Sur les enjeux climatiques, la Chine renvoie à deux visions contradictoires dans les médias. Celle du premier pollueur – qu’il faudrait contraindre à réduire ses émissions – et celle du plus important investisseur dans les technologies dites « vertes » -qu’il faudrait prendre de vitesse, afin d’enrayer l’attrait du « modèle chinois » dans l’hémisphère sud. Loin de ces simplifications, la politique climatique et environnementale chinoise répond à des motivations contradictoires. Elle se révèle avant tout d’un grand pragmatisme, au service d’une géopolitique de puissance, destinée à faire de la Chine la tête de gondole d’une transition écologique alternative aux modèles occidentaux. Ses premiers résultats, limités mais réels, sont fragilisés par l’accroissement des tensions internationales et la course aux armements.
Résultats modestes, diplomatie proactive
Après de nombreuses années de discours climatosceptiques, la Chine a fini par prendre la mesure du défi climatique qui se pose à l’humanité, contribuant aux réussites – toutes relatives – des sommets de Copenhague 2009 (COP15) et Paris 2015 (COP21). Le climat et l’environnement se sont imposés comme des thématiques prégnantes dans les discours officiels du Parti depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012. Elles font désormais partie intégrante de la « réjuvénation de la nation chinoise », au service d’un « destin commun pour l’humanité », selon les mots du chef d’État, destinées à faire de la Chine une « grande nation écologique », garante de la « coexistence harmonieuse entre l’Homme et la nature ».
Xi Jinping en a fait un enjeu communicationnel, en se présentant comme le théoricien d’une « pensée sur la civilisation écologique » à partir de 2018. Xi Jinping a d’ailleurs désigné un de ses proches alliés, Ding Xuexiang – n°6 du Politburo et Vice-Premier ministre – en charge d’un vaste éventail de thèmes parmi lesquels le climat, le développement, l’éducation, la science et la technologie. Au-delà des discours officiels, quels sont les contours de la politique climatique chinoise ?
Le cadre de l’Accord de Paris laissant le soin aux États de définir leur trajectoire de décarbonation, la Chine a communiqué en 2020 les objectifs suivants : atteindre son pic d’émissions de gaz à effet de serre avant 2030 et la neutralité carbone en 2060. Ils ont été jugés à la fois très insuffisants – le pic d’émissions étant trop tardif pour un émetteur aussi important que la Chine – et trop ambitieux – la pente de décarbonation entre 2030 et 2060 apparaissant difficilement tenable. La Chine a déclaré à plusieurs reprises vouloir avancer la date de son pic d’émissions, mais tarde à présenter des engagements chiffrés et une trajectoire claire de sortie du charbon.
Pour autant, si la Chine se montre frileuse dans ses objectifs, elle respecte généralement le peu d’engagements chiffrés qu’elle prend. À titre d’exemple, elle s’était engagée en 2005 à réduire de 45% l’intensité carbone par point de PIB de son économie avant 2020, objectif ayant été atteint en avance, et donc revu à la hausse (-65% d’ici 2030). De même, il semble que son pic d’émissions surviendra bien avant 2030 – certains observateurs estimant qu’il sera atteint en 2025, ce qui reste à confirmer.
Comment expliquer cette réticence à revoir ses objectifs à la hausse de manière officielle, malgré quelques résultats limités mais encourageants ? Une raison, et non des moindres, réside dans un discours très répandu dans les pays en développement, selon lequel les pays à revenu faible ou intermédiaire doivent fournir un effort moindre que celui des plus avancés. L’empreinte carbone individuelle des Chinois étant relativement faible, le gouvernement prétend que ce n’est pas sur eux que doit prioritairement reposer la réduction des émissions. Sans compter la « responsabilité historique » des pays occidentaux, elle aussi convoquée.
Ce discours, accompagnée d’une diplomatie proactive, permet à la Chine de nouer des partenariats avec d’autres pays en développement. En attestent le comme le Fonds coopératif Sud-Sud, le groupe 77+Chine, et divers autres instances de discussion : autant d’opportunités de se présenter en championne du multilatéralisme, agissant pour la cause climatique, et porte-voix des pays en développement.
