Maxime Blondeau est le fondateur du premier éco-syndicat de France, le Printemps écologique, qui entend faire pénétrer les revendications de l’écologie politique au cœur de l’entreprise. C’est en effet dans l’entreprise que le système productif – fondamentalement facteur de pollution – peut être transformé. L’objet d’un syndicat consiste à « défendre les intérêts matériels et moraux, individuels et collectifs de ses membres ». Le Printemps écologique souhaite élargir les compétences d’un élu syndical pour y inclure de nouveaux sujets : la mobilité, l’alimentation, la comptabilité, les indicateurs d’impact, le climat et la biodiversité – qui peuvent être inclus dans la définition précédente. Nous avons donc voulu approfondir cette démarche, en revenant également sur les impasses auxquelles fait face le monde syndical traditionnel.
LVSL – Quel est l’intérêt de créer un syndicat écologique ? De quels constats êtes-vous parti pour le lancer ?
Maxime Blondeau – L’idée de construire un éco-syndicat est née en 2019 suite à la rencontre, un petit peu partout sur le territoire français et outre-mer, d’associations, d’ONG, et de salariés dans le secteur public et privé.
Nous sommes partis du constat que le principe même du dérèglement écologique se trouve dans l’appareil productif. C’est le contre-pied de l’idée que ce sont les consommateurs qui détiennent la clé de la transition, en tant qu’individus, par leurs pratiques et leurs comportements, en prenant leur vélo, en économisant l’eau et le carburant. Au contraire, nous pensons que l’individuation des problèmes sociaux et écologiques est une illusion. La responsabilité est collective : l’appareil productif contient dans son propre fonctionnement – sa forme, ses moyens et ses fins – le principe du dérèglement. Nous nous sommes donc concentrés sur une méthode visant à provoquer une transformation de l’appareil productif.
Au bout de plusieurs mois de travail, nous avons réalisé qu’il existait un moyen juridique de le faire : un syndicalisme réinventé, un système de représentation des intérêts des salariés au cœur même du travail. Nous l’avons appelé éco-syndicalisme : l’union des salariés pour accélérer la métamorphose de nos organisations vers un modèle plus résilient et plus juste.
LVSL – Pouvez-vous nous raconter la genèse de la construction du Printemps écologique ? Quel était son point de départ ? Combien étiez-vous à l’origine du projet ?
M.B. – On peut placer le point de départ en novembre 2018. À ce moment-là nous n’étions même pas structurés, nous n’avions pas d’organisations. Avec une dizaine de salarié.es de PME et de grandes entreprises, nous avons lancé une pétition en ligne : « Salariés pour le climat». En une semaine, nous avons reçu six cents réponses. Nous avons alors organisé des rencontres dans des cafés pour discuter, partager les ressentis. C’est à ce moment-là qu’on a pris conscience d’une immense aspiration. Il y a peut-être en France des millions de salariés tiraillés entre conscience professionnelle et responsabilité morale, convaincus de l’importance du problème, mais impuissants dans leur travail. Ces salariés se sentent seuls et ont besoin de se réunir pour chercher des solutions. Tout est parti de là.
Dans mon parcours professionnel, j’ai eu une expérience de responsable des ressources humaines dans une PME de taille moyenne. Fort de ce bagage, j’ai pu constater au bout de quelques semaines de rencontres que nous étions en train de mener une action de type syndicale, mais d’un genre nouveau.
J’ai donc proposé qu’on rassemble nos énergies autour de cette forme syndicale. Une partie de ces premiers salariés engagés et militants n’a pas suivi parce que l’idée du syndicat ne leur plaisait pas. Le terme a d’abord été jugé trop connoté, rattaché à toute une culture un peu désuète ou limitante. L’autre partie en revanche a estimé que les syndicats ont toujours joué un rôle majeur dans les grandes transformations socio-économiques ; leurs pratiques pouvaient être renouvelées, dépoussiérées, élargies, agrandies, renforcées. Avec ces pionniers, nous nous sommes posé la question en ces termes : peut-on intégrer la transition écologique dans le dialogue social ?
Quand nous avons réalisé que le droit nous permettait d’agir efficacement sur les structures, les choses se sont accélérées. On a rencontré des ONG, notamment France Nature Environnement, WWF, Greenpeace, des collectifs comme le Manifeste pour un réveil écologique, des associations de tailles variées, et on a vu que le projet séduisait : l’idée faisait son chemin grâce à la rencontre de salariés avec la société civile.
