Le Brésil se prépare aux élections d’octobre

Lula et Dilma Roussef lors de la réélection de cette dernière en 2014 (Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil)

Le Brésil connaît une importante crise politique depuis la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, issue du Parti des Travailleurs, en Août 2016. Son éviction, qui s’apparentait à un coup d’État institutionnel dans le cadre du scandale Petrobras, a permis à son remplaçant Michel Temer, inquiété dans plusieurs dossiers de corruption, de mener une politique néo-libérale des plus agressives à l’encontre du peuple brésilien. En Octobre 2018 auront lieu des élections qui seront donc capitales pour l’avenir du pays. Ce scrutin s’inscrit aussi dans une année riche en élections et en possibles changements politiques pour l’Amérique latine puisque en plus du Brésil, des élections présidentielles auront lieu également en Colombie, au Costa Rica, au Paraguay, au Mexique et au Vénézuela.


Dilma et Temer

Les Brésiliens sont las des scandales de corruption à répétition, et ils se sont montrés très combatifs face à la politique destructrice du Président Temer. En avril dernier, pas moins de 40 millions de grévistes étaient dans les rues de tout le pays pour s’opposer à ses projets austéritaires.

Si Dilma Rousseff a été destituée en août 2016, c’est officiellement pour avoir perpétué une pratique de maquillage des comptes de Petrobras, l’entreprise pétrolière publique brésilienne, dans le but de masquer l’ampleur de son déficit. Une manœuvre à la limite de la légalité qui n’impliquait cependant aucun enrichissement personnel de l’ancienne présidente brésilienne.

À l’inverse Michel Temer, le président brésilien depuis août 2016, a été inquiété plusieurs fois par des accusations de corruption le visant directement. Mais la Chambre des députés, qui avait déclenché la procédure de destitution de Dilma Rousseff, a cette fois-ci empêché la cour suprême brésilienne d’enquêter sur les accusations portées contre le nouveau président. Ainsi, bien que sa politique ne soit approuvée que par 3.4 % des Brésiliens interrogés en septembre 2017, et alors qu’il est accusé d’être impliqué dans des affaires de pots-de-vin, Michel Temer parvient malgré tout à se maintenir à la tête du pays pour mener à bien une politique de libéralisation agressive à l’encontre des conquêtes sociales des années 2000.

Le Congrès brésilien ayant empêché l’ouverture de toute enquête contre Temer, il n’existe à l’heure actuelle aucun moyen d’interrompre son mandat, qui s’achève le 1er Janvier 2019. Des élections auront lieu en Octobre 2018 afin de connaître le nom de son remplaçant, et surtout son orientation politique.

Lula et Dilma Roussef lors de la réélection de cette dernière en 2014 (Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil)

 

L’actuel président brésilien a déjà exclu de se présenter à ces élections. Il sera âgé de 78 ans au moment du scrutin.  De plus son impopularité est sans précédent dans le pays en raison de sa politique antisociale et des soupçons de corruption qui pèsent sur lui. Cette situation rend inenvisageable toute candidature de sa part.

Michel Temer semble plutôt soutenir la candidature de Geraldo Ackmin son « ami », dont il estime qu’il possède « l’assurance et la sérénité » nécessaires pour le remplacer. Ce dernier est actuellement gouverneur de l’État de São Paulo et était déjà candidat aux élections brésiliennes en 2006 pour le PSDB (Parti de la Sociale-Démocratie Brésilienne, droite). Il était alors arrivé au second tour avant de s’incliner face à Lula.

Le retour de Lula

Quant à Lula, le prédécesseur de Dilma Rousseff, il a été à la tête du Brésil de 2003 à 2011. Il est, tout comme la présidente destituée, issu du Parti des Travailleurs, formation de gauche fondée en 1980 dans le sillage de la résistance à la dictature militaire. Lula fut le premier président brésilien de gauche depuis le coup d’État de 1964. Ses deux mandats présidentiels ont été marqués par de nombreux programmes sociaux (comme la « Bolsa familia », un programme d’allocations familiales supprimé par Temer en 2017) qui ont permis d’extraire plusieurs dizaines de millions de Brésiliens de la pauvreté.

