Brésil : Temer fait exploser la déforestation en Amazonie

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Depuis 1970, si l’on s’arrête à la déforestation légale, la forêt amazonienne a perdu 750.000 kilomètres carrés, soit une superficie supérieure à la taille de la France. Si le bilan de Dilma Roussef dans le domaine n’est pas fameux, l’arrivée de Michel Temer à la tête du Brésil a fait exploser la déforestation. Des conséquences terribles en perspective pour la biodiversité, les écosystèmes et l’émission de gaz à effet de serre.

En août dernier, l’officialité célébrait le coup d’État constitutionnel qui renversait la présidente Dilma Roussef pour installer Michel Temer à la tête de l’État. Les mêmes sont beaucoup moins volubiles aujourd’hui. On les comprend. Il faut dire que les Brésiliens déchantent. Dimanche, ils sont descendus dans les rues suite à l’ouverture d’une enquête de la Cour suprême contre le président brésilien pour « corruption passive », « obstruction à la justice » et « participation à une organisation criminelle ». Un enregistrement récent laisse penser que Michel Temer a acheté le silence d’Eduardo Cunha, l’ex-président de la Chambre des députés, condamné à quinze ans de prison pour corruption. L’opération Lava Jato (“lavage express”) a permis de découvrir l’étendue de la corruption : le système de pots-de-vin s’étend jusqu’aux caciques du parti du président et touche son allié social-démocrate. Plusieurs ministres brésiliens sont mis en cause. Temer est également suspecté d’avoir reçu 10 millions de reais (3 millions d’euros) en pots de vin. En plus de ces accusations de corruption qui se précisent de plus en plus, Temer a lancé une offensive de guerre de classe pour casser le code du Travail brésilien et pour s’attaquer aux pensions de retraite des Brésiliens.

Une hausse historique de la déforestation en Amazonie !

Mais le pire est encore à venir. Sur la seule année 2016, la forêt amazonienne brésilienne a perdu  8 000 kilomètres carrés, soit un bond de 29% par rapport à l’année précédente. Cela représente la superficie de la Corse ! D’autant que ce chiffre n’englobe que la déforestation légale. En rajoutant la déforestation illégale, la forêt a perdu l’équivalent de la superficie de la France.  En 2015 déjà, la déforestation avait augmenté de 16% avec 5 831 km² de forêt rasés. Depuis 1970, ce sont 750.000 kilomètres carrés de forêt qui ont disparu. C’est une superficie supérieure à la taille de la France.

Pourtant, après le pic himalayesque de 2004 (plus de 27 000 km² détruits), le gouvernement avait mis en place un plan de «prévention et le contrôle de la déforestation ». Résultat : la déforestation avait atteint sa plus faible hausse en 2012, avec 4.571 km² de forêts rayés de la carte. C’est en 2012 que tout se complique. Selon Marcio Astrini, responsable de Greenpeace au Brésil, c’est à ce moment là que le gouvernement de Dilma Roussef renonce aux amendes pour la déforestation illégale, et abandonne les aires protégées. Le gouvernement va jusqu’à avancer que l’arrêt  de toute déforestation illégale pourrait être repoussé après 2030, contrairement à ce qui était prévu. À partir de 2012 donc, la déforestation repart à la hausse. Il faut dire que tout était fait pour : réforme du code forestier pour faciliter les autorisations de déforestation et amnistie pour de nombreux coupables de déforestation illégale. Beaucoup de responsables politiques ont utilisé les améliorations obtenues entre 2004 et 2012 pour justifier un assouplissement des règles.

Temer et le lobby de l’agrobusiness passent les lois protectrices de l’environnement à la sulfateuse !

Si les premiers reculs ont été enregistrés en 2012, c’est avec l’arrivée de Temer au pouvoir et avec l’entrée des “ruralistas” (représentants du lobby de l’agrobusiness) en masse au parlement que tout se décompose. Ils tiennent 40 % des sièges au Parlement. Plusieurs leaders de ce bloc occupent des postes importants au gouvernement. Blairo Maggi, dont la famille est le plus gros producteur de soja au monde (son expansion compte parmi les premiers facteurs de déforestation) occupe ainsi le poste stratégique de ministre de l’Agriculture.  Selon Philip Fearnside, chercheur à l’Institut national de recherche en Amazonie, «Le Brésil vit des heures effrayantes. Avec la récession, les forces politiques conservatrices s’alignent pour démanteler des protections environnementales et sociales vitales qui pourraient exposer le pays et une grande partie de l’Amazonie à de graves dangers.»