Juste avant le confinement, nous avons commencé à tenir des réunions publiques à Paris, à Lyon et à Bordeaux, avec une audience de trente, quarante, puis cinquante personnes. Pendant le confinement, nous avons continué à travailler à distance. Les premiers statuts ont été déposés à ce moment, à partir de mai 2020 : les premiers militants se sont dit « moi qui travaille dans la métallurgie, je dépose avec 5 de mes collègues les statuts du premier éco-syndicat dans la métallurgie ». De même dans le domaine du conseil, du commerce en ligne, de la culture et médias, la fonction publique, etc. Les premiers syndicats se sont construits comme cela.
En septembre, nous représentions trois à quatre mille sympathisants. On compte 200 salariés qui cotisent annuellement dans nos premiers syndicats. 60 ONG et associations ont décidé pendant l’été de soutenir notre appel du 8 octobre et de plus en plus de médias s’intéressent à notre initiative. On en est là.
LVSL – Est-ce qu’une personne qui adhère au Printemps écologique dispose, comme dans un syndicat classique, d’un service juridique pour l’épauler sur le volet de la protection sociale et salariale dans l’entreprise, ou laissez-vous celle-ci à d’autres ? Quel est votre champ d’action ?
M.B. – Un syndicat est une forme d’association très spécifique, régie par le Code du travail, dont la prérogative est le monopole de la signature des accords collectifs dans une entreprise : c’est le point central. Les ONG, associations, groupements, collectifs de salariés, n’ont pas la capacité juridique de signer un accord contraignant dans une entreprise.
Plus généralement, l’objet d’un syndicat consiste à « défendre les intérêts matériels et moraux, individuels et collectifs de ses membres ».
La mission du Printemps écologique, en tant qu’union de syndicats, consiste donc à agir sur l’ensemble du spectre des négociations collectives, ce qui inclut les questions de salaires, de protection sociale, de formation professionnelle ou d’assistance juridique. Mais notre projet consiste aussi à élargir les compétences d’un élu syndical pour y inclure de nouveaux sujets : la mobilité, l’alimentation, la comptabilité, les indicateurs d’impact, le climat et la biodiversité. En clair, nous allons non seulement intégrer tout le champ légal de la représentation syndicale dans notre cadre de pensée et d’action, mais en plus, nous allons porter de nouveaux sujets.
LVSL – À terme, d’ici deux ans, quel est votre objectif, idéalement ?
M.B. – Notre prochaine grande étape, ce sera début 2021 : la première assemblée fédérale. Tous les syndicats qui auront réussi à se constituer vont se rassembler en congrès, pour bâtir un socle commun de revendications.
Ce qu’il faut bien comprendre c’est que les élections professionnelles ont lieu en permanence dans les petites et moyennes entreprises, vraiment en permanence : chaque semaine, il y a des élections quelque part. Ce sont des cycles de quatre ans. Nous sommes dans un cycle qui a commencé le 1er janvier 2020, et qui se terminera le 31 décembre 2023, puis un nouveau cycle démarrera.
Notre objectif consiste à devenir représentatif au niveau national, cela veut dire atteindre 8% des scrutins comme les cinq grands syndicats emblématiques. On estime que ce sera très difficile d’atteindre ce niveau de représentativité dans le premier cycle, mais c’est ce qu’on vise pour la fin du deuxième cycle. Compte tenu de la participation actuelle, il nous faudra recueillir 2 à 3% des voix des 25.5 millions de salariés en France; nous pensons pouvoir le faire.
LVSL – Par rapport à ces grands syndicats nationaux établis, quelle est la plus-value du Printemps écologique ? Quelles sont vos relations avec eux ? On observe que, tant du côté de la CGT que de celui de la CFDT, qui travaille déjà avec Nicolas Hulot, on a aussi des réflexions sur la transition écologique. Comment articulez-vous tout cela ? Quelle place voulez-vous occuper ?
M.B. – Le « Pacte du pouvoir de vivre » s’est lancé en mars 2019 autour de la CFDT, et « Plus jamais ça » s’est lancé en 2020, avec un certain nombre de représentants de la société civile comme Greenpeace, la CGT, Attac et d’autres syndicats importants. Pour nous, ces initiatives sont la preuve qu’un niveau de maturité est maintenant atteint sur la question de l’environnement. La prise de conscience devient suffisante pour que tous les acteurs et toutes les parties prenantes s’emparent de la question. C’est plutôt un très bon signe, et nous soutenons avec toute notre énergie le développement de ces initiatives.
