réellement démocratique existe-t-il encore dans ces conditions ? Il n’a certes pas été détruit comme dans les régimes autoritaires, il existe ! Mais il est occupé, colonisé par les intérêts privés et pour tout dire, anesthésié, toute contradiction véritable s’en est trouvée évacuée, ou placée dans une situation de faire-valoir.

Disons-le clairement au risque d’en décevoir certains : nos industriels fortunés n’ont pas investi la sphère médiatique dans l’unique but de renflouer des titres en difficulté. S’offrir un journal ou une chaîne de télévision c’est s’acheter de l’influence. C’est-à dire une influence personnelle et surtout une influence politique qui s’inscrit dans un projet de classe. Le rachat de la Presse est une étape clé de la conquête de l’hégémonie culturelle par les néolibéraux. Sont ainsi répétés en boucle les mêmes credos néolibéraux, les mêmes mots-valise matraqués ad nauseam (« compétitivité » ; « coût du travail » ; le « courage » du « chef d’entreprise » ; le « dialogue social » qu’il faudrait « fluidifier » etc.) jusqu’à faire passer ces mots pour des évidences. Cette construction d’une grille de lecture prétend à une forme de naturalité. Elle interdit la mise en avant de cadres d’analyse différents. En l’espèce, ces dernières années ont achevé de marginaliser la parole de gauche, pourtant devenue déjà très minoritaire dans le monde médiatique. Il est vrai, cependant, que la parole de gauche s’est elle-même disqualifiée, n’ayant pas su se réinventer, ni établir de stratégies pour faire face à un tel contexte. Les voix dissonantes, expropriées de l’espace public, se regroupent autour de pôles de résistance et de potentielle renaissance intellectuelle (on citera Le Monde Diplomatique, Là bas si j’y suis, Les économistes atterrés, Fakir, Acrimed dans des domaines très différents…). Mais ces quelques bastions enclavés se trouvent bien seuls au milieu d’un océan de silence, et s’adressent à un public restreint.

Face au Mur médiatique : guerre asymétrique

Faire de la situation actuelle une fatalité serait une grave erreur car notre adversaire a des points faibles. Il importe aujourd’hui de jeter les bases d’un nouveau cycle et d’entamer la construction d’une nouvelle hégémonie.
L’ampleur de la tâche à accomplir a pourtant de quoi briser les élans les plus déterminés. Parce que les conditions historiques ont changé, les règles de la lutte politique ont également changé. C’est pourquoi cet article se veut l’exposé d’une méthode.

Préalablement à tout développement, il nous faut admettre comme point de départ une représentation spatiale du monde social dans la lignée d’Antonio Gramsci. Il faut comprendre par là l’idée d’un monde social comme un vaste champ de bataille découpé entre les positions de forces adverses, entre les lignes de défense de “ceux d’en bas” et la tranchée adverse. Les positions de l’adversaire néolibéral ont ceci de particulier qu’elles sont bien mieux défendues que les nôtres, mais surtout qu’il est en permanence à l’offensive. Ce schéma, c’est celui de la guerre de position élaboré par Gramsci au lendemain de la première guerre mondiale. Il transpose le vocabulaire propre à la tactique militaire à l’analyse du monde social. Il parle ainsi des médias, des églises, des universités, des usines, des palais de justice, comme d’autant de bunkers et de casemates, de forteresses et de bastions qu’il importe de défendre ou de conquérir avant de pouvoir prétendre à l’exercice du pouvoir. De là la distinction fondamentale dans la pensée de Gramsci entre la société politique et la société civile. Cette dernière est le lieu de production du consentement à l’hégémonie néolibérale, qui permet ensuite d’assurer le règne d’une force dominante et la diffusion de ses idées.

Ce qui importe ici, c’est de comprendre l’effort d’actualisation de la pensée marxiste entrepris par Gramsci. Ce dernier écrit dans un contexte d’échec généralisé des tentatives révolutionnaires en Europe de l’Ouest et d’arrivée du fascisme au pouvoir en Italie. Plus précisément, il écrit depuis la cellule de prison où Mussolini l’a fait jeter. Afin de comprendre cet échec historique des révolutions socialistes, il opère une distinction d’importance entre l’Est et l’Ouest, entre la Russie où la révolution bolchévique l’a emporté et l’Europe où tous les mouvements révolutionnaires ont été défaits. La société russe se caractérisait alors par une structure sociale simple, une société civile quasi-inexistante, un appareil étatique affaibli : le pouvoir était à prendre. Cette situation implique une guerre de mouvement, rapide, frontale, pour qu’une force sociale puisse l’emporter.

