Du 23 au 25 août, le Parti communiste français (PCF) organisait ses universités d’été au Corum de Montpellier. Fragilisée par la séquence électorale, l’organisation entendait y afficher sa résilience et déployer son armature idéologique. Les conférences ont fait la part belle aux enjeux internationaux et stratégiques, tandis que dans les couloirs, les discussions relatives à la nouvelle « ligne » politique du PCF se sont longuement poursuivies. Malgré l’absence d’opposants notables à la direction, les controverses – sur l’identité de la « ligne » autant que sur sa pertinence – ont abondé. Pour mieux disparaître derrière l’impératif de garantir une voix propre et une existence autonome au « parti ».
Dans une salle bondée, le Secrétaire général du PCF Fabien Roussel rend hommage à Sébastien Jumel, ex-député de Seine-Maritime. Défait de justesse face au Rassemblement national (RN) lors du dernier scrutin, il compte au nombre des perdants de la dissolution. Comme Roussel lui-même, éliminé dès le premier tour. Pour les communistes, c’est un électrochoc. Tout naturellement, la lutte contre le RN s’est imposée comme une thématique incontournable des universités d’été.
Reconstruction intellectuelle
Quelques heures plus tôt, dans la même salle, un public attentif écoutait deux jeunes chercheurs analyser le vote RN. L’un est encarté PCF, l’autre vient en son nom propre. L’un est doctorant, l’autre Maître de conférences fraîchement nommé. Pierre Wadlow a passé deux années dans la ville de Lens (le député PCF y a perdu son siège en juillet face au RN) à multiplier les entretiens. Valentin Guéry est l’auteur d’une thèse sur la politique sportive des municipalités RN.
Comme les autres partis de gauche, le PCF a connu de vifs débats sur la stratégie à adopter face à la progression du vote d’extrême droite. Discours de classe pour récupérer les ouvriers « fâchés par fachos » ? Front antifasciste face à un phénomène avant tout raciste ? La direction du PCF a choisi la première option, mais les intervenants ne semblent pas pressés de trancher.
Ils dissertent sur l’ambivalence des électeurs RN vis-à-vis des élites financières et de la réussite économique. Sur la popularité de certains maires, dont les mesures évoquent très lointainement une forme de socialisme municipal. Sur le « capital d’autochtonie » dont bénéficient les élus RN, et qui pénalise les « gens venus d’ailleurs » – les immigrés, mais aussi les Français extérieurs à la région ou à la commune.
« On peut critiquer la ligne actuelle, mais mesurez ce qu’on a réussi : nous sommes audibles, nous sommes incontournables dans les négociations à gauche »
Le propos est pondéré et les conclusions prudentes, à l’instar des autres conférences de l’événement. Loin des saillies d’un Fabien Roussel qui ont émaillé les campagnes successives. « Les lignes de clivage médiatiques expliquent cette course au buzz qu’on a pu nous reprocher, déclare un militant. Notre identité s’effaçait : il fallait se distinguer du reste de la gauche, et notamment de LFI. Ici, ce n’est pas le cas. On réfléchit sur le fond, comme on l’a toujours fait. »
Nicolas Tardits, responsable de la commission Enseignement supérieur et Recherche du PCF, abonde sur le second aspect : « trop longtemps, on avait délégué le travail intellectuel à des chercheurs externes. À présent, le parti redevient un espace où les universitaires peuvent travailler sur des questions structurantes, à l’abri des attendus immédiats des disciplines. » À Montpellier, on affiche avec fierté la nébuleuse d’intellectuels et de revues qui gravitent autour du PCF.
Parmi elles, la vénérable publication La Pensée a connu un retour en force. On y trouve la signature de chercheurs (à l’orientation « matérialiste ») reconnus dans leur domaine : Bernard Lahire, sociologue de l’école et de l’enfance, Loïc Wacquant, spécialiste de la domination raciale aux États-Unis, ou encore Patrick Tort, auteur de nombreux ouvrages de référence sur Darwin. « Qui, aujourd’hui, effectue un travail de fond sur les classes sociales ou la pensée rationnelle ? », demande Tardits [la première thématique a fait l’objet de deux conférences aux universités d’été de Montpellier, la seconde d’un numéro de La Pensée NDLR].
