Souveraineté industrielle : au-delà des mots, le véritable bilan d’Emmanuel Macron

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Emmanuel Macron, lors d’une réunion internationale © Service de presse du Président de la Fédération de Russie

Emmanuel Macron s’est présenté comme le candidat de la souveraineté industrielle retrouvée, évitant pourtant soigneusement de tirer un bilan de son mandat précédent. Les débâcles qui l’ont scandé établissent la fragilité des capacités nationales en matière d’intelligence économique. L’État et ses services ne parviennent plus à détecter les signaux faibles des offensive provenant de puissances étrangères. Le rachat d’Alsid et Sqreen, spécialistes en cybersécurité, par des entreprises américaines – avec la bénédiction de Bercy – a questionné la capacité à garder sous pavillon français des entreprises stratégiques. Si l’interventionnisme semble désormais acceptable pour stimuler un secteur ciblé, il apparaît bien incomplet au regard des enjeux que présentent tant la désindustrialisation continue du système productif national, que la concurrence internationale et parfois déloyale de nos « alliés ». Aux prises avec des logiques néolibérales de l’action publique, l’Etat est incapable d’orienter le développement économique et industriel conformément aux objectifs qu’il se donne.

Elu en 2017 sur un axe libéral fondé sur la baisse des impôts de production et du capital, et la stimulation des investissements étrangers, Emmanuel Macron ambitionne de « rebâtir le tissu industriel » [1] perdu. Au prix de milliards d’euros d’investissements publics mobilisés dans le plan France Relance et France 2030, l’enjeu serait de faire émerger de prometteuses start-ups tout en améliorant la compétitivité des industries nationales plus traditionnelles. Forte de 19 « licornes » (start-up valorisée plus d’un milliard de dollars), les plus prometteuses de ces start-ups sont pourtant facilement acquises par des entreprises ou fonds étrangers. C’est avant tout une politique fiscale fondée sur la baisse des impôts de production avec la compression des taxes locales comme la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) et de la Contribution Economique Territoriale (CET) mais aussi la transformation du CICE en baisse de charges durables à partir de 2019.

Une stratégie industrielle résolument néolibérale

Afin de stimuler les investissements privés, les impôts et taxes sur le capital sont également allégés par la suppression de l’Impôt de solidarité sur la Fortune (ISF) au profit d’un Impôt sur la Fortune Immobilière – IFI-) et l’amplification du Crédit Impôt Recherche (CIR), aujourd’hui 2ème niche fiscale de l’État pour quelque 7 milliards d’euros en 2021. Si l’industrie française se caractérisait par une fiscalité importante nuisible à sa compétitivité [2], ce type de politique n’enraye pourtant pas la marche de la désindustrialisation. Une étude menée par Thierry Mayer et Clément Malgouyres (2018) tend à démontrer que le CICE a eu un impact nul sur la capacité des entreprises bénéficiaires à exporter. François Geerolf et Thomas Grjebine (2020) établissent ainsi une faible sensibilité du coût du travail sur les exportations. On peut questionner la pertinence des financements publics massifs soutenant l’offre au regard de leur potentiel de création d’emplois (dont industriels) au long terme et de la capacité des entreprises bénéficiaires à exporter. On peut aussi questionner l’impact de cette politique fiscale sur la compétitivité des entreprises, particulièrement des TPE/PME. En revanche, le CIR permet aux entreprises d’atteindre des performances notables en matière de R&D.

La France accuse ainsi le recul industriel relatif le plus fort comparé à ses voisins italiens et espagnols, et à contre-courant de la performance allemande qui a vu la part de sa valeur ajoutée manufacturière totale dans la zone euro progresser [3]. Dans ce contexte, il apparaît que la politique monétaire européenne est défavorable aux économies des pays du Sud de l’Europe, particulièrement importateurs, et favorable inversement à ceux du Nord dont l’économie est davantage orientée vers l’exportation. Une baisse de 10% de la valeur de la monnaie permet ainsi un gain d’exportation de l’ordre de 7,5% [4]. Ainsi, la valeur de l’euro est par structurellement défavorable à l’économie française.