En Europe de l’Ouest tout au contraire, la structure sociale est complexe, nervurée de tranchées, la société civile est puissante et la classe dominante s’appuie bien davantage sur la production du consentement que sur la force brute pour régner. Ce qu’il appelle l’Etat intégral peut ainsi se définir comme une « hégémonie cuirassée de coercition », la domination par la culture encadrée par la possibilité du recours à la contrainte. L’aspect coercitif occupe ici le second rôle. Dans une telle configuration, opposer le fusil à la plume est impossible, inefficace et contre-productif. Gramsci pense ici aux grandes offensives frontales sur des tranchées ennemies trop bien défendues au cours desquelles des centaines de milliers d’hommes se faisaient faucher par les mitrailleuses pendant la Grande Guerre, sans aucun résultat militaire. Il faut adapter les méthodes de lutte et substituer la guerre de position à la guerre de mouvement. Cette guerre de position se mène avant toute chose par une praxis politique propre à une force sociale, par la lutte culturelle. Cette lutte doit être ancrée dans le quotidien. La “bataille des idées et des mots” joue ici un rôle important quoique non exclusif : il s’agit, pour les acteurs de cette guerre, de conquérir des positions sociales, d’avancer leurs pions, et de faire progresser leur vision du monde. C’est une stratégie de conquête plus lente, plus laborieuse, mais la seule à même de réussir. À travers cette guerre de position, ce qu’il s’agit de faire – comme le formulent Ernesto Laclau et Chantal Mouffe -, c’est de tracer une ligne de démarcation claire, à l’endroit le plus pertinent, entre l’adversaire et nous, de créer un eux et un nous de part et d’autre d’une frontière intérieure à la société et de nous battre toujours pour faire avancer cette frontière antagonique, pour faire avancer nos lignes et faire reculer l’adversaire.

Aujourd’hui, face à un adversaire tout-puissant qui nous contraint au repli sur des positions minoritaires, tout assaut frontal est vain. Attaquer une forteresse trop bien défendue est au mieux stupide, au pire suicidaire. C’est pourquoi nous refusons de lui livrer bataille directement. L’hégémonie néolibérale domine et toute parole alternative est disqualifiée de manière systématique lorsqu’elle se confronte à la parole de l’adversaire si elle n’identifie pas auparavant les points faibles de cette vision du monde. Prenant acte de cette situation, nous affirmons notre stratégie : face au mur médiatique, menons une guerre asymétrique.

Nous n’avons pas les moyens de l’adversaire, aussi nous investissons un terrain où nous pouvons être meilleurs que lui. Cette lutte pour l’hégémonie culturelle, cette bataille des idées, nous choisissons de la mener sur internet, sur les réseaux sociaux, sur un champ de bataille où nous pouvons avoir l’avantage. La guerre de position est présentement quasi-impossible à mener ? Soit ! Menons ce que nous appellerons une guérilla de position. Toute guérilla, une fois qu’elle est devenue suffisamment puissante affronte cependant l’adversaire sur son terrain et mène une guerre régulière. La guerre asymétrique que nous avons choisi de mener n’est donc ni une fin en soi, ni une initiative qui doit interdire la guerre de position sur un champ de bataille traditionnel. Elle est un préalable, elle est un complément. A la guérilla devra succéder la guerre de position.
La devise que nous avons adoptée « Tout reconstruire, tout réinventer » ne veut pas dire autre chose : tout réinventer dans le monde des idées, réformer un logiciel politique sclérosé, pour tout reconstruire dans le monde matériel.

C’est l’unité de ces deux termes qui fonde le projet que nous nous efforçons de construire. Suivant cette idée, et empruntant une distinction déjà énoncée ailleurs, on peut comparer le rôle d’un média comme LVSL au rôle d’un échafaudage. L’échafaudage est une structure temporaire, il n’est pas une fin en soi. Il a pour seule fonction d’assurer la construction du bâtiment auquel il est adossé. Pour construire le grand mouvement qui émergera demain, un échafaudage solide est nécessaire. L’émergence d’une force politique nouvelle est conditionnée à l’élaboration d’une grille de lecture alternative par des médias comme le nôtre, par l’imposition de nos mots dont Íñigo Errejón dit qu’ils « sont des collines dans le champ de bataille de la politique » et que celui « qui les domine a gagné la moitié de la guerre », par la mise à l’agenda de nos thèmes et de nos termes afin d’œuvrer à la conquête de la centralité de l’échiquier politique. Et nous pouvons en cela compter sur les très nombreuses initiatives qui émergent ici et là, des médias écrits, des blogs, des chaînes Youtube, des revues, des collectifs etc. LVSL n’est de ce point de vue qu’un pion dans la large constellation d’initiatives en train de naître.