Pour être francs, nous essayons de travailler avec eux : on toque à la porte de la CFDT, de la CGT, de Sud Solidaire et des autres pour se rencontrer et partager des idées. Aujourd’hui, c’est assez compliqué parce que nous sommes embryonnaires, on n’a pas encore suffisamment d’élus pour être reçus en grande pompe par ces syndicats. Mais on commence à discuter avec eux. Notre projet c’est de construire quelque chose ensemble. Dans un monde idéal, tous les syndicats s’uniraient demain et partageraient notre vision et notre projet. Si cela arrivait, ce serait fort !
Mais aujourd’hui, il y a encore une confusion entre environnementalisme et écologie dans les syndicats. Les élus syndicaux CGT, CFDT ou FO ne sont pas tous ouverts à ces sujets. La question écologique est encore traitée comme une externalité, ou au mieux comme un sujet parmi d’autres. Est-ce que les syndicats historiques s’interrogent vraiment sur le productivisme ? Oseraient-ils parler de décroissance sélective pour les filières polluantes ? Oseraient-ils anticiper la suppression nécessaire de certains emplois et se concentrer sur l’accompagnement juste des travailleurs vulnérables dans les filières polluantes ? Tous ces points – et il y en a d’autres –, doivent être mis sur la table. La question de l’emploi et de l’avenir de notre industrie est en jeu, et paradoxalement, la posture ultra défensive des syndicats historiques permet aux grands patrons de faire du chantage à l’emploi. Et cela bloque la conversion des modèles. Donc on va passer par des discussions, peut-être des coalitions ponctuelles, peut-être des conflits. Mais ça va se construire.
LVSL – Vous entrez dans la question climatique via l’entreprise, mais vous portez également un discours politique, dans le sens d’une vision de ce que devrait être le rôle de la puissance publique. Qu’est-ce que vous pensez de la Charte d’Amiens et de la séparation entre monde syndical et monde politique ? Est-ce que c’est également votre ambition de faire vivre une vision politique pour le pays au-delà de l’entreprise ?
M.B. – Nous respectons le Code du travail et la façon dont un syndicat se construit, c’est-à-dire indépendamment des partis politiques. Nous maintiendrons cette indépendance, jusqu’à ce qu’un jour, peut-être, cette obligation disparaisse. Peut-être. On verra… En tout cas aujourd’hui, on y est contraint, et cette règle a du bon parce qu’elle permet à un salarié de rester en dehors de la sphère politique tout en agissant au quotidien pour un projet de société.
Oui, nous portons un message politique, au sens large du terme, qui va s’exprimer dans les élections professionnelles. J’assume totalement l’idée qu’il y a un message politique parce qu’on a l’intention de questionner la relation entre l’entreprise privée et l’intérêt général. C’est un séisme juridique d’une certaine manière. L’entreprise privée ne doit plus se considérer comme en dehors de la sphère publique. Cela change tout et c’est une tendance lourde : réforme du code civil en France, B-corp entreprises à missions, etc.
Simplement, le Printemps écologique va beaucoup plus loin : nous représentons les salariés qui engagent la responsabilité collective de leur entreprise. Questionner au travail notre avenir commun, notre alimentation, nos choix technologiques, notre empreinte sociale et environnementale… permet au travailleur de défendre son propre intérêt, mais aussi de replacer son entreprise dans la société. J’assume l’idée qu’on est un syndicat avec une vision politique, une vision de transformation. Ce que l’on propose, c’est un syndicalisme offensif ou contributif. Un syndicalisme de proposition qui vise à transformer les modèles dans une direction qui correspond aux aspirations d’une part grandissante des Français. Cela vient en opposition à un syndicalisme plus défensif qui ne viserait plus qu’à défendre tant bien que mal, les acquis sociaux.
LVSL – Vous allez vous organiser en fédération, au sein de vingt-et-une branches. Cela vous permet de couvrir 96% des travailleurs français. Pour vous, la branche représente-t-elle une bonne échelle pour opérer la transition ? Par exemple, si je suis travailleur d’une centrale pétrochimique et que j’adhère à Printemps écologique, est-ce que vous allez pousser une réflexion au sein de cette branche-là pour la permuter entièrement vers des biocarburants ou autres ?
M.B. – Ce choix structurel s’explique par deux raisons : d’une part, il existe un espace de négociation très important et largement sous-estimé qui s’appelle les conventions collectives. Les branches définissent dans ce texte cosigné par les syndicats patronaux et salariés, les horaires de travail, les congés, etc. Aujourd’hui, ces conventions ne parlent pas du tout des questions écologiques et d’intérêt général, c’est un espace de négociation complètement vierge de ce côté-là, tout comme le Code du travail d’ailleurs.
