Agroécologie et PAC : l’impossible équation ?

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Le modèle agricole conventionnel est de plus en plus critiqué pour son impact sur le réchauffement climatique et l’environnement, mais aussi pour son incapacité à assurer des revenus suffisants aux producteurs. Les propositions en faveur d’un modèle agroécologique se multiplient, comme en attestent les mesures portées par la Convention citoyenne pour le climat relatives à l’alimentation et l’agriculture. La Politique Agricole Commune (PAC), qui alloue des fonds européens aux agriculteurs, continue quant à elle de promouvoir un modèle productiviste et agro-exportateur. Les gouvernements possèdent cependant une marge de manœuvre importante quant à l’utilisation de ces subventions. La France devra bientôt présenter un « plan stratégique national » définissant les interventions et les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle nationale.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe cherche à se reconstruire et à assurer à sa population la sécurité alimentaire. Les États-membres de la Communauté économique européenne (CEE) – la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas –, promeuvent alors un modèle d’agriculture productiviste dont l’objectif vise à maximiser la production alimentaire par rapport aux facteurs de production, qu’il s’agisse de la main d’œuvre ou du sol : l’agriculture se spécialise et s’intensifie en ayant recours à un usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides qui vont entraîner le déclin de la faune sauvage [1]. Ces pratiques agricoles ont simplifié les paysages en créant de grandes parcelles de monoculture, principalement du maïs et du colza ; les haies, qui permettaient de limiter l’érosion des sols, ont été arrachées afin de laisser circuler des engins agricoles de plus en plus gros. Les sols se sont ainsi appauvris, ils ont perdu leur matière organique et leur capacité de stockage du carbone.

Ces pratiques agricoles ont simplifié les paysages en créant de grandes parcelles de monoculture, principalement du maïs et du colza. Les sols se sont ainsi appauvris, ils ont perdu leur matière organique et leur capacité de stockage du carbone.

Toutefois, le processus pourrait être inversé si l’on restaurait la qualité des sols : selon le GIEC, 1,2 milliard de tonnes de carbone par an pourraient être stockées dans les sols agricoles [2]. Pour limiter l’augmentation des températures mondiales et respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, il apparaît donc nécessaire d’accompagner la transition vers un système agricole sans intrants chimiques, moins émetteur de gaz à effet de serre et qui permette d’assurer une rémunération juste aux agriculteurs. C’est l’ambition que se donne l’agroécologie, qui s’appuie sur la nature pour « produire une alimentation saine tout en restaurant les milieux naturels et en entretenant la fertilité du sol » [3].

La transition vers ce modèle est aujourd’hui plébiscitée par les citoyens. Le rapport rendu par la Convention citoyenne pour le climat [4] soulignait ainsi l’importance d’orienter la nouvelle PAC en faveur de la transition agroécologique [5]. Elle a été votée le vendredi 23 octobre 2020 par le Parlement européen mais de nombreuses associations s’inquiètent de sa capacité à répondre à l’ambition annoncée par l’exécutif européen, dans le cadre du Green Deal, d’une réduction à l’échelle du continent d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990). Le processus de discussion autour de l’allocation des aides européennes n’est toutefois pas terminé. Malgré le vote au parlement, le trilogue continue entre le Conseil, la Commission et le Parlement, et chaque États-membres devra dans les prochains mois présenter un « plan stratégique national », une déclinaison par pays des grandes orientations européennes de la PAC. Tentons de comprendre les changements que dessine la réforme de la future PAC.

Épandage de pesticides dans des champs de blé © hpgruesen

La PAC, organisme structurant du modèle agricole européen

La PAC, renouvelée tous les 7 ans, représente le premier poste de dépense de l’Union européenne avec un budget global d’environ 50 milliards d’euros (plus d’un tiers de son budget total) dont 9 milliards sont reversés à l’agriculture française. Elle est organisée autour de deux piliers principaux : le premier concerne le soutien des marchés et des revenus agricoles, dont le système d’aides aux agriculteurs constitue le nerf majeur. Le second est dédié à la politique de développement rural [6].

