Catalogne : le gouvernement Rajoy choisit la répression

Manifestation pour le droit de la catalogne à l’auto-détermination. 10 juillet 2010 ©JuanmaRamos-Avui-El Punt. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

« Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? ». C’est à cette question que les 5,5 millions d’électeurs catalans sont invités à répondre dimanche 1er octobre. Le gouvernement espagnol, qui ne reconnaît pas la validité juridique de ce référendum organisé par le gouvernement indépendantiste catalan formé en janvier 2016, a enclenché depuis deux jours une série d’arrestations et de perquisitions d’élus et hauts responsables indépendantistes. Le président indépendantiste de la Généralité de Catalogne, Carles Puigdemont, a dénoncé un « coup d’État » tandis qu’Ada Colau, maire de Barcelone, parle de « scandale démocratique » et d’une « dérive autoritaire ». Depuis, des manifestations de soutien au peuple catalan sont organisées partout à travers le pays pour dénoncer l’attitude du gouvernement Rajoy. A Barcelone, des milliers de personnes se sont retrouvées dans la nuit de mercredi à jeudi  au centre de la ville autour du cri « Votaremos ! » (« Nous voterons ! »).

 

Entre Madrid et Barcelone, une tension croissante depuis 2008 

Les récentes dégradations des relations entre Madrid et Barcelone pointent les limites que connaît aujourd’hui « l’Espagne des autonomies », formule institutionnelle héritée de la transition démocratique qui proclame à la fois « l’indissoluble unité de la nation espagnole » et « le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent »[1]. La crise de 2008 a remis la question de l’indépendance de la Catalogne au cœur des débats en donnant une nouvelle impulsion aux partis indépendantistes catalans (de tous bords politiques) qui dénoncent « l’impossibilité de convoquer un référendum d’autodétermination dans le cadre la légalité espagnole »[2]Récemment, tous les sondages indiquaient qu’environ 70% des Catalans, qu’ils soient favorables ou opposés à l’indépendance, désiraient pouvoir s’exprimer sur la question à travers un référendum reconnu par Madrid[3].  

Les revendications indépendantistes se déclinent de différentes manières : d’un indépendantisme de gauche progressiste, représenté par la CUP qui se définit comme une organisation anticapitaliste, écologiste, assembléiste et féministe[4], jusqu’à un indépendantisme conservateur, xénophobe et réactionnaire. Cependant, la crise de 2008 a accéléré de manière générale le sentiment indépendantiste. Jordi Gomez, docteur en science politique, revient sur la montée du sentiment national dans un article publié dans Le Monde en juin 2017 dans lequel il explique que « jamais, depuis l’intégration de la Catalogne à l’Espagne, l’idée de faire sécession n’a été aussi partagée ». Il ajoute que « la montée de l’indépendantisme procède d’un sentiment d’iniquité territoriale que la crise économique de 2008 n’a fait qu’accentuer. La baisse de l’activité économique conjuguée à une chute des recettes fiscales a en effet relancé le débat sur la répartition de l’impôt entre État et communautés autonomes »[5]. On observe notamment depuis quelques années une multiplication de drapeaux catalans indépendantistes à Barcelone sur les façades d’immeubles.

La relation entre le gouvernement espagnol et les indépendantistes catalans commence donc à se détériorer dès 2008. En juin 2010, le Tribunal constitutionnel, sans remettre en cause l’existence d’une nation catalane, invalidait pourtant 14 articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, voté quatre ans plus tôt par le Parlement de Catalogne, le Congrès des députés, le Sénat et validé par référendum. Cette décision juridique, appuyée par le Parti populaire, a largement favorisé l’aggravation des tensions entre la Catalogne et Madrid.

Lors des élections autonomiques de novembre 2012, les indépendantistes obtiennent une majorité au Parlement de Catalogne. Le 9 novembre 2014, un premier référendum portant sur l’indépendance de la Catalogne, non reconnu par le Tribunal constitutionnel, est organisé par les partis indépendantistes. Il est présenté comme un « vote sur l’avenir politique de la Catalogne » et comme une simple « consultation ». Avec 80% des suffrages, le « oui » à l’indépendance arrive largement en tête. Un résultat à relativiser compte tenu du nombre important d’abstentionnistes (63%) et de l’appel au boycott du vote par l’opposition, mais qui contribue néanmoins à dégrader les relations entre la Catalogne et le gouvernement espagnol.

