La semaine de la presse à l’école organisée chaque année permet de sensibiliser les élèves à la lecture de journaux, d’entendre des journalistes évoquer leur métier et de comprendre l’intérêt d’une presse pluraliste. Par Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de Lorraine.
C’est aussi l’occasion de découvrir les productions des élèves et les médias qu’ils développent dans leurs établissements. À l’occasion d’une exposition sur la presse lycéenne, organisée à la Maison de la Radio, revenons sur quelques temps forts de son histoire. Sur deux siècles d’existence, ces supports sont en effet un miroir des préoccupations de la jeunesse et de son rapport à l’actualité, au politique et au monde qui l’entoure.
Les journaux lycéens apparaissent dès les années 1820. Nous en avons la preuve par des témoignages de contemporains, qui n’ont malheureusement pas été conservés. Les premiers qui ont été sauvegardés datent du Second Empire, dans les années 1860. Bien que ces journaux soient interdits, ils circulent dans les établissements scolaires.
Un journal de 1868, La jeunesse, a un rédacteur en chef courageux, Alfred Sircos. Celui-ci, en dépit des obstacles, réussit la prouesse de faire paraître pendant plus d’une année ce bimensuel qui décrit l’univers scolaire, la dureté de l’internat, l’ennui pendant les cours et l’inquiétude des lycéens pour leur avenir.
À partir des lois de 1881 qui instaurent une véritable liberté de la presse, les journaux lycéens se multiplient. Les Droits de la Jeunesse, un hebdomadaire, fait date en 1882. Le journal s’adresse directement au ministre en charge de l’instruction scolaire, fait des propositions sur les contenus des programmes. Il interpelle les grands journaux en leur demandant de lui ouvrir une colonne hebdomadaire.
Le journal réussit à paraître à Paris et à Lyon, Marseille et Lille, en étant relayé par un Club lycéen national. Dans les années 1890, l’actualité s’impose dans les colonnes de la presse jeunesse avec un sujet d’actualité brûlant, l’innocence de capitaine Dreyfus.
Une existence clandestine
Au début du XXe siècle, la presse lycéenne, bien que n’ayant pas d’existence légale, continue de se diffuser et se multiplier dans toute la France. Au cours de la seconde guerre mondiale, des journaux clandestins paraissent, écrits par des étudiants et des lycéens dont certains rejoignent les rangs des résistants.
Cela a pour conséquence qu’après la Seconde Guerre mondiale, la moyenne d’âge des journalistes baisse. Des journalistes issus de la presse non professionnelle continuent l’aventure éditoriale une fois la Seconde Guerre mondiale terminée. Au sortir de la guerre, les jeunes rédacteurs revendiquent un journalisme indépendant et un engagement civique et citoyen.
Au cours des années 60, les comités d’action lycéens, créés en décembre 1967, réclament la liberté d’expression dans les lycées. Il en existe une cinquantaine en France, dont une vingtaine à Paris.
Les événements du printemps 68 vont accélérer la dynamique impulsée. En mai 68, des milliers de tracts et de journaux éphémères paraissent, rédigés par des étudiants et des lycéens. Pour les titres rédigés uniquement par les lycéens, la durée et les conditions d’existence demeurent très précaires. Les organes de presse sont interdits dans les lycées, ce qui permet à l’administration de sévir contre les équipes rédactionnelles quand elles sont connues.
Un cadre légal
La fin des années 80 redevient propice à la prise de parole des lycéens au sein de l’espace public. Des décisions politiques modifient en profondeur le statut des lycéens et permettent la reconnaissance légale de leurs organes de presse. En 1989, la loi d’Orientation institue le Conseil de la vie lycéenne (CDVL) ayant pour but de « donner son avis » et « formuler des propositions relatives à la vie et au travail scolaire ». La chute du mur de Berlin la même année enthousiasme la presse lycéenne.
Les lycéens obtiennent le droit de réunion, le droit d’association et le droit de publication. Cette position de principe devient pragmatique par le décret du 18 février 1991, qui permet, dans le cadre scolaire, que soient diffusées librement des publications dirigées par des lycéens.
L’actualité retenue et traitée par la presse lycéenne se décline en trois strates. La première est liée à l’adolescence, caractérisée par la puberté, qui s’accompagne de changements corporels et psychiques importants. Cette actualité pubertaire est traversée de questionnements sur l’altérité, le désir, les relations sexuelles. Les articles peuvent adopter le ton de l’humour (des conseils sont donnés pour plaire à l’autre sexe), utiliser une forme poétique, ou aborder la question sous un angle sociétal, traitant la question de l’orientation sexuelle, des stéréotypes genrés ou de l’homophobie.
L’actualité statutaire des adolescents lycéens se noue autour d’une actualité de proximité, marquée par la vie locale du lycée. À un premier niveau, l’actualité est celle de la classe. Il s’agit donc d’articles qui s’intéressent aux enseignants, à leurs bons mots, aux petits incidents qui rythment le quotidien attendu des lycéens. À l’échelle du lycée, les événements organisés concernent des lycéens de classes et de niveaux différents.
Les préoccupations concernant le baccalauréat et la poursuite des études dans le supérieur sont aussi largement traitées. Le champ des possibles à l’adolescence provoque un certain vertige. Les années de lycée sont déterminantes pour progressivement s’orienter. Au stress des épreuves du baccalauréat, s’ajoute l’angoisse de l’orientation post-bac.
Agenda médiatique
La troisième strate, l’actualité médiatique (entendue ici comme l’ensemble des informations traitées par les médias mainstream), s’avère extrêmement présente dans les journaux lycéens. Cette actualité – organisée par l’agenda médiatique et ce qui secoue ou intéresse le corps social et politique – captive les journalistes lycéens.
Cette actualité n’est pas liée au vécu personnel des jeunes journalistes, mais se fonde sur leur expérience médiatique. Ce qui a été vu et entendu, en particulier par les médias qui proposent de l’audiovisuel, participe pleinement à leurs yeux de leur expérience de vie globale. Ces dernières années, on observe une montée en puissance de l’actualité internationale (élections américaines, crises migratoires, conflits armés, terrorisme), ainsi que le traitement des enjeux climatiques et des rencontres internationales concernant la protection de la planète.
Enfin, les médias eux-mêmes, leur fonctionnement, les nouveaux risques et défis liés au numérique (théories du complot, fake news, cyberhumiliation, discours haineux et violents) préoccupent les équipes rédactionnelles.
La création d’un média en milieu scolaire participe à l’éducation aux médias des jeunes journalistes pour plusieurs raisons. Rédiger des articles en tenant compte du lecteur, utiliser des outils graphiques, gérer un budget, un agenda de travail, les relations avec un imprimeur font partie des savoir-faire et des savoir-être qu’ils acquièrent.
Mais surtout, ils se déclarent davantage sensibles à l’actualité et son traitement par les grands médias, désirent s’informer de manière accrue, se posent des questions sur la fiabilité des sources. En 2015, la ministre de l’éducation nationale estimait qu’« il n’y a pas de meilleure éducation aux médias que de fabriquer soi-même un média ». C’est d’autant plus vrai aujourd’hui.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.