Par Sébastien Peytavie, Député écologiste de Dordogne, membre de la Commission des affaires sociales.
Rentrée 2022 : la France compte près de 11 millions de pauvres. Plus de 4 millions de personnes sont mal-logées dont plus de 300 000 sont sans domicile fixe. Parmi elles, des enfants. Ils sont 1600 élèves sans abris (soit 86% de plus qu’en début d’année) et 50 000 vivent dans des bidonvilles, squats ou logements temporaires. Aussi, combien d’enfants en situation de handicap n’iront pas ou peu à l’école en raison du manque d’AESH ? L’accès aux soins devient de plus en plus difficile sur le territoire national. Au seul mois de juillet, 42 établissements avec un service d’urgence ont été contraints de réaliser une fermeture totale de nuit de leurs services, soit un total cumulé de 546 nuits. De jour, 23 établissements ont réalisé une fermeture totale pour 208 jours. Dans les Landes et en Gironde, des milliers d’hectares de forêt ont brûlé lors de méga-feux cet été et des personnes ont péri en Corse lors d’orages ultra-violents. Ici, comme ailleurs, nous sommes confrontés aux mêmes troubles, au même destin. Au Pakistan, ce sont 33 millions de personnes touchées par les inondations. Parmi elles, des familles, des enfants qui ont tout perdu, y compris la vie. Dans le monde, 25 000 personnes meurent chaque jour de la faim. 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau. La biodiversité est en chute libre. Notre maison meurt et nous regardons ailleurs.
Ces personnes – ces êtres humains – méritent-elles de vivre ainsi ? Tous et toutes, nous répondrions à l’unanimité par la négative. Pourtant, face à quelqu’un dans la misère, qui n’a pas déjà entendu cette petite phrase : « On ne se retrouve pas dans la rue par hasard, il doit forcément y être un peu pour quelque chose…» Le ver est dans le fruit. La dignité de ne pas dormir dans la rue serait-elle finalement quelque chose qui se gagne ou qui se perd ? Après tout, le Larousse définit la dignité comme le respect que mérite quelqu’un ou quelque chose. Mais mériter selon qui et selon quoi ?
La méritocratie se résume sans difficulté sous l’adage suivant : tout le monde peut réussir si tant est qu’il s’en donne les moyens. Le piège méritocratique réside fondamentalement dans sa seconde partie. Pourquoi ? Parce qu’il fait reposer un idéal de justice sociale sur le principe de responsabilité individuelle. Si l’on part du principe que la réussite de chacun repose sur sa seule capacité à s’en donner les moyens (« quand on veut, on peut »), alors ceux qui gagnent méritent de gagner. A contrario, ceux qui perdent méritent de perdre. En justifiant toutes les inégalités sociales, économiques, climatiques, la méritocratie passe d’un idéal de progrès social à un cauchemar de statu quo. Quand on veut, on ne peut pas toujours. En fermant les yeux, notre société fait-elle le choix délibéré de les condamner à vivre une vie indigne ?
Le droit, outil d’émancipation et de protection des individus, est devenu un outil d’oppression. Depuis les années 80, par la sacralisation de la liberté d’entreprendre devenue droit à l’enrichissement personnel, notre société a largement tendu à institutionnaliser la loi du plus fort. La domination des multinationales sur le marché économique et financier au détriment de tous les droits humains, la domination des actionnaires sur les salariés au détriment du dialogue social, la domination de l’exercice du pouvoir par une élite méritocratique au détriment de la démocratie, la domination patriarcale de l’espace public au détriment de toutes les minorités.
Nous ne venons pas seulement au monde pour travailler, cotiser, produire, consommer. Nous venons pour vivre et vivre pleinement. Et devant cette prise de conscience, devant les changements radicaux que nous devons entreprendre, pour effectuer notre transition écologique et sociale, il nous faut une boussole : la dignité. Chacun et chacune d’entre nous a le droit de vivre dignement.
La dignité humaine ne se mérite pas. Elle ne se décrète pas non plus. Elle se reconnaît et elle se garantit. Changer de paradigme et renverser le rapport de force, c’est avant tout redonner sa force au droit. C’est dans cette perspective que je proposerai que soit inscrit dans la Constitution le droit à la vie digne.
C’est proposer l’horizon d’une société qui se donne les moyens d’offrir à toutes et à tous une vie digne. Une société qui protège, qui émancipe, et qui donne les moyens de la liberté et les conditions de l’égalité. C’est une société qui permet à toutes et à tous d’avoir accès à l’éducation, accès aux soins, quel que soit l’âge, la pathologie ou le handicap sur l’ensemble du territoire. C’est une société qui prend soin de ses services publics, l’école et l’hôpital en priorité, qui rémunère le travail et assure à chacun revenu de base lui permettant son émancipation. Une société qui fait de la dignité humaine sa boussole, c’est une société qui refuse le mal-logement et que des hommes et des femmes dorment dans la rue. Non seulement, c’est une société qui refuse que des hommes et des femmes meurent de faim, mais c’est une sociétéqui permet de manger à sa faim, chaque jour et de pouvoir bien manger. C’est une société qui refonde son contrat social autour de la justice fiscale, sociale et climatique. C’est une société qui garantit le pouvoir de vivre, le pouvoir de vivre sur une planète vivante et vivable. C’est une société qui refuse la maltraitance et l’impuissance.