“En 2010, le Tribunal constitutionnel invalidait 14 articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne. Cette décision juridique, appuyée par le Parti populaire, a largement favorisé l’aggravation des tensions entre la Catalogne et Madrid.”

En Espagne, dans certaines communautés autonomes, la vie politique se polarise autour de la question de l’autonomie ou/et de l’indépendance à tel point que les commentateurs reconnaissent l’existence de plusieurs « Espagnes électorales » [6]. C’est ainsi que l’on comprend la formation de la  coalition électorale Junts pel Sí (Ensemble pour le oui) à l’occasion des élections autonomiques de 2015 qui regroupe, entre autres, le parti libéral Convergence démocratique de Catalogne (CDC), majoritaire au Parlement de Catalogne depuis 2010, et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Le 27 septembre 2015, les indépendantistes, Junts pel Sí et la CUP, obtiennent, lors des élections autonomiques anticipées, la majorité en sièges au Parlement de Catalogne (72/135). Artur Mas, candidat de Junts pel Sí et président depuis 2010 de la Généralité de Catalogne annonce la tenue d’un véritable référendum sur l’indépendance 18 mois après sa victoire. En mars 2017, suite à l’organisation de la « consultation » de 2014, il sera condamné à deux ans d’inéligibilité.

En janvier 2016, dans le cadre de la formation du gouvernement indépendantiste, la coalition de gauche radicale indépendantiste CUP (Candidature d’unité populaire) et la coalition  Junts pel Sí, malgré leurs fortes divergences politiques, passent un accord afin d’accélérer le processus de sécession avec l’Espagne. La CUP s’oppose toutefois radicalement à la candidature d’Artur Mas, pressenti pour un nouveau mandat à la tête de la communauté autonome.  Un accord est finalement trouvé entre les indépendantistes de droite et de gauche : le 12 janvier 2016, Carles Puidgemont (Convergence démocratique de Catalogne, devenue en juillet 2016 Parti démocrate européen catalan) est ainsi nommé président de la Généralité de Catalogne avec l’appui des dix députés de la CUP. Les commentateurs soulignent alors « la victoire d’un président indépendantiste », Le Monde constate que « la Catalogne se choisit un président pour l’amener vers la sécession »[7]. Le 1er octobre 2017, les Catalans sont invités, une nouvelle fois, à se prononcer sur l’indépendance de la Catalogne et à répondre à la question suivante : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? ».

Le 7 septembre 2017, le Parlement catalan vote la loi de transition (Ley de TransitoriedadJurídica catalana), un texte de 89 articles qui prévoit que la Catalogne « se constitue en une République de droit, démocratique et sociale »[8] et que « la souveraineté nationale réside dans le peuple de Catalogne »[9]. Le texte détaille l’organisation de la République catalane si le « oui » l’emporte lors du référendum du 1er octobre et revient, entre autres, sur la question du système judiciaire, du contrôle des frontières, de la nationalité catalane (qui ne serait pas incompatible avec la nationalité espagnole).

L’inflexibilité du gouvernement espagnol

Les relations entre le gouvernement espagnol et la Généralité se sont nettement envenimées ces dernières semaines, à l’approche de la date du référendum. Le 7 septembre dernier, suite aux recours déposés par le gouvernement central, le Tribunal constitutionnel espagnol suspendait en urgence la loi de référendum adoptée par le Parlement catalan. Le 13 septembre, le procureur général de l’État espagnol citait à comparaître devant la justice 700 maires de communes ayant affiché leur soutien au référendum sur l’indépendance. Les élus mis en cause ont reçu le soutien appuyé de Carles Puigdemont et de Ada Colau, tandis que le ministre de la Justice espagnol déclarait à leur sujet dans un entretien à la presse conservatrice : « S’ils sont 700 maires à commettre un délit, ils seront 700 à aller en procès ». Le 15 septembre, le ministère espagnol des Finances a instauré un « système de contrôle des paiements » de la Généralité catalane, s’immisçant ainsi dans les finances publiques régionales afin que « pas le moindre euro » ne puisse être affecté à l’organisation du référendum.

Le conflit politique a franchi un seuil ce mercredi 20 septembre, lorsque la Garde Civile procède à l’arrestation de 13 hauts responsables du gouvernement et de l’administration catalane, parmi lesquels le bras droit du vice-président de la région : Oriol Junqueras. Des perquisitions sont menées dans les locaux des départements des finances, des affaires extérieures ou encore des affaires sociales de la Généralité de Catalogne, dans l’objectif de désarticuler le noyau des organisateurs du référendum du 1er octobre. La Police nationale s’est également infiltrée dans les locaux des anticapitalistes de la CUP. Le ministère de l’Intérieur annonce par ailleurs avoir saisi près de 10 millions de bulletins de vote dans la localité de Bigues i Riells, près de Barcelone.

