« Podemos ne voulait pas réinventer la gauche mais reconstruire un espace d’émancipation » – Entretien avec Juan Carlos Monedero

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À travers cet entretien, Juan Carlos Monedero, co-fondateur de Podemos et professeur de science politique à l’Université Complutense de Madrid, revient sur les faiblesses de la logique populiste défendue par Íñigo Errejón. Nous donnions le mois dernier la parole à Jorge Lago, membre du Conseil citoyen de Podemos, pour qui la logique populiste et la transversalité sont indispensables pour construire de nouvelles identités politiques. Juan Carlos Monedero considère, au contraire, que ces logiques annihilent les « véritables possibilités de changement » en voulant « séduire » à tout prix. Il revient également, au cours de cet entretien, sur l’avenir de Podemos et son rapport au PSOE, l’homologue espagnol du PS, et sur la dispute de l’espace politique de la gauche en Espagne. L’analyse comparative avec la France et l’Italie qui est livrée à la fin de cet entretien ouvre de nombreuses pistes pour comprendre quelle stratégie la gauche française devrait aujourd’hui adopter et donne à réfléchir sur l’importance du renouvellement des leaders politiques.

On entend souvent dire que Podemos est né en s’appuyant sur une « hypothèse populiste » construite à partir des travaux du théoricien argentin Ernesto Laclau et des expériences latino-américaines. Vous avez été l’un des premiers fondateurs du parti à vous opposer à cette hypothèse que vous considérez comme une « tactique » plutôt qu’une « stratégie ». Vous présentiez notamment ses « faiblesses » dans un article paru en juin 2015. Pouvez-vous revenir sur ces différentes critiques que vous formulez à l’égard de la logique populiste ?

Ernesto Laclau n’a eu aucune influence dans la création de Podemos. Ce fut une intellectualisation a posteriori. Nous savions ce que nous avions à faire, non pas parce qu’un cadre théorique nous l’avait dicté, mais avant tout grâce à nos expériences en Espagne et en Amérique latine : nous savions qu’il ne fallait plus parler de la droite et de la gauche, nous savions que l’émotion manquait dans la vie politique. Nous le savions, non pas parce que nous avions lu Spinoza, mais parce que nous pouvions le sentir grâce à nos propres expériences. Dans mon cas, j’avais par exemple parcouru l’Espagne pendant trois ans avec le Frente Cívico, un mouvement social créé en 2012 par Julio Anguita [Ndlr: secrétaire général du PCE entre 1988 et 1998]. J’avais, à cette occasion, pu me rendre compte que nos propositions et les alternatives que nous avancions, avec l’idée de former un bloc civil, un contre-pouvoir, avaient une très bonne audience. Il nous fallait récupérer cette audience face à la froideur traditionnelle de la pensée moderne de la gauche. Autrement dit, il fallait injecter un peu de post-modernité dans la gauche. Nous avions également compris, grâce à l’expérience latino-américaine, qu’il nous manquait un ennemi, que la désignation de cet ennemi était primordiale. Nous savions également qu’en Espagne nous avions un problème supplémentaire parce que nous n’avions pas de patrie alors que tous les processus latino-américains s’étaient reconstruits sur la base de la réinvention de la patrie. Mais toutes ces choses dont nous nous rendions compte n’étaient alors pas conceptualisées dans un cadre théorique fermé.

Dans sa thèse de doctorat, soutenue en 2012, deux ans avant la naissance de Podemos, Íñigo Errejón s’appuie déjà largement sur les travaux d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe. Pablo Iglesias a, par exemple, également fait référence de nombreuses fois à ces deux auteurs dans le programme de télévision Fort Apache dans lequel Chantal Mouffe fut d’ailleurs invitée à plusieurs reprises. Bien que cette influence soit peut-être exagérée par les médias qui présentent Laclau et Mouffe comme les « inspirateurs » de Podemos, il me semble néanmoins que leurs travaux sur le populisme ont eu une influence importante sur la stratégie politique de votre parti ?