La construction d’un média d’opinion

Cela étant, le terrain que nous investissons, c’est-à-dire internet et les réseaux sociaux, n’est pas un terrain vierge. Une multiplicité d’acteurs s’y affrontent déjà. Les plus combatifs parmi eux sont les médias d’extrême droite dont le succès fulgurant et l’omniprésence sur les réseaux sociaux constituent la raison première de la fondation de LVSL, démarche qui se concevait comme une réponse nécessaire. Ces sites constituent, aux côtés des médias officiels évoqués plus haut, notre second adversaire. Une clarification s’impose ici. La guerre asymétrique doit être une stratégie simplement temporaire le temps de gagner en puissance. Cette stratégie ne doit pas faire oublier cette loi fondamentale du combat politique que pour vaincre son adversaire il faut jouer sur son terrain et selon ses règles.
Dès lors, cela implique de comprendre les raisons du succès de ces sites d’extrême-droite. La raison en est assez évidente : leur capacité à rester proche du sens commun, des représentations majoritaires dans la société, et à travailler ce sens commun dans leur sens par des discours adéquats.

À l’inverse, la gauche s’est depuis trop longtemps murée dans son idéologie, sûre d’être le “camp du bien”, quitte à être de plus en plus déconnectée des subjectivités politiques du commun des mortels. LVSL ne veut pas laisser le monopole de l’efficacité politique à ces sites et ces groupes. Nous nous revendiquons de ce que Gramsci appelle le journalisme intégral. Celui-ci part du sens commun, afin de le travailler et de l’amener là où il est désirable de l’amener. Jusqu’alors, au sens commun populaire, la gauche opposait son sens commun militant et toutes ses évidences. C’est cet échec historique qu’il faut dépasser, si nous voulons être en mesure de gagner cette bataille culturelle. Le journalisme intégral implique de façonner son lectorat à travers la production d’un discours alternatif. Cette idée est à la base du projet de média populaire qu’est LVSL : forger de nouvelles identités politiques pour construire un peuple.

Or donc, les réseaux sociaux possèdent des règles qui leur sont propres, l’une d’elles est la suivante : l’opinion prévaut sur la prétendue objectivité journalistique. Les sites dont nous parlons l’ont bien compris et doivent leur succès au modèle qu’ils ont su élaborer. Assumer sa subjectivité, prendre position de façon argumentée, s’annonce comme la tactique la meilleure pour faire avancer ses idées sur ce terrain particulier. L’horizontalité qui caractérise le fonctionnement des réseaux sociaux place les acteurs sur un relatif pied d’égalité.

Le média d’opinion tire sa force de ce fait qu’il assume sa subjectivité. Nous affirmons que la neutralité n’existe pas pour cette raison simple que l’auteur d’un article est engagé dans des rapports sociaux et influencé (pour ne pas dire déterminé) par une multitude de discours antagonistes. Que l’on combatte ou que l’on serve les intérêts de la classe dominante de manière active, de manière consciente ou de manière inconsciente, on ne peut pas prétendre s’extraire d’un monde social conflictuel et accéder à une neutralité quelconque. Aussi, assumer un parti pris revient à une forme d’honnêteté. Cela permet par ailleurs de capitaliser sur le discrédit dont souffrent les médias officiels, c’est là pour nous une arme puissante.
Restent encore les médias d’opinion d’extrême-droite. Nous le disions, lorsque le combat est possible, il faut affronter l’adversaire en jouant avec ses propres règles. En l’espèce, nous adoptons les codes de l’adversaire, nous les subvertissons, les transformons, les adaptons et les retournons contre lui. Nous conservons le parti pris, nous conservons le style polémique, mais nous nous assurons une légitimité supérieure en prenant le lecteur au sérieux et en ne l’abreuvant pas de mensonges ou d’articles insipides.

Nous ne sommes pas seuls à mener ce combat, nous venons juste d’intégrer une chaîne qui compte déjà de nombreux maillons qui sont autant d’alliés. Nous parlons ici des très nombreux projets qui reposent sur l’écrit ou la vidéo, et qui fleurissent un peu partout et vont dans le même sens que nous. Nous prenons nos adversaires au sérieux, et nous sommes ici pour les combattre pied à pied. Ils ont prospéré sur un terrain vierge, à nous de leur contester le monopole de la parole alternative, à nous d’être meilleurs qu’eux.

LVSL, c’est tout ça. Un projet qui veut faire converger les énergies existantes pour fédérer autour d’une parole qui jette les bases d’un renouveau. En ces temps de montée des périls, il est indispensable de porter un autre projet de société, un système de pensée renouvelé qui pave la voie à la construction d’un horizon positif. Ainsi nous engageons le combat, animés par cette conviction profonde, étayée par les faits et l’histoire, qu’à l’hiver, toujours, succède le printemps.