Évolution de la politique climatique chinoise
Les enjeux climatiques ne peuvent être réduits à leurs implications communicationnels et diplomatiques pour le Parti communiste chinois (PCC). Le thème du climat connaît bel et bien un essor considérable dans les différents plans quinquennaux votés par le PCC au fil des années. Le 11ème (2006-2010) dégageait de premiers horizons timides sur l’intensité énergétique, la conservation et la captation carbone, et quelques objectifs sur le développement des énergies renouvelables. Le 12ème (2011-2015) a vu apparaître une série d’objectifs sur la consommation d’énergie fossile, notamment le charbon, sans avancer de chiffres précis. Ce n’est qu’à partir du 13ème (2016-2020) qu’une limite d’usage du charbon a été actée. Le 14ème plan (2021-2025) a quant à lui introduit pour la première fois le principe d’un budget carbone maximal, sans pour autant préciser à combien il s’élevait et comment se répartissait l’effort entre diminution des émissions et captation carbone par la reforestation.
La prise de conscience de l’importance de la question climatique se manifeste également au sein de l’opinion publique chinoise, notamment la jeunesse. Malgré son caractère autoritaire, le régime chinois se montre attentif à cette évolution. Des manifestations publiques locales sont souvent tolérées en Chine, voire encadrées par des représentants locaux, lorsqu’elles concernent des questions environnementales. Il s’agit d’un baromètre du mécontentement de la population, et parfois même d’un moyen de pression utilisé par les pouvoirs locaux sur le pouvoir central. De plus, le problème de la pollution atmosphérique, en particulier dans les grandes mégalopoles, est devenu tel que les autorités en ont fait une priorité de santé publique. L’ex-premier ministre Li Keqiang avait notamment déclaré la guerre à la pollution en 2014 et identifié celle-ci comme un enjeu sanitaire majeur, appelant à passer du charbon au gaz pour le chauffage et à remplacer des usines vétustes par des technologies plus propres. Un appel dont la mise en application demeure complexe.
Le mix énergétique chinois est amené à évoluer considérablement lors des prochaines décennies. La Chine réalise des investissements colossaux dans les énergies renouvelables (éolien, solaire, hydro). Certaines régions désertiques et plateaux (Qinghai, Mongolie intérieure, Heilongjiang etc.) ont un potentiel éolien et solaire considérable, et la Chine utilise des mécanismes économiques (subventions) et réglementaires (quotas d’usage) pour inciter les provinces concernées à accélérer le déploiement d’éoliennes et de panneaux solaires. A ce jour, 80% des panneaux solaires produits dans le monde sont chinois, et l’effet d’échelle fait considérablement baisser le coût unitaire. Ce déploiement à grande vitesse devrait voir la Chine atteindre ses objectifs 2030 (1200 GW d’énergies solaire et éolienne déployée) avec plusieurs années d’avance. La Chine étant l’un des principaux producteurs de métaux rares, cruciaux pour le renouvelable, il faut comprendre l’emphase mises sur ces derrières comme partie intégrante d’une géopolitique de puissance. Son discours écologique entre en harmonie avec l’empire mondial sur ces minerais que la Chine a patiemment bâti.
L’effort chinois porte également sur le développement de l’hydroélectricité, grâce à la construction de barrages sur les nombreux fleuves traversant le pays, le plus grand et le plus célèbre d’entre eux étant le barrage des Trois Gorges. Les provinces du Sichuan et du Yunnan sont particulièrement propices à la construction de nouveaux barrages, ainsi que le Tibet, dont le caractère hautement stratégique a valu son surnom de « château d’eau de l’Asie ». La Chine produit 30% de l’hydroélectricité mondiale, et construit de nouveaux barrages dans des proportions inégalées. En 2021, 80% des nouvelles installations se trouvaient en territoire chinois. Produisant aujourd’hui 45 GW d’hydroélectricité par an, la Chine se fixe pour objectif d’atteindre 120GW en 2030.
