Projet de réforme du lycée : vers un système éducatif à l’anglo-saxonne ?

La commission mise en place par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, vient de rendre sa copie. Déjà, la plupart des syndicats s’inquiètent d’une réforme qui risque fort d’aggraver un peu plus la déliquescence du système éducatif français.

Le lycée « modulaire » : vers un système éducatif à l’anglo-saxonne

L’une des principales pistes explorées dans le rapport de la commission Mathiot, chargée de réfléchir à la réforme du lycée, est la mise en place d’un lycée dit « modulaire ». Concrètement, cela signifie que les filières que l’on connaît aujourd’hui (Littéraire, Economique et Sociale, Scientifique) disparaîtraient. Tous les lycéens auraient un tronc commun de cours (en Français, LV1, Histoire-Géographie…) et, en parallèle, se spécialiseraient en choisissant un couple de matières aux horaires renforcées parmi neuf couples possibles, parmi lesquels Mathématiques-SVT, Lettres-Histoire, Sciences Economiques et Sociales-Histoire. L’argument avancé par la commission est que cela permettrait aux élèves une orientation plus souple et graduelle.

Cette idée n’est pas une invention de la commission, qui est allée puiser dans un modèle si cher aux partisans du gouvernement : le Royaume-Uni.

Une fracture territoriale accrue

Cette réforme est symptomatique de la politique mise en place par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir : tout pour les métropoles, tout pour les plus riches, et les autres n’auront qu’à se débrouiller. En effet, ce projet renforcerait considérablement des inégalités territoriales déjà criantes, entre grandes métropoles et France périphérique.

Dans les faits, seuls les lycées les mieux dotés auraient les moyens de proposer l’intégralité des neuf couples de disciplines proposés aux lycéens. Dans les établissements à dimension plus modeste, où le nombre d’élèves et donc d’enseignants est plus faible, le nombre de couples de matières proposés pourrait plutôt tourner autour de cinq.

Dès lors, quelle solution pour les jeunes vivant dans ces espaces déjà délaissés, et souvent économiquement sinistrés ? Les plus favorisés d’entre eux choisiront l’internat du lycée de la grande ville la moins éloignée tandis que le plus grand nombre devra subir son orientation. S’en suivront perte de toute motivation et entrée dans l’enseignement supérieur avec un bagage scolaire qu’ils n’auront pas choisi et qui bridera leurs choix d’orientation.

Un accroissement des inégalités à prévoir

De nombreux spécialistes du monde éducatif, mais aussi des syndicalistes, affirment que cette réforme, loin de régler le problème flagrant des inégalités en milieu scolaire, le creusera encore plus. On peut ici s’appuyer sur le même exemple que la commission Mathiot, à savoir le Royaume-Uni. Le SNES-FSU, premier syndicat enseignant, a publié une note à ce sujet. A la lecture de celle-ci, on s’aperçoit que la prétendue « liberté » donnée aux élèves dans la construction de leur projet d’orientation est en réalité complètement bridée par de multiples déterminismes.

L’orientation genrée est particulièrement forte dans ce type de système. Ainsi, parmi les dix couples de matières les plus fréquemment choisis par les garçons, 7 ne contiennent que des disciplines scientifiques, et tous en contiennent au moins deux. A l’inverse, chez les filles, 4 des couples de matières les plus fréquemment choisis ne contiennent aucune matière scientifique. Ces dernières privilégient les matières littéraires. Certes, ce clivage est également très fort en France, notamment dans les études supérieures où les filières scientifiques les plus reconnues socialement (écoles d’ingénieur notamment) sont nettement dominées par une population masculine. Est-ce toutefois une raison pour aggraver ces inégalités déjà très fortes ?

Outre les inégalités de genre, les inégalités sociales sont également particulièrement fortes dans ce type de système. En éducation comme en économie, derrière les beaux discours sur la « liberté de choix » se cache bien souvent la liberté pour les riches de rester entre eux et de ne pas partager le savoir et donc le pouvoir avec les classes populaires.

Ainsi, en Grande-Bretagne, les lycéens issus de milieux favorisés (on parlerait, en France, des enfants de cadres et  de professions intellectuelles supérieures) sont surreprésentés dans les filières scientifiques, qui sont socialement valorisées. A l’inverse, les lycéens issus de milieux populaires (enfants d’ouvriers, d’employés) se retrouvent essentiellement dans les filières littéraires ou techniques, à la reconnaissance sociale moindre.

Ce clivage social accru s’explique justement par cette prétendue « liberté » laissée aux jeunes dans la construction de leur orientation. En effet, cette liberté de choix favorise mécaniquement les classes aisées, qui disposent du capital culturel et social nécessaire pour offrir la « bonne » orientation à leurs enfants. Confrontés très tôt aux professions socialement valorisées, les jeunes sauront, avec l’aide de leurs parents, choisir la filière qui leur permettra de reproduire le schéma social dans lequel ils ont grandi : leurs parents, au courant de l’actualité économique, politique et culturelle, sauront guider leurs enfants vers une voie porteuse, tout en valorisant l’école et le goût de l’effort et de la réussite personnelle. Au contraire, l’orientation des enfants d’origine sociale plus modeste est nécessairement plus difficile, car ils ne disposent pas de relations ou d’un milieu familial qui pourraient les aider à faire leur choix.

Demain, avec une telle réforme, ces déterminismes sociaux déjà particulièrement forts dans le système scolaire seraient donc très probablement accrus, et l’ensemble serait justifié par les sempiternelles tirades gouvernementales sur la « revalorisation des filières professionnelles » qui, si elle est une réalité dans le discours dominant, n’a encore jamais eu d’effet concret dans le monde réel.

Derrière la prétendue réforme, toujours des suppressions de postes

Emmanuel Macron et son gouvernement ne s’en cachent pas : au cours du quinquennat, 120 000 postes de fonctionnaires doivent être supprimés. Avant l’élection présidentielle, nous présumions déjà que l’Education Nationale serait fortement touchée par cette décision dans la mesure où ce ministère est celui qui emploie le plus.

Bien entendu, le gouvernement a assuré que l’éducation était une de ses priorités, en témoigne le dédoublement des classes de CP dans les zones difficiles, les fameuses classes à 12 élèves. Si cette mesure est bonne sur le papier, elle se fait sans aucun moyen supplémentaire, ce qui lui retire toute efficacité. Mais surtout, c’est une opération de communication très habile, qui masque le véritable plan social en cours dans l’enseignement secondaire.

Ces suppressions de postes ont déjà commencé, de façon discrète : le gouvernement a réduit le nombre de postes offerts aux concours de recrutement pour la prochaine session. C’est-à-dire que celui-ci prévoit, sur le long terme, de réduire le nombre d’enseignants, alors que le nombre d’élèves grandit d’année en année.

Mais cette réforme du lycée permettrait d’aller encore plus vite. En effet, celle-ci prévoit une baisse du temps de cours hebdomadaire des lycéens, qui oscille aujourd’hui entre 27 et 30 heures. Cela permettrait de passer de 142 000 enseignants au lycée aujourd’hui à 117 000 demain, soit environ 25 000 postes supprimés rentrée après rentrée, d’après les estimations du SNES. Dans les années 80, le ministre socialiste de l’Education Nationale Claude Allègre rêvait de « dégraisser le Mammouth » : les libéraux en rêvaient, Macron le fait.

Ainsi, loin de répondre aux problèmes auxquels cette réforme prétend s’attaquer, elle ne ferait que les creuser… Au bénéfice de ceux qui ont porté Macron au pouvoir.