Nous sommes des professeurs de science politique ce qui signifie que tout ce que nous pensons, tout ce que nous disons et tout ce que nous faisons sont liés. Qu’est-ce qui alimente quoi ? Lorsque je lis quelque chose, ça me paraît intéressant parce que ça fait à écho à des situations auxquelles j’ai été confronté. C’est donc vrai que lorsque nous avons analysé la situation en Espagne, Laclau nous a paru intéressant parce qu’aucun d’entre nous n’était issu du marxisme classique. Les approches post-marxistes nous séduisaient. Je pense que « l’hypothèse populiste » s’est formulée clairement pour la première fois à Podemos lors des élections andalouses de mars 2015. Le document alors présenté devait initialement être signé par tous les fondateurs de Podemos. À ce moment-là, je décide de ne pas le signer car je suis en désaccord avec son contenu et les discussions autour de cette question apparaissent. Finalement, seuls Pablo Iglesias et Íñigo Errejón le signent, ils sont donc les deux seuls fondateurs à défendre cette hypothèse à ce moment-là.

Qu’est-ce qui vous dérangeait dans ce document ?

Premièrement, je pense que « l’hypothèse populiste », qui fonctionnait bien dans un contexte latino-américain, n’était applicable ni en Espagne, ni en Europe. L’Espagne, même au plus fort de la crise, n’a jamais été détruite comme l’a été l’Amérique latine après la phase néo-libérale. Ici, au pire moment, 65% des chômeurs continuaient à recevoir une aide. La structure sociale en Amérique latine était telle que le peuple était entièrement dissous et qu’il pouvait donc être réinventé.

Deuxièmement, je considère que « l’hypothèse populiste » n’est qu’un moment, c’est-à-dire que le populisme est un moment utile dans la phase destituante : au moment où tu te confrontes aux élites responsables du divorce entre la tradition libérale et la tradition démocratique propres à l’Occident. Chaque crise – en 1929, en 1973 ou en 2008 – est caractérisée par les tensions qui naissent entre ces deux traditions qui fondent nos États démocratiques, nos États de droit. En période de crise, des tensions apparaissent car les forces du statu quo essayent de laisser de côté la dimension démocratique, celle des droits sociaux, de la participation, de la grève. Ces tensions génèrent toujours une colère populaire qui engendre elle-même une désaffection envers ceux qui commandent, c’est-à-dire, dans le contexte de nos démocraties représentatives, ceux qui occupent le parlement et le gouvernement – voire, s’il y a une bonne lecture de la situation, envers les médias et les grandes entreprises. Il y a toujours une désaffection à l’égard du monde politique et c’est ce qu’il s’est passé en 2008.

En quoi le populisme est utile dans ce que vous désignez comme la phase destituante ?

Le populisme est une phase destituante qui nous a permis, en Espagne, de construire un « nous » et un « eux » à partir de deux signifiants vides : la caste et le peuple. Cette construction était articulée grâce à un leader. Mais il y avait un problème dans cette hypothèse qui m’avait toujours préoccupé : la construction de la chaîne d’équivalence implique que toutes les luttes doivent perdre en intensité et en force, être moins exigeantes avec elles-mêmes. Je pense que le signifiant vide qui illustre le mieux mon propos est le péronisme. Le péronisme s’est transformé en un rien, c’est-à-dire que n’importe qui pouvait finalement s’en revendiquer : un écologiste, une personne qui lutte pour le droit à l’avortement, une personne d’extrême-gauche mais aussi une personne d’extrême-droite. Le péronisme pouvait tout contenir parce qu’il était vide. En Espagne, avec la création de Podemos nous devions faire face à des défis compliqués : nous n’existions pas et nous devions d’un coup exister, nous étions en train de jouer avec les outils du système pour pouvoir le déborder en utilisant ses espaces, comme la télévision, et en nous constituant comme un parti politique. Nous devions devenir l’un d’eux pour pouvoir lutter contre eux. Il était alors primordial de rester très rigoureux pour ne pas nous transformer en l’un d’eux. Il y a une phrase que j’aime répéter pour expliquer mon propos: « Il faut hurler avec les loups pour qu’ils ne te dévorent pas ».

Pourquoi, selon vous, « l’hypothèse populiste » n’est valide que dans cette première phase ?

De cette phase destituante peuvent naître des populismes de gauche mais aussi de droite. Le système va chercher un populisme de droite pour répondre à la crise comme ce fut le cas en 1929 ou en 1973. En Espagne, si nous n’avions pas marqué notre différence, si nous n’avions pas profité de ce que le 15-M [Ndlr : le mouvement des Indignés de 2011] avait fait de plus important, construire un nouveau récit, un populisme de droite aurait pu le faire. Trump, Le Pen, Grillo, Corbyn, Sanders, Mélenchon, Podemos, nous narrons tous les douleurs du modèle néo-libéral en pointant du doigt les mêmes problèmes: le chômage, la précarité, les explusions de logement, la mondialisation néo-libérale.

