Élections présidentielles brésiliennes : comment expliquer l’émergence de l’extrême-droite ?

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© Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil)

Le premier tour de l’élection présidentielle brésilienne a donné lieu à des résultats extrêmement polarisés. Jair Bolsonaro (PSL), celui que l’on surnomme le “Trump Brésilien”, est arrivé en tête avec 46,03% des votes exprimés. Il devra affronter au second tour l’ancien préfet de São Paulo, Fernando Haddad (PT) qui a totalisé 29,28% des suffrages.


Que proposent les deux candidats en tête ?

Jair Bolsorano, ancien militaire de 63 ans quasi-inconnu de la scène politique brésilienne il y a encore un an, s’est fait remarquer tout au long de la campagne présidentielle pour ses propos racistes, homophobes et misogynes. Il est parvenu à convaincre l’électorat grâce à un discours ultra-conservateur et populiste.

Le Brésil est le pays d’Amérique latine avec le plus fort taux de criminalité. En 2017, on déplorait sept personnes victimes de meurtre par heure. Pour lutter contre ce fléau, J. Bolsonaro séduit les pro-armes à feu en promettant de mettre en place une politique facilitant le port d’arme. Il propose de créer un statut juridique protecteur pour les policiers faisant usage de leurs armes de fonction pour tuer un suspect mais également d’abaisser la majorité pénale à 16 ans. De son côté, Fernando Haddad propose de renforcer la traçabilité des armes à feu et de refonder la politique antidrogues qu’il juge inefficace.

Sur le plan économique, bien que sorti d’une récession profonde, le Brésil peine à refaire surface. Le taux de chômage a presque doublé entre 2011 et 2017 passant de 6,7 % à 13%. Cette situation profite à Jair Bolsorano qui propose une politique ultra-libérale accompagnée d’un certain nombre de privatisations. Une mesure à laquelle s’oppose Fernando Haddad qui suggère plutôt la mise en place d’un plan contre l’évasion fiscale.

Par ailleurs, le candidat du PSL a obtenu le soutien des mouvements évangélistes en prônant un retour à des valeurs familiales conservatrices. Rappelons qu’au Brésil, l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol, de risque pour la mère ou de grave malformation du fœtus. Aucun des deux candidats ne mentionne le sujet dans son programme officiel : tous deux sont opposés à l’assouplissement des règles régissant l’avortement. Toutefois, Fernando Haddad s’est prononcé en faveur de la mise en place du planning familial.

En s’assurant le soutien du mouvement évangéliste, Bolsonaro a fait un choix stratégique crucial, puisque ce mouvement est particulièrement puissant au Brésil. Extrêmement hostiles au Parti des Travailleurs (PT) de Lula, les évangélistes ont appelé à voter massivement pour la destitution de Dilma Rousseff.

Comment expliquer un tel rejet du Parti des Travailleurs ?

Le candidat d’extrême droite a su capter le sentiment populaire de rejet du PT. Selon Mauricio Santoro, directeur du département des relations internationales de l’université de Rio de Janeiro UERJ « on ne peut pas comprendre l’ascension de Bolsonaro si on ne voit pas ce qui s’est passé dans le pays depuis 2014 avec le Lava Jato ».

L’affaire « Lava Jato » littéralement « lavage express » est un vaste scandale de corruption et de blanchiment d’argent qui a éclaté en mars 2014. Il implique le groupe pétrolier public Petrobras, le Parti des travailleurs (PT) et l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva. Ces deux derniers sont soupçonnés d’avoir utilisé cet argent pour financer leurs campagnes électorales. La présidente Dilma Rousseff qui a succédé à Lula en 2010 et a été réélue en 2014, n’est pas directement accusée de corruption par la justice mais ces affaires ont servi pour l’attaquer. Très affaiblie par ces scandales, elle sera écartée du pouvoir puis démise de ses fonctions le 31 août 2016 avant d’être remplacée par Michel Temer.

Comment expliquer le score de Jair Bolsonaro ?

Jair Bolsonaro a su cristalliser la colère brésilienne. Les votes en sa faveur expriment avant tout le rejet d’une politique gangrenée par la corruption et une volonté de sanctionner le Parti des Travailleurs, désormais associé à ces scandales. Fernando Haddad propulsé sur la scène politique par Lula est discrédité auprès d’une partie de l’électorat brésilien par son association avec l’ex-président. Enfin, des Fake News diffusées sur les réseaux sociaux sont venus entacher cette campagne présidentielle. Le jeudi 18 octobre, le quotidien Folha de Sao Paulo a révélé que des entreprises avaient financé des envois en masse de messages anti-PT sur WhatsApp, avant le premier tour. Selon le quotidien, une nouvelle offensive serait prévue avant le second tour du 28 octobre. Une enquête a été ouverte. Si les faits sont avérés, le PSL risque gros car une telle pratique est formellement interdite au Brésil.

Vers une crise démocratique ?

Le résultat de ce premier tour est inquiétant pour l’avenir de la démocratie brésilienne. Selon Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine « le scénario de la présidentielle traduit une crise démocratique très profonde ». Après avoir connu un régime dictatorial militaire entre 1964 et 1985, la démocratie brésilienne est encore jeune et son équilibre est fragile. Une victoire de Bolsonaro marquerait le retour à une politique ultra-conservatrice et autoritaire. La démocratie Brésilienne parviendra-t-elle à faire face à cette crise idéologique ?


Sources :

  • http://www.medelu.org/Au-coeur-de-la-nouvelle-situation
  • https://www.franceinter.fr/monde/la-dictature-bresilienne-dont-jair-bolsonaro-est-nostalgique
  • http://www.iris-france.org/120556-elections-presidentielles-bresiliennes-quels-sont-les-enjeux-principaux-a-la-veille-du-second-tour-des-elections/
  • https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/10/08/election-au-bresil-une-campagne-marquee-par-la-diffusion-de-fake-news_5366275_3222.html