Coupes dans le budget et simplification de l’État : telles sont les missions du Department of Government Efficiencey (« DOGE ») qu’Elon Musk dirigera au sein de la seconde administration Trump. Parmi les objectifs fantaisistes de cette agence : supprimer 2000 milliards de dépenses publiques, soit près d’un tiers du budget fédéral. Tandis qu’en France ces pitreries ont été prises au sérieux par l’ex-ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian, une réalité demeure : les dépenses publiques des États-Unis se caractérisent pas des subventions records allouées aux grandes entreprises, qui n’ont pas intérêt à une cure d’austérité. LVSL avait consacré un article aux mandats de Ronald Reagan, élu en promettant des coupes drastiques dans le budget de l’État, avant de l’accroître de 70% pour consolider le complexe militaro-industriel. Il est probable que la seconde présidence de Donald Trump voit, elle aussi, les slogans libertariens se fracasser contre les intérêts des grandes entreprises. Par Casey Wetherbee, traduction Baptiste Turkawka [1].
Utile dans la campagne de Donald Trump, Elon Musk risque de se transformer en boulet pour sa nouvelle administration. En récompense de ses bons et loyaux services, le multi-milliardaire s’est vu promettre la direction d’un Department of Government Efficiency le 12 novembre dernier [l’acronyme anglophone DOGE fait référence à une cryptomonnaie lancée par Musk NDLR]. Son but : « démanteler la bureaucratie gouvernementale, élaguer les réglementations excessives, supprimer les dépenses superflues et restructurer les Agences fédérales ». À sa tête, Trump a également nommé Vivek Ramaswamy, magnat des biotechnologies et ancien candidat à la présidentielle, aux côtés de Musk.
Ses attributions sont à tout le moins – comme pour tous les projets annoncés par le camp de Donald Trump – floues et contradictoires. Le DOGE, qui « procurera conseils et assistance sans participer au gouvernement », ne sera pas un ministère à part entière – dont la création nécessiterait le vote d’une loi au Congrès. A priori, son statut d’organe consultatif externe le rendra inoffensif. Un moyen, pour Donald Trump, de reléguer deux médiocres milliardaires à la table des enfants afin qu’ils ne gênent plus les grandes personnes ?
Contradictions du DOGE
Dans le feu de la campagne, Elon Musk a déclaré qu’il pourrait sans difficulté supprimer 2000 milliards de dollars, « gaspillés » par le gouvernement américain en dépenses publiques. Ce, alors même que les dépenses fédérales de l’année 2024 avoisinaient les 6500 milliards de dollars. Il paraît peu probable que le milliardaire ait fourni un effort de réflexion significatif accoucher d’un tel chiffre. En tant que tel, il relève du délire.
Depuis le 19 novembre, quelques publications sur le compte X du DOGE – auquel son propriétaire a attribué une certification gouvernementale en dépit du fait qu’il ne soit pas un ministère – déplorent de manière superficielle et sensationnaliste « l’inefficacité bureaucratique » du gouvernement. Parmi les cibles prioritaires du nouveau Département, on trouve aussi bien les fonds alloués à la recherche publique que le nombre de mots présents dans le Code des impôts américain.
En réalité, le DOGE place l’administration Trump dans une position délicate. Ramaswamy et Musk ont par exemple suggéré la création d’une application mobile pour accompagner les contribuables dans leurs démarches administratives en matière fiscale. Cette « solution », plutôt naïve, traduit une méconnaissance des causes de la complexité du système fiscal étasunien. Celui-ci découle du lobbying de firmes comme Intuit [une entreprise américaine proposant des services de gestion et de comptabilité aux PME et aux particuliers, ndlr] qui ont déployé de nombreux efforts afin de le rendre chronophage. Mais le fait qu’une grande partie de l’inefficience du système actuel soit dû au pouvoir de marché des grandes entreprises est impossible à envisager pour les apôtres du libre marché.
De même, le budget démesuré du Pentagone devrait être une cible naturelle pour un organisme soucieux de faire des économies. D’autant que les dépenses militaires font l’objet d’une attention particulière depuis que le soutien inconditionnel du président Joe Biden à la guerre totale (et aux crimes) d’Israël contre Gaza. En 2023, le budget de la Défense américaine atteignait les 916 milliards de dollars, soit 13% du budget fédéral et 39% des dépenses mondiales en matière militaire. Mais on image mal que le DOGE prenne pour cible le complexe militaro-industriel, qui est confortablement représenté au sein de l’administration Trump.
Les diatribes de Ramaswamy et de Musk contre le régime des contrats fédéraux peuvent faire sourire, lorsqu’on se remémore les milliards engrangés par ce dernier grâce à de tels contrats. L’avenir dira comment Ramaswamy, dont la campagne présidentielle était centrée sur la réduction du budget gouvernemental, résoudra la quadrature du cercle lorsqu’il comprendra que les grandes fortunes ayant assuré l’élection de Trump sont également celles qui ont avantage au statu quo. Dans le meilleur des cas, les conflits internes entre conservateurs et grandes entreprises qui exploitent le système à leur convenance court-circuitera l’action du DOGE.
Plus vraisemblablement, l’incapacité du DOGE à mettre fin à la redistribution ascendante que constituent les contrats fédéraux au bénéfice des multinationales le conduira à s’attaquer aux travailleurs et aux consommateurs. Les entreprises appartenant à Elon Musk ont fait l’objet d’enquêtes et de sanctions de la part de toute une série d’agences gouvernementales en raison de violations répétées du droit du travail et de la législation financière. Qu’il devienne responsable d’un organe chargé de surveiller les dépenses publiques est une illustration parfaite de capture réglementaire, rendant possible la cooptation du législateur par ceux dont il est censé réguler l’action.
Le modèle Milei comme précédent ?
Les deux milliardaires ne cachent pas leur admiration pour le président argentin Javier Milei. Le 18 novembre dernier, Vivek Ramaswamy déclarait sur X : « Une solution raisonnable pour redresser le gouvernement américain : des coupes budgétaires à la Milei, sous stéroïdes ».
Le désastre occasionné par Javier Milei constituent un précédent, et offrent l’occasion d’étudier l’implication de coupes brutales dans les dépenses sociales et de dérégulation. Hausse spectaculaire du taux de pauvreté et réduction de la pression fiscale sur les plus riches sont, pour le moment, les implications les plus saillants de ses réformes. Et si le DOGE doit subsister, ce sera pour attaquer en règle toute institution qui chercherait à réglementer l’activité des grandes entreprises.
Note :
[1] Article initialement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « Elon Musk’s DOGE Is Dumb. It Could Also Do Serious Damage », traduit et édité.