Enfin, la Chine mise sur une forte augmentation de la production nucléaire pour accompagner le déploiement des énergies renouvelables. La capacité de production nucléaire chinoise est aujourd’hui la deuxième plus importante au monde, et devrait dépasser la production américaine d’ici 2030. À ce jour, la production nucléaire installée en Chine s’élève à 57GW, et 20 GW supplémentaires sont en cours d’installation, ce qui est en-deçà des objectifs qu’elle s’était fixés pour 2020. Malgré ce léger retard, Pékin affiche des objectifs extrêmement ambitieux pour 2030, et souhaite que le nucléaire représente 13% de son mix énergétique total en 2060 (68% pour les énergies renouvelables), soit une multiplication par sept de la production actuelle. Pour cela, la Chine investit de manière colossale dans ce secteur, misant sur diverses technologies et la recherche (quatrième génération, thorium, fusion…). Malgré des craintes partagées dans d’autres régions du monde (temps de déploiement, risques sismiques…), le nucléaire semble bel et bien un volet majeur de la future neutralité carbone de la Chine.
Mix énergétique au service d’une bifurcation économique
L’évolution du mix énergétique chinois aura pour objectif de décarboner et électrifier de nombreux secteurs de l’économie chinoise. L’industrie chinoise est la cible d’efforts tout particuliers, en réponse notamment au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, premier marché d’exportations chinoises, qui – malgré toutes ses évidentes limites – devrait progressivement entrer en vigueur d’ici 2026. Il s’agit pour la Chine d’un enjeu économique et écologique considérable, 20% des émissions du pays étant exportées vers d’autres marchés de consommation, faisant de la Chine le plus fort « exportateur de carbone ». L’industrie chinoise amorce donc une bifurcation vers des technologies moins polluantes, et vers le « double usage » de certaines usines ayant pour objectif de réduire les émissions d’industries les plus polluantes (acier, ciment…).
Le secteur des transports est également identifié par Pékin comme prioritaire pour parvenir à la décarbonation de son économie. Le réseau ferré chinois est un véritable modèle de planification, passant d’un état embryonnaire à l’un des plus importants réseaux en tout juste une décennie. Comme détaillé dans l’ouvrage Localized Bargaining de Xiao Ma, un jeu politique complexe se développe entre pouvoir central et gouvernements provinciaux, dans lequel les provinces sont mises en concurrence sur des critères de développement et de réduction de la pauvreté – en échange de quoi les représentants locaux font pression sur Pékin pour obtenir le passage d’un train à grande vitesse dans leur localité, allant parfois jusqu’à organiser des manifestations publiques pour accroître la pression sur les autorités centrales. Ce jeu politique, couplé à un effort budgétaire massif, contribue au succès considérable du système ferroviaire chinois. Trois milles kilomètres de voies ferrées supplémentaires sont en cours de construction dans le cadre du 14ème plan quinquennal.
Le véhicule électrique est également un secteur hautement stratégique pour la décarbonation de l’économie chinoise. Vivement critiquées en Occident, les subventions à la production ont vu le prix des véhicules chinois baisser drastiquement et leur déploiement sur le marché chinois s’accélérer de manière exponentielle. En 2022, 60% des véhicules électriques vendus étaient chinois, et malgré les efforts des rivaux, cette part est attendue aux alentours de 40% en 2030. La réaction américaine ne s’est pas fait attendre, Biden décidant d’imposer une taxe de 100% sur les véhicules électriques chinois, mesure qui pourrait être imitée par l’Union européenne. Il y a là un enjeu économique majeur pour ces deux blocs, face à une Chine qui détient une maîtrise de la chaîne de valeur quasi monopolistique allant des matières premières aux véhicules finis en passant par la production de différents types de batteries.
La Chine a ainsi beau jeu de dénoncer l’hypocrisie de l’Occident, qui lui reproche son inaction climatique mais entrave ses efforts pour tirer vers le bas le prix des technologies clés de la décarbonation (panneaux solaires, éoliennes, véhicules électriques). Il ne tient pourtant qu’à l’Europe d’utiliser les mêmes mécanismes budgétaires et réglementaires pour connaître une telle réussite…
Difficultés et adaptation
Les réactions occidentales rappellent combien – au-delà des plans quinquennaux et des rituels parfaitement huilés du Parti – la Chine est également vulnérable aux imprévus économiques, géopolitiques et climatiques. La rivalité systémique entre la Chine et les Etats-Unis pourrait mener à des arbitrages complexes entre efforts de décarbonation et enjeux économiques, voire militaires, plus classiques. Malgré une volonté affichée par Pékin et Washington de coopérer sur la question climatique, la relation bilatérale reste fortement dégradée.