Cela explique sans doute la grande popularité dont bénéficie encore l’ancien président au Brésil. Il arrive ainsi en tête d’un sondage de début décembre qui lui accorde 34 % des intentions de vote. Le processus de candidature est d’ailleurs déjà bien entamé. Des collectes de fonds ont par exemple été organisées afin de financer sa campagne. Pourtant, sa participation aux élections d’octobre reste incertaine : Lula a effectivement été condamné à 9 ans de prison pour corruption passive. Or, si la sentence est confirmée, il sera inéligible lors des élections. Sa candidature reste donc incertaine jusqu’au 24 janvier, date à laquelle la Justice brésilienne doit valider ou non la sentence.

Jair Bolsonaro, le « Trump brésilien »

Lula est suivi par Jair Bolsonaro, qui recueillerait quant à lui 17 % des suffrages selon le même sondage. C’est un candidat d’un nouveau genre dans le paysage politique brésilien : député de l’État de Rio de Janeiro, il multiplie les déclarations provocantes en faveur de l’ancienne dictature militaire, contre les femmes, les minorités indigènes ou encore les homosexuels. Il est donc régulièrement présenté par les médias étrangers comme le « Trump brésilien ». Il a effectivement bénéficié de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, qui lui a permis d’attirer l’œil des médias et des analystes politiques, et se dépeint lui aussi en candidat anti-système.

Jair Bolsonaro est pourtant lui aussi l’objet de soupçons. Il a fait entrer trois de ses fils en politique et il est propriétaire avec eux de 13 biens immobiliers d’une valeur d’environ 15 millions de réaux brésiliens (soit un peu moins de 4 millions d’euros). Or, ils les auraient acquis à des prix environ 10 fois moins élevés que leur valeur réelle. De la même façon, des documents de la cour électorale brésilienne affirment que la famille Bolsonaro possède plusieurs voitures de valeur comprises entre 11 500€ et 26 900€ et des investissements financiers estimés à environ 435 000€. Un enrichissement qui pose des questions car à son entrée en politique en 1988 le candidat n’avait déclaré qu’un faible patrimoine, et il n’a pas eu d’autre activité que celle d’élu depuis lors. Selon le Conseil fédéral des agents immobiliers et le Ministère du Trésor Public, l’achat en 2008 de la maison dans laquelle vit le candidat Bolsonaro laisse des indices permettant de suspecter une opération de blanchiment d’argent. Un comble pour le candidat de la « vérité », qui dénonce une campagne de diffamation.

Marina Silva, la défenseure de l’Amazonie

Enfin, toujours selon le même sondage de décembre, Marina Silva arriverait en troisième position avec 9 % des intentions de vote. Originaire de l’État d’Acre, situé dans la forêt amazonienne, elle fait partie des adversaires acharnés de la déforestation. Elle a  été ministre de l’environnement de 2003 à 2008 pendant les deux mandats de Lula, avant de démissionner jugeant ne plus être en capacité de mener à bien l’agenda environnemental au sein du gouvernement.

Finalement elle a quitté le Parti des Travailleurs pour rejoindre le Parti Vert, parti écologiste brésilien, dont elle a été la candidate lors de l’élection présidentielle de 2010. Bien qu’elle ne se soit pas qualifiée pour le second tour face à Dilma Rousseff, Marina Silva avait alors recueilli pas moins de 19 % des voix. En 2013 elle a créé un nouveau parti écologiste, le Réseau Durabilité (Rede), mais s’est présentée sous les couleurs du Parti Socialiste Brésilien (PSB) un an plus tard. Au cours de ces élections de 2014, les sondages l’annonçaient au second tour pour faire face à Dilma Rousseff. En réalité, elle n’est encore une fois pas parvenue à passer le cap du premier tour et a recueilli 21 % des suffrages. Elle sera une nouvelle fois de la partie en octobre prochain. Elle a en effet annoncé sa candidature aux élections à venir pour le Réseau Durabilité le 2 décembre dernier.

Les contours du paysage politique des élections d’Octobre 2018 au Brésil se dessinent peu à peu. Cependant, tout est encore possible et rien n’est fixé pour le moment. Le nouveau procès de Lula, prévu le 24 Janvier prochain, pourrait déjà bouleverser la situation actuelle.