Cette gigantesque opération policière intervient pourtant au lendemain d’un désaveu infligé au gouvernement par le Congrès des députés. Le 19 septembre, le parti de centre-droit Ciudadanos, hostile au droit à l’autodétermination, déposait une proposition de loi visant à soutenir l’action de Mariano Rajoy dans la gestion de la crise catalane. L’initiative a été rejetée par la majorité de la chambre (PSOE, Unidos Podemos, nationalistes catalans et basques). C’est donc sans l’approbation du Parlement que le gouvernement espagnol a pris la décision d’emprunter la voie de la répression.

Malgré la vague de protestation qui s’est emparée du pays dans les heures qui ont suivi les premières interventions policières, le Parti populaire reste fermé à toute négociation. Au cours d’une allocution télévisée organisée dans la soirée, Mariano Rajoy s’est montré particulièrement inflexible : « La désobéissance est un acte totalitaire », a-t-il déclaré, allant jusqu’à comparer la Généralité de Catalogne à des« régimes non démocratiques ». Le chef du gouvernement a affiché sa détermination à « faire appliquer la loi sans renoncer à aucun des instruments de l’État de droit », laissant planer la menace d’un usage de l’article 155 de la constitution, qui permettrait tout simplement à l’Etat espagnol de suspendre l’autonomie de la Catalogne. Une option envisagée et appuyée par la présidente du gouvernement régional d’Andalousie, la socialiste Susana Diaz, si la Généralité devait persévérer dans son projet sécessionniste.

Protestations populaires et appels au dialogue

Les arrestations du 20 septembre ravivent une mémoire douloureuse, celle de l’expression des singularités régionales écrasées par l’autoritarisme franquiste. Nombreux sont ceux qui, sur les réseaux sociaux, comparent les agissements de la Garde Civile à la répression subie par les nationalistes catalans sous la dictature.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. A Barcelone, 40 000 manifestants ont afflué sur la Gran Vía avant de se rassembler devant le ministère régional de l’Économie pour dénoncer les opérations policières. Les travailleurs de l’institution ont déployé une longue banderole du haut d’un balcon pour réclamer la libération des responsables arrêtés plus tôt dans la journée, tandis que le vice-président de la Généralité y a été accueilli dans l’après-midi par des ovations. Podem – la branche régionale de Podemos – a mis à disposition ses locaux aux militants anticapitalistes regroupés devant le quartier général de la CUP, perquisitionné par la Police nationale. En Catalogne, ce sont des dizaines de milliers de citoyens qui ont exprimé leur indignation à travers des mobilisations organisées dans les villes de la communauté autonome. De nombreux rassemblements se sont par ailleurs tenus dans toute l’Espagne, comme sur la Puerta del Sol à Madrid, en défense des « libertés démocratiques ».

Après avoir convoqué une réunion extraordinaire du conseil exécutif de la Généralité, Carles Puigdemont a dénoncé une « honte démocratique », une « agression coordonnée pour éviter que le peuple de Catalogne puisse s’exprimer en liberté le 1er octobre ». Pour le président de la Généralité, « l’Etat espagnol a suspendu de fait l’autogouvernement de la Catalogne et a décrété un état d’exception ». La maire de Barcelone Ada Colau, qui a exprimé à plusieurs reprises ses doutes quant à la feuille de route du gouvernement catalan, n’en a pas moins fustigé le « scandale démocratique » et la « dérive autoritaire » de l’Etat espagnol, appelant dans la foulée à « défendre les institutions catalanes ».

Au Congrès des députés, la tension s’est ressentie lors de l’intervention particulièrement virulente du chef de file de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), Gabriel Rufían, s’adressant à Mariano Rajoy avant de quitter l’hémicycle : « je vous demande et j’exige que vous retiriez vos sales mains des institutions catalanes (…) Sachez que la volonté du peuple catalan est imparable, et sachez qu’il ne s’agit plus d’une lutte pour les droits nationaux de la Catalogne, mais d’une lutte pour les droits civiques ».