La pandémie de COVID-19 a également démontré la difficulté pour le gouvernement chinois de respecter ses objectifs climatiques en cas de crise économique et sanitaire majeure. Lors du rebond économique de 2021, la demande en énergie fut telle que les quotas charbon imposés aux provinces ont mené à des blackouts importants, obligeant les autorités à assouplir leurs objectifs.
La Chine est aussi un pays vulnérable aux catastrophes climatiques à venir (chaleurs extrêmes, sécheresses, inondations, cyclones, montées des eaux etc.), qui pèsent d’un poids toujours plus important sur l’économie. Les aléas climatiques peuvent également compromettre une production électrique décarbonée, comme lors d’une sécheresse faisant baisser le rendement hydroélectrique. L’adaptation au changement climatique représente un enjeu considérable pour la Chine, laissant même craindre qu’elle y consacre une part plus importante de son effort qu’à l’atténuation.
Le volet « adaptation » fait l’objet de projets proprement pharaoniques, parmi lesquels la construction de digues pour protéger les côtes chinoises, en particulier Shanghai et ses alentours, ville particulièrement vulnérable à la montée des eaux. Un projet de construction de plus de 10.000km de canaux est également en cours de déploiement, afin de répartir l’eau douce dans différentes régions selon les précipitations et les besoins affichés, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. Certaines mégalopoles comme Ningbo font aussi l’objet d’expérimentation pour en faire des « villes éponges » afin de les rendre résilientes aux inondations. Cette volonté démesurée de maîtrise de l’environnement par la technologie a un ancrage profond dans l’histoire chinoise en général, et celle du PCC en particulier, bien antérieure à la question climatique. Certains projets remontent en effet à l’ère Deng Xiaoping, voire Mao Zedong, comme la Grande muraille verte, grand projet de reforestation au Nord de Pékin ayant pour objectif de protéger la capitale des tempêtes de sable. Xi Jinping s’y est d’ailleurs rendu pour prononcer l’un de ses discours sur l’avenir de la « grande nation écologique » chinoise.
L’objectif affiché par les autorités est de faire de la Chine une nation entièrement résiliente au dérèglement climatique à l’horizon 2035. À travers le caractère irréaliste voire utopique de cet objectif, le Parti trahit un prisme de lecture technocratique et techno-solutionniste, appréhendant le défi climatique avec une vision d’ingénierie pure – fortement contestée par de nombreux chercheurs, y compris chinois. Cette approche « problème-solution » de la question climatique évolue difficilement vers une vision plus holistique des questions environnementales, les critiques étant souvent muselées par les autorités. Par exemple, de nombreux barrages ont fait l’objet de critiques pour leur absence d’étude d’impact sérieuse (eau douce, biodiversité), mais leurs constructions ont été menées à leurs termes malgré tout. De même, l’extractivisme à marche forcée lié aux différentes technologies de décarbonation (batteries, solaire, éolien, nucléaire) entraîne des conséquences environnementales et sanitaires considérables, y compris en territoire chinois, poussant les autorités à investir dans la recherche pour réduire l’empreinte matière de certaines technologies. La Chine investit constamment dans la recherche pour contourner ces problèmes, ce qui maintient vivant un débat sur les politiques climatiques – mais génère le risque d’un effet-rebond qui alimente une fuite en avant technologique. Il s’agit là d’une limite à l’autoritarisme technocratique et planificateur du Parti, plus ouvert aux critiques académiques qu’il n’y paraît sur la question climatique, mais souvent incapable de remise en question lorsque son capital politique est en jeu.
Si la Chine continue de brûler du charbon dans des proportions inégalées, le climat est bel et bien devenu un thème central pour le PCC et Xi Jinping lui-même, tandis que les efforts de décarbonation sont réels, tant sur le volet « atténuation » que le versant « adaptation ». La dimension politique de ce revirement n’est pas à négliger. À travers ses objectifs pharaoniques, Pékin cherche à promouvoir la supériorité de son modèle sur la question environnementale : planificateur, centralisé, autoritaire et prônant la domination de l’Homme sur la nature – une vision bien distincte de celle portée par les mouvements écologistes occidentaux, ou les tenants de la transition par le marché.