Les aides directes aux agriculteurs représentent aujourd’hui le principal instrument de la PAC (environ 70% du budget). Ces aides sont pour la plupart « découplées », c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas du type et des modes de production mais de la surface au sol ou du nombre de têtes de bétail que possède l’exploitation. Dans ce système, il est plus rémunérateur d’avoir une grande exploitation agricole avec de faibles rendements à l’hectare qu’une petite exploitation à hauts rendements. Cela fragilise les petites exploitations paysannes, et pousse à moderniser les systèmes d’exploitation et à favoriser la monoculture.

Dans ce système, il est plus rémunérateur d’avoir une grande exploitation agricole avec de faibles rendements à l’hectare qu’une petite exploitation à hauts rendements. Cela fragilise les petites exploitations paysannes, pousse à moderniser les systèmes d’exploitation et à favoriser la monoculture.

Dans un référé publié le 10 janvier 2019, la Cour des comptes indique que le montant de l’aide directe moyenne par exploitant pour les structures les plus grandes (22 701 euros) est supérieur de 37% à celui des exploitations les plus modestes (16 535 euros), toutes spécialisations confondues [7]. La répartition des aides apparaît donc fortement inégalitaire en encourageant à l’agrandissement des exploitations plutôt qu’au développement de pratiques agricoles plus vertueuses d’un point de vue écologique. En effet, plus les exploitations sont grandes, plus elles requièrent l’usage d’intrants chimiques et de machines, et moins elles encouragent l’emploi. Le modèle agro-alimentaire actuel est ainsi dominé par l’agro-industrie, où quelques grandes entreprises imposent leur modèle au reste de la filière. C’est ce phénomène qui est actuellement dénoncé par la campagne « Basta » du collectif Pour une autre Pac !. L’organisation accuse les plus grandes entreprises agricoles, telles Charal, Lesieur, Savéol, Beghin Say et Soignon, de capter une large part de la manne financière dégagée par la PAC.

Selon le groupe des Verts au Parlement européen, il y a « de moins en moins d’agriculteurs pour cultiver des exploitations de plus en plus grandes » [8]. En France, leur nombre a en effet été réduit de moitié entre 1998 et 2016 passant de 1 million à 437 000, alors que la taille moyenne de la propriété agricole a augmenté de 28 à 63 hectares sur la même période [9]. Le déclin du nombre d’agriculteurs est l’un des enjeux majeurs auxquels fait face le monde agricole en France. Pour pallier ce problème, les Verts en appellent à des aides calculées en unité de main d’œuvre et non plus selon les hectares, de façon à « mieux répartir les aides pour soutenir les petits paysans » [10]. 

C’est également la proposition soutenue par France Stratégie qui propose d’allouer l’aide en fonction de l’unité de travail par exploitation, et non plus en fonction de la taille de l’exploitation. La proposition est simple : une petite ferme de maraîchage en bio qui nécessite de faire travailler 10 personnes sur peu d’hectares, recevrait plus d’aides qu’une exploitation plus importante faisant vivre moins d’agriculteurs. Les petites exploitations aux pratiques agroécologiques se verraient ainsi revalorisées car elles impliquent généralement plus de main d’œuvre. Cette idée d’aides à l’actif est défendue depuis longtemps par le syndicat agricole, la Confédération Paysanne. Son porte-parole Nicolas Girod, interrogé en novembre 2019 affirmait ainsi que « pour s’affranchir des pesticides par exemple, il va falloir plus de travail, plus de main d’œuvre, et d’autres pratiques culturales sur une même surface. C’est ce changement-là que doit accompagner la PAC, car il répond aussi à une demande sociétale qui est celle de manger mieux » [11]. 

Les éco-régimes : des aides au verdissement aux contours flous

Une des nouveautés de cette nouvelle PAC est le dispositif des éco-régimes, un système de primes versées aux agriculteurs dans le cadre des paiements du premier pilier pour soutenir leur participation à des programmes environnementaux plus exigeants. Ce dispositif vient remplacer les anciennes aides au verdissement, dont le volume resterait le même puisqu’il correspondrait à un pourcentage de 30 % du premier pilier – que le Conseil propose de limiter à 20%. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a salué l’accord trouvé autour de ces éco-régimes obligatoires pour tous les États-membres.

