17 ans après la pire crise économique de son histoire et l’intervention du Fonds Monétaire International, l’Argentine fait de nouveau appel au FMI. Si pendant les années Kirchner toute nouvelle mission du FMI avait été refusée, leur successeur de droite Mauricio Macri a annoncé le 8 mai dernier vouloir entamer des discussions pour un soutien financier face à la dépréciation brutale du peso argentin. Un retour de l’institution financière que les Argentins ne voient pas de bon augure.
Appel à l’aide
« De manière préventive, j’ai décidé d’entamer des discussions avec le FMI pour qu’il nous accorde une ligne de soutien financier » annonce Mauricio Macri le 8 mai, en réagissant à la chute du peso et à l’appréciation du dollar. Le peso a perdu 18 % de sa valeur depuis le début de l’année et a chuté brutalement début mai malgré des injections massives de la Banque centrale et le relèvement à 40 % de son taux d’intérêt. Le pays fait face à une inflation élevée et l’appréciation du dollar (25% en deux semaines) affecte particulièrement les Argentins, détenant principalement leur épargne dans cette devise. De même, la dette argentine étant contractée en dollars, son appréciation ne fait que renchérir le coût de la dette. Ayant pour objectif de calmer les marchés, le Président Macri cherche à rectifier le tir en obtenant un crédit du FMI d’une valeur de 30 milliards de dollars.
Une décision que les Etats-Unis n’ont pas tardé à féliciter : “Les Etats-Unis approuvent le programme de réforme économique du président Mauricio Macri, qui est orienté vers les marchés, centré sur la croissance et devrait améliorer l’avenir de l’Argentine. Le président Macri possède une vision juste pour l’économie argentine et a réalisé d’importantes avancées pour la modernisation de la politique économique du pays” a annoncé Sarah Huckabee Sanders, la porte-parole de la maison blanche. La déclaration en dit long sur la vision dite « juste » de l’économie du gouvernement Macri.
Toute crise a ses causes
En effet, l’appel à l’aide ne vient pas de nulle part. Si la dimension conjoncturelle de la crise, dans un contexte de méfiance envers les devises émergentes, y a bien sûr sa part, la « modernisation de la politique économique du pays » mise en place par le nouveau gouvernement depuis 2015 n’est pas pour rien dans la situation actuelle.
Tout juste arrivé au pouvoir, Mauricio Macri a laissé de côté la méthode Kirchner de financement de la dette par l’émission de pesos et la planche à billet. A ce moment-là, il est l’heure de la libéralisation financière et de l’ouverture sur le marché international du refinancement. L’objectif : rassurer et attirer les investisseurs étrangers et redonner à l’Argentine sa place sur les marchés financiers internationaux. Pour cela, Macri supprime le contrôle des capitaux instauré par sa prédecesseure Kirchner en 2011 et paie les fameux fonds vautours qui réclament toujours leur part de dette de 2001.
Si l’ouverture du marché des capitaux peut permettre une entrée rapide de capitaux elle facilite également sa fuite, ce qui explique aujourd’hui le manque de devises en Argentine, d’où le recours au FMI. A la question de savoir si Macri avait une alternative possible au FMI pour résoudre la situation, le sociologue Gabriel Roca répond : « Bien sûr qu’il existe d’autres manières de faire face à cette crise mais cela impliquerait de récupérer un certain nombre d’outils et de régulations que le gouvernement à démonter une par une ».
Une relation tumultueuse entre les Argentins et le Fonds
« Dans ce pays polarisé on s’unit par l’amour de la sélection nationale et la haine de l’institution multilatérale » résume Catalina Oquendo, journaliste à El Tiempo. L’intervention du FMI dans les années 90 et pendant la crise de 2001 a profondément marqué les esprits. Entre 1998 et 2001, sept plans d’austérité en échange d’aides financières ont été imposés par le FMI en Argentine dans la lignée du Consensus de Washington. Au lieu de résoudre la récession en cours, les mesures voulues par le FMI ne font alors que l’amplifier et ont conduit à une situation sociale plus que douloureuse. Celle-ci reste dans la mémoire des Argentins.
Le 25 mai dernier, jour de la patrie en Argentine et symbole de la révolution indépendantiste de 1810 face au Royaume d’Espagne, la rancœur de 2001 encore présente des argentins s’est matérialisée dans la rue. Avec des slogans tels que « Non au FMI », « La Patrie est en danger » des milliers de personnes ont exprimé leur rejet de l’aide financière. Organisée par différents syndicats et groupes politiques sociaux opposés au gouvernement de Macri, la manifestation s’est terminée par la lecture d’un document commun à la tribune : « Nous savons de quoi il s’agit, le colonialisme néolibéral offre seulement la misère ». En bref, pour les argentins, FMI est égal à crise. Tant bien que mal, Mauricio Macri tente de rassurer : « Le FMI a changé, ce n’est plus le même que celui des années 90 ».
Quelles contreparties ?
Il reste que faire appel au FMI revient presque systématiquement à obtenir une aide financière en échange de contreparties en termes de politique économique. Une relation que les Kirchner avaient pris soin de rompre en remboursant en une seule fois la dette de 9,6 milliards de dollars en 2006 et en refusant toute mission du FMI sur le territoire.
L’objectif de Mauricio Macri est d’arriver à un Stand-By Agreement qui permet selon le FMI de « répondre rapidement aux besoins de financement extérieur des pays et d’accompagner les politiques destinées à sortir des situations de crise et à rétablir une croissance durable ». L’accord, prévu pour le 20 juin sera finalement de 50 milliards de dollars. Pour motiver l’obtention du prêt, une lettre d’intention et un mémorandum sur les politiques économiques ont été remis. Les négociations avec le FMI pour obtenir le crédit continuent et les contreparties possibles apparaissent. Bien plus qu’un simple financement, l’aide s’annonce une nouvelle fois comme un programme de « bonne conduite » économique. Le ministre des finances Nicolas Dujovne a déjà annoncé des coupes dans les travaux publics et une réduction de 15% des fonds aux entreprises publiques. Le FMI a également demandé une dévaluation du peso argentin pour financer le déficit extérieur. La directrice de l’institution s’en réjouit déjà : le programme « établit d’ambitieux objectifs budgétaires à moyen terme et des objectifs d’inflation réalistes ». Il y a de grandes chances qu’on connaisse la suite : un programme austéritaire qui n’annonce rien de bon dans un pays où les conditions sociales se dégradent déjà depuis plusieurs années. Les marchés sont rassurés, les Argentins peut-être un peu moins.
Auteur : Malo Jan
Crédits photos : ©Casa Rosada