Où se trouve donc la différence entre Le Pen, Grillo et Podemos ?

Il y en a deux. La première se situe dans la désignation des responsables de la situation : nous, nous accusons les banquiers, les capitalistes financiers, les élites politiques, alors que les populismes de droite désignent les syndicats ou les immigrés. Il est vrai qu’il est plus facile de rejeter la faute sur l’immigré, une personne que tu peux voir tous les jours, plutôt que sur un banquier qui réside en Suisse. La seconde différence, qui est primordiale, réside dans la construction, c’est-à-dire non pas dans la phase destituante mais dans la phase constituante. « L’hypothèse populiste » se réfère à une tactique et non pas à une stratégie de long-terme. Nous avions besoin de formuler clairement ce que nous allions proposer comme alternative.

Quelle stratégie fallait-il donc adopter dans cette phase constituante ? Selon vous, pourquoi était-il alors important de se détacher de la logique populiste ?

Les défenseurs de « l’hypothèse populiste », et avant tout Íñigo Errejón, pensaient qu’il fallait seulement mobiliser des éléments qui pouvaient nous faire gagner et que nous ne devions pas parler de thèmes qui pouvaient nous faire perdre des voix, c’est-à-dire qu’il fallait uniquement parler de choses abstraites pour avoir l’appui le plus large possible : la patrie, la caste, la corruption. Mon approche était différente, je considérais que cette hypothèse était viable en Amérique latine mais pas en Espagne. En continuant à insister sur la phase destituante, en évitant de formuler clairement notre alternative, nous allions laisser le champ libre aux populismes de droite. Selon moi, construire un programme était primordial car il s’agissait de commencer à parler de certains sujets et thèmes que nous devions aborder rapidement car sinon, une fois au gouvernement, nous n’aurions pas pu appliquer nos politiques. Le peuple nous aurait demandé « pourquoi mettez-vous en place ces politiques alors que vous n’en avez jamais parlé avant ? » et la droite et les élites nous auraient attaqués sans que personne ne puisse nous défendre si nous n’avions pas formulé les choses clairement a priori en les mettant à l’agenda. Pour toutes ces raisons, lorsque « l’hypothèse populiste » préconise de vider les signifiants, elle finit par vider les véritables possibilités de changement.

Lorsque vous dites que la logique populiste empêche finalement de mettre en place de véritables changements, à quoi pensez-vous concrètement ?

Aux luttes sociales, aux luttes professionnelles ou à la structure du travail. Il y a un exemple concret que nous avions décidé de ne pas mettre de côté tout en sachant que ce n’était pas un cadre gagnant mais plutôt un cadre perdant : celui de la plurinationalité.

La plurinationalité est également défendue par Íñigo Errejón, l’un des principaux défenseurs de « l’hypothèse populiste » au sein de Podemos.

Nous avons eu d’importants débats à propos de cette question. J’ai des différences de fond avec Íñigo Errejón et Pablo Iglesias là-dessus. Je pensais qu’il était important de parler de l’Espagne car nous sommes un parti espagnol. Tu peux te présenter comme un parti catalan si tu te présentes en Catalogne. Dans notre cas, nous sommes un parti espagnol et nous ne pouvons donc pas être en faveur de l’indépendance. L’indépendance de la Catalogne est fondamentale dans la biographie d’Errejón, il a donc insisté pour que nous défendions la plurinationalité. En revanche, il a également insisté pour que nous ne parlions pas de politiques de classes. « L’hypothèse populiste » s’est ainsi transformée en une « politique des classes moyennes ». Cette hypothèse se trompe dans sa lecture de Gramsci. Gramsci différencie l’hégémonie organique, qui se construit sur des contradictions réelles, de l’hégémonie arbitraire. Chez Laclau, tout est discours, jusqu’à l’économie : l’économie aussi est un discours.

Oui mais chez Laclau, le discours n’est pas seulement compris comme un synonyme de « langage », le terme inclut, par exemple, également les pratiques sociales.