Selon le communiqué du Conseil Agriculture et Pêche des 19 et 20 octobre 2020, ces programmes pourront inclure « des pratiques comme l’agriculture de haute précision, l’agroforesterie, l’agriculture biologique, mais les États seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins » [12]. Une grande latitude est donc laissée aux États-membres de l’Union européenne dans la mise en œuvre des éco-régimes.

Le cahier des charges et les critères d’attribution de ces éco-régimes ne sont pas définis. Dans un avis remis en 2019, la Cour des comptes européenne jugeait qu’il serait difficile « de savoir comment la Commission vérifierait si ces plans sont ambitieux d’un point de vue environnemental et climatique » [13]. Aurélie Catallo, coordinatrice de la plateforme pour une autre PAC, qui regroupe diverses associations, ONG et syndicats, s’inquiète du fait que les éco-régimes intègrent des pratiques incohérentes d’un point de vue écologique comme l’agriculture de précision (techniques numériques, robotisation, surveillance par drones…) qui ne sont pas des méthodes réduisant directement les émissions de CO2 [14].

Quoi qu’il en soit, une marge de manœuvre importante est donc laissée aux États quant à l’usage de ces fonds, qui reste en grande partie indéterminée. De quoi justifier une mobilisation pour une utilisation écologique de ces subventions ?

La PAC et la transition agroécologique

L’agroécologie vise à favoriser des systèmes agricoles fondés sur la valorisation des processus écologiques. La massification de cette pratique agricole pourrait permettre de limiter l’empreinte carbone de l’agriculture, en revitalisant les sols et en assurant leur fertilité. L’agroécologie consiste en effet à utiliser de manière optimale les ressources apportées par la nature pour développer une agriculture qui utilise moins d’intrants de synthèse. L’objectif est d’accroître la résilience et l’autonomie des exploitations en diversifiant les cultures, en allongeant les rotations et en renforçant le rôle de la biodiversité comme facteur de production. Les insectes prédateurs permettent de réguler la présence de ravageurs tels que les pucerons. Il s’agit de repenser le système de production en revalorisant le savoir agronomique pour utiliser au mieux les fonctionnalités et les interactions naturelles présentes dans les écosystèmes du sol.

L’objectif est d’accroître la résilience et l’autonomie des exploitations en diversifiant les cultures, en allongeant les rotations et en renforçant le rôle de la biodiversité comme facteur de production. Il s’agit de repenser le système de production pour utiliser au mieux les fonctionnalités et les interactions naturelles présentes dans les écosystèmes du sol.

De nombreuses associations comme Pour une agriculture du vivant sont en effet favorables à un changement de paradigme des pratiques agricoles afin de redonner à l’agriculture sa capacité à stocker dans les sols un maximum de carbone et d’accueillir la biodiversité. Cela permettra à la fois de les rendre plus fertiles et d’absorber une partie des émissions anthropiques de CO2 en limitant le réchauffement climatique.

Ver de terre présent dans les sols © Natfot

Que penser des propositions émises pour faire de la PAC un levier de la transition agroécologique ? France Stratégie suggère d’utiliser les paiements du premier pilier pour financer un système de bonus-malus à hauteur des bénéfices environnementaux apportés à la société. Dans son rapport Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique [15], l’institution défend l’idée que les aides subventionnant des activités polluantes soient supprimées et qu’un système de taxes sur les externalités négatives soit mis en place. Avec ce mécanisme de marché, la diversification des cultures serait encouragée via un bonus financé par une taxe sur les engrais et sur les pesticides. L’objectif affiché est de proportionner progressivement les aides aux services environnementaux rendus par les surfaces concernées. Il s’agit donc de privilégier les incitations plutôt que les interdictions, quotas et prescriptions de pratiques agricoles à travers une combinaison de bonus et de malus, afin de soutenir les exploitations qui s’engagent dans des pratiques bénéfiques pour l’environnement. Si tant est qu’un quelconque changement puisse être attendu à l’échelle européenne…

Si les orientations de la nouvelle PAC, votée par le parlement en octobre 2020, ne répondent pas aux impératifs de transition agroécologique, une marge de manœuvre subsiste : l’utilisation des éco-régimes n’étant pas déterminée, une mobilisation massive des mouvements écologistes en France pourrait permettre de « verdir » leur utilisation.

