Andrés Arauz : « Rompre avec l’hégémonie des États-Unis »

© Maria Luisa Lopez

C’est finalement Guillermo Lasso qui est élu président d’Équateur avec 52% des voix. Ex-ministre et banquier millionnaire, il porte un agenda résolument libéral et pro-américain. La campagne s’est déroulée dans des conditions particulières : les principaux leaders corréistes, condamnés à des sentences judiciaires, étaient dans l’incapacité de participer à la mobilisation politique. Les grands médias ont en outre manifesté une hostilité particulière à l’égard d’Andrés Arauz, l’adversaire de Guillermo Lasso (lui-même actionnaire de la banque de Guayaquil, qui possède plusieurs chaînes de télévision). Ex-ministre et directeur de la Banque centrale équatorienne, Andrés Arauz est économiste de formation. Critique des politiques imposées par le Fonds monétaire international, il est idéologiquement proche de Rafael Correa. L’année dernière, nous publiions un article de sa plume dans nos colonnes. Nous l’avions retrouvé avant le scrutin présidentiel pour cet entretien, réalisé par Denis Rogatyuk et traduit par Marie M-B, Seb Tellor et Alice Faure.

Retrouver ici toutes les analyses que Le Vent Se Lève effectue depuis trois ans sur la situation politique équatorienne.

LVSL – Quelles mesures prévoit votre programme pour résoudre la question du chômage et de la relance économique en Équateur ?

Andrés Arauz – À court terme, la relance économique est notre priorité principale, et presque la seule que nous ayons. Mais elle dépend aussi de la situation sanitaire ; il faut que l’activité économique reprenne mais ce ne sera pas possible sans vaccin.

Si le FMI souhaite nous aider, tant mieux. Mais nous n’allons pas respecter l’accord avec le FMI tel qu’il existe actuellement.

Cependant, nous savons que d’ici à ce que l’Équateur soit vacciné, que des emplois soient créés, que l’État récupère sa force pour impulser des travaux publics, nous allons avoir besoin d’une aide immédiate. Nous proposons mille dollars à un million de familles équatoriennes pendant la première semaine de notre gouvernement. Cela permettra aux Équatoriens de stimuler l’économie domestique, de rembourser leurs dettes, d’acheter des médicaments, des aliments, des vêtements… Avec cela, nous allons réactiver l’économie nationale : quand la mère de famille va au marché, dans un magasin, dans un commerce, l’économie commence à être stimulée, il commence à y avoir plus de liquidités, plus d’argent et la situation s’améliore.

Ndlr : le versement de mille dollars au million de foyers équatoriens les plus pauvres a constitué l’une des principales promesses de campagne d’Andrés Arauz, et l’une des plus controversées. Elle a subi les foudres de son principal adversaire Guillermo Lasso, mais aussi du numéro trois Yaku Perez. Celui-ci avait déclaré que ces mille dollars risqueraient d’être dépensés « pour acheter des bières ».

LVSL – Quel est votre plan principal pour renégocier la dette ainsi que les délais de son paiement avec le FMI ?

AA – Nous allons tout d’abord utiliser les ressources qui existent déjà en Équateur, mais que le gouvernement a laissé partir et qui se cachent à l’étranger, à Miami, au Panama, en Suisse. Cet argent doit revenir à l’Équateur pour que l’on finance notre nouveau développement, et pas les aventures guerrières d’autres pays dont nous ne partageons pas les intérêts.

Ensuite, nous établirons des conditions dignes avec notre plan économique souverain qui recherche la croissance économique, qui veut résoudre le problème du chômage, générer des emplois, créer de nouveaux travaux et services publics. Si avec ce plan, le FMI veut nous aider, tant mieux, mais nous n’allons pas respecter l’accord avec le FMI tel qu’il existe actuellement.

Ndlr : Sous Lenín Moreno, l’Équateur est revenu plusieurs fois auprès du FMI. De nombreux prêts ont été concédés, en échange de plans d’ajustement structurel : réductions budgétaires drastiques, libéralisation du droit du travail…

LVSL – Comment voyez-vous le futur de la relation avec la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) et les autres mouvements indigènes ?

Ndlr : La CONAIE est la principale confédération des mouvements indigènes. Traversée par de nombreuses tensions internes, sa direction a fréquemment été en conflit avec Rafael Correa. Son actuel dirigeant Jaime Vargas a cependant appelé à voter pour Andrés Arauz, tandis que d’autres leaders influents, comme le marxiste Leonidas Iza, ont maintenu un appel à voter « nul ».