Quand Laclau dit que la politique et l’économie sont la même chose, il met de côté les conditions matérielles de la lutte des classes. Je pense que c’est une erreur. Que se passe-t-il à partir de ce postulat ? Dans « l’hypothèse populiste » d’Íñigo Errejón, pas celle de Pablo Iglesias, il y a, de fait, une sensibilité plus accrue aux revendications post-modernes, une tendance à mettre de côté le reste. Il y a une chose importante à étudier : quelle est la position de chacun des fondateurs de Podemos par rapport aux catégories sociales les plus touchées par la crise ? Cette question permet de faire apparaître tous les éléments centraux qui ont structuré nos discussions sur le 15-M. Entre Íñigo Errejón et moi, il y a une différence depuis le départ. Íñigo Errejón pensait qu’il fallait représenter le 15-M. Moi, non. Je pensais qu’il fallait reconduire le 15-M. Le 15-M était composé de secteurs populaires mais également des classes moyennes touchées par la crise qui voulaient simplement retourner à leur situation antérieure. L’intérêt de ces classes moyennes était donc de résoudre la crise, non pas parce qu’elles étaient contre le système mais parce qu’elles étaient contre les excès du système. Moi, je ne voulais pas représenter des bourgeois qui voulaient simplement pouvoir partir trois fois en vacances par an ou aller boire des coups dans des bars mais qui n’avaient jamais été préoccupés par les 10 millions de pauvres qu’il y avait en Espagne au moment de la crise. Ces personnes sont représentées par Albert Rivera [Ndlr: président du parti politique Ciudadanos]. Je ne veux pas les représenter. Je voulais que les gens en colère puissent avoir une analyse et une position plus émancipatrices.

Pour être en mesure de gagner des élections, ne faut-il pas également réussir à s’adresser à ces classes moyennes que vous décrivez ? N’est-il pas important de réussir à élargir son électorat ?

Oui mais ça revient à ce que je disais tout à l’heure. Si un bourgeois vote pour moi parce que je l’ai trompé, quand je mettrai en place mes politiques, ce bourgeois sera contre moi, il ne me soutiendra pas. Dans mon opinion c’est donc mentir, tendre des pièges. Je ne veux pas qu’ils votent pour moi. Je ne veux pas séduire. Séduire, c’est tromper. Je veux que les gens aient leurs propres réflexions et qu’ils votent pour une formation politique pour son discours émancipateur, pas pour un discours qui va seulement appeler à sauver des classes moyennes appauvries par la crise.

Pedro Sánchez, qui est présenté comme l’aile gauche du PSOE, vient d’être réélu à la tête de son parti. Pouvez-vous revenir sur les rapports qu’entretient Podemos avec le PSOE ? Il y a-t-il une dispute pour l’espace politique de la gauche entre ces deux partis ?

Je viens de publier un article, « Que diable vas-tu faire Sánchez ? », dans lequel j’explique que nous sommes trois partis à disputer l’espace destituant : Ciudadanos, Podemos et le PSOE de Pedro Sánchez. Pedro Sánchez se retrouve face à des contradictions qui sont impossibles à résoudre. Il doit d’abord tranquiliser l’appareil de son parti sans pouvoir se confronter directement à cet appareil. Eduardo Madina et José Carlos Díez, qui sont deux personnes importantes au sein du PSOE, ont par exemple refusé de faire partie de l’exécutif du parti suite à son élection. Eduardo Madina a même déclaré que Pedro Sánchez allait mener le parti à sa perte. L’appareil partisan te dévore. Pedro Sánchez doit construire des majorités tout en se confrontant à Podemos. Le PSOE l’avait déclaré lui-même : le Parti populaire est son adversaire, Podemos est son ennemi. Pourtant, les bases militantes souhaitent que le PSOE se rapproche de Podemos mais c’est impossible puisque le parti nous considère comme son ennemi. C’est une contradiction très importante. De plus, il doit, dans le même temps, se rapprocher de Ciudadanos. Enfin, il doit satisfaire la base du parti qui a voté pour lui pour mettre en place des politiques de gauche. Tout cela me paraît incompatible.

Face à tant de contradictions, vous misez donc sur le fait que Podemos réussira à récupérer les électeurs du PSOE ? Est-ce l’objectif pour les élections générales de 2020 ?

