Cannes 2025 : A Light That Never Goes Out, et la musique fut

A light that never goes out © Made
A light that never goes out © Made

Avec A light that never goes out, Pauli-Matti Parppei s’émancipe du cadre surexploité du retour au pays et délaisse l’attendu conflit de classe pour une étude de la réaction des corps à la musique expérimentale.

En 1986, The Smiths sortait son troisième album avec, à la neuvième place, une ballade intitulée : « There Is a Light That Never Goes Out ». Entre deux répétitions du gimmick à la flûte, un homme dépressif demandait à son interlocuteur de le conduire loin de chez lui, dans un endroit avec de la musique et des jeunes pleins de vie. La présence de celle ou celui qu’il aime lui faisait même oublier, pour un temps, ses errements. Dans A Light That Never Goes Out, Pauli, flûtiste renommé, retourne chez ses parents à la suite d’une tentative de suicide. Il quitte momentanément le monde de la musique classique et retrouve Iiris, une ancienne camarade de classe, qui l’entraîne sur le chemin tortueux de la musique expérimentale. 

Avec ce premier long métrage sélectionné à l’Acid Cannes 2025, Lauri-Matti Parppei s’aventure sur un sentier balisé. On ne compte plus les films, bons ou mauvais, qui mettent en scène des prodiges retournant sur leurs terres natales, se retrouvant alors confrontés à un monde qu’ils ne connaissent plus. Partir un jour d’Amélie Bonnin, film d’ouverture de la 78e édition du Festival de Cannes et En fanfare d’Emmanuel Courcol, sélectionné l’année dernière, en font partie. La réussite d’A Light That Never Goes Out réside justement dans sa capacité à s’émanciper de ce cadre surexploité, délaissant le sempiternel conflit de classe pour une étude de la réaction des corps à un agent étranger, à une mélodie nouvelle.   

Une question de corps

Dès les premières minutes, l’on comprend que ce n’est pas tant l’appartenance de classe, toujours implicite, qui sépare les deux héros du film. Si l’on devine aisément le gouffre social qui différencie le flûtiste classique, professionnel reconnu, et la jeune musicienne expérimentale qui ne joue que dans le bar vide du village qui l’a vue grandir, leurs pratiques artistiques  induisent surtout des distinctions corporelles. 

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Pauli, flûtiste classique © Made

Le corps de Pauli est raide et figé. La discipline requise par son instrument et sa pratique, la musique classique de haut niveau, l’ont tétanisé. Dès qu’il essaie de rejouer de la flûte, il se retrouve paralysé et seul un excès de colère, contrecoup nerveux de son blocage, permet de le soulager. Cette austérité se retrouve dans son tempérament (il parle peu et exprime rarement ses émotions) et sa tenue, noire, fermée jusqu’au dernier bouton. Plus encore, lorsque, poussé par son amie, il délaisse la musique de chambre pour la musique de garage, il est bien incapable de s’agenouiller sur le tapis pour jouer des instruments nouveaux à sa disposition, tout empêtré qu’il est dans les normes et la rigidité formelle de la musique classique. À l’inverse, Iiris et l’amie qui compléte le trio viennent d’un tout autre univers, punk et queer, qui se matérialise par une liberté de ton, de mouvement, et un flegme à toute épreuve. Une énergie aussi, qui conduit Iiris à gambader jour et nuit dans les ruelles du village, à l’affût du moindre son qu’elle pourrait enregistrer pour le réutiliser plus tard, et qui fait défaut à Pauli dont la dépression le prive, par définition, de toute volonté.

Pendant la majeure partie du film, le spectateur ne sait rien des raisons qui ont poussé Pauli à tenter de mettre fin à ses jours. Sa mère puis Iiris butent tour à tour sur l’impossibilité pour le flûtiste d’expliquer son acte et sur son refus d’en parler. La quête de l’origine de la dépression de Pauli, révélée pourtant à la fin, tout comme son hypothétique guérison, ne constituent pas le moteur du film. Plus que d’un état mental, c’est d’une affection corporelle, charnelle, dont souffre Pauli. Son corps l’empêche même de crier et Iiris aura bien du mal à le pousser à se soulager. Tout comme le chien bleu du film, qui grésille comme une vieille télévision analogique et dont l’on sait seulement qu’il a « un problème de peau ».

Un retour à l’état de nature de la composition

Le second enjeu du film est d’interroger la nature de la musique et, in fine, de toute pratique artistique. Face à Pauli, Iiris semble en effet revenue à l’état préhistorique de la composition – certains diront qu’elle a retrouvé son essence : elle part de rien. Des connaissances ou techniques particulières ? Elle n’en a pas besoin et ne sait pas jouer d’instruments. Elle semble d’ailleurs préférer les outils (gravier, mixeur de cuisine, fouet électrique, etc.) aux instruments conventionnels. Un label ? Elle se produit elle-même. Des ventes de disques ? Tous les exemplaires de l’album qu’ils créent sont brûlés pour repartir de zéro. Ce caractère touche-à-tout et son goût pour l’expérimentation lui permettent ainsi d’être libre, tout comme ils permettront à Pauli de se libérer des règles acquises lors de son apprentissage classique, de l’injonction à la perfection à à la réussite et, donc, de ses contraintes corporelles. Son nouvel état se manifestera très simplement, en acceptant de frapper vigoureusement une voiture à grands coups de pied. 

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Le trio en pleine session de composition expérimentale © Made

 A light that never goes out se concentre sur Pauli, en tant qu’individu, et sur la musique expérimentale. Le film en dit assez peu sur la musique classique elle-même ou sur sa possible hybridation avec la musique expérimentale et sur leur interdépendance. Dans tout art pourtant, l’industrie qui édicte la norme a besoin de ses marges pour se renouveler, tout comme ces dernières ont souvent besoin de la première pour vivre. Dans le film de Lauri-Matti Parppei, Pauli finit par choisir un camp. On pourrait ainsi lui reprocher cette binarité classique et de ne pas inventer de troisième voie entre mélange des genres et choix d’un camp. Ce serait oublier qu’A light that never goes out, par ses multiples pas de côté, fait tout de même souffler un petit vent de fraîcheur sur un genre surexploité.

Pauli choisit donc l’expérimentation mais l’on ne saura pas s’il a encore envie de mourir. Le flûtiste professe un certain agnosticisme en la matière. L’épée de Damoclès est toujours présente mais il convient de ne plus y penser. Advienne que pourra,  comme chez les Smiths : « And if a ten ton truck / Kills the both of us / To die by your side / Well the pleasure, the privilege is mine ».