La déclinaison de la PAC dans les Plans stratégiques nationaux

Reste désormais à suivre l’avancée du processus et les annonces du gouvernement sur son Plan stratégique national (PSN) pour voir comment seront traduits les objectifs de la PAC dans la politique française. Le ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation a organisé, entre le 23 février et le 7 novembre 2020, un débat public nommé imPACtons qui a mobilisé plus de deux millions de citoyens. Parmi les 1083 propositions issues du débat public, une meilleure rémunération des producteurs et une véritable transition agroécologique ont été mises en avant. Le ministère doit trancher ce jour, mercredi 7 avril, pour indiquer son positionnement par rapport aux propositions formulées lors du débat. Affaire à suivre.

Sources :

(1) « La majorité des pesticides ont des effets sublétaux, c’est-à-dire des effets insidieux, liés à des expositions plus longues où répétées à ces produits », analyse Olivier Cardoso, écotoxicologue à l’ONCFS, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. https://www.franceculture.fr/environnement/les-pesticides-principale-cause-de-la-disparition-des-oiseaux-en-franc

(2) Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 4 pour 1000, les sols pour la sécurité alimentaire et le climat. https://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/1509-climat-4pour1000-fr-bd.pdf

(3) Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l’Homme, Comment lutter contre la désertification ?, 15 juin 2017. https://www.fondation-nicolas-hulot.org/lutter-contre-la-desertification-un-defi-mondial/

(4) La Convention citoyenne regroupe 150 citoyens tirés au sort ayant reçu pour mandat de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».

(5) Rapport de la Convention citoyenne pour le Climat, 2019. https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/le-rapport-final/

(6) Vincent Lequeux, Politique agricole commune : comment ça marche ?, 24 février 2017. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-comment-ca-marche.html

(7) Laura Dulieu, La PAC, pilier essentiel mais obsolète de l’UE, France culture, 25 avril 2019. https://www.franceculture.fr/politique/la-pac-pilier-essentiel-mais-obsolete-de-lue

(8) Vincent Lequeux, Politique agricole commune : comment ça marche ?, 24 février 2017. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-comment-ca-marche.html

(9) Laurence Girard, La France présentera son plan stratégique agricole en 2021, Le Monde, 21 octobre 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/21/la-france-presentera-son-plan-strategique-agricole-en-2021_6056821_3234.html

(10) Noémie Galland-Beaune, Politique agricole commune : les 3 principaux sujets de débat autour de la réforme, 22 octobre 2020. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-les-3-principaux-sujets-de-debat-autour-de-la-reforme.html

(11) Anne Laure Chouin, La PAC, un levier pour la transition écologique ?, France culture, 22 octobre 2019. https://www.franceculture.fr/environnement/la-pac-un-levier-pour-la-transition-ecologique

(12) Noémie Galland-Beaune, Politique agricole commune : les 3 principaux sujets de débat autour de la réforme, 22 octobre 2020. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-les-3-principaux-sujets-de-debat-autour-de-la-reforme.html

(13) Agriculture stratégie, Négociations de la PAC post 2020 : continuer ou repartir d’une page blanche ?, 5 juillet 2019. https://www.agriculture-strategies.eu/2019/07/negociations-de-la-pac-post-2020-continuer-ou-repartir-dune-page-blanche/

(14) Amélie Poinssot  La nouvelle politique agricole commune oublie le changement climatique, Médiapart, 3 décembre 2020. https://www.mediapart.fr/journal/france/241020/la-nouvelle-politique-agricole-commune-oublie-le-changement-climatique

(15) Julien Fosse, Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique, France Stratégie, octobre 2019. https://www.strategie.gouv.fr/publications/faire-de-politique-agricole-commune-un-levier-de-transition-agroecologique