D’après Fearnside, c’est loin d’être terminé. «Tous les indicateurs le montrent. Il y a de plus en plus d’investissements dans la forêt amazonienne. Les projets d’infrastructures en cours encouragent la spéculation sur ces terres. Leur valeur monte énormément quand on construit une route dessus ou à proximité.» D’autant que les prix du soja et du boeuf augmentent, ce qui rend l’expansion des terres agricoles plus rentable. La prophétie est en passe de se réaliser. Prochain coup de canif à l’ordre du jour : la réduction des espaces protégés. Plus d’un million d’hectares sont menacés. Un amendement constitutionnel devrait permettre la construction de barrage ou de routes en déposant une seule étude d’impact, quels que soient ses résultats. Seule une étape administrative sera demandée pour obtenir l’autorisation de déforester. Au passage, le délais accordés aux agences environnementales pour juger le dossier a été raccourci. Sans réponse dans les délais, l’autorisation est réputée accordée. Visiblement, les coups étaient préparés : «La majorité de ces lois ont été introduites en 2016, au moment de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, entre mars et août, indique Philip Fearnside. Durant cette période, tous les sénateurs étaient concentrés sur l’affaire. Il a été facile pour les “ruralistas” de faire passer leurs lois rapidement. Certaines attendaient dans les tiroirs depuis trente ans.»

La surproduction de soja, l’élevage intensif et la construction d’infrastructures en plein milieu de la forêt sont parmi les premières explications de cette folie dévastatrice. Ainsi, une autoroute doit permettre de relier Manaus, au cœur de l’Amazonie, à Porto Velho, dans «l’arc de la déforestation», zone où la forêt est déjà très entamée. Un route va traverser l’Amazonie sur 1 800 kilomètres. Ces routes vont ouvrir la moitié de l’Amazonie aux investissements et aux camions remplis de soja (vous voyez le lien avec le ministre de l’agriculture ?) qui rejoindront les ports du bassin de l’Amazone. Plusieurs barrages vont également être construits le long du fleuve.

Comme les industriels de l’agrobusiness ne sont jamais rassasiés, ils vont profiter de leur position de force pour s’attaquer au Cerrado, une région de savane qui occupe 20 % du Brésil. «Il est beaucoup plus facile d’obtenir des autorisations pour déboiser dans le Cerrado, décrit Cristiane Mazzetti, responsable du programme sur l’Amazonie brésilienne à Greenpeace. Seulement 20 % de la zone est protégée.» D’autant que cette zone pourrait encore se réduire.

Une lutte à mort avec les militants écologistes

Premières victimes de cette passion morbide : les peuples autochtones (1,5 million de personnes au Brésil). Regroupés sous les couleurs du mouvement Terra Livre, ils mènent la lutte : près de 3 000 d’entre-eux sont allés à Brasília pour demander au gouvernment de cesser cette politique infâme. L’enjeu est de taille. La lutte également : c’est la plus grande mobilisation indigène depuis 30 ans. Le gouvernment, lui aussi, a déployé l’artillerie lourde. Selon l’ONG Global Witness, le Brésil est le pays le plus dangereux pour les militants écologistes. Entre 2010 et 2015, 207 sont morts (principalement des autochtones). Résultat, le gouvernement a réussi à instiller la haine entre les autochtones et les autres agriculteurs. Le 30 avril, 200 fermiers brésiliens ont attaqué à la machette des membres de la communauté gamela. Certains ont perdu leurs mains et leurs pieds. Pour enfoncer le clou,  les «ruralistas» souhaitent transférer au Parlement (au sein duquel ils sont presque majoritaires) le pouvoir de création de nouvelles réserves autochtones car elles sont les plus protégées. Au passage, le ministère de l’Environnement a perdu 51 % de son budget. Pour finir le tableau, la Fondation nationale de l’Indien a vu sont budget amputé de la même manière. Quant à son directeur, il a été purgé pour désaccord avec le ministre “ruralista” de l’agriculture.

Cela va sans dire, cette déforestation détruit un nombre immense de formes de vie et massacre les écosystèmes d’une zone accueillant l’une des biodiversités les plus riches et les plus splendides au monde. Quant aux conséquences sur les émissions de GES, elle sont terribles. Selon deux études internationales, la destruction de la végétation tropicale serait responsable de l’émission de 3 milliards de tonnes de CO2 par an. Soit un dixième des émissions planétaires. Autant dire que l’objectif brésilien de réduire de 43% ses émissions de GES d’ici 2030 paraît bien loin.


Sources : https://www.lesechos.fr/03/12/2016/lesechos.fr/0211551463981_foret-amazonienne—la-deforestation-a-augmente-de-29–en-2016.htm#m5rrpe8QrI4ITGLz.99

http://www.liberation.fr/planete/2017/05/11/au-bresil-la-foret-fait-les-frais-du-virage-politique_1568951

https://reporterre.net/La-deforestation-en-foret-amazonienne-a-augmente-de-29-en-2016

http://abonnes.lemonde.fr/ameriques/article/2017/05/22/au-bresil-la-mobilisation-s-affaiblit-mais-pas-les-ennuis-de-michel-temer_5131415_3222.html

Crédits photos : ©Michael Gäbler. Licence : Creative Commons Attribution 3.0 Unported license.