Le temps long contre les séquences électorales. La pérennité du « parti » contre les coups d’éclat du « mouvement ». La comparaison avec LFI n’est jamais loin. Mais pour aller où ?
Changement de ligne ?
La cohérence de la nouvelle « ligne », stratégique et politique, ne fait pas l’unanimité. Depuis quelques années, le discours du PCF a connu une inflexion : défense d’une laïcité de combat et volonté de faire une place aux enjeux sécuritaires. Critique – non dénuée d’ambivalence – de la politique étrangère d’Emmanuel Macron et de l’Union européenne. « Sur les enjeux de souveraineté, il y a un aspect générationnel. Léon [Deffontaines] et Assan [Lakehoul] sont eurosceptiques, au-delà de l’affichage », estime un militant du Mouvement des Jeunes Communistes de France (MJCF) [respectivement tête de liste PCF aux élections européennes et Secrétaire général du MJCF NDLR].
Sous nos yeux, un dialogue semble matérialiser ce propos. Un ancien du PCF, collaborateur du secteur international, discute avec un jeune communiste à propos d’un communiqué sur la contre-offensive ukrainienne en Russie. « Votre texte n’est pas mauvais, mais il laisse entendre que l’Ukraine n’a pas le droit de se défendre. Or, en termes de droit international, un pays agressé peut riposter. » Puis, tout sourire : « Cela ne m’étonne qu’à moitié : après tout, ces jeunes gens ont la folie de croire que l’on va sortir de l’Union européenne. C’est la fougue de la jeunesse, ça leur passera », en référence au positionnement du MJCF sur la question depuis 2019. « On ne veut pas en sortir, on veut que l’Union européenne actuelle disparaisse, mais pour d’autres coopérations internationales », rétorque son interlocuteur, rodé à l’herméneutique des textes de congrès.
Un cadre du parti met en garde : « le PCF n’est pas une entité monolithique. Léon Deffontaines a fait une campagne très critique des institutions européennes, mais une figure comme Frédéric Boccara, que l’on peut qualifier de tout sauf d’eurosceptique, continue à chapeauter la commission économique du Parti » [chercheur au CEPN, Frédéric Boccara est l’auteur de nombreuses propositions sur le thème de « l’Europe sociale » NDLR]. Puis : « d’une manière générale, il ne faut pas surestimer le degré de calcul dans ce changement de ligne. Fabien Roussel a par exemple été enfermé dans cette figure quelque peu folklorique de défenseur de la gastronomie française. Est-ce que c’était prévu ? Pas nécessairement. Est-ce que c’était une erreur ? On peut le penser, mais mesurez ce qu’il a réussi : nous sommes audibles, nous sommes incontournables dans les négociations à gauche. »
Redonner au PCF une voix qui lui est propre : sur cet objectif, tous convergent. Au détriment de la cohérence idéologique ?
Faire entendre une voix singulière
Se démarquer de Jean-Luc Mélenchon sans être assimilé à la « social-démocratie » : le positionnement n’a rien d’évident. La difficulté revient lors d’une conférence sur les discriminations. Florian Gulli, l’un des deux intervenants, est l’auteur de L’antiracisme trahi (PUF, 2023). Partisan d’une lutte « universaliste » contre le racisme, d’une défense ferme de la laïcité, il appelle à ne pas « laisser ce créneau au Printemps républicain ».
Témoignages et réactions en tous genres font suite à sa conférence. Une femme âgée prend le micro et se présente, soulignant la consonance maghrébine de son prénom. Visiblement émue, elle abonde dans le sens de l’intervenant : « Quand la gauche cessera-t-elle de nous infantiliser ? Quand la gauche commencera-t-elle à nous considérer comme des citoyens à part entière ? Quand nous parlera-t-elle comme elle parle à tout un chacun : de pouvoir d’achat, de justice sociale, d’amour ? » Tonnerre d’applaudissements.
Le soir, alors que les participants sont rassemblés pour un banquet, une Marseillaise est entonnée après l’Internationale. Avec enthousiasme. « C’est la première fois qu’elle est chantée spontanément et sans “sono”, remarque un cadre. Dire qu’en 2017, lorsque Jean-Luc Mélenchon avait recouvert ses meetings de drapeaux tricolores, certains, au PCF, avaient crié au chauvinisme ! Les temps ont changé. »