En parallèle, la recherche publique française ne cesse de décrocher comme le rappelle le prix Nobel de physique Spiro, mais aussi les nombreuses études et articles sur le sujet [5]. Pourtant, depuis 2005, un grand nombre de réformes néolibérales de l’enseignement supérieur et de la recherche ont été mises en place (contrôle et fléchage des financements sur les secteurs de recherche, mise en concurrence des projets et des chercheurs, précarisation des postes de chercheurs). Ce type de politique a nui à l’efficacité de la recherche fondamentale dans un premier temps, et censure la diversité des sujets de recherches pouvant être éligibles aux financements. « Une telle situation a non seulement un impact sur les conditions de travail et les carrières des enseignants-chercheurs mais aussi, et de manière plus globale, sur le positionnement et le rayonnement des universités françaises au niveau mondial », note ainsi Valérie Mignon dans The conversation [6].

Cette frilosité à financer les projets du futur ne présentant pas de garantie immédiate de retour sur investissement explique en partie l’absence d’innovations technologiques de ruptures. A l’inverse, les différents gouvernements des États-Unis se sont montrés particulièrement interventionniste en matière de soutien au financement de la recherche fondamentale, qui était une condition pour un environnement technologique favorable au développement des GAFAM. « L’un des aspects du modèle de recherche financé par des deniers publics, en vigueur dans notre pays, c’est qu’il permet vraiment de poursuivre des questions ésotériques et fondamentales », relève Michael Weisberg [7], professeur à l’Université de Pennsylvanie et dont les travaux portent sur la philosophie des sciences. « Si c’était une entreprise privée, nous ne pourrions jamais faire le type de recherches sur lesquelles nous travaillons ».

L’intelligence économique française à demi-mot

Dans cette vision de l’intervention publique, la politique nationale en matière d’intelligence économique est réduite à sa seule dimension de protection. Le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) rattaché au Ministère de l’Économie et des Finances, a pour mission (entre autre) de surveiller les activités de prédation d’entités étrangère sur des sociétés françaises stratégiques ainsi que les participations étrangères aux partenariats de recherche stratégique. Si le rapport Martre, publié en février 1994, a posé les bases d’une vision nationale de l’intelligence économique en phase avec les nouveaux enjeux des guerres économiques, l’ambition de l’État à concrétiser cette vision n’a pas été réalisée, le SISSE étant fondé exclusivement sur une vision défensive de l’intelligence économique.

NDLR : lire sur cette thématique l’article de François Gaüzère-Mazauric : « L’intelligence économique, un impensé français »

Ce paradigme de l’intervention publique segmente l’intelligence économique, interprétée comme un outil défensif, et la politique industrielle, qui serait son pendant proactif mais pourtant bien peu valorisée. Héritée des dogmes libéraux, l’intervention publique minimale dans la sphère économique tend à être remise en cause par la succession des crises économiques et sociales induites par une mondialisation non contrôlée. Laure Després [8], évoque ainsi la mondialisation comme un phénomène ayant conduit, entre autre, à la désindustrialisation des systèmes productifs occidentaux. Par conséquent, orienter le développement économique et industriel du pays, s’il s’avère antagonique aux logiques néolibérales, devient nécessaire tant les indicateurs macro et microéconomiques s’enfoncent dans le temps. Le gouvernement a conscience de cette trajectoire [9] et tente d’y remédier par un certain nombre d’outils peu innovants sans réellement sembler y croire, comme l’a confessé le Président de la République lui-même : « il se peut qu’on soit dans le monde d’après, mais il ressemble furieusement au monde d’avant » [10].