J’en suis certain. C’était d’ailleurs mon hypothèse il y a trois ans : lorsque Podemos est né, en janvier 2014, 7 à 8 millions d’Espagnols ne se reconnaissaient alors dans aucun parti et allaient voter pour nous. J’avais une lecture différente de celle de Pablo Iglesias et d’Íñigo Errejón car je n’ai jamais pensé que nous allions réussir à avoir une majorité absolue au parlement dès les premières élections générales de décembre 2015. Dans ma lecture de la situation, une fois que nous aurions réussi à devenir une force politique importante en Espagne, le PP et le PSOE allaient se regrouper dans une sorte de grande coalition. Ce qui allait signifier qu’une partie importante du PSOE allait finalement abandonner le parti. Ce qui finira par arriver. Le PSOE va se déchirer : soit vers la droite, soit vers la gauche, mais, dans tous les cas, il finira par rompre. Par exemple, on peut aujourd’hui voir que Pedro Sánchez s’est déjà subordonné à Mariano Rajoy sur les questions de la motion de censure et du référendum en Catalogne. Ses contradictions sont trop fortes pour que le parti tienne.

Comment analysez-vous la situation politique dans le reste de l’Europe ? Constatez-vous un épuisement général de la social-démocratie ?

En France et en Italie nous pouvons faire le même constat sur l’épuisement du vieux monde. Le problème, dans ces deux pays, réside dans le fait que le neuf, la nouveauté, suivent des cours différents parce qu’il n’y a pas eu de 15-M. En France, Nuit Debout était une imitation du 15-M. J’avais la sensation qu’ils regardaient trop vers l’Espagne en essayant d’imiter le mouvement que nous avions connu. Il y avait un autre problème. En Espagne, avec le 15-M, nous pouvions voir que le vieux monde, dans son ensemble, mourrait. Podemos existe grâce au 15-M qui a construit un récit qui rejetait la faute sur les banquiers. Ici, les gens ne pouvaient pas se tourner vers le PP, le PSOE ou IU. C’était impossible, ils étaient trop vieux. En revanche, en France, sur certains aspects le vieux monde continue à revendiquer son espace. C’est spectaculaire qu’un banquier comme Emmanuel Macron représente plus la nouveauté que Jean-Luc Mélenchon. Je pense que Jean-Luc Mélenchon n’a pas été assez « généreux » : il aurait dû laisser la possibilité à d’autres leaders d’émerger. En Italie, la même gauche, toujours par manque de « générosité », et par son émiettement, n’a pas non plus laissé émerger de nouveaux leaders, ce qui a permis la naissance du mouvement de Beppe Grillo. Pourtant, quelqu’un d’alternatif, venant de la gauche, aurait pu émerger en Italie.

À chaque moment de crise, en 1929, en 1973, ou aujourd’hui, on observe exactement le même phénomène. Il y a toujours quatre réponses du pouvoir : 1) dire qu’il n’y a pas d’alternative ; 2) former une grande coalition, ce qui revient également à dire qu’aucune alternative n’existe ; 3) l’émergence ou la montée d’un populisme de doite, que ce soit Dollfuss, Hitler, Rivera ou Trump ; 4) une solution autoritaire. Ces populismes de droite font partie du système. Trump est le système, c’est un millionnaire, il ne fera jamais rien contre le système, de la même manière que Marine Le Pen fait, elle aussi, partie intégrante du système, bien qu’elle prétende le contraire. À Podemos, nous ne sommes pas contre les excès du système, nous somme contre le système car nous pensons que les situations de crise sont entièrement dues au système en lui-même.

Quelle stratégie la gauche doit donc aujourd’hui adopter en Europe ?

Trois axes sont importants pour comprendre ce que nous devons faire aujourd’hui : 1) droite/gauche, un axe qui continue à exister mais qui est affaibli ; 2) vieux/neuf ; 3)  opposé aux forces traditionnelles/aux côtés des forces traditionnelles. Nous devons donc nous opposer tout en représentant le neuf et la nouveauté: il est possible de le faire depuis la gauche ou depuis la droite. Si tu le fais depuis la droite, tu mens, car tu ne représenteras jamais un renouveau ou une réelle opposition. Il faut donc le faire depuis la gauche. C’est un point clé. Quand Podemos est né, nous ne voulions pas réinventer la gauche, ou donner un nouveau souffle à la vieille gauche, nous voulions reconstruire un espace d’émancipation.

Propos recueillis par Laura Chazel pour LVSL, Madrid, 30 mai 2017. Traduit de l’espagnol avec l’aide de Vincent Dain.

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