Le PSOE s’est quant à lui montré mal à l’aise devant la tournure prise par les événements. La direction du parti a tardé à réagir, recommandant aux députés socialistes de s’abstenir de faire des déclarations aux médias. Le secrétaire à l’organisation, Luis Abalos, a pris la parole dans la journée, exhortant la Generalité de Catalogne à annuler le référendum du 1er octobre afin « d’ouvrir la voie au dialogue démocratique ». En revanche, le parti n’a pas pris la peine de condamner les opérations menées par la Garde Civile, précisant qu’elles résultent de l’application d’une décision judiciaire. S’ils ont reconnu le caractère plurinational de l’Espagne lors de leur dernier congrès fédéral, dans le sillage de la victoire de Pedro Sánchez, les socialistes restent fermement opposés à la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, quelles qu’en soient les conditions. « Le PSOE n’accepterait pas de couper en morceaux la souveraineté nationale », s’est ainsi exprimé le porte-parole de l’Exécutif socialiste le 18 septembre dernier.

“Podemos est à l’heure actuelle l’unique force politique d’envergure nationale à se positionner ouvertement en faveur d’un référendum d’autodétermination pacté entre l’État espagnol et le gouvernement catalan.”

Du côté de Unidos Podemos, les réactions sont sans équivoque. Pablo Iglesias déclarait aux médias à son arrivée au Congrès des députés : « je ne veux pas qu’il y ait en démocratie des prisonniers politiques alors même qu’un parti politique parasite les institutions », en référence au Parti populaire et aux multiples affaires de corruption qui l’affectent. Plusieurs députés ont pris part au rassemblement organisé sur la Puerta del Sol à Madrid en faveur de la démocratie et du dialogue. Bien que ses dirigeants critiquent la démarche unilatérale de la Généralité en vue de la consultation du 1er octobre, Podemos est à l’heure actuelle l’unique force politique d’envergure nationale à se positionner ouvertement en faveur d’un référendum d’autodétermination pacté entre l’État espagnol et le gouvernement catalan.

Dans un entretien accordé à LVSL, Íñigo Errejón résumait la position du parti sur la question territoriale : « nous souhaitons discuter librement avec les Catalans, nous voulons qu’ils puissent décider par eux-mêmes de rester avec nous ou non. Nous, nous souhaitons qu’ils restent. Nous pensons que la conception que nous avons de notre pays va dans cette direction, qu’elle aide à ce qu’ils souhaitent rester avec nous. Nous sommes la force politique qui tente de réinvestir un patriotisme progressiste tout en reconnaissant que la Catalogne est une nation et qu’elle doit pouvoir exercer son droit à l’autodétermination. ».

Unidos Podemos est à l’origine de la création d’une assemblée d’élus « pour la fraternité, le vivre-ensemble et les libertés » qui doit se réunir à Saragosse ce dimanche. Si le Parti nationaliste basque (PNV), la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT) ont répondu favorablement à l’invitation, le PSOE a accueilli l’initiative froidement, jugeant préférable que les débats se tiennent au sein de la commission d’étude créée par le Congrès des députés sur proposition des socialistes. Une commission qui ne se réunira pas avant le 1er octobre. Preuve que la question catalane n’a pas fini de semer le trouble parmi les gauches espagnoles.

 

 

Par Laura Chazel et Vincent Dain. 

 

 

[1]  Hubert Peres, Christophe Roux (dir.), La Démocratie espagnole. Institutions et vie politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact Sciences politiques », 2016.
[2]  Ibidem.
[3]  NC, « Des milliers de manifestants rassemblés à Barcelone dans la nuit de mercredi à jeudi », Europe 1, 21 septembre 2017.
[4]   Neuville Richard, « Catalogne: CUP, une organisation « assembléiste » et indépendantiste », www.ensemble-fdg.org, Mars 2016.
[5]  Gomez Jordi, « Jamais, depuis l’intégration de la Catalogne à l’Espagne, l’idée de faire sécession n’a été aussi partagée », Le Monde, 15 juin 2017.
[6]  Ibidem.
[7]  NC, « Espagne: la Catalogne se choisit un président pour l’amener vers la sécession », Le Monde, 09 janvier 2016.
[8]  Tallon Pablo, « Catalunya se constituye en una República de Derecho, democrática y social », http://cadenaser.com, 28 août 2017.
[9]  Morel Sandrine, « Les indépendantistes catalans menacent de faire sécession », Le Monde, 23 avril 2017.

 

 

Crédit photos :

Manifestation pour le droit de la catalogne à l’auto-détermination. 10 juillet 2010 ©JuanmaRamos-Avui-El Punt. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

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