La stabilité du système économique s’est vue menacée par la crise des subprimes en 2009, par la crise des dettes souveraines en 2012, puis par la crise sanitaire depuis 2019. Cette succession de crises met le système économique et industriel à rude épreuve et a nécessité l’intervention publique par divers leviers. Tout d’abord, la Banque Centrale Européenne a actionné la planche à billets pour inonder les entreprises et les États de liquidités afin de les laisser respirer, un temps. S’il n’y a pas d’argent magique, la crise sanitaire a prouvé le contraire. Fort de 260 milliards d’euros, les plans de relance et d’investissements publics ont été présenté comme le fer de lance d’une ambition nationale visant à développer un tissu industriel et technologique répondant aux enjeux auxquels la France fait face.

Transition écologique, compétitivité et innovation, cohésion sociale et territoriale… autant de vastes sujets abordés mais dont on a cependant du mal à identifier leur complémentarité avec les très nombreux dispositifs existants. Les solutions proposées passent par des crédits d’impôts recherche et modernisation du bâti, la baisse des impôts de production, la mise en place d’un fonds de soutien aux entreprises souffrant de problèmes de trésorerie, le chômage partiel et la formation, en soi, de vieilles formules dont on connaît déjà les effets et conséquences. Le Comité d’évaluation mandaté par le gouvernement affirme ainsi que si les objectifs macroéconomiques associés au Plan France Relance (retrouver le niveau d’activité économique d’avant crise) devraient être effectivement atteint en 2022, il est toutefois « difficile d’établir un lien direct entre ce rétablissement rapide de la situation macroéconomique et la mise en œuvre de France Relance, même si le plan y a certainement contribué» [11].

Ces plans conjoncturels, non pas pensés comme proactifs ou offensifs, s’inscrivent dans une dimension défensive de résistance face au choc de l’arrêt de l’économie et au risque de décrochage. Si ces mesures se sont avérées nécessaires, l’ambition de l’État reste limitée à résister au choc plus qu’à poser les bases d’une planification ambitieuse. De la même manière, le Plan France 2030 annoncé par E. Macron le 12 octobre 2021 ne déroge pas à la règle des grandes ambitions sans réels moyens. 34 Mds€ d’euros échelonnés à partir de 2022 (dont un premier engagement de 3.5 Mds€ pour le budget 2022) alloués à de vastes thématiques comme la volonté de développer des réacteurs nucléaires de petite taille (SMR), le développement d’un avion bas-carbone, la production de biomédicaments, le spatial, les fonds marins, la culture, le développement d’une filière hydrogène vert, la décarbonation de l’industrie… En 2022 chaque thématique s’est donc vue allouée des liquidités de quelques dizaines à quelques centaines de millions d’euros. L’absence de transparence concernant l’élaboration de cette feuille de route mais surtout la communication de son contenu est un véritable frein à sa portée effective d’autant qu’elle ne s’inscrit que difficilement dans un plan d’ensemble coordonné entre institutions de l’État, collectivités et société civile.

Des formes de planification désordonnée

Dans une note de France Stratégie, les auteurs relèvent la multiplication des plans et « stratégies nationales » sectorielles (haut-débit, mobilité, revitalisation des centre villes, Territoires d’industrie, France Services) existants aux côtés des documents de contractualisation entre l’Etat et les collectivités comme les Contrats de Plan Etat-Région (CPER) et Contrats de Relance et de transition écologique (CRTE).

Daniel Agacinski note : « Paradoxalement, il n’y a jamais eu autant de plans que depuis qu’il n’y a plus de Plan. Se pose alors nécessairement la question de l’articulation entre les objectifs poursuivis par ces différents plans, comme celle de la coordination des différents acteurs chargés de les animer. […] On voit ainsi que l’idée même de planification, si elle demeure, est littéralement diffractée entre différents secteurs d’une part et entre différentes échelles d’autre part » [12]. Il relève ainsi la problématique forte d’enjeu de cohérence entre l’existence de ces nombreux dispositifs de programmation et des plans de relance conjoncturels. C’est dans cette perspective que le Gouvernement a créé le CRTE, celui-ci intégrant l’ensemble des documents de contractualisation et outils d’action développés par les collectivités signataires. Si, théoriquement, cette forme de contrat-cadre unique semble résoudre le problème de cohérence sur un territoire, l’Etat se contente d’une forme de développement économique co-construit avec les Régions à travers les CPER, laissant alors peu de marge de manœuvre aux intercommunalités pour décliner localement cette politique.

