A bientôt 40 ans, Damien Saez n’a rien perdu de la fougue et de la colère de ses débuts. A l’occasion de la sortie de son dernier album (Acte 1 Manifeste : L’Oiseau Liberté), l’interprète de Jeune et Con et Jeunesse lève-toi sort gratuitement sur son site officiel Peuple manifestant. Une chanson-pamphlet de neuf minutes, qui vomit sans interruption sur la société. Un titre assassin à la violence militante qui n’est pas sans rappeler un certain Hexagone, à l’époque où Renaud ne votait pas encore Fillon…
https://www.youtube.com/watch?v=ukg8iczfy0Q
« J’ai lu ton tweet, mon camarade »
Tout commence par un tweet, cruel mais nécessaire rappel de la superficialité de la communication d’aujourd’hui, puis Saez déroule, vomit sa chanson. Neuf minutes sans pause pour reprendre un quelconque souffle, neuf minutes de diatribes, d’insultes, de coup de gueule et de poing levé. Ce sont ses tripes qui parlent, et sa voix écorchée n’a jamais été aussi pertinente que sur ce texte. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Saez avait de la colère à exprimer lorsqu’il a écrit Peuple manifestant. Système éducatif, politique culturelle, monde médiatique, frappes en Syrie, racisme d’État, apathie du peuple, rien ou presque n’est épargné par ses coups de plume. Saez, éternel « poète maudit » de la chanson française, révolté sincère aux punchlines acérées, a le pessimisme en bandoulière. Son rock alternatif, qui flirte avec le rap dans son écriture, vise juste et là où ça fait mal, et se veut être une voix de la France d’en bas, celle qui n’a pas peur de traiter la société de « salope », au risque de choquer la « culture légitime » bourgeoise.
L’année 2016 ne l’a de plus évidemment pas laissé indifférent. Mais au-delà des critiques en écho direct avec l’actualité brûlante, de la politique française au Moyen-Orient (« Quand il y a du pétrole faut que ça tombe, sur des pays pauvres, des gamins »), à l’escalade sécuritaire (« les états d’urgence pour asseoir, ah ouais c’est sûr, tous les pouvoirs »), c’est surtout l’apathie générale qui le fait sortir de ses gonds.
https://www.youtube.com/watch?v=TC0l4fhvXco
« Être né sous le signe de l’Hexagone »
Là où Renaud, en 1975, crachait joyeusement sur les 50 millions de prétendants au trône de Roi des Cons (alias nous autres, Français), Saez envoie ses uppercuts à la gueule du « peuple collaborant », un peuple qui préfère « cliquer » et « tweeter », c’est-à-dire malheureusement tout le monde ou presque. Si vous vous sentez agressés par cette chanson, c’est le but. On aurait d’ailleurs tort de disserter sur l’impact qu’un tel titre peut avoir : peut-on être crédible et audible lorsqu’on ne calme pas ses mots, lorsqu’on est aussi virulent ? C’est un faux débat qui en dit long sur le conformisme ambiant…
Radiographies sans concession de deux sociétés françaises certes ancrées dans leur contexte (mais pas si différentes que ça si on suit le diagnostic des deux artistes), Peuple manifestant et Hexagone, sont avant tout des expressions artistiques, qui traduisent la colère de leur interprète respectif. Censuré sur J’accuse, son album précédent, Saez ajoute ses griefs personnels à sa critique de la société. Là où Renaud conservait un certain recul très politique sur son texte, Saez vit ce qu’il chante, devient ce qu’il dit. Voilà pourquoi, sans doute, la chanson a ses moments d’égarement, des mots qui se répètent (« collaborant »), des rimes qui ne se trouvent jamais… Peuple manifestant est confus car spontané, puissant car sincère.
Règlement de comptes, pamphlet militant, cri du cœur et des boyaux : Peuple manifestant est un peu tout ça à la fois, mais nous rappelle surtout par son caractère choquant à quel point la chanson française est insupportablement lisse et conforme. Saez dynamite tout cela, veut donner du relief, et au passage, peut-être réveiller quelques consciences. Pour neuf minutes au moins, pari réussi… Le reste n’est pas de son ressort.
Crédit photo : ©Julien Manceau