Deuxièmement, pourquoi des branches ? Parce qu’un syndicat, avant d’avoir deux ans d’ancienneté, ne peut pas créer de section syndicale dans les entreprises. Nous déploierons le niveau « entreprise » d’un seul coup dans deux ans. À ce moment-là, un salarié déjà membre d’un syndicat de branche pourra déployer une section syndicale et se retrouver protégé en tant que RSS (Représentant de section syndicale), par exemple dans l’usine pétrochimique dont vous parlez, ou dans un établissement scolaire, ou dans une boîte du CAC 40. Dans deux ans, l’échelon entreprise se déploiera de façon très rapide, facilité en outre par notre étage « branche » solidement constitué.
Ensuite, je réponds à votre deuxième question : l’action. Comment agir, par exemple, dans une usine pétrochimique ? Vous choisissez là un cas extrême et particulier : une filière très polluante. Ce qui ne correspond pas à la majorité des 1.5 million d’entreprises que nous visons, notamment les petites et moyennes entreprises. Les manières d’agir évoluent avec le secteur et la forme du travail. Pour une usine pétrochimique, il y a un enjeu d’information, on l’a vu récemment avec Lafarge, avec le scandale du déversement de ciment ; on l’a vu aussi avec Orange, sur la 5G. Il y a des salariés dans ces structures-là qui sont venus nous demander comment exprimer leur désaccord, sous couvert d’anonymat. Dans les filières très polluantes, notre première mission consiste donc à accompagner les lanceurs d’alertes. Ça, c’est très important. Ça veut dire les protéger, leur permettre de s’exprimer, mais ne pas les exposer ou les mettre en danger. On voit bien que même sur des sujets comme la 5G, ou le déversement de ciment, ou la pollution de façon plus générale, un climat de peur et de menaces s’installe. Nous, on veut aussi attaquer la question du droit à la protection des lanceurs d’alerte. C’est la première manière d’agir.
La deuxième manière consiste à actionner des mécanismes de transformation par nos élus. Le CSE doit devenir un lieu de rencontre, de dialogue et de concertation. Parfois, nous serons sur un terrain inconnu où il va falloir créer du droit, mais les mécanismes de représentation permettent déjà de signer des accords collectifs. Près de 40.000 accords sont signés en France chaque année entre les employeurs et les salariés. Donc les mécanismes existent, seulement nous jugeons le champ de ces négociations trop étroit.
Prenons la question technologique. Nous estimons qu’elle ne peut se dissocier de la question sociale. Peut-on discuter aujourd’hui des choix technologiques dans l’entreprise ? Non. Pourtant, la question des orientations technologiques, du choix des matériaux, ou des outils dans lesquels on va investir collectivement, c’est une question qui devrait faire l’objet d’un débat interne, d’une représentation, d’une concertation et d’accords entre les employeurs et les salariés. Parce que l’impact des choix technologiques est gigantesque : je pense par exemple au groupe ENGIE qui a fait le choix d’importer du gaz de schiste. Les salariés ne sont pas d’accord avec ce choix stratégique, et ne savent pas comment le dire. On est là sur un champ qui est totalement vierge, celui de la technologie et du dialogue social. Les récentes polémiques « Je suis amish » avec la 5G, etc. nous posent la question de la relation entre la démocratie et la technologie. Comment impliquer les salariés sur ces questions ? Par les mécanismes de représentation.
Pour nous, la question écologique ne peut pas se départir du social et du technologique. Ce que l’on voit c’est qu’on ne peut pas régler la question écologique sans traiter la question de l’emploi et des choix technologiques. Voilà ce qui devrait, à notre avis, nourrir le dialogue social au XXIe siècle et faire l’objet d’accords par le biais des mécanismes existants.
LVSL – Comment fait-on pour rejoindre votre syndicat ?
M.B. – Toute personne qui s’intéresse à notre initiative et souhaite nous aider peut le faire très facilement sur le site www.printemps-ecologique.fr. Il est aussi possible de signer notre appel sur la page http://appel.printemps-ecologique.fr.
Aujourd’hui nous comptons près de 3000 sympathisants dans de nombreux territoires, avec des groupes locaux à Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes, en Bretagne, à Marseille, à Nice ou à la Réunion. Nous appelons toutes les catégories socio professionnelles à se mobiliser et à nous rejoindre, non seulement les«» ouvriers et les cadres, mais aussi ceux qui forment près de 60% de la population active : les employés et les professions intermédiaires. Si nous voulons changer le cours de l’histoire en agissant au cœur du travail, c’est ensemble que nous ferons une différence !