La création du Haut-Commissariat au Plan en septembre 2020 marque le retour d’une institution autrefois en charge d’élaborer la feuille de route du développement économique de la Nation, d’un point de vue particulièrement colbertiste avec la politique dite « des champions nationaux ». Si l’attente d’une institution capable d’élaborer une stratégie de développement et de croissance avec la participation des « forces vives de la nation » [13] était forte, la crainte d’une coquille vide était également palpable au regard de la gouvernance de l’institution et de son manque d’activité depuis sa création. Pensé comme « chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’État et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels », l’institution publie quelque notes relatives au COVID-19 ou à la natalité par exemple, sans réellement se saisir des moyens qui lui sont mis à disposition (France Stratégie) ni être force d’initiative, de prospection, de concertation avec les parties, ou de proposition.

La Fondation Jean Jaurès ébauche des éléments de réponse [14] : contrat de législature, co-construction d’une planification nationale avec les régions, et la rationalisation des nombreuses institutions concernées par le sujet (France Stratégie, Haut-Commissariat au Plan, BPI, Caisse des dépôts et des consignations, Agence française de développement…).

La politique industrielle nationale reste l’apanage d’un exécutif politique dénué de stratégie de long terme et de doctrine d’intelligence économique. Les logiques néolibérales de l’action publique amènent ainsi la mise en place de politiques économiques et industrielles insuffisamment ambitieuses au regard des enjeux que pose l’intelligence économique aujourd’hui. La structure actuelle de l’intelligence économique française, selon un point de vue défensif, et l’orientation de la politique industrielle nationale ambivalente et sujette à la conjoncture créent de fortes contraintes pour les Régions dotées de compétences en matière de développement économique et industriel. La mise en place de politique d’intelligence économique ambitieuses nécessite de revoir les logiques d’action de l’État. Un interventionnisme réfléchi, structuré et planifié au-delà des annonces électorales s’impose afin de donner une réelle consistance aux politiques économiques et industrielles enrichies des informations produites par les outils et dispositifs d’intelligence économique. C’est par cette matière que les collectivités et la société civile peuvent projeter leurs projets et activité au long terme.

Notes :

[1] Interview donnée par Emmanuel Macron à la presse régionale à l’Élysée, le 28 avril 2021

[2] Les politiques industrielles : évolutions et comparaisons internationales, France Stratégie, 2020

[3] Note d’Emmanuel Jessua, directeur de Rexecode, du 27/09/2021

[4] Jérôme Héricourt et al, « Euro fort : la réalité des conséquences pour les entreprises françaises », CEPII, 2014

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[5] David Larousserie « Les raisons du déclin de la recherche en France », Le Monde, 2021

[6] Valérie Mignon, « Pourquoi la recherche française perd du terrain sur la scène internationale », The Conversation, 2021

[7] Linda Wang, « Les piliers de la science aux Etats-Unis », ShareAmerica, juin 2019

[8] Laure Després, « La transition écologique, un objectif pour une planification renouvelée », Laboratoire d’Economie et de Gestion de Nantes, 2017

[9] Allocution d’Emmanuel Macron le 16 Mars 2020

[10] Intervention d’Emmanuel Macron le 8 novembre 2021 à l’Élysée

[11] Benoît Coeuré, Premier Rapport du Comité d’évaluation du Plan France Relance, Octobre 2021

[12] Agacinski et al, « La planification : idée d’hier ou piste pour demain ? », France Stratégie, Juin 2020

[13] Expression utilisée par Jean Monnet en 1946 lorsqu’il propose au Général de Gaulle un Plan de modernisation et d’équipement de la France

[14] Bassem Asseh, Frédéric Potier, « Balance ton #Plan ! Relance économique, planification et démocratie », Fondation Jean Jaurès, Juin 2021