AA – De manière très positive. Je vois d’excellentes opportunités de pouvoir construire et mettre en place l’État plurinational et interculturel, avec la CONAIE et les bases des organisations indigènes. Nous devons avancer en matière d’irrigation, de crédit, d’appui aux coopératives d’épargne et de crédit indigènes de notre pays, et aussi en matière d’éducation, pour pouvoir avoir un système éducatif de très haute qualité qui préserve nos langues ancestrales.

Ce gouvernement, lamentablement, pense uniquement avec des critères géopolitiques : ils pensaient importer le vaccin uniquement des États-Unis, uniquement avec l’aval de leurs chefs.

Nous allons déclarer les langues ancestrales en état d’urgence dès le premier jour de notre prise de pouvoir. Nous souhaitons préserver un système de justice indigène, pas seulement pour des actes politiques, mais également afin de faciliter les démarches administratives de nos communautés, afin de ne pas les obliger à venir jusqu’à la capitale pour résoudre leurs problèmes.

LVSL – Comment envisagez-vous le futur de l’Équateur en Amérique Latine et dans le monde ? Quel type de relations espérez-vous construire avec la République Populaire de Chine et la nouvelle administration des Etats-Unis ?

AA – Nous souhaitons continuer à construire des relations diversifiées avec tous les pays du monde. Nous voulons construire des échanges à la fois dans le domaine de l’éducation, de la science, de la technologie, pour avoir accès aux innovations les plus récentes du monde entier et ainsi contribuer au développement équatorien. Nos principes sont fondés sur des concepts tels que la paix, la démocratie et le développement. Ce sont les mêmes raisons qui ont permis la création des Nations Unies. Nous croyons au multilatéralisme, nous sommes contre un monde unipolaire.

Nous avons besoin de nous éloigner de l’hégémonie des États-Unis, de l’hémisphère occidental et d’une seule région du monde. Nous continuerons à construire des relations avec nos amis en Chine, en Asie en général. Nous souhaitons avoir de bonnes relations avec tous les pays du monde, avec les États-Unis, l’Europe, le Canada, les pays de l’Eurasie, et la Russie aussi. Notre priorité la plus importante est l’intégration latinoaméricaine. Nous avons besoin de notre propre bloc de pays : le bloc latinoaméricain. Je m’occuperai de reconstruire l’intégration régionale de notre pays.

LVSL – Sous Rafael Correa, l’Equateur était considéré comme la capitale de l’Amérique du sud car c’est également ici que l’on trouve le siège principal de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR) …

AA – Lenín Moreno a renoncé au fait que l’Equateur soit la capitale de l’Amérique du sud, ce qui est incroyable. Nous espérons retourner dans l’UNASUR. Nous souhaitons même l’améliorer, avec un projet qui ne se contente pas d’intégration entre gouvernements, mais qui aille jusqu’à l’intégration entre les personnes. Cela représenterait un grand effort pour inclure un programme d’échanges éducatifs, tel que le programme européen Erasmus, où les étudiants des pays latino-américains pourraient étudier un semestre à l’étranger dans n’importe quel pays de la région. Ceci aiderait à construire des relations entres les Latino-américains qui pourraient durer des décennies.

L’ex-siège de l’UNASUR à Quito © Vincent Ortiz pour LVSL

LVSL – Vous avez répété à plusieurs reprises qu’il était nécessaire de vacciner les Équatoriens. Comment comptez-vous obtenir l’accès au vaccin ?

Ce gouvernement, lamentablement, pense uniquement avec des critères géopolitiques : ils pensaient importer le vaccin uniquement des États-Unis, uniquement avec l’aval de leurs chefs. Nous avons besoin de diversifier l’approvisionnement de vaccins, et nous avons fait les premiers efforts avec le vaccin d’Oxford, produit en Argentine, pour qu’il puisse arriver sur tout le territoire équatorien. Le vaccin de Pfizer nécessite une réfrigération de moins 70 degrés, uniquement disponible à Quito et à Guayaquil. Avec le vaccin d’Argentine et les autres qui se développent dans le monde, on peut arriver dans toutes les provinces d’Équateur car il n’a besoin que d’une réfrigération conventionnelle qui est déjà disponible dans nos centres médicaux dans toute la patrie, les centres médicaux que la Révolution citoyenne a construits.