Après dix ans d’information indépendante, le média Mr Mondialisation fait paraître son premier ouvrage Vous êtes l’évolution. Au sommaire : préface de Guillaume Meurice, dossiers de fond, textes inédits, illustrations d’artistes, guide des voies d’action. Afin d’en accompagner la sortie, LVSL publie l’extrait d’une enquête consacrée à l’industrie alimentaire. Le travail de Mélissa Mialon, ingénieure en agroalimentaire et docteure en nutrition, auteure de Big Food and Cie, démontre que les grands noms de notre alimentation (Coca-Cola, Nestlé, Danone…) sont responsables d’une intoxication massive des populations. La généralisation des produits ultra-transformés a en effet entraîné une forte hausse des maladies liées à l’alimentation, tandis que les milliards d’euros investis en lobbying et communication perpétuent l’empire agroalimentaire de ces grands groupes. Face à ce business lucratif, les politiques de santé publique préfèrent pourtant mettre en cause les choix des consommateurs, au lieu de veiller à la régulation de ce marché gargantuesque.
Pour s’assurer un marché d’envergure, « les industriels dépensent en effet des millions de dollars dans des appareils permettant de scanner nos cerveaux à des fins marketing » explique Big Food & Cie. Cet investissement massif qui forge l’efficacité de la publicité, explicite ou cachée, trouve d’ailleurs en Edward Bernays un ancêtre dévoué. Neveu de Sigmund Freud, il devient rapidement le père fondateur de la propagande de masse, fraîchement rebaptisée « relations publiques » actualise Mélissa Mialon. Son idée : transformer en profondeur nos désirs, en créer de nouveaux, et les modeler en « besoins ». Son pendant le plus élaboré s’incarne aujourd’hui dans une discipline largement sollicitée et inquiétante : le neuro-marketing.
Profitant de la désinformation générale, les industriels ont pour intérêt financier de créer des ambiguïtés sur leurs intentions et de construire un écran de fumée familier et addictif entre nous et leur véritable fonctionnement. Les marques, aidées des distributeurs et autres partenaires, ont ainsi massivement communiqué sur leur soi-disant bienveillance et leurs « atouts ». Ils ont attaqué nos cerveaux via de multiples supports, à plusieurs niveaux et simultanément : la publicité, partout, tout le temps, bien entendu, mais aussi les placements de produits, dont l’influenceur se faisant passer pour un ami est le dernier adhérent, sponsorings en tout genre, « war rooms » (des cellules de surveillance et influence des réseaux sociaux), démarchages auprès de décideurs, interventions scolaires, diffusions massives de sites de conseils aux allures neutres et médicales, fausses campagnes de prévention qui sont des spots publicitaires, greenwashings ou ethical-washing propres à semer une confusion difficile à cerner, philanthropies d’influence et organisations d’évènements sportifs ou caritatifs pour contrecarrer leur image malsaine, lobbyisme auprès des députés, gouvernements, scientifiques, sans parler du pantouflage, cette pratique qui consiste à passer de hautes fonctions publiques à une direction privée et inversement…
La liste est longue des actions qui ont permis aux industriels de parasiter nos connaissances, notre réalité et nos sources d’information. À un point d’opacité tel que la vérité paraît suffisamment hors de portée pour qu’on se résigne à se fier à eux. Et les preuves ne manquent pas non plus qui prouvent cette volonté de confusionnisme : « De Heineken qui se mêle de prévention routière, à Nestlé qui livre ses aliments ultra-transformés par bateau aux populations indigènes, en passant par Ferrero (Nutella) qui nous donne des leçons d’équilibre alimentaire, le catalogue des offensives contre la santé publique donne le vertige » nous interpelle l’auteure.
Dans une mise en scène soignée, « Mélanie C., nutritionniste chez Ferrero », nous présente fièrement la gourmandise phare de l’entreprise italienne dans une publicité parue en 2018 dans Paris Match. Pour n’aborder que l’influence scientifique, les industriels ont publié de nombreuses fausses études par le biais de pseudo instituts aux noms classieux, prend le temps de développer Mélissa Mialon. Parmi les précurseurs de ce procédé : les lobbyistes du tabac. Dès les années 50, ils fondent notamment une officine pour semer l’incertitude, précieuse incertitude : le Council for Tobacco Research (CTR) située à New York (Etats-Unis). « En un peu plus de quarante ans, le CTR a dépensé 282 millions de dollars pour soutenir plus de 1 000 chercheurs qui ont publié quelque 6 000 articles “scientifiques”. Nombre de ces travaux ont permis de fabriquer et d’entretenir le doute sur les effets du tabac sur la santé, ou encore de changer l’image de la nicotine en mettant l’accent sur ses aspects positifs »retranscrit Le Monde dans son dossier « Comment le lobby du tabac a subventionné des labos français ».
Des pratiques d’antan ? Les pressions du lobby du tabac continuent plus timidement ici grâce aux mesures restrictives exigées par les associations, mais sans ménagement ailleurs : comme en Afrique, à travers intimidations et soudoiements. La pratique a par ailleurs fait son bonhomme de chemin jusqu’à, en outre, Coca-Cola qui finançait la science pour vendre ses sodas, ou l’industrie pharmaceutique, sclérosée en 2015 par près de 244 millions de dollars de soudoiement aux laboratoires.
Des industriels qui ont pleinement conscience des risques liés à leurs produits ultra-transformés ont donc délibérément soumis leurs marchandises toxiques à une population inavertie et ont activement poussé à leur consommation. Pourtant, à cette réalité, comme pour le reste, combien répondent que les consommateurs sont seuls responsables de leurs sorts ? Aux débats d’opinions, Mélissa Mialon préfère substituer l’observation.