Un procès politique ? Marco Enriquez-Ominami (MEO), figure de la gauche chilienne, encourt jusqu’à quatre ans de prison. En cause : une affaire supposée de financement illicite de campagne.Sa défense invoque la présomption d’innocence : aucune preuve formelle de sa connaissance de l’affaire n’a pu être apportée. Elle dénonce l’acharnement judiciaire dont il serait victime, ainsi que la lenteur des procédures : elles ont cours depuis 2015, et s’étendront sur au moins deux années supplémentaires. MEO a reçu le soutien de nombreux leaders de la gauche latino-américaines, dont celui du président Lula et d’Alberto Fernandez, mais aussi d’influentes personnalités issues de la droite chilienne, dont le recteur de l’Université Diego Portales, Carlos Peña González. MEO affirme que son procès s’inscrit dans un processus de persécution des mouvements « progressistes » à l’échelle du sous-continent.
Lawfare à la chilienne ?
Les avocats de la défense se plaisent à souligner l’absurdité de la situation. Quatre ans de prison sont requis contre Marco Enriquez-Ominami, mais le procès dure depuis déjà plus de sept ans – au cours desquels il aura subi de multiples privations de libertés.
Qui est Marco Enriquez-Ominami ? Candidat à plusieurs élections présidentielles du Chili, il tient un rôle important dans la coordination de la gauche à l’échelle du sous-continent. Il est notamment à l’origine de la création du Groupe de Puebla, club régional qui rassemble les mouvements de gauche et de centre-gauche d’Amérique latine. Parmi ses membres fondateurs, on trouve également les ex-présidents Lula, Dilma Rousseff, Evo Morales, Ernesto Samper ou encore Rafael Correa.
L’affaire SQM, dans laquelle MEO est inculpé, porte les initiales de la Société minière et chimique du Chili (Sociedad química y minera), entreprise privée qui a financé illégalement de nombreux mouvements. L’ensemble du spectre politique du pays est éclaboussé : plus de 180 personnalités ont été impliquées dans l’affaire, lancée par le Parquet chilien. La grande majorité a été blanchie ; dix ont été condamnés ; huit sont toujours examinés par la justice.
La défense de MEO dénonce un deux poids, deux mesures : de nombreux accusés ont été acquittés au motif qu’aucune trace de leur connaissance de ces financements n’avait été découverte – quand bien même leur mouvement aurait perçu de l’argent de l’entreprise SQM. Présomption d’innocence oblige. 51 accusés ont vu les enquêtes rapidement levées contre eux, on a classé l’affaire pour des dizaines d’entre eux, tandis qu’à une centaine d’autres, on a offert une suspension conditionnelle des procédures. Pas pour MEO – malgré l’absence de preuves, la justice chilienne refuse toujours de le déclarer innocent.
Un procès qui s’étale de 2015… à 2025 ?
Les avocats de la défense dénoncent des manœuvres dilatoires : le procès est en cours depuis 2015, et les juges examinent les éléments de la défense au compte-goutte. Dernièrement, le Parquet a fait savoir que les procédures d’enquête requéraient au minimum deux années supplémentaires… Autrement dit : l’épée de Damoclès d’une condamnation judiciaire pèsera toujours sur MEO en 2025 – année de la prochaine élection présidentielle chilienne.
« C’est précisément cela qu’on cherche. Plutôt qu’une sentence finale, l’accusation cherche à prolonger le procès, peut-être jusqu’à 2028, pour des faits qui remonteraient à 2009 ! », dénonce sa défense. Ses avocats insistent sur les fondements juridiques du droit à un procès qui s’effectue « dans un délai raisonnable. »
Ils citent des articles du droit chilien, mais aussi de la Cour interaméricaine des Droits de l’homme (CIDH) : le Tribunal constitutionnel (sentence n°8995-2020) estime que « la résolution des conflits dans un temps raisonnable constitue une expression essentielle de ce procès par lequel s’effectue la résolution des conflits judiciaires », tandis que le paragraphe 217 de la sentence du 15 février 2017 de la CIDH dispose qu’un « retard prolongé peut en venir à constituer une violation des garanties judiciaires. »
Procureurs millionnaires, viol de la proportionnalité et de la présomption d’innocence
Joanna Heskia, avocate de la défense d’une autre personnalité accusée auprès de MEO, dénonce « des dépenses manifestement excessives, non seulement du point de vue de la quantité de procureurs et d’avocats impliqués (…) mais aussi en termes de proportionnalité. » Et d’ajouter : « Les peines requises sont faibles. »
Pour une peine de quatre ans de prison, l’enquête dure en effet depuis plus de sept ans. De la même manière, la magnitude des dépenses du Parquet interroge : c’est l’équivalent de 5 millions de dollars qui auront été dépensés par l’État chilien dans cette affaire. En comparaison, l’amende requise contre MEO – aux alentours de 35,000 dollars – semble dérisoire. Tout comme l’argent que l’entreprise minière est accusée d’avoir versé : 165,000 dollars.
« Contre moi, il y a dix procureurs à temps plein sur cette affaire, qui gagnent des sommes astronomiques, dénonce MEO. Ce sont des procureurs de Valparaíso, de Quilpué, de Villa Alemana, où il y a de sérieux problèmes de délinquance. » Sa défense n’a pas manqué de pointer du doigt la « bénédiction économique » que représente cette affaire pour les procureurs.
L’argument principal de la défense demeure la présomption d’innocence. Si les avocats de MEO ne nient pas qu’il y ait des irrégularités dans le financement de l’une de ses précédentes campagnes, ils avancent qu’aucun indice ne permet d’établir que MEO ait pu en avoir connaissance. « Il est impossible, irrationnel, contraire à toutes les maximes de l’expérience, de prétendre qu’un candidat puisse avoir l’œil sur tout, et, entre autres choses, se préoccuper de détails administratifs. », avance son avocat Ciro Colombara.
L’absence de preuves n’avait pas empêché la condamnation de leaders de la gauche latino-américaine. Lula avait été emprisonné, alors que de l’aveu même du juge Moro, aucune preuve n’était en possession de l’accusation. L’ancien président Rafael Correa avait été condamné à huit ans de prison pour financement illicite, sans aucune évidence empirique de sa responsabilité ; la charge retenue contre lui ? « Influence psychique » sur ses assistants. De la même manière, la vice-présidente Cristina Kirchner a été récemment condamnée à une peine de de prison par la justice argentine. Sans preuves.
Partout dans le sous-continent, l’État de droit a été écorné. Le Chili sera-t-il le